A Genève, de nombreux avocats interviennent pour la défense des étrangers faisant l’objet d’une détention administrative.
Les situations sont multiples. Les détentions peuvent être brèves ou durer dix-huit mois. Les détenus peuvent être des requérants d’asile qui font l’objet d’une décision de non-entrée en matière et de renvoi qui sera exécutée vers l’Etat Dublin responsable de l’examen de la demande de protection. Il peut s’agir de requérants d’asile dont la demande a été examinée au fond et rejetée, d’étrangers en séjour illicite à l’encontre desquels une décision de renvoi a été prononcée par le canton de Genève. Toutes ces personnes peuvent avoir fait l’objet de condamnations pénales en raison d’infractions plus ou moins graves ou n’avoir jamais troublé l’ordre public en aucune manière.
Plusieurs acteurs interviennent, les autorités fédérales, mais aussi les Etats de provenance, consulats, ambassades, les autorités cantonales, soit l’Office cantonal de la population et les officiers de police, deux instances judiciaires cantonales, éventuellement le TF.
Les autorités cantonales et le pouvoir judiciaire sont durs. Rarement une alternative à la privation de liberté est examinée. Rarement une mise en liberté est décidée.
Dès lors, comment envisager le travail de défenseur, à quoi sert-il, dans cette machine bien huilée? Quelques réflexions sont proposées ci-après.
Quand un détenu peut-il bénéficier d’un défenseur d’office?
Le TF a précisé que lorsque la détention administrative dépasse une durée de trois mois, l’exigence selon laquelle la cause ne doit pas être dépourvue de chances de succès doit être relativisée de sorte qu’il convient d’accorder au détenu qui le requiert un défenseur (arrêt du TF, 2C_675/201, c. 3.2).
La loi genevoise d’application de la loi fédérale sur les étrangers est plus généreuse, dès lors qu’elle dispose (art. 12) que, dès sa détention, l’étranger a le droit d’être assisté ou représenté par un avocat ou un autre mandataire professionnellement qualifié. Au cas où l’étranger n’en dispose pas, un avocat est mis à sa disposition pour les procédures devant le Tribunal administratif de première instance ou la Chambre administrative de la Cour de justice. Les procédures de contrôle de la légalité et de l’adéquation de la détention administrative sont caractérisées par leur rapidité, ce qui est dans l’intérêt de la personne privée de liberté. Cela nécessite une grande disponibilité de l’avocat et sa réactivité.
Avant l’introduction d’une procédure auprès du Tribunal administratif de première instance, le détenu doit s’adresser au Service de l’assistance juridique qui désignera un défenseur d’office. Ce sera le cas, par exemple, si le détenu entend solliciter du Tribunal le contrôle de la légalité et de l’adéquation de la détention dans le cadre d’une procédure Dublin.
Après l’introduction d’une procédure, le Tribunal désignera un avocat d’office, sur la base d’une liste établie selon un calendrier, étant précisé que cet avocat est nommé pour une unique procédure. Par exemple, dans le cadre du contrôle automatique de la légalité de la détention, d’une demande de prolongation de la détention ou de mise en liberté, d’ores et déjà adressée par le détenu au Tribunal.
Pour recourir contre un jugement, le détenu s’adressera au Service de l’assistance juridique pour qu’un avocat soit nommé d’office pour la procédure de recours auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice. S’il est disponible et disposé à être désigné, l’avocat qui a assisté le détenu dans la procédure de première instance poursuivra la défense dans la procédure de recours, mais pas nécessairement.
La défense est ainsi fractionnée, limitée, plusieurs avocats peuvent être amenés successivement à traiter une situation, ce qui n’est pas dans l’intérêt de la personne privée de liberté. C’est le cas, en particulier, pour les détentions de longue durée, où un suivi de la situation doit être effectué entre deux demandes de prolongation de la détention, où une interaction avec les différents acteurs, à savoir les autorités, le lieu de détention, mais aussi les médecins, les ONG, est nécessaire à la bonne défense du mandant.
Il appartient certainement à l’avocat désigné au début de la privation de liberté de demander à continuer d’assister son mandant jusqu’à ce que la détention prenne fin.
Quelle relation entre le détenu et le défenseur?
A la suite d’un ordre de mise en détention administrative prononcé par un officier de police, sur la base de l’art. 75 ou 76 LEtr, le contrôle de la détention doit avoir lieu, selon l’art. 80 al. 2 LEtr, dans un délai de 96 heures par une autorité judiciaire au terme d’une procédure orale.
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le représentant doit être avisé de la tenue de l’audience, afin qu’il puisse y prendre part au côté de son mandant. Le détenu, ou son représentant, doit avoir la possibilité de préparer l’audience, ce qui implique de traiter la demande d’examen du dossier en priorité et de mettre sans délai les pièces à disposition de l’avocat (arrêt du TF du 15 octobre 2013 2C_816/2013, c. 3.2.2).
Dans la plupart des cas, à Genève, le défenseur aura accès au dossier (transmis par voie électronique) plus ou moins une journée avant l’audience. Il fera connaissance avec son mandant pendant environ dix minutes avant celle-ci, ce qui est peu, surtout si la présence d’un interprète est nécessaire. Le conseil ira à l’essentiel.
Pour le TF, dans la mesure où il est possible de solliciter de l’autorité judiciaire cantonale quelques minutes supplémentaires, une telle durée d’entretien avant l’audience est brève mais ne viole pas le droit d’être entendu (cf. arrêt du TF susmentionné).
Dans la procédure de recours ou dans le cadre d’une demande de prolongation de la détention, le défenseur disposera de davantage de temps.
Il importe qu’il s’entretienne avec son mandant dans son lieu de détention, le cas échéant avec un interprète. Alors que les chances de succès sont faibles, son rôle est notamment de conseiller le détenu de façon indépendante, de prendre le temps de l’écouter, de le connaître, d’être en lien avec les membres de sa famille.
Il n’est pas rare que le détenu s’exprime dans une langue qu’aucune personne ne maîtrise dans le Centre de détention. On peut penser à certaines langues d’Afghanistan, du Pakistan, d’Erythrée, d’Asie, etc. Le défenseur et son interprète seront les seuls avec lesquels le détenu pourra échanger en détail sur sa situation, excepté les éventuels entretiens menés avec un traducteur par l’autorité cantonale.
Examen de la détention dans le cadre de la procédure Dublin
Lorsqu’un étranger est placé en détention aux fins de le transférer dans l’Etat Dublin responsable, il lui appartient de demander, à tout moment, à l’autorité judiciaire, par écrit, l’examen de la légalité et de l’adéquation de la détention. La procédure selon l’art 80a LEtr se déroule par écrit.
La loi genevoise d’application de la loi sur les étrangers n’a pas été adaptée aux modifications législatives et ne prévoit pas l’hypothèse d’une procédure écrite. Toutefois, en vertu de la force dérogatoire du droit fédéral, le Tribunal administratif de première instance procède par écrit.
Dans cette situation, la personne privée de liberté est particulièrement vulnérable, puisque l’information selon laquelle elle peut demander au Tribunal l’examen de la légalité et l’adéquation de la détention dépend entièrement de celui qui prononce l’ordre de mise en détention administrative.
En pratique, le procès-verbal d’audition établi par l’officier de police précise que cette information a été transmise au détenu.
Toutefois, ce procès-verbal, signé ou non par le détenu, est rédigé en français.
S’il n’est pas rare que l’audition ait lieu avec un interprète, il arrive que la contrainte de temps entraîne pour conséquence des difficultés à en trouver un disponible dans une langue spécifique. Dans cette hypothèse, un collaborateur du service de police officiera en guise d’interprète, en anglais.
Si l’on peut partir du principe que l’officier de police communiquera à la personne étrangère qu’elle est en droit de solliciter l’examen de la légalité et de l’adéquation de la détention administrative au Tribunal, il est tout sauf certain que celle-ci, d’origine érythréenne, syrienne, afghane, par exemple, ait compris cette information et sache que faire.
Elle devrait ensuite, depuis son lieu de détention s’adresser par écrit au Tribunal. De nombreuses personnes qui font l’objet d’une procédure de transfert sont incapables d’écrire en français.
La personne détenue pourra introduire une demande d’assistance juridique, avec l’aide d’un collaborateur du lieu de détention, qui sera admise, toutefois, avec un certain délai depuis le prononcé de l’ordre de mise en détention administrative. Puis, un avocat se déplacera, avec un interprète et, ensuite, adressera la demande d’examen au Tribunal. Un temps long se sera écoulé depuis le prononcé de l’ordre de mise en détention administrative, en comparaison avec le délai de 96 heures prévu à l’art. 80 al. 2 LEtr, avant que le Tribunal ne soit saisi.
Que doit contenir la demande d’examen? Comme la procédure est écrite, la demande ne pourra pas être complétée, par oral, lors d’une audience. Il apparaît dès lors opportun de présenter une requête aussi détaillée que possible que ce soit en contestant les motifs de l’ordre de mise en détention administrative, en intervenant sur la question de la durée de la détention ou sur l’application du principe de proportionnalité. L’art. 76 a LEtr n’est pas nécessairement facilement accessible au non-juriste, l’utilité de l’assistance d’un avocat ou d’un mandataire n’est pas à sous-estimer dans cette procédure écrite.
Quelle conséquence en cas de non-respect des règles formelles de procédure?
Dans le cadre de la détention préparatoire, en vue du renvoi ou pour insoumission, la légalité et l’adéquation de la détention doivent être examinées dans un délai de 96 heures par une autorité judiciaire au terme d’une procédure orale.
Avant toute chose, un avocat calculera si ce délai a été respecté.
Pour la computation du délai, celui-ci se calcule à partir du moment où la personne privée de liberté a effectivement été détenue pour des motifs de droit des étrangers. Si la détention administrative se recoupe avec une détention de nature pénale, le moment auquel le détenu est libéré sur le plan pénal est déterminant pour calculer le début de la détention, et non pas le moment où l’ordre de mise en détention administrative est notifié (arrêt du TF du 20 novembre 2014 2C_992/2014, c. 4.1).
Lorsque l’étranger est placé en détention préparatoire et qu’une décision de renvoi est prononcée, la détention en phase préparatoire peut être remplacée par une détention en vue du renvoi, tout en maintenant l’étranger en détention. Toutefois, un nouvel ordre de mise en détention doit être émis et un contrôle judiciaire doit intervenir dans un délai de 96 heures à compter de la notification à l’étranger de la décision de renvoi.
Si le délai de 96 heures est dépassé, quelle en est la conséquence? Selon la jurisprudence du TF, l’intérêt à garantir l’efficacité d’un renvoi peut s’opposer à une remise en liberté immédiate. Cet intérêt pèse d’un poids tout particulier et peut l’emporter, dans la balance, lorsque l’étranger constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics (cf. arrêt du TF susmentionné).
Dans un arrêt du 14 mai 2014, la Cour de justice, statuant sur un recours contre un jugement confirmant un ordre de mise en détention administrative en phase préparatoire, relève qu’une décision de renvoi a été prononcée le 29 avril 2014 et qu’aucun nouvel ordre de détention fondé sur l’art. 76 LEtr n’a été émis. Le recourant se trouvait depuis plusieurs jours détenu sans titre valable, de sorte qu’il a été mis en liberté (arrêt du 14 mai 2014 de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève ATA/335/2014).
Dans un arrêt du 28 mai 2014, la Cour de justice a retenu que le recourant a été détenu sans titre pendant 22 heures, ce qui représente une informalité sérieuse, mais dans la mesure où l’intéressé constituait une menace pour l’ordre publique (plusieurs condamnations pénales), l’intérêt à l’exécution du renvoi l’a emporté (arrêt du 28 mai 2014 de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève ATA/405/2014).
Dans un arrêt du 23 juin 2015, la Cour de justice a retenu que la détention en phase préparatoire a pris fin lors de la notification de la décision de renvoi le 29 mai à 10 heures 02, un nouvel ordre de mise en détention a été prononcé le 3 juin 2015, à 15 heures 07 en application de l’art. 76 al. 1 lit. b ch. 6 ancien, soit 29 heures après la fin du délai de 96 heures prévu par l’art. 80 al. 2 LEtr. L’informalité est de courte durée de sorte que, quand bien même le détenu ne constituait pas une menace pour l’ordre public, la décision de mise en détention du 3 juin 2015 a été confirmée (arrêt du 23 juin 2015 de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève ATA/671/2015).
La maxime inquisitoire
On est régulièrement confronté au manque d’information s’agissant des démarches entreprises par les autorités fédérales et cantonales afin d’assurer l’exécution du renvoi.
Les privations de liberté se prolongent lorsque l’autorité allègue que le maintien en détention est nécessaire pour identifier le détenu, ce qui implique de multiples démarches, expertises Lingua, entretien avec une autorité consulaire ou dans une ambassade, présentation du détenu à une délégation d’un Etat supposé de provenance, vérification de l’identité par cet Etat à la suite de l’entretien, démarches pour l’obtention d’un laissez-passer.
Souvent, les seuls documents produits à l’appui d’une demande de prolongation de la détention consistent dans l’échange de messages électroniques de quelques lignes entre le Secrétariat d’Etat aux migrations et l’autorité cantonale.
L’avocat sera bien avisé de solliciter une copie du dossier d’exécution du renvoi au Secrétariat d’Etat aux migrations, afin de mieux comprendre la situation et, le cas échéant, de demander des éclaircissements.
Dans deux jurisprudences récentes, la Chambre administrative de la Cour de justice rappelle que la procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit d’office les faits. Toutefois, les parties ont l’obligation d’apporter, dans la mesure où cela peut être exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige. Par ailleurs, les fonctionnaires se trouvent dans un rapport de droit spécial avec l’Etat. En audience, le fonctionnaire représente une autorité administrative qui doit établir d’office les faits de sorte qu’il ne peut pas, sans violer son devoir de diligence à l’égard de l’Etat, taire un fait important pour la solution du litige (arrêt du 7 août 2015 de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève ATA/800/2015, et du 28 août 2015 ATA/881/2015).
D’autres mesures que la détention
Le principe de proportionnalité est mentionné dans chaque décision de justice. Toutefois, rares sont les situations dans lesquelles une mise en liberté est prononcée en application de ce principe.
Pourtant, dans un arrêt du 2 décembre 2010, la Cour européenne des droits de l’homme expose que la privation de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie qu’en dernier recours, lorsque d’autres mesures moins sévères ont été étudiées et jugées insuffisantes, pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (arrêt du 2 décembre 2010 de la Cour européenne des droits de l’homme, affaire Jusic c. Suisse, requête n. 4691/06 & 72).
Selon l’art. 28 al. 2 Règlement Dublin III, une personne peut être placée en rétention si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées.
Le HCR a adopté des «Principes directeurs relatifs aux critères et aux normes applicables à la détention des demandeurs d’asile et alternatives à la détention», notamment le principe directeur 4.3, selon lequel il importe de démontrer qu’il n’existait pas d’autres moyens moins intrusifs ou contraignants de parvenir au même résultat.
En droit suisse, l’autorité peut prononcer une assignation à un territoire, ce qui constitue une mesure moins intrusive que la privation de liberté (art. 74 LEtr). Ou obliger l’étranger à se présenter régulièrement à une autorité (art. 64 e LEtr).
Pour la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève, l’assignation à résidence n’est pas à même de garantir la présence effective le jour prévu pour l’exécution du renvoi. Une assignation à résidence ne répond pas à l’exigence d’adéquation (arrêt du 10 avril 2015 de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève ATA/336/2015).
Pourtant, ne pourrait-on pas poser le pronostic que celui qui demande, y compris en vain, que sa requête d’asile soit examinée au fond par la Suisse, ne disparaîtra pas dans la clandestinité, cela d’autant plus s’il a toujours résidé dans l’hébergement collectif où il a été interpellé, qu’il s’est tenu à disposition des autorités et qu’il ne menace pas l’ordre public?
Ainsi, les chances sont minimes qu’une alternative à la détention soit admise comme adéquate par une juridiction pour permettre l’exécution du renvoi.
En conclusion, on observera que les possibilités de remettre en cause un ordre de mise en détention administrative sont faibles. Assiste-t-on à une banalisation de la privation de liberté?
Les Syriens, les Erythréens, les Afghans, rencontrés dans les établissements de Frambois et Favra, sont traumatisés par la situation qu’ils fuient, par leur voyage jusqu’en Suisse. Ils sont épuisés et souffrent de la privation de liberté qu’ils ne comprennent pas, quand bien même les conditions de détention ne sont pas critiquables.
Peu de distinction est faite entre celui qui a gravement troublé l’ordre public et celui qui l’a respecté, mais a uniquement indiqué qu’il n’était pas d’accord de quitter la Suisse. Le défenseur fera ce qu’il peut, son travail consistera avant tout à assister un mandant qui se trouve souvent dans une situation de grande tension et de fragilité. y