La révision des droits réels immobiliers, plus spécifiquement des dispositions relatives à la cédule hypothécaire, est entrée en vigueur le 1er janvier 2012. Des modifications importantes ont été adoptées, engendrant en particulier une refonte totale de l'ordonnance sur le registre foncier1.
Ces nouveautés sont trop récentes pour que des questions relatives à leur mise en application aient déjà été tranchées par le Tribunal fédéral. De manière générale toutefois, cette révision législative a consacré la jurisprudence antérieure rendue par notre Haute Cour. A ce titre, on pense par exemple à l'introduction expresse de la privation d'ensoleillement en tant qu'immission excessive au sens de l'art. 684 al. 2 CC ou encore à la possibilité pour les monteurs d'échafaudages de solliciter l'inscription d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs pour leur créance, conformément à l'art. 837 al. 1 ch. 3 CC.
Dans le cadre de cette contribution seront présentés des arrêts rendus par le Tribunal fédéral en application de l'ancienne réglementation en matière de droits réels. Il sera proposé au lecteur, une mise en perspective en lien avec le nouveau droit, lorsque ce dernier peut apporter un regard différent à la résolution du litige.
1. Propriété foncière
En pratique, il est généralement difficile d'appréhender un cas en se basant purement et exclusivement sur les dispositions applicables en matière de droits réels pour ce qui a trait à la propriété foncière. Nous observons en effet de plus en plus une interaction logique entre le droit public relatif à l'aménagement du territoire, en particulier le droit cantonal des constructions, et les droits réels.
A bien des égards, cette interaction tend davantage vers une limitation de la réglementation relative aux droits réels au profit de celle du droit public.
1.1 Le régime de responsabilité du propriétaire
En matière d'immissions, le droit public cantonal des constructions dispose d'une force expansive. Il détermine toujours davantage celles qui doivent être considérées comme admissibles eu égard à la situation des immeubles et à l'usage local, conformément à l'art. 684 al. 2 CC. Cette disposition légale réglemente les rapports en matière de droit de voisinage. Tout propriétaire est en effet tenu, dans l'exercice de son droit, spécialement dans ses travaux d'exploitation industrielle, de s'abstenir de tout excès au détriment de la propriété du voisin (al. 1). L'alinéa 2 de cette disposition dresse une liste exemplative des immissions qui peuvent être considérées comme excessives. Cette notion doit ainsi être interprétée de cas en cas en fonction de la situation d'espèce. Le législateur a toutefois indiqué qu'une atteinte ne peut être considérée comme excessive que si elle provoque un effet dommageable et excède les limites de la tolérance que se doivent les voisins d'après l'usage local, la situation et la nature des immeubles (al. 2). Cette disposition légale a fait l'objet de modifications le 1er janvier 2012. La liste des atteintes pouvant avoir un effet dommageable a ainsi été modifiée et complétée par les immissions dites négatives, telles que la privation de lumière et l'ombrage, conformément à la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral2.
Le propriétaire3 qui s'estime victime d'immissions peut agir par le biais de l'action de l'art. 679 CC. Cette disposition a trait à la responsabilité du propriétaire en cas d'excès provenant de son fonds. Elle a également fait l'objet de modifications importantes lors de la révision du 1er janvier 2012. A ce titre, et pour souligner cette interdépendance entre les droits réels et le droit des constructions, un alinéa second a été ajouté. La possibilité d'action du propriétaire lésé est ainsi limitée lorsque la construction ou l'installation, qui prive l'immeuble de certaines de ses qualités, a été érigée en tenant compte des règles en matière de construction en vigueur lors de son édification (al. 2).
Tout récemment, notre Haute Cour s'est penchée sur la question de cette interaction, voire limitation, du droit public des constructions sur celui des droits réels. Dans le cadre de l'art. 684 CC,
il a ainsi été considéré que le droit public des constructions constituait, d'une part, un indice de l'usage local et, d'autre part, qu'il devait être pris en considération dans l'application de cette disposition légale dans la mesure où «l'unité de l'ordre juridique interdit que le droit privé et le droit public coexistent sans aucun rapport entre eux»4. En vertu de l'art. 6 al. 1 CC, le législateur a en effet eu à dessein d'imposer une harmonisation des règles du droit civil fédéral et du droit public cantonal, qui se justifie bien évidemment pleinement. Cette expansion du droit public des constructions a pour corollaire une limitation qualifiable d'«indirecte» dans certains domaines du droit privé, en particulier en ce qui concerne la protection contre les immissions.
Lorsqu'un projet de construction respecte les normes de droit public et qu'il est conforme au but et aux principes de la planification définis par le droit de l'aménagement du territoire, il ne peut en principe y avoir d'immissions excessives au sens de l'art. 684 CC. Toutefois, même lorsqu'une construction est autorisée par une décision administrative entrée en force, l'application de l'art. 684 CC n'est pas totalement exclue5. Le juge civil peut faire interdire ou modifier cette construction, même si elle a été dûment autorisée, lorsque les immissions présentes sont d'une gravité telle que la situation ne saurait être maintenue et imposée à l'ayant droit lésé. Le juge fera usage de son pouvoir d'appréciation en tenant compte de l'intensité de l'atteinte, en procédant à une pesée des intérêts en présence, notamment en se référant à la sensibilité d'une personne raisonnable qui se trouverait dans la même situation6. A l'inverse, en vertu du nouvel alinéa 2 de l'art. 679 CC, si toutes les prescriptions en vigueur au moment où la construction a été érigée n'ont pas été respectées, notamment celles en matière de droit public, l'ayant droit peut actionner le perturbateur en vue de la suppression de l'atteinte ou de la réparation du dommage7.
Enfin, nous soulignerons l'adoption du nouvel art. 679a CC applicable en cas d'excès de son droit de propriété par l'ayant droit lors de l'exploitation licite de son fonds. Lorsque des travaux de construction, notamment, sont en cours, le voisin lésé ne pourra bénéficier d'une action en cessation ou en interdiction du dommage au sens de l'art. 679 CC. Il aura uniquement droit à l'octroi de dommages - intérêts au sens des art. 41 ss CO, lorsque l'atteinte est temporaire et qu'elle provient de l'exploitation licite du fonds voisin, cela conformément à l'art. 679a CC.
1.2 Le droit de passage nécessaire
Le droit de l'aménagement du territoire a également une implication dans le cadre des restrictions légales à la propriété foncière, en cas d'accès insuffisant à un bien-fonds. L'art. 694 CC permet au propriétaire qui ne dispose pas d'un accès suffisant sur la voie publique d'exiger de ses voisins l'octroi d'un droit de passage dit nécessaire. Le critère de nécessité est déterminé par l'utilisation et l'exploitation du bien-fonds qui doit être conforme à sa destination. L'appréciation de ces notions découle, d'une part, de la situation du bien-fonds et, d'autre part, de la planification faite par les autorités, suivant le droit de l'aménagement du territoire. A titre de rappel, le juge civil est lié par une décision administrative sauf si cette dernière est absolument nulle8. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que la question de savoir si un bien-fonds disposait d'un accès suffisant pour l'utilisation ou l'exploitation conforme à sa destination relevait en premier lieu du droit public. L'équipement des biens-fonds doit en effet se faire dans le cadre du zonage, ceci selon les plans d'aménagement du territoire. Les passages dits nécessaires au sens de l'art. 694 CC ne devraient ainsi pas exister. La réalité est toutefois autre et il arrive encore que des parcelles destinées à la construction, ou sur lesquelles des immeubles ont été érigés de longue date, ne disposent pas d'un accès suffisant à la voie publique. Le propriétaire doit donc dans un premier temps recourir aux institutions offertes par le droit public afin d'obtenir un équipement et, partant, un accès suffisant. A défaut, il peut prétendre à l'octroi d'une servitude de passage au sens de l'art. 694 CC9. Dans ces situations, en particulier lorsque seul un chemin privé permet d'accéder à la voie publique, le propriétaire pourra se voir accorder un droit de passage nécessaire au sens de l'art. 694 CC si toutes les conditions sont remplies. Une indemnité équitable devra être versée au propriétaire du fonds servant10.
2. L'hypothèque légale des artisans et entrepreneurs
2.1 Le titre de mainlevée
Le jugement ordonnant l'inscription d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs ne constitue pas un titre de mainlevée permettant au créancier de réclamer le montant de son gage. Il démontre uniquement que le gage a été constitué. Dans le cadre d'une opposition totale du débiteur à la poursuite intentée à son encontre, le juge ne pourra dès lors écarter l'opposition sur la base du seul jugement ordonnant l'inscription de l'hypothèque légale des artisans et entrepreneurs. Le créancier devra démontrer l'existence du droit de gage en produisant l'extrait du Registre foncier prouvant qu'il y a effectivement été inscrit de manière définitive11. Le but de l'hypothèque légale des artisans et entrepreneurs est en effet de déterminer l'étendue de la garantie hypothécaire.
Par conséquent, il sera conseillé au créancier gagiste d'intenter, parallèlement à son action en inscription définitive d'une hypothèque légale, une action condamnatoire en paiement de sa créance en prenant notamment comme conclusion la levée de l'opposition formée par le débiteur à la poursuite intentée à son encontre12.
2.2 Les droits de gage partiels
En vertu de l'art. 798 al. 2 CC, l'artisan ou l'entrepreneur, qui a effectué des travaux sur plusieurs immeubles, doit requérir l'inscription d'une hypothèque sous la forme de droits de gage partiels. Ces derniers doivent en effet grever chaque immeuble pour la partie de la créance dont répond le propriétaire, et ceci même si un seul contrat a été conclu pour l'entier des travaux. L'artisan ou l'entrepreneur est dès lors tenu d'établir un décompte séparé de ces travaux pour chaque immeuble et de prévoir une facturation distincte. Il n'est pas admissible de procéder par un fractionnement de la totalité des coûts entre les différents immeubles ou de les répartir au vu du nombre de m2 de chacun d'eux, par exemple. La facture doit effectivement établir clairement quelles prestations concrètes ont été faites pour chaque bien-fonds et à quel prix. Toutefois, cette exigence peut être relativisée dans certains cas. Dans un arrêt plutôt récent, le Tribunal fédéral a estimé que dans des situations spécifiques, il ne pouvait être exigé de l'artisan ou de l'entrepreneur qu'il procède à une distinction des prestations effectuées sur l'une ou l'autre des parcelles13.
2.3 L'achèvement des travaux
En matière d'hypothèque légale des artisans et entrepreneurs, l'inscription doit être requise dans les quatre mois qui suivent l'achèvement des travaux, le délai ayant été prolongé par la révision du 1er janvier 2012 (art. 839 al. 2 CC). L'achèvement des travaux intervient lorsque tous les travaux prévus contractuellement ont été exécutés et que l'objet est livrable.
Si le maître d'ouvrage retire l'exécution des travaux à l'entrepreneur à qui il les a confiés, le délai de quatre mois commence à courir à la date du retrait et non à celle où les derniers travaux ont été exécutés. Si, à l'inverse, l'artisan ou l'entrepreneur refuse de poursuivre les travaux et se défait du contrat, le délai de quatre mois court à partir du moment où il a manifesté clairement sa volonté de mettre un terme à la construction projetée14.
3. La propriété par étages
Dans un arrêt de principe, le Tribunal fédéral a été saisi de la question de savoir si un membre de la communauté des copropriétaires par étages était légitimé à ouvrir action contre un autre copropriétaire en vue de le faire exclure de la communauté, lorsque lui-même avait eu un comportement contraire à ses obligations. En vertu de l'art. 649b al. 1 CC, le copropriétaire qui enfreint gravement ses obligations peut être exclu de la communauté par décision judiciaire, lorsqu'on ne peut exiger des autres membres une continuation. Le but de cette disposition est de sauvegarder les intérêts des copropriétaires qui se conduisent correctement contre celui qui adopte un comportement contraire aux intérêts de celle-ci. Une exclusion constitue une atteinte grave aux droits du copropriétaire, qui est toutefois justifiée par le comportement correct des autres membres qui doivent ainsi être placés dans une position plus favorable. Aussi, dans le cas d'espèce, le Tribunal fédéral a considéré qu'il serait inéquitable de prononcer l'exclusion d'un membre si celui qui en fait la demande s'était également comporté d'une manière grossièrement contraire aux intérêts de la communauté. En d'autres termes, seuls les membres de la copropriété qui ont adopté un comportement correct et conforme aux intérêts de celle-ci sont légitimés à agir en exclusion contre un autre copropriétaire au sens de l'art. 649b CC15.
4. Le régime de responsabilité du possesseur
La responsabilité du possesseur, qui détient sans droit un objet qu'il doit restituer, est fondée sur les art. 938 ss CC. Ces dispositions visent à régler les conséquences de la restitution au véritable ayant droit. Elles constituent, à ce titre, une lex specialis par rapport aux art. 41ss et 62 ss CO. Les art. 938 ss CC s'appliquent notamment en lien avec la restitution d'une chose ordonnée sur la base d'une action mobilière des art. 934 et 936 CC, d'une action réintégrande de l'art. 927 CC ou d'une action en revendication sur la base de l'art. 641 al. 2 CC.
Se pose la question de savoir si les art. 938 ss CC réglementent également la restitution d'un bien, quand les rapports existants entre les parties reposent sur un régime juridique distinct de celui des droits réels. Dans un arrêt récent, notre Haute Cour a considéré que, lorsqu'un héritier aliène en son nom et pour son propre compte des biens de la succession, le fondement du devoir de restituer découle de la propriété commune sur les biens de la succession dont les héritiers ne peuvent disposer qu'en commun. La responsabilité de l'héritier du fait de l'aliénation des biens de la succession ne relève dès lors pas des droits réels mais du droit des successions, le régime de restitution prévu par les art. 938 ss CC ne trouve donc pas application16.
1 RS 211.431.1, ordonnance du 23 septembre 2011 sur le Registre foncier.
2 ATF 126 III 452, consid. 2.
3 A titre de rappel, les qualités pour agir et pour défendre à l'action de l'art. 679 CC ne se limitent pas à celui qui détient un droit de propriété. Peuvent également actionner ou se voir actionner, le possesseur, le titulaire d'un droit personnel ou encore, bien évidemment, le titulaire d'un droit réel limité sur la chose.
4 ATF 138 III 49, consid. 4.4.1.
5 TF, arrêt du 14 novembre 2011, 5A_285/2001, consid. 3.2; ATF 138 III 49, consid. 4.4.4.
6 ATF 138 III 49, consid. 4.4.5.
7 Message concernant la révision du Code civil suisse (Cédule hypothécaire de registre et autres modifications des droits réels) du 27 juin 2007, FF 2007 5015, spéc. p. 2039 (RO 2011 4637).
8 ATF 108 II 456, consid. 2.
9 TF, arrêt du 22 septembre 2010, 5A_156/2011.
10 Pour les règles de calcul de la fixation de l'indemnité, cf. arrêt de la Cour cantonale de la République et canton de Neuchâtel du 23 janvier 2012, CC.2006.146; TF, arrêt du 22 septembre 2011, 5A_156/2011.
11 ATF 125 III 248, consid. 2; ATF 138 III 132.
12 ATF 138 III 132, consid. 4.2.
13 TF, arrêt du 24 octobre 2011, 5A_682/ 2010, consid. 3.3.
14 TF, arrêt du 24 octobre 2011, 5A_682/ 2010, consid. 4.1.
15 ATF 137 III 534, consid. 2.3.1.
16 TF, arrêt du 23 septembre 2011, in SJ 2012 I 113.