1. Introduction
Cinq ans après l’entrée en vigueur du Code de procédure civile, la jurisprudence du TF dans ce domaine demeure abondante. Ce n’est pas surprenant, au vu du nombre de questions que pose nécessairement une loi qui assure la mise en œuvre des droits des particuliers. En outre, les pratiques divergentes des cantons génèrent des incertitudes, que le Tribunal lève peu à peu au gré des affaires qui lui sont soumises.
2. Conciliation
A. Administrateur de fait (ATF 141 III 159) L’ATF 140 III 27 avait donné l’occasion au TF de rappeler l’importance de la phase de conciliation et, dans ce cadre, de l’audience de conciliation. Ainsi, la présence de la personne morale s’impose aussi à l’audience. La comparution doit intervenir par le biais d’un organe qui exprime sa volonté ou, à tout le moins selon le TF, par une personne munie d’une procuration commerciale, autorisée à conduire le procès et connaissant la cause1. Il peut s’agir d’un fondé de procuration inscrit au Registre du commerce (art. 458 CO) ou d’un mandataire commercial muni d’une procuration (art. 462 CO)2. L’ATF 141 III 159 complète utilement ce prononcé, puisqu’il précise qu’un administrateur de fait ne peut pas représenter valablement une personne morale à l’audience de conciliation, cette autorité devant pouvoir déterminer à l’audience si la représentation est valable ou non. Par ailleurs, un mandataire commercial, autorisé à représenter la société en justice au sens de l’art. 462 al. 2 CO, doit disposer d’une procuration de mandataire commercial et non d’une simple procuration au sens de l’art. 32 CO. En l’espèce, comme le TF posait cette règle pour la première fois, il fallait encore déterminer si l’intéressée était alors bien représentante commerciale et si ce fait était connu de la partie adverse. Cette question ne se pose plus désormais, vu la publication intervenue au Recueil officiel (ATF 134 III 534 c. 3.2). Autant dire que la personne morale qui agit en justice doit être attentive à la règle. Elle doit être présente à l’audience, par le biais d’organes ou de représentants munis des pouvoirs nécessaires. En cas de pouvoir de représenter collectivement, les procurations utiles et signées par qui de droit doivent impérativement être déposées à l’audience, afin que le juge puisse vérifier les pouvoirs et procéder utilement à la tentative de conciliation. Faute de quoi, le défaut du demandeur doit être constaté et le dossier classé (art. 206 al. 1 CPC).
B. Dépens pour la conciliation (ATF 134 III 20)
«Il n’est pas alloué de dépens en procédure de conciliation.» L’art. 113 al. 1 CPC semble d’une clarté limpide. Pourtant, le TF, faisant sienne la pratique bernoise, retient dans l’ATF 134 III 20 que l’art. 113 al. 1 CPC s’oppose à l’allocation de dépens «en» procédure de conciliation mais non pas «pour» la procédure de conciliation. Le texte légal ne fait donc nullement obstacle, selon lui, à l’allocation de dépens pour cette phase procédurale dans un jugement au fond rendu par le juge ordinaire3.
C. Sanction en cas d’absence à l’audience (ATF 141 III 265)
Le processus préalable de conciliation n’a de sens qu’en cas de présence des parties à l’audience4. Le juge peut-il dès lors user de son pouvoir disciplinaire pour sanctionner le défendeur absent? Dans la mesure où l’art. 206 CPC ne traite que des suites procédurales du défaut d’une partie (à savoir, en cas d’absence du défendeur, le constat de l’échec de la conciliation) et non des conséquences disciplinaires d’une telle absence, une amende d’ordre fondée sur l’art. 128 CPC demeure possible. Elle n’entre cependant en ligne de compte que si le défaut perturbe le déroulement de la procédure ou en cas de mauvaise foi ou de comportement téméraire. Il faut en outre que la partie concernée ait été menacée d’une telle sanction. A notre avis, le juge pourrait faire un usage assez fréquent de cette possibilité, puisqu’il doit prendre du temps pour préparer l’audience de conciliation afin de favoriser l’émergence d’une solution entre les parties. Or, l’absence du défendeur rend simplement inutile le processus et, en ce sens, «perturbe la procédure».
3. Tribunal de commerce (ATF 140 III 355; ATF 140 III 409; ATF 141 III 527)
La compétence matérielle des tribunaux de commerce a déjà donné lieu à une multitude de décisions. On sait par exemple qu’ils sont compétents en matière d’hypothèque légale (provisoire) des artisans et entrepreneurs lorsque la cause est commerciale5, que, en matière de bail entre commerçants, la compétence du tribunal de commerce n’est pas donnée lorsque s’applique la procédure simplifiée6 ou encore que, lorsque le tribunal de commerce est compétent à l’égard de certains consorts simples, mais non à l’égard d’autres, il revient au droit cantonal de prévoir, le cas échéant, la compétence des tribunaux ordinaires par souci d’efficience7. Les arrêts plus récents retiennent que le tribunal de commerce n’est pas compétent pour traiter les actions de droit des poursuites ayant des incidences de droit matériel (par exemple, l’action en revendication de l’art. 108 al. 1 LP)8, une acceptation tacite par le défendeur étant au demeurant exclue. Il en va de même pour les actions révocatoires9. Par ailleurs, le tribunal de commerce n’est pas compétent à raison de la matière lorsque le défendeur est inscrit au Registre du commerce seulement en qualité d’organe10. En revanche, la condition de l’inscription au Registre du commerce est remplie à l’égard d’une personne physique inscrite à titre de raison individuelle, indépendamment de l’activité constituant l’objet du litige11.
4. Allégation des faits (TF 4A_195-197/2014, RSPC 2015 114)
En vertu de la maxime des débats, les parties doivent alléguer les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et produire les preuves qui s’y rapportent (art. 55 al. 1 CPC). Quel est donc le sort des faits qui ressortiraient, par exemple, d’une expertise mais qui n’auraient pas été allégués (faits prouvés non allégués)? Le TF laisse la question ouverte, après avoir dressé l’état de la doctrine, très partagée sur ce point. En l’espèce, les faits avaient été allégués de manière suffisamment détaillée (c. 7.2-7.3), étant rappelé que la précision à apporter aux allégués dépend de l’état de fait lié à la norme invoquée et du comportement de la partie adverse (c. 7.3.2)12. Il ne suffit en tout cas pas, à l’appui des allégués, de renvoyer globalement aux pièces déposées. Même sous le régime de la maxime inquisitoire sociale, il ne revient pas au juge de rechercher activement s’il peut être tiré un élément des pièces déposées (c. 7.3.3). Il n’est en revanche pas exigé des parties qu’elles établissent dans tous les détails les éléments pouvant être tirés d’un moyen de preuve.
5. Expertise privée (ATF 141 III 433, SJ 2016 162)
L’énumération des moyens de preuve de l’art. 168 al. 1 CPC est exhaustive. Dès lors, pour le TF, l’expertise privée ne peut pas être produite comme un titre ou un moyen de preuve pour la justesse des affirmations qu’elle contient, contrairement à ce que soutient une partie de la doctrine. Le législateur nie en effet à l’expertise privée la portée d’un moyen de preuve au sens de l’art. 168 al. 1 CPC et non seulement d’une expertise au sens de l’art. 168 al. 1 let. d CPC (c. 2.5.3). L’expertise privée a donc seulement valeur d’allégués de partie: elle permet au demandeur de détailler ses allégués et oblige ainsi le défendeur à motiver sa contestation. Ainsi, comme allégués de partie, l’expertise privée peut, en lien avec des indices attestés par tout moyen de preuve, apporter la preuve requise (c. 2.6).
6. Assistance judiciaire (ATF 140 III 501, RSPC 2015 25)
Comment indemniser le mandataire du requérant à l’assistance judiciaire (art. 117 CPC) débouté en première instance, mais qui obtient gain de cause au stade du recours? Le TF retient que la procédure d’octroi de l’assistance judiciaire est une procédure entre le requérant et l’Etat. Par conséquent, lorsque l’autorité de recours admet le recours contre le refus de l’assistance judiciaire et octroie l’assistance judiciaire pour la procédure devant elle, l’avocat désigné avocat d’office a droit à une pleine indemnité, de manière à replacer le requérant dans la situation qui serait la sienne si l’assistance avait été accordée en première instance.
7. Contributions d’entretien et mainlevée définitive (5A_984/2014, destiné à la publication)
Le parent gardien peut agir en son propre nom en recouvrement de l’entretien dû à l’enfant durant sa minorité (art. 289 al. 1, art. 318 al. 1 CC)13. En revanche, il n’existe pas de base légale donnant la qualité pour agir pour l’entretien arriéré à la mère après la majorité de sa fille. Le créancier de l’entretien est l’enfant, qui doit assurer lui-même la défense de ses droits après la majorité.
8. Cas clair (ATF 141 III 23, RSPC 2015 141)
La voie du cas clair, qui est une option à la disposition du plaideur14, doit être favorisée lorsque l’état de fait est limpide et la situation juridique évidente. Il faut éviter cette voie lorsque la situation juridique ou factuelle ne remplit à l’évidence pas ces conditions15. Le TF se montre très exigeant, puisqu’il confirme le rejet en bloc d’une requête en restitution de documents par la voie du cas clair lorsqu’il reviendrait au juge de faire un tri entre ce qui pourrait être admis et ce qui ne pourrait pas l’être. Une telle requête déposée par l’employeur est irrecevable.
9. Appel (ATF 140 III 636; 141 III 302)
Lorsque l’acte de recours est déposé en temps utile devant l’autorité de jugement en lieu et place de celle de recours, il convient de retenir que le délai est respecté et que l’acte doit être transmis immédiatement par l’autorité de jugement à l’autorité de recours16. En revanche, le TF retient qu’une extension de cette règle aux recours adressés à une autorité du canton qui n’a pas rendu la décision ou hors canton doit être rejetée. Dans cette hypothèse, le délai ne sera respecté que si l’autorité recevant l’acte le transmet et qu’il parvient en temps utile auprès de l’autorité compétente. On ne peut que regretter que le TF, après avoir admis une lacune du CPC sur ce point, n’ait pas saisi l’occasion d’établir un régime uniforme en cas d’acte de recours mal adressé, comme le retient l’art. 48 al. 3 LTF devant le Tribunal fédéral17.
Les appels croisés ne sont pas rares, en particulier en matière matrimoniale. Se pose la question de l’appel joint dans ce contexte. Après avoir laissé la question ouverte18, le TF retient19 qu’une partie qui a formé un appel peut également former un appel joint à l’appel de la partie adverse. Il laisse cependant ouvertes les questions de savoir si une conclusion absente de l’appel principal peut être prise dans l’appel joint et si l’argumentation d’une conclusion de l’appel principal peut être renforcée dans l’appel joint. A priori, tel devrait être le cas, faute de quoi l’admission de l’appel joint, dans ce contexte, verrait son intérêt nettement réduit. yFrançois Bohnet, professeur à l’Université de Neuchâtel, avocat.