1. Droit privé
Modalités du droit d’accès de l’employé au ficher de son employeur (art. 321a et 339a CO, LPD)
Dans le cadre des multiples affaires judiciaires concernant le monde financier, le TF a traité, dans un arrêt destiné au Recueil officiel (arrêt 4A_406/2014 et 4A_408/2014 du 12 janvier 2015), la question du droit d’accès d’anciens employés à un fichier de leur ex-employeur. Il s’agissait de déterminer si et dans quelle mesure ces anciens employés d’un établissement financier genevois pouvaient avoir connaissance de documents remis par leur ancien employeur aux autorités américaines. L’employeur craignait en particulier la divulgation de noms de clients. En application des règles du CO et de la loi sur la protection des données (LPD), sans manquer de procéder à une balance d’intérêts, le TF a confirmé le droit d’accès aux documents concernés. Il a, en particulier, pris en considération le fait que, même après la fin des rapports de travail, les employés restent soumis aux secrets de fabrication et d’affaires, du moins «tant que l’exige la sauvegarde des intérêts légitimes de l’employeur» (art. 321 a al. 4 in fine CO), sans parler du secret professionnel (loi sur les banques).
Salaire en cas d’empêchement de travailler (art. 324a CO)
Parmi les risques majeurs que courent les employeurs, il y a, et c’est souvent négligé, un manque de clarté portant sur les conditions d’application de l’art. 324a al. 4 CO qui prévoit la possibilité de déroger aux règles énoncées à l’art. 324a al. 1 et al. 2 CO (qui sont devenues par création jurisprudentielle les fameuses «échelles bâloise, bernoise ou zurichoise»).
Le 12 janvier 2015, le TF a rendu un arrêt très complet, destiné à la publication (arrêt 4A428/2014). Il a, à cette occasion, traité de l’action en responsabilité d’un travailleur contre deux administrateurs d’une employeuse tombée en faillite. En substance, il avait été reproché, avec succès, à ces deux administrateurs d’être responsables de l’absence de couverture d’assurance collective perte de gain (régime dérogatoire de l’art. 324a al. 4 CO). En effet, à la suite du non-paiement des primes par l’employeur, l’assureur avait suspendu la couverture d’assurance, l’employé ne pouvant alors plus bénéficier de la moindre prestation, ce qui lui avait causé un dommage de plus de 35 000 fr. Ce montant a été mis à la charge des deux administrateurs par le Tribunal cantonal, en application de l’art. 159 CP. Le TF a validé le raisonnement. Cette jurisprudence, sévère, doit réveiller les administrateurs de sociétés: en matière de paiement de cotisations d’assurance, on connaissait déjà, en cas de non-versement des cotisations par l’employeur, les risques dans le domaine de l’AVS (art. 52 LAVS) et de la LPP (art. 52 LPP); après cet arrêt du TF, s’y ajoutent les risques pour les cotisations relatives à l’assurance collective perte de gain en tant qu’elle vaut comme régime dérogatoire au sens de l’art. 324a al. 4 CO.
Dans une autre affaire, la lettre d’engagement prévoyait que l’employeuse retiendrait 0,35% du salaire pour l’assurance perte de gain en cas de maladie. Cette lettre avait été signée par les deux parties au contrat de travail, mais ne contenait aucun renvoi à un quelconque document, comme des conditions générales d’assurance ou un règlement d’entreprise. En l’absence de règles plus précises, le TF a considéré que la clause du contrat d’engagement ne contenait pas les éléments essentiels d’un régime dérogatoire au sens de l’art. 324a al. 4 CO, et cela même si le travailleur a eu connaissance d’un règlement d’entreprise qui indiquait que l’employeuse était censée avoir contracté une couverture perte de gain en cas de maladie pour 720 jours à 80% du salaire respectif de chaque travailleur. Aussi, la forme écrite n’ayant pas été respectée (art. 11 al. 2 CO), la sanction est la nullité de la clause avec, pour conséquence, l’application du régime prévu à l’art. 324a al. 1 CO (arrêt 4A_98/2014 du 10 octobre 2014).
Le droit au salaire pendant les vacances (art. 329d CO)
A teneur de l’art. 329d al. 2 CO, tant que durent les rapports de travail, les vacances ne peuvent pas être remplacées par des prestations en argent ou d’autres avantages.
Le législateur a voulu, et le TF y est sensible, protéger les travailleurs et imposer la prise effective de vacances durant les rapports de travail. Lorsque le salarié est libéré de l’obligation de travailler durant le délai de résiliation, les employeurs ont souvent tendance à considérer que le solde de vacances dues est pris jusqu’au terme de ce délai de résiliation, et ceci alors même que le travailleur peut devoir consacrer son temps à la recherche d’un nouveau travail. Notre Haute Cour est toujours aussi rétive: ainsi, si la libération de l’obligation de travailler ne porte que sur dix jours, il est exclu qu’un solde de cinq jours soit pris en nature, car la travailleuse n’aurait pas eu le temps nécessaire pour effectuer ses recherches de travail (arrêt 4A_434/2014 du 27 mars 2015). Le message est répété, une fois encore: un employeur ne peut imposer qu’à des conditions restrictives la prise de vacances durant le délai de congé, et ceci même en cas de libération de l’obligation de travailler.
Le licenciement abusif (art. 336 CO à 336b CO)
Dans deux arrêts concernant la même affaire (arrêts 4D_12/2014 et 4D_14/2014 du 7 juillet 2014), le TF a confirmé l’octroi d’indemnités à des représentants de travailleurs qui, au terme d’une négociation avec le conseil d’administration de l’employeur, avaient exprimé le fait qu’il y avait «rupture du lien de confiance». Ces deux représentants agissaient en tant que «représentants» du personnel et n’exprimaient, de ce fait, pas une opinion personnelle. Comme la résiliation se fondait sur ces déclarations, elle avait un caractère abusif.
Même s’il ne s’agit que d’une confirmation, il est opportun de rappeler qu’il n’y a pas d’opposition au sens de l’art. 336 CO lorsque le travailleur ne conteste que les motifs de résiliation invoqués dans la lettre de congé, et non la fin des rapports de travail en tant que telle (arrêt 4A_320/2014 du 8 septembre 2014).
La résiliation immédiate (art. 337 CO)
La résiliation immédiate reste d’actualité. Ces derniers mois, le TF ayant eu à traiter un grand nombre de recours portant sur des licenciements avec effet immédiat, nous en évoquons deux.
Lorsqu’il s’agit d’examiner l’existence d’éventuels justes motifs, le TF agit toujours avec une grande prudence, laissant un large pouvoir d’appréciation aux autorités de première et deuxième instances. Reste que le TF a rappelé avec force (arrêt 4A/_60/2014 du 22 juillet 2014) que le comportement belliqueux d’un employé vis-à-vis de sa supérieure (de constitution menue et âgée de 61 ans) ne pouvait pas être examiné sans prendre en considération l’entier des circonstances et notamment le comportement non conforme de l’employeur, qui peut se révéler à l’origine de cette situation de tension. Ainsi, si un employeur harcèle un employé (ou tolère son harcèlement), il viole les devoirs imposés par l’art. 328 CO et il ne peut pas se prévaloir, pour justifier la résiliation, des conséquences de sa propre violation du contrat (confirmation de l’arrêt 4C.21/1998 et, traité sous l’angle de l’art. 336 al. 1 CO de l’ATF 125 III 70 c. 2a pp. 72/73 et de l’arrêt 4A_381/2011 du 24 octobre 2011 c. 3). A notre avis, dans de telles situations, les tribunaux ne devraient plus hésiter à condamner les employeurs concernés aussi en application de l’art. 49 CO (dans le même sens, voir Thomas GEISER, in PJA/AJP 2015, «Arbeitsrechtliche Rechtsprechung 2014», pp. 383-384), ce que le TF a semblé ignorer.
Parmi les décisions intéressantes traitant des justes motifs, nous pouvons encore mentionner le cas d’un chauffeur de bus scolaire, déjà averti à cause de manquements, qui quitte le bus occupé par 20 élèves adolescents, moteur en marche, portes ouvertes, pour aller faire un achat personnel de l’autre côté de la rue (arrêt 4A_137/2014 du 10 juin 2014). Le TF a confirmé l’existence de justes motifs, vu le caractère dangereux et les risques liés à son comportement.
Obligation de restitution de documents (art. 339a al. 1 CO) et requête en cas clair (257 CPC)
En ce qui concerne cette obligation de restitution, qui est de droit impératif, la dernière décision du TF (ATF 141 III 23) a pour conséquence de rendre très lourde sa mise en œuvre: en effet, tant que les documents réclamés ne sont pas clairement identifiables, le juge ne peut pas, dans une requête en cas clair, faire le tri entre les faits allégués pour déterminer ce qui doit être admis ou rejeté, les conclusions devant en effet pouvoir être admises dans leur intégralité sous peine d’irrecevabilité. Au plaideur ne resterait alors ouverte que la voie des mesures provisionnelles, au caractère toujours aléatoire, ou l’action au fond, d’une durée de quelques mois à quelques années...
Fin de la prohibition de faire concurrence (art. 340c CO)
En confirmation de sa jurisprudence publiée (ATF 130 III 353 = JT 2005 I 12), le TF a rappelé sa pratique (arrêt 4A_22/2014 du 23 avril 2014) concernant les «motifs justifiés» au sens de l’art. 340c al. 2 CO. Ainsi, lorsqu’un employeur a résilié le contrat de travail, il lui suffit de démontrer que le travailleur préparait une activité professionnelle concurrente pour prouver un «motif justifié». Une telle grosse insatisfaction n’a pas le degré d’intensité de celle qui permet d’invoquer les «justes motifs» de l’art. 337 CO.
Conventions collectives: la clause d’effectivité (art. 356 al. 1 CO)
Dans un arrêt publié au RO (ATF 140 III 391), le TF s’est penché sur la délicate question de la clause d’effectivité («Effektivklausel»). Une clause d’effectivité limitée a été acceptée. S’agissant d’une question très technique, qui porte sur les effets des conventions collectives sur des tiers, on préfère renvoyer les spécialistes aux commentaires déjà publiés (Jean-Fritz STÖCKLI, in ARV/DAT 2014, p. 259 et Boris HEINZER in WYLER/MEIER/MARCHAND (Ed.), Regards croisés sur le droit du travail: Liber Amicorum pour Gabriel Aubert, Genève, Zurich 2015, p. 177).
2. Fonction publique
Le droit des collectivités publiques est sans doute l’un des parents pauvres du droit du travail, du moins si l’on devait prendre en compte la jurisprudence et la doctrine y relatives1. On peut s’attendre dans les prochaines années à une recrudescence d’affaires liées à la fonction publique.
Le droit privé est-il applicable aux collectivités publiques?
Le TF vient d’avoir l’occasion de rappeler sa ligne dans une affaire fribourgeoise (arrêt 8C_227/2014 du 18 février 2015). S’agissant d’une question qui n’est pas réglée par la Constitution fédérale, le TF en tire la conséquence qu’il n’existe pas d’«exclusion générale du recours au droit privé pour réglementer les rapports de droit du travail du personnel étatique». Toutefois, des engagements de collaborateurs par les autorités étatiques sur la base de contrats de droit privé supposent en tous les cas une réglementation cantonale (ou communale) claire. Le cas échéant, c’est surtout l’application du principe de la proportionnalité qui méritera une attention particulière, par exemple en cas de licenciement.
Un «délai de résiliation social» en cas de licenciement avec effet immédiat?
C’est par une décision du 15 octobre 2014, publiée au Recueil officiel (ATF 140 I 320), que le Tribunal fédéral a rendu un arrêt novateur. Il a considéré à cette occasion qu’il était possible d’accorder un «délai social» en cas de licenciement avec effet immédiat pour justes motifs. Il y aurait ainsi un nouveau type de résiliation possible dans le droit public, à côté des usuelles résiliations ordinaire (respect du délai de résiliation) et extraordinaire (application de l’art. 337 CO en cas de justes motifs ayant pour effet de rompre tout rapport de confiance entre les parties). Il s’agirait en quelque sorte d’une fin de rapport avec effet immédiat, mais offrant la possibilité de continuer les rapports de travail durant un laps de temps inférieur au délai de résiliation qui aurait dû être respecté.
Certaines critiques se sont déjà fait entendre (voir par exemple Jean-Philippe DUNAND, Consécration de la notion de «délai social» en cas de licenciement immédiat: une (fausse) bonne idée? in «Newsletter janvier 2015» sur le site internet www.droitdutravail.ch).
On sait qu’un licenciement avec effet immédiat peut avoir de (trop ?) lourdes conséquences pour un travailleur qui perd avec effet immédiat son revenu et risque une suspension des indemnités de chômage pour une période au moins équivalente au délai de résiliation du contrat de travail. Sans l’exprimer ainsi, le TF a sans doute la volonté d’appliquer les principes de droit administratif, dont celui de la proportionnalité, lorsqu’une disposition de droit cantonal renvoie à une disposition du CO comme l’art. 337 (en ce sens, voir l’arrêt 8C_62/2014 du 29 novembre 2014 c. 5 dans lequel est justement examinée la question de l’application du principe de proportionnalité en cas d’application de l’art. 337 CO à la suite du renvoi du droit communal ainsi que l’arrêt 8C_258/2014 du 15 décembre 2014 c. 8).
Il n’en demeure pas moins que les praticiens se retrouvent aujourd’hui avec plus de questions que de réponses, comme, par exemple, le statut juridique du travailleur qui, au bénéfice d’un «délai social», continuerait de travailler durant un ou deux mois chez son employeur: est-ce que ce travailleur serait alors lié avec un contrat à durée déterminée (ou durée illimitée avec durée maximale?) avec l’employeur qui l’aurait licencié? Et, si ce travailleur restait dans l’entreprise au-delà du délai social, serait-il, de fait, considéré engagé avec un contrat à durée indéterminée qui devrait, le cas échéant, de nouveau faire l’objet d’une résiliation (avec effet immédiat?) de la part de l’employeur?
Le contrôle judiciaire de la rémunération
Même dans un domaine où le TF, et les tribunaux cantonaux avec lui, ont déjà manifesté, depuis des décennies, leur volonté d’observer une retenue particulière, force est de constater que les employés des entités publiques n’hésitent pas à contester en justice des décisions relatives à des classifications ou à des systèmes de rémunération. Au niveau cantonal, les collaborateurs peuvent certes encore nourrir quelques espoirs de succès. En revanche, au niveau fédéral, les chances de succès dans une procédure judiciaire paraissent inexistantes. Parmi les arrêts des derniers mois, on en retiendra un seul, celui du 15 octobre 2014 (arrêt 8C_418/2013). A cette occasion, le TF a clairement rappelé que le principe de la légalité administrative prévaut sur celui de l’égalité de traitement et que, en général, un justiciable ne peut pas se prétendre victime d’une inégalité de traitement lorsque la loi est correctement appliquée. Dans le cas d’espèce, où un recourant, enseignant, semble avoir apporté des éléments démontrant une certaine inégalité de traitement par rapport à d’autres collègues, le TF a relevé qu’il lui est difficile de juger de l’équivalence de formations et qu’il n’avait pas de preuve d’une «pratique généralisée qui consisterait à renoncer à une large échelle aux exigences de titre requises». Ainsi même si des doutes ont été exprimés quant au respect de l’égalité de traitement, le TF a finalement renoncé à revoir la classification salariale du recourant, craignant de mettre à mal un système peaufiné pour plus de 25 000 collaborateurs. Au final, on se demande encore s’il est possible à un plaideur de prouver une «pratique généralisée»…
3. Droit international
Last, but not least, il vaut la peine de rappeler que la situation des employés des ambassades et des missions accréditées à Genève fait toujours couler beaucoup d’encre. Sans nécessairement rendre de décisions de principe ces derniers mois, comme ce fut le cas très récemment (ATF 138 III 750), le TF a prononcé deux décisions intéressantes concernant une employée administrative auprès de l’Office des Nations Unies à Genève (arrêt 4A_570/2013 du 4 juin 2014) et un «maître d’hôtel» d’une Mission auprès des Nations Unies (arrêt 4A_331/ 2014 du 31 octobre 2014). Les raisonnements de notre plus Haute Cour, complexes et détaillés, ne pourront échapper aux spécialistes en la matière..
1A cet égard, méritent d’être mises en évidence les récentes publications de Mercedes Novier et Susanne Carreira, «Panorama de la jurisprudence récente du Tribunal de prud’hommes de l’Administration cantonale (TRIPAC)» in JdT 2015 III pp. 3 à 43, de Mercedes Novier, «Le point sur la loi sur le personnel de l’Etat de Vaud et son application», in Jdt 2015 III pp. 44 à 59, ainsi que, de Michel Chavanne, «Le contrôle judiciaire de la rémunération de la fonction publique: exemple vaudois», in JdT 2015 III pp. 60 à 76.