Les heures supplémentaires et le travail supplémentaire
Dans un arrêt daté du 28 août 20121, le TF est revenu sur la question des heures supplémentaires effectuées par les cadres engagés dans la fonction publique. On sait que le TF a toujours accepté, pour autant que certaines conditions soient remplies, que des employés renoncent aux heures supplémentaires futures, concrètement celles accomplies au-delà des conditions contractuelles2. Cependant, il n'avait pas tranché la question de savoir si l'art. 13 LTr - et la rétribution supplémentaire qu'il impose - permettait un traitement analogue, à savoir un salaire de base incluant par avance la rétribution du travail supplémentaire au sens de la LTr. La question a été réglée dans cet arrêt: selon la Cour, même si des honoraires reçus par un médecin-chef de l'Hôpital universitaire de Zurich comprenait théoriquement une rétribution pour le travail supplémentaire au sens de la LTr, ce médecin peut exiger l'indemnité prévue à l'art. 13 LTr une fois qu'il a effectué ce travail supplémentaire.
Une telle décision devrait inciter les autorités étatiques à revoir certains règlements et lois cantonaux actuellement en vigueur.
Salaires et gratifications
Force est de constater que la question de la distinction entre salaire et bonus, ou entre salaire et gratification, fait toujours couler beaucoup d'encre.
Dans une décision de mai 20123, le TF a jugé que le versement d'un bonus annuel pendant neuf ans, accompagné huit fois d'une réserve expresse quant à son caractère facultatif, ne vidait pas cette réserve de sa substance, en particulier parce que le contrat de travail ne prévoyait rien d'explicite à ce propos. Dans cette affaire, le TF a par ailleurs jugé que, pour un salaire annuel de 300 000 fr., des bonus moyens représentant 44 % de ce montant annuel gardaient un caractère accessoire au sens de la jurisprudence établie depuis quelques années.
Quelques semaines plus tard4, le tribunal a encore renforcé le principe selon lequel seules des circonstances particulières permettent de s'écarter des déclarations claires de l'employeur selon lesquelles il n'entend pas s'obliger à verser une gratification. Ainsi, il a jugé que le fait d'allouer pendant huit ans une gratification en réservant à chaque versement son caractère facultatif ne pouvait être considéré comme une exception à ce principe, et cela même si l'une de ces gratifications avait été versée alors que l'employeur avait fait valoir par courrier écrit que la situation économique n'était «pas bien réjouissante».
Finalement, il y a quelques semaines, le TF a toutefois semblé modérer son approche dans un arrêt destiné à la publication au Recueil officiel5: il a ainsi jugé que, pour un cadre bancaire très bien payé (salaire annuel fixe de 207 550 fr. et bonus cash de 2 015 294 fr. à la fin de l'année), il fallait abandonner l'application de la théorie du caractère accessoire et en revenir au principe de la liberté contractuelle. Le niveau de salaire serait tellement élevé qu'il ne serait plus nécessaire d'appliquer un devoir de protection en faveur du salarié... Le TF n'a toutefois pas précisé la limite à partir de laquelle ce dernier raisonnement s'appliquerait.
Protection de la personnalité du travailleur (art. 328 CO et 6 LTr)
Dans un arrêt où s'appliquaient les règles de droit public6, notre plus Haute Cour a repris la quotité de l'indemnité pour tort moral à allouer en cas d'atteinte aux règles de l'art. 328 CO et rappelé une série de décisions qui méritent l'attention des praticiens. Ainsi, le TF a considéré que le versement d'un montant de 25 000 fr. à une femme ayant été harcelée pendant près d'une année, ce qui lui avait causé d'importants troubles psychiques, entraînant une invalidité et une incapacité totale de travailler, constituait la limite supérieure admissible (arrêt 4C_343/2003 du 13 octobre 2004 consid. 8.2). A l'autre extrême, une somme de 5000 fr. allouée à une employée harcelée sexuellement par son supérieur, qui avait été atteinte dans sa santé et plongée dans des états d'anxiété et de dépression, a été admise (arrêt 4C_310/1998 du 8 janvier 1999, publié in SJ 1999 I p. 277 consid. 4b et c).
Le 9 mai 2012, le TF a rendu une décision qui a fait couler beaucoup d'encre7: il a donné son aval à une décision de l'Office cantonal genevois qui avait imposé à un employeur de concevoir et de rédiger des règles d'intervention de personnes de confiance («médiateur») hors hiérarchie auxquelles le personnel pouvait s'adresser en cas de conflit pour des conseils et un soutien en vue de trouver une solution aux éventuels conflits interpersonnels dans le secrétariat d'une association professionnelle. Notre Cour suprême a considéré que la LTr, qui vise à protéger la santé des travailleurs, offre une base légale suffisante aux autorités cantonales afin de (faire) prendre des mesures de prévention des conflits qui visent à mieux gérer les conflits de travail, en particulier en vue de préserver la santé psychique des personnes impliquées. Il est encore aujourd'hui difficile d'anticiper l'écho qu'aura, ou pas, cette décision sur la pratique des Offices cantonaux du travail.
Protection de la personnalité et traitement des données personnelles (art. 328b CO)
Notre ordre juridique comprorte des limites lorsqu'il s'agit de sanctionner le comportement d'un employeur ayant violé les prescriptions de l'art. 328b CO. Ainsi, en décembre 20128, après avoir constaté qu'un employeur avait «troublé» la sphère privée du travailleur, en particulier en vérifiant ses messageries privées et professionnelles, le TF a laissé indécise la question de savoir si l'employeur pouvait se prévaloir de motifs justificatifs: en effet, il a d'emblée exclu tout versement de tort moral au motif qu'il n'avait pas été prouvé. Il a été rappelé à cette occasion qu'il ne suffit pas, pour la victime, de démontrer que les données personnelles ont été traitées de façon illicite pour obtenir le versement d'une indemnité pour tort moral: il faut encore prouver que cette atteinte ait une certaine gravité objective et qu'elle soit ressentie, subjectivement, par la victime comme une souffrance suffisamment forte.
Une telle décision, parfaitement conforme aux règles en vigueur dans notre pays, constitue à notre avis, au moins de manière involontaire, un appel du pied au législateur afin qu'il mette en œuvre une politique plus claire en ce qui concerne la protection de la personnalité des travailleurs: faut-il que le travailleur, victime d'une violation de la règle énumérée à l'art. 328b CO soit victime d'une dépression ou d'un burn-out pour obtenir une indemnité pour tort moral? Cette exigence nous paraît en effet excessive si l'on souhaite que l'art. 328b CO et la LPD jouent un quelconque rôle préventif.
Vacances
Il a été rappelé9 que l'employeur peut imposer à son employé de prendre des vacances pendant le délai de résiliation, mais pour autant que l'employé ne soit pas gêné dans sa recherche de travail. Il en découle que celui qui ne veut pas effectuer de recherches de travail durant le délai de résiliation, par exemple parce qu'il est à un âge proche de la retraite (63 ans et demi), ne peut en aucune manière se plaindre de devoir prendre ses vacances durant cette période, cela même s'il s'agit de 119 jours de vacances et que le délai de résiliation est de six mois. Le TF a appuyé son raisonnement en précisant que rien n'indiquait dans l'état de fait que le travailleur n'avait pas pu se reposer durant cette période de vacances.
Licenciement abusif
Sans surprise, et en conformité avec la ligne dégagée depuis quelques années, le TF a indiqué10 qu'accuser à la légère un travailleur d'une faute lourde (par exemple, un mauvais traitement contre des résidents en EMS) porte atteinte à l'honneur personnel et professionnel et que cela constitue une violation flagrante de l'art. 328 CO. Présentée de manière légère à l'occasion de la résiliation, une telle allégation rend le licenciement abusif.
Quelques jours auparavant11, il avait été rappelé par les juges de Mon-Repos que la résiliation pendant le temps d'essai, compte tenu de la finalité de celui-ci, comporte nécessairement une part d'arbitraire, qui ne constitue pas un abus de droit. Ce n'est donc qu'exceptionnellement qu'une résiliation pendant le temps d'essai pourra être qualifiée d'abusive.
Licenciement avec effet immédiat
En ce qui concerne les licenciements avec effet immédiat, les praticiens ont eu l'impression, ces dernières années, que le TF était très rigoureux dans l'application de l'art. 337 CO.
Il a quelque peu tempéré sa pratique en reconnaissant que, dans la fonction publique, le temps de réflexion avant un licenciement avec effet immédiat pouvait être plus long que dans le secteur privé12, notamment au regard du droit à être entendu de l'agent public.
Dans la droite ligne de cette décision, lors un conflit de droit privé au sein d'une grande entreprise cette fois-ci, le TF a confirmé13 qu'il fallait «tenir compte de la procédure relativement complexe» qui existait au sein d'une grande entreprise. Dans une telle situation, le délai de réflexion de trois jours est considéré comme sévère et notre plus Haute Cour n'a pas reproché à un employeur d'avoir tardé huit jours ouvrables avant de communiquer la résiliation avec effet immédiat, en particulier si on observait que l'employé était en vacances. Le TF a visiblement tenu compte de ce que l'enquête interne de la banque avait été menée avec célérité et que l'employeur a eu la volonté d'entendre l'employé avant de rendre sa décision. Ce qui apparaît décisif durant le délai de réflexion, c'est que l'employeur n'adopte pas une attitude dont on pourrait déduire qu'il est prêt à poursuivre la relation de travail nonobstant les faits reprochés.
Interdiction de concurrence
Les cabinets d'avocats sont très fréquemment confrontés à des clauses d'interdiction de concurrence contraires aux règles du Code des obligations que des employeurs ont cru bon d'imposer lors de la signature du contrat de travail. Le TF a rendu en janvier 2012, une décision publiée au Recueil officiel14 qui renforce la protection des travailleurs, par exemple dans les professions libérales où la personnalité et les compétences revêtent pour le client une importance prépondérante et interrompent le rapport de causalité qui doit exister entre la simple connaissance de la clientèle et la possibilité de causer un dommage sensible à l'employeur. Aux yeux du TF, ce qui valait pour les professions libérales15 vaut aussi a priori, comme dans le cas d'espèce, pour un animateur dans des séminaires de formation. Le TF réserve cependant le cas où l'employeur aurait mis sur pied une méthode d'enseignement particulière ou un matériel de soutien à la présentation particulièrement élaboré.
Dans un autre arrêt, le TF n'a pas jugé opportun de réduire la peine conventionnelle d'une travailleuse qui avait violé, par une faute grave, l'interdiction de concurrence. Cette peine se montait, dans le cas d'espèce, à 63 000 fr. à la suite de la décision cantonale de deuxième instance, à savoir 77 % du salaire annuel de cette employée. La Cour a laissé entendre, en citant une partie de la doctrine16, que le salaire annuel du travailleur pourrait constituer la limite supérieure de la peine conventionnelle.
Droit collectif
Dans un arrêt destiné à la publication dans le Recueil officiel17, le TF a traité de l'application de deux conventions collectives au sein d'une même organisation. La première s'appliquait au personnel auxiliaire rémunéré à l'heure et la seconde au personnel fixe avec un salaire mensuel. Dans cet arrêt ont été rappelés les principes d'interprétation des conventions collectives, et notamment de leurs clauses d'égalité de traitement (ou d'extension): le travailleur non lié par la convention collective - parce qu'il ne serait pas membre du syndicat qui est partie à la convention collective - est cependant au bénéfice d'une stipulation pour autrui qui lui permet de faire valoir une obligation de nature contractuelle.
Droit international privé
Le 16 octobre 2012, dans un arrêt encore destiné à la publication18, le TF a dû, une nouvelle fois19, traiter de la fin des rapports de service entre Z., de nationalité chilienne, engagée à Genève en qualité de gouvernante de la résidence privée de l'ambassadeur du Chili auprès de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC). Constatant que le canton de Genève avait rendu impératifs les salaires minimaux du contrat-type de travail, le TF a jugé que l'employée de maison disposait d'une action de droit privé fondée sur l'art. 342 al. 2 CO. Se référant à l'art. 18 LDIP (loi fédérale sur le droit international privé), les juges fédéraux ont écarté l'application du droit chilien choisi par les parties au moment de la signature du contrat, exigeant par conséquent l'application du droit suisse et, notamment, des salaires minimaux genevois.
Cette décision ne manquera pas d'avoir des répercussions importantes pour les employés de maison et autres gouvernantes qui sont engagés dans les résidences privées des ambassadeurs affectés en Suisse.
Atteinte à la personnalité d'un employeur
Nous terminerons cette revue de jurisprudence par une décision du TF dans une affaire pénale20. Il s'agissait, à cette occasion, de traiter de la condamnation à des frais de justice d'une journaliste mentionnant dans un article, et aussi son titre, qu'un président et administrateur de société aurait des «méthodes de gangster». Le TF a rappelé que le terme «gangster» peut avoir la signification de membre d'un gang - et avoir comme synonyme bandit ou malfaiteur - ou de crapule, à savoir escroc, pirate, truand ou voleur. Au vu de ce constat, notre Haute Cour a porté le jugement suivant: «Même si, comme la recourante l'affirme, des employés ont été licenciés de manière brutale et illégale au regard des dispositions du Code des obligations sur le contrat de travail - ce qui ne résulte toutefois d'aucune décision judiciaire (...) - un tel comportement ne constitue pas encore, en lui-même, une infraction à même de justifier l'utilisation du terme litigieux. Quelle que soit l'acception retenue, celui-ci a une connotation largement péjorative qui laisse entendre que la personne ainsi désignée adopte un comportement non seulement particulièrement méprisable, mais également contraire à la loi pénale, et donne l'image d'un délinquant dépourvu de tous scrupules pour arriver à ses fins (...).»
Le message est clair: un homme averti en vaut deux!
1 ATF 138 I 356.
2 Voir, par exemple, l'arrêt du Tribunal fédéral 4C_407/2004 du 27 septembre 2004.
3 TF, arrêt du 15 mai 2012, 4A_26/2012.
4 TF, arrêt du 22 août 2012, 4A_172/2012.
5 TF, arrêt du 26 février 2013, 4A_520/2012.
6 TF, arrêt du 27 juillet 2012, 8C_910/2011 et, parmi d'autres réactions, l'article d'Olivier SUBILIA et de Stéphanie SCHWEIZER, «Mobbing: cachez-lui cette souffrance qu'il ne saurait voir», publié in Arbeitsrecht/droit du travail, Zeitschrift für Arbeitsrecht und Arbeitslosenversicherung, Revue de droit du travail et d'assurance chômage, 4/2912, pp. 323-334.
7 Voir par exemple la thèse de Sabine STEIGER-BACHMANN, intitulée «Schutz vor psychischen Gesundheitsrisiken am Arbeitsplatz, Rechtliche Möglichkeiten zur Verbesserung der Prävention», Zurich, 2013, et qui donne un large écho à la décision du Tribunal fédéral.
8 TF, arrêt du 10 décembre 2012, 4A_465/2012.
9 TF, arrêt du 11 septembre 2012, 4A_183/2012.
10 TF, arrêt du 30 avril 2012, 4A_99/102.
11 TF, arrêt du 18 avril 2012, 8C_518/2011.
12 ATF 138 I 113.
13 TF, arrêt du 2 août 2012, 4A_236/2012.
14 ATF 138 III 67.
15 TF, arrêt du 13 juillet 2007, 4C_100/2006.
16 Rémy WYLER, in «Droit du travail», 2e édition, 2008, p. 612.
17 TF, arrêt du 27 novembre 2012, 4A_163/2012.
18 TF, arrêt du 16 octobre 2012, 4A_292/2012.
19 Voir l'arrêt publié dans JdT 2012 II 214 par lequel le Tribunal fédéral avait refusé d'appliquer l'immunité juridique à cette affaire.
20 Voir l'arrêt du TF du 27 avril 2102, 6B_87/2012.