La Banque mondiale vient d'entreprendre une mise à jour de ses politiques de sauvegarde sociale et environnementale, associant à ce processus un grand nombre d'acteurs1. Ces politiques (Safeguards Policies) sont au cœur du dispositif légal de la première banque de développement dans le monde et constituent une véritable référence parmi les institutions financières actives dans ce domaine: petit tour d'horizon de ces normes internationales en matière de développement ainsi que des enjeux émergeant de leur révision.
Créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour la reconstruction de l'Europe et du Japon, la Banque mondiale a, depuis lors, considérablement élargi son champ d'action, ses principaux objectifs étant concentrés aujourd'hui sur l'éradication de la pauvreté et la promotion du développement durable. Cette institution financière internationale offre, à cette fin, des instruments financiers et des services de conseils, destinés essentiellement aux pays en développement. Son outil principal reste toutefois le prêt d'investissement, c'est-à-dire le financement, par le biais de dons ou de prêts à taux réduit, de biens physiques (telles des infrastructures), du renforcement institutionnel, du développement social ou de l'amélioration des politiques publiques2.
La Banque mondiale attache une importance toute particulière aux impacts environnementaux et sociaux des projets qu'elle finance. L'élaboration et l'exécution de ceux-ci comportent parfois des risques importants, la construction d'un barrage hydroélectrique est un exemple souvent cité. Aussi des politiques de sauvegarde ont été générées pour évaluer et gérer ces risques et, plus largement, inscrire chacun des projets dans une perspective de développement durable. La procédure est la suivante: chaque pays emprunteur, avant de bénéficier d'un financement, doit réaliser une «évaluation environnementale», qui étudie, pour le projet considéré, le milieu naturel, la santé et la sécurité de la population ainsi que les aspects sociaux (déplacement involontaire de personnes, de populations autochtones et de patrimoine culturel) et les problèmes d'environnement. Cette évaluation environnementale constitue le véritable axe autour duquel vont s'articuler toutes les mesures de sauvegarde. Elle déterminera en outre quelles autres politiques devront s'appliquer au projet considéré.
Les politiques soumises aujourd'hui à examen sont celles qui s'appliquent aux prêts d'investissement, à savoir: évaluation environnementale (PO 4.01); habitats naturels (PO 4.04); lutte antiparasitaire (PO 4.09); populations autochtones (PO 4.10); patrimoine physique et culturel (PO 4.11); réinstallation involontaire de personnes (PO 4.12); forêts (PO 4.36); sécurité des barrages (PO 4.37) - auxquelles s'ajoute la PO 4.00 «Politique pilote d'utilisation des systèmes de l'emprunteur pour les politiques de sauvegarde».
A titre d'exemple, lorsque la Banque mondiale finance la construction d'une route, et que celle-ci est susceptible d'entraîner le déplacement et la réinstallation de personnes, le pays emprunteur devra s'assurer que le projet en question sera préparé et exécuté dans le respect de la politique opérationnelle 4.12 (réinstallation involontaire de personnes). Cette politique a un champ d'action très large: elle couvre non seulement la perte d'habitat ou la relocalisation, mais aussi la perte d'accès à des biens ou la perte de sources de revenus ou de moyens d'existence. Les personnes protégées sont aussi bien les détenteurs de titre ou de droits formels sur les terres (par-exemple des droits reconnus par le droit coutumier) que les personnes ayant occupé les terres pendant une certaine période même sans titre ni droits formels (PO 4.12).
S'il advient que le tracé de cette même route traverse des zones archéologiques sensibles ou si des artefacts culturels apparaissent lors des travaux, le pays emprunteur devra garantir le suivi des travaux par un archéologue ou un anthropologue et, le cas échéant, la mise en place de fouilles archéologiques, afin d'éviter la perte de précieuses informations scientifiques (PO 4.11). La Banque mondiale travaillera en étroite collaboration avec le pays emprunteur pour s'assurer du respect de ses politiques opérationnelles.
Les questions émergentes
Le profil des emprunteurs est plus diversifié qu'il y a vingt ans3, les opérations et les instruments financiers de la Banque mondiale ont évolué et le rôle du secteur privé a été renforcé. De manière générale, ces dernières années, a eu lieu également une prise de conscience de la valeur et de la vulnérabilité du patrimoine commun de l'humanité (atmosphère et océans, notamment) et des effets négatifs du changement climatique sur le développement4.
Pour répondre à ces défis, plusieurs solutions sont envisagées, comme recourir plus largement et plus efficacement aux systèmes et aux institutions juridiques des pays emprunteurs ou mettre davantage l'accent sur le renforcement des institutions nationales. Les organisations de la société civile, et particulièrement les organisations non gouvernementales, seront aussi surtout attentives à l'inclusion de nouveaux domaines, non couverts jusqu'ici par une politique spécifique. Des discussions sur le sujet ont déjà permis de distinguer sept problématiques émergentes: droits de l'homme, travail, santé et sécurité des travailleurs, égalité des sexes, invalidité, consentement donné librement, au préalable et en toute connaissance de cause par les populations autochtones, régime foncier et ressources naturelles et, enfin, changement climatique5.
Le chapitre des droits de l'homme occupe une place à part dans cette réflexion. Il s'inscrit dans le débat plus général concernant les obligations d'une institution internationale financière comme la Banque mondiale au regard du droit international et, spécialement, au regard des droits de l'homme. Le dialogue qui s'amorce pourra également prendre en considération l'évolution des conceptions autour de cette notion: pendant longtemps la tendance était d'affilier les questions de droits de l'homme aux affaires politiques, et la Banque mondiale, par ses statuts, ne peut intervenir dans les affaires politiques d'un Etat membre. Aujourd'hui, chez de nombreux auteurs, cette notion est comprise de manière plus étendue et l'on reconnaît le lien étroit entre le développement économique et le respect des droits de l'homme6.
Toutes ces questions seront traitées lors d'un dialogue à large échelle entre les représentants de la Banque mondiale, d'une part, et les pays emprunteurs, les organisations de la société civile ou les populations directement concernées par ces politiques, d'autre part. Pour certaines questions, la difficulté sera de trouver un compromis juste entre des positions diamétralement opposées parmi ces différents acteurs et de s'assurer que cette mise à jour n'aboutisse pas à un affaiblissement des politiques actuelles. Cet examen permettra enfin de définir la future orientation de la politique de la Banque mondiale, qui accordera, à n'en pas douter, une place significative au changement climatique et au développement durable.
*Associate Counsel dans l'Unité de droit international et environnemental de la Banque mondiale.
1 Information accessible sur le site www.banquemondiale.org, notamment le document de cadrage «Politiques de sauvegarde de la Banque mondiale, projet d'examen et de mise à jour», du 10 octobre 2012 (ci-après: Document de cadrage).
2 A côté des prêts d'investissement, les autres instruments sont les «prêts à l'appui des politiques de développement» et le «prêt-programme pour des résultats».
3 Il s'agit, aujourd'hui, aussi bien de pays à revenu intermédiaire, comme le Brésil ou l'Afrique du Sud, qui ont des capacités et des institutions solides, que de pays à faible revenu ou même de pays touchés par des conflits, avec des institutions plus précaires.
4 Document de cadrage, p. 6.
5 Document de cadrage, p. 11.
6 Cf. BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence. Institutions financières internationales, mondialisation et droits de l'homme. In: La déclaration universelle des droits de l'homme, 1948-2008, réalité d'un idéal commun? Les droits économiques, sociaux et culturels en question, Paris, La Documentation française, 2009, pp. 59-64.