Cette sélection destinée aux praticiens, qu’ils soient avocats, juristes ou conseillers juridiques en entreprise ou dans une collectivité publique, met en évidence la variété et la richesse des problématiques traitées. Cette année, une fois de plus, le TF a eu l’occasion de se prononcer à de multiples reprises sur des questions sensibles en matière de droit du travail.
1. Droit privé
1.1. Définition et formation du contrat de travail (art. 319 CO)
«Si ce n’est toi, c’est donc ton frère ou ta mère»: c’est peut-être avec cette pensée de Jean de la Fontaine revisitée qu’un Genevois a déposé une action en paiement contre la société-mère de son employeur. En 2006, ce travailleur avait consenti à un contrat qui prévoyait, à titre provisoire, un engagement auprès de cette société canadienne jusqu’à ce que la nouvelle filiale suisse soit juridiquement créée et inscrite au Registre du commerce. Mais le moment venu, aucun accord écrit supplémentaire n’a été signé en dehors de celui qui avait été paraphé par la maison-mère. Puis, la filiale suisse ayant été liquidée à la suite d’une faillite, il n’était pas inintéressant, pour le travailleur, de tenter de démontrer que, dans le cadre de la relation de groupe qui existait entre la maison-mère et sa filiale suisse, il y avait des liens si étroits qu’au final, le travailleur aurait même pu considérer que la société canadienne aurait la qualité pour défendre (légitimation passive). Selon la jurisprudence du TF1, il serait admis que, dans un groupe de sociétés également, les rapports de travail ne sont noués, en principe, qu’avec une seule société2. Le TF s’est même fait un point d’honneur à préciser que tel était bien le cas en l’espèce, même si la société-mère canadienne avait pu soutenir le contraire à certaines occasions. De tels éléments, ne sont, aux yeux du TF, pas décisifs pour établir la qualité d’employeur de cette société-mère à la place de cette filiale. Le TF conclut laconiquement à ce propos: ce serait le propre de tous les employés des sociétés appartenant à un groupe d’œuvrer à la bonne santé financière dudit groupe3, sous-entendant que les employés n’établissent pas nécessairement des rapports de travail avec chacune de ces sociétés. Le TF est ainsi très rigoureux. Il semble avoir oublié qu’il l’avait été un peu moins en juillet 2000: il avait à cette occasion admis que deux entités d’un groupe étaient liées entre elles par un contrat de société simple dont le but était l’utilisation des services du travailleur et qu’elles répondaient, dès lors, solidairement pour l’ensemble des dettes à l’égard du travailleur4.
1.2. Diligence et fidélité à observer (art. 321a CO)
Une thèse récemment parue5 nous rappelle que, de manière générale, il est admis que les obligations imposées aux cadres supérieurs sont accrues en ce qui concerne la diligence et la fidélité à observer vis-à-vis de l’employeur. Le TF a relevé6 que le devoir de fidélité, sous son aspect positif, comprend un devoir d’information et de renseignements à charge du travailleur, qui l’astreint notamment à avertir l’employeur d’éventuels dangers imminents, des perturbations dans l’exécution du travail et d’autres irrégularités ou abus7. Aussi, un directeur, haut placé, au revenu confortable (plus de 100 000 fr. brut par mois, bonus compris) viole de manière flagrante son obligation de fidélité à l’égard de l’employeur s’il ne dénonce pas, alors qu’il est en période de résiliation, l’activité d’ingénieurs également employés, à caractère illicite et faisant concurrence à l’employeur.
1.3. Participation aux résultats de l’exploitation (art. 322a CO)
En vertu de l’art. 322a al. 2 CO, l’employeur doit fournir les renseignements nécessaires au travailleur ou, à sa place, à un expert désigné en commun ou par le juge. Cette obligation est souvent comprise comme celle de l’employeur de laisser le travailleur consulter ses livres de comptabilité dans la mesure nécessaire. Comme, d’un autre côté, l’employeur doit aussi protéger et respecter la personnalité des travailleurs (art. 328 CO), il peut y avoir des obligations ou des intérêts contradictoires dans un cas d’espèce: comment garantir à un travailleur la consultation des livres de comptabilité, et par exemple aussi des fiches de salaires de tous les travailleurs, sans porter atteinte à la personnalité de ces derniers? Pour le TF, il n’y a pas de contradiction. Ainsi, l’employeur ne peut pas refuser de fournir ces données dans le cadre d’une procédure judiciaire qui aurait été ouverte par un travailleur: dans la mesure où le revenu des autres travailleurs au service de l’employeur est pertinent pour le jugement à rendre, le travailleur qui requiert cet accès y a droit. Par cet arrêt, notre Haute Cour confirme la tendance à une plus grande transparence dans le domaine de la rémunération8.
1.4. Obligation de l’employeur, salaire (art. 322 CO) et gratification (art. 322d CO)
Tout particulièrement depuis l’an 2000, les rémunératons variables sont à l’honneur des arrêts publiés par le TF dans son Recueil officiel9. N’oublions pas que dans l’ATF 141 III 407 du 11 août 2015, le TF avait décidé que la règle de l’accessiorité ne s’applique pas lorsque la rémunération totale d’un travailleur équivaut ou dépasse cinq fois le salaire médian suisse dans le secteur privé.
Dans un arrêt d’avril 2016, une nouvelle fois publié10, le TF complète sa construction relative au régime des rémunérations variables en donnant quelques indications plus précises sur la façon dont doit être déterminée la rémunération du travailleur. Le TF a retenu qu’il fallait avoir recours à une période de référence qui doit être pertinente et probante, a priori d’une année. Il n’est toutefois pas exclu que cette période soit ou plus courte ou plus longue, et ceci au regard des «circonstances»: décidément, toute règle doit souffrir au moins d’une exception!
Trois mois plus tard d’ailleurs, sans trop s’étendre, le TF indique que, pour une employée qui a eu une activité professionnelle durant toute l’année en 2011 et seulement pendant cinq mois en 2012, la rémunération perçue pendant ces cinq derniers mois n’est pas représentative des revenus réalisés. Il convient donc de se fonder sur l’ensemble de la rémunération qu’elle a perçue durant la période «litigieuse» (à savoir 2011 et 2012, soit 17 mois)11.
De plus, le TF a considéré qu’il faut prendre en compte les revenus généraux qui proviennent du contrat de travail («Gesamteinkommen aus Arbeitsvertrag»). Dans ce cadre, aucune distinction ne doit être faite selon le motif de paiement: seul compte le moment où il a été fait.
1.5. Congé hebdomadaire, vacances et congé pour les activités de jeunesse et congé maternité (art. 329 CO)
Il est de jurisprudence constante que le fardeau de la preuve des vacances prises repose sur l’employeur12. Dans le cas très intéressant d’un fermier engagé apparemment seul pour s’occuper d’une ferme dans le canton d’Argovie, le TF a dû reprendre, sous un nouveau jour, la question de la preuve du nombre de jours de vacances pris par un employé, lorsque ce dernier dispose d’une large autonomie pour l’exécution de son travail. Contrairement à ce qu’une partie de la doctrine laissait entendre13, le TF juge que pour reprocher à un tel travailleur de ne pas avoir pris ses vacances, il faut que les conditions lui aient permis de les prendre. Ainsi, le fermier qui n’avait pas de remplaçant à disposition ne peut pas se voir reprocher de ne pas avoir pris ses vacances! Il y a lieu de saluer cette jurisprudence qui pourrait sans doute s’appliquer mutatis mutandis aussi aux personnes actives dans le domaine tertiaire: certes, physiquement, il leur arrive de «prendre des vacances», qui sont cependant souvent (partiellement) consacrées à lire et à traiter des messages ou des courriels professionnels, ce qui ne leur permet pas, au final, de véritablement se reposer14.
Concernant toujours la question du solde de vacances qui peut ou doit être compensé durant un délai de congé, le lecteur attentif pourra s’en référer à un arrêt publié en italien15. A cette occasion, le TF a considéré que le travailleur malade, qui entend se faire payer un solde de 32,67 jours de vacances durant les deux mois de son délai de congé n’a pas le droit à cette prétention dès lors qu’il n’a pas allégué avoir subi des examens médicaux durant cette période de deux mois et qu’il a admis ne pas avoir voulu chercher un autre emploi16.
1.6. Protection contre les congés – résiliation abusive (art. 336 ss CO)
Sur les licenciements abusifs, l’arrêt le plus intéressant des derniers mois est certainement celui qui a porté sur les droits du dénoncé au cours d’une enquête interne menée par l’employeur17. Il porte sur la résiliation ordinaire du contrat de travail d’une employée du fait d’une «accusation de vol» portée à son encontre, fondée sur des soupçons finalement non confirmés. La situation est banale: dans un établissement médicosocial, une aide-infirmière est accusée par un résidant du vol d’un montant de 9 fr. (!) dans son portemonnaie, ceci à la suite du dépôt d’une bouteille d’eau par cette aide-infirmière dans la chambre du résidant. Dans le cadre d’une enquête interne, l’employeur a entendu le résidant et l’aide-infirmière, sans que celle-ci ait été auparavant prévenue des questions qui allaient lui être posées. Certes, comme le rappelle le TF, le licenciement ordinaire comme le licenciement immédiat peuvent être justifiés par des soupçons même infondés, pour autant que ceux-ci aient été, au moment de la résiliation des rapports de travail, sérieux; mais le travailleur doit être en mesure de défendre équitablement sa position lorsque son honneur est compromis. Pour le surplus, a rappelé notre Haute Cour, les démarches à accomplir par l’employeur ne sauraient être envisagées de manière abstraite et absolue, car elles dépendent, au contraire, des circonstances concrètes de chaque cas. L’employeur doit s’inspirer du Code de procédure pénale quant aux droits essentiels dont bénéficie un prévenu et les appliquer au travailleur accusé. Il doit faire en sorte que l’employé ne soit pas surpris par l’interrogatoire et qu’il ait tout le temps de faire valoir son droit d’être entendu ou, en quelque sorte, son droit à se défendre de manière adéquate. Un tel respect des règles de procédure n’ira sans doute pas sans compliquer la tâche des employeurs18. Dans le cas d’espèce, le TF a jugé qu’en l’absence de toutes les vérifications qui s’imposaient, la travailleuse était fondée à se plaindre d’un licenciement abusif, d’autant plus qu’elle n’avait jamais été en mesure de défendre efficacement sa position et son honneur.
En cas de conflit interpersonnel dans une entreprise ou une organisation, il est souvent difficile de séparer le bon grain de l’ivraie: ce ne sont pas nécessairement ceux qui se plaignent ou dénoncent qui ont raison, puisqu’ils peuvent être très bien eux-mêmes la cause des problèmes qu’ils dénoncent. C’est bien l’impression que l’on retire d’un arrêt du TF qui a eu à traiter d’un congé abusif à la suite d’une situation conflictuelle sur le lieu de travail19. En l’espèce, une employée engagée comme Senior compliance manager s’est rapidement plainte, en 2012, de difficultés de communication avec la directrice des ressources humaines. Elle-même, au-delà de ces désaccords, se mettait en évidence par un «langage fort». Elle est même allée jusqu’à déposer auprès de la banque une plainte pour mobbing de sa supérieure hiérarchique. La banque y a répondu, par une enquête menée de manière sérieuse avec le soutien d’un avocat externe et la directrice des ressources humaines. Au final, comme l’employée pouvait se montrer grossière et agressive envers les collaborateurs sous sa responsabilité, qu’elle élevait la voix de manière choquante envers sa supérieure hiérarchique et avait des réactions très vives lorsque les choses n’allaient pas dans son sens, c’est bien elle qui a engendré, par son comportement, une perte de confiance qui a abouti à son licenciement. Cela dit, le TF met en exergue, dans cette affaire, le dilemme auquel est confronté un employeur en cas de dénonciation pour mobbing à la suite d’une situation conflictuelle sur le lieu de travail: ou bien il ne fait rien, et il risque de se voir reprocher une violation de la personnalité de certains travailleurs au sens de l’art. 328 CO, ou bien il prend la décision de mettre un terme à la relation contractuelle avec la personne qui pourrait être à l’origine du conflit avec, pour conséquence possible, une demande d’indemnisation pour licenciement abusif fondée sur l’art. 336 CO.
1.7. Congé en temps inopportun (art. 336c CO)
Dans un arrêt de principe20, le TF s’est penché sur la question de la grossesse, et plus précisément de son début. Il s’agissait dans le cas d’espèce de déterminer, au regard du droit du travail, ce que les juristes appellent le dies a quo (point de départ) de la période de grossesse, en tant que période de protection contre les congés prévue à l’art. 336c al. 1 let. c CO (en lien avec l’art. 336c al. 2 deuxième phrase CO). La question est maintenant résolue: dans le cadre des relations de travail, la grossesse débute bien au moment de la fécondation de l’ovule (conception de l’enfant). On notera, en droit pénal, que c’est le critère de l’implantation (ou autrement dit de la nidation) qui a été retenu, ceci afin de permettre la sanction de l’interruption de grossesse (au sens de l’art. 118 CP), tout en excluant certaines méthodes de contraception.
1.8. Résiliation immédiate – conditions – justes motifs (art. 337 CO)
On sait que le licenciement avec effet immédiat pour justes motifs est, en droit suisse, une ultima ratio. A lire la jurisprudence, on constate pourtant que cette mesure ultime est souvent mise en exécution. De nombreux arrêts ont été rendus à ce sujet ces derniers mois et nous n’en évoquerons ci-après qu’une partie.
Le 28 juin 201621, le TF a jugé que l’employé d’un EMS qui n’a pas appliqué les consignes internes, et notamment pas vérifié les paramètres vitaux d’un patient pendant la nuit, ni appelé l’infirmière de piquet comme la directive le prévoyait, s’est rendu coupable d’un manquement particulièrement grave au regard des circonstances. Les justes motifs pouvaient donc être invoqués.
Le 27 septembre 201622, le TF a constaté que le manquement reproché à l’employé consistait à avoir laissé entrer une ex-amie dans les locaux de la banque le 25 février 2012, alors que dix-huit mois auparavant, l’intéressé avait été expressément invité à ne plus permettre l’accès de tiers à la zone en question. La visite de cette ex-amie s’étant relativement mal passée, il avait fallu la conduire dans la salle de conférence. Le TF a reconnu que le fait de ne pas s’opposer à l’incursion de son ex-amie dans la partie interne de l’agence ne pouvait être tenu pour la réitération inadmissible d’un comportement interdit. Dans cette affaire, on perçoit une certaine mansuétude de la part des juges fédéraux, peut-être parce qu’au final, le comportement reproché était celui d’une tierce personne.
En cas de licenciement avec effet immédiat, le (trop) long délai de réflexion dont aurait usé l’employeur est souvent un des motifs invoqués par les employés pour contester la validité du congé immédiat. Ces dernières années, le TF avait plutôt fait preuve de largesse en faveur d’employeurs qui, principalement pour des raisons organisationnelles, n’étaient en pratique pas en mesure de pouvoir se coordonner au niveau interne pour prendre la décision de licenciement avec effet immédiat dans le délai habituel de 72 heures23. Cette jurisprudence est confirmée. Ainsi, tout en rappelant, une fois encore, qu’un délai de réflexion de deux à trois jours ouvrables est suffisant pour réfléchir et prendre des renseignements24, le TF laisse la porte ouverte à un délai plus long, en précisant qu’il s’agit de distinguer selon que l’état de fait est clair ou qu’il appelle des éclaircissements. En effet, selon notre Haute Cour, il faut tenir compte du temps nécessaire pour élucider les faits, étant précisé que l’employeur qui soupçonne concrètement l’existence d’un juste motif doit prendre immédiatement et sans discontinuité toutes les mesures que l’on peut raisonnablement exiger de lui pour clarifier la situation25. Ainsi, un délai de réflexion comportant quatre jours ouvrables pour une situation relativement complexe – il s’agissait d’établir si l’entreprise créée par un employé avait fait, d’une manière ou d’une autre, une concurrence à l’employeur – ne pouvait pas être tenu comme trop long26.
Toujours en lien avec cette question des justes motifs, il y a lieu de revenir sur un principe qui découle de la systématique des art. 337 ss CO: lorsque l’employeur a licencié sur-le-champ un travailleur qui n’aurait pas dû l’être, il va de soi que, pour accorder l’indemnité fondée sur l’art. 337c al. 3 CO, il y a lieu de bien prendre en compte les circonstances concrètes qui ont fait que l’employeur a pu, de bonne foi peut-être, prendre une décision abrupte à propos de son employé. Ainsi, selon le TF, l’autorité cantonale peut tenir compte du comportement quelque peu provocateur de l’employé, et ceci même si ce comportement n’était, finalement, pas suffisamment grave au point de pouvoir mettre un terme définitif à la relation de travail27.
En cas de licenciement pour juste motif, si l’employeur peut invoquer postérieurement au prononcé du licenciement de nouveaux motifs de licenciement, c’est uniquement à condition qu’il n’ait pas eu connaissance de ces nouveaux motifs au moment du licenciement28. Il importe par conséquent que l’employeur fasse juste tout de suite, sauf à mener une enquête interne qui permette, après le prononcé du licenciement, de dénicher d’autres justes motifs29.
Reste que, de manière générale, et à la lecture de la jurisprudence du TF, l’application de l’art. 337 CO ne va pas sans soulever quelques difficultés, notamment un manque de prévisibilité des décisions rendues30.
2. Droit collectif du travail
Le TF a profité du recours d’une société zurichoise pour examiner attentivement le pouvoir et les compétences dont peuvent jouir les commissions tripartites au sens des art. 360a et 360b CO. On sait que de telles commissions jouent un rôle relativement important non seulement dans l’observation du marché du travail, mais aussi dans le contrôle des conditions de rémunération. Sans nécessairement bouleverser les opinions de la doctrine à cet égard, le TF estime que ces commissions ne sont pas de simples observateurs passifs du marché du travail, mais qu’elles ont bien de larges compétences d’enquête qui peuvent par exemple aller jusqu’à exiger la production de documents. Elles jouissent donc d’un très large pouvoir d’application des normes légales31. Concrètement, cela signifie que lorsqu’une entreprise est contrôlée, elle est tenue de mettre à disposition, sur simple requête, les documents qui sont exigés par les commissions tripartites.
3. Loi sur le travail (LTr)
Dans un arrêt de juin 201632, le TF a été confronté à la question de savoir si le service de piquet doit être considéré comme des heures ou du travail supplémentaire, ce qui peut avoir évidemment des conséquences financières relativement importantes. L’affaire concernait un médecin-chef adjoint d’une clinique dans le canton d’Argovie. A l’évidence, l’employeur souhaitait faire feu de tout bois, puisqu’il est même allé à prétendre qu’un médecin qui restait de piquet dans l’hôpital où il pourrait être amené à consulter ou à intervenir n’effectuait pas d’heures supplémentaires s’il était «inactif», à savoir uniquement dans l’attente d’une activité à accomplir. Une telle interprétation doit être évitée: chaque fois qu’un travailleur doit intervenir à très brefs délais, par exemple dans les 15 minutes qui suivent l’appel de l’employeur, il faut bien considérer qu’un tel travailleur effectue des heures supplémentaires ou du travail supplémentaire, au sens de la LTr, à rémunérer en fonction des circonstances du cas d’espèce33.
4. Fonction publique
Egalité salariale et droits acquis dans la fonction publique? Circulez, y a (presque) rien à voir, nous répète le TF!
Dans une affaire genevoise, qui concerne un médecin engagé dans un hôpital public, le TF en a profité pour rappeler que les autorités d’engagement jouissent d’une très large marge de manœuvre. Aussi, même le directeur d’un établissement pénitencier, qui peut travailler parfois près de 70 heures par semaine, ne peut pas comparer sa situation à un médecin d’un hôpital: il ne peut y avoir égalité de traitement que lorsque les situations sont (parfaitement) égales. Comme l’exprime le TF, un certain schématisme, propre à assurer l’égalité de traitement entre agents, est certes nécessaire, mais il doit ou il peut aussi prendre également en considération des caractéristiques générales d’une fonction et du statut. Il ne se fonde pas uniquement sur les prestations individuelles du fonctionnaire34. Et pour enfoncer le clou, en ce qui concerne l’application du principe de la bonne foi qui découle de l’art. 9 Cst., le TF mentionne, comme il le fait depuis de très nombreuses années, que l’Etat est libre de revoir en tout temps sa politique en matière de salaire et d’emploi. Aussi, la notion de droit acquis ne peut être prise en compte que dans la mesure où la loi fixerait, une fois pour toutes, des situations particulières et les soustrayaient aux effets des modifications légales ou lorsque des assurances précises ont été données à l’occasion d’un engagement individuel35.
5. Procédure civile
Pour conclure, une affaire qui attirera l’attention des habitués des prétoires36, qui se doivent de maîtriser les arcanes de la procédure. Un demandeur avait des prétentions pour trois bonus de plus de 100 000 fr. chacun pour trois années respectives. Dans un but qui n’est pas clairement exprimé dans l’arrêt du TF, le demandeur a déposé une action partielle à hauteur de 30 000 fr. sans préciser pour lequel des bonus il invoquait ce montant37. On relèvera que les motifs pour une telle action partielle peuvent être variés: on pense au cas où, au moment du dépôt de l’action, le travailleur est encore sous contrat avec son employeur ou à l’action de principe qui évite un calcul des frais sur la base du montant total de ses prétentions38. En l’espèce, le TF a considéré qu’une telle demande était bien trop imprécise, vu qu’elle portait sur plusieurs prétentions divisées39: elle doit par conséquent être déclarée irrecevable. Un plaideur averti en vaut deux. y
1TF 4A_619/2016 du 15.3.2017.
2Ibid. c. 7.2.
3Ibid. c. 7.3.3.
4TF 4C_41/1999 du 12.7. 2000 c. 5.
5Lire Jean-Tristan Michel, Les cadres supérieurs en droit du travail suisse, en particulier au sein de la société anonyme, Lausanne, Cedidac, 2016.
6TF 4A_297/2016 du 17.11. 2016.
7Ibid. c. 4.3.1.
8Lire notamment la newsletter de l’Université de Neuchâtel de janvier 2017 sur le site internet www.droitdutravail.ch et le résumé ainsi que l’analyse d’Aurélien Witzig qui voit, dans cette jurisprudence, l’expression d’une transparence des rémunérations qui fait fi du secret que semblaient défendre les employeurs.
9ATF 129 III 276, ATF 130 III 495, ATF 131 III 615, ATF 136 III 313, ATF 139 III 155, ATF 141 III 407.
10ATF 142 III 381.
11ATF 142 III 456.
12Parmi d’autres, lire Eric Cerottini, in Commentaire du contrat de travail, Jean-Philippe Dunand, Pascal Mahon (Ed.), Berne, 2013, p. 395, ad art. 329c CO, note 15 et la jurisprudence citée.
13Lire Ullin Streiff, Adrian von Kaenel, Roger Rudolph, Arbeitsvertrag, 2012, No 7 ad art. 329c, pp. 670-671.
14On lira avec intérêt la réflexion menée par Jean-Tristan Michel, op. cit, pp. 248 ss.: l’usage de plus en plus répandu des courriels et smartphones y compris durant des périodes de «vacances» devra bien un jour être retenu comme des heures de travail, ce qui donne droit à une rétribution de la part de l’employeur.
15TF 4A_391/2016 du 8.11.2016.
16Ibid. c. 6.3.2.
17TF 4A_694/2005 du 4.5.2016.
18Lire le commentaire de Christian Bettex, Enquête interne, droit du dénoncé, dans la Newsletter de juin 2016 du site www.droitdutravail.ch
19TF 4A_130/2016 du 25.8.2016.
20ATF 143 III 21.
21TF 4A_659/2015 du 28.6.2016.
22TF 4A_153/2016 du 27.9.2016.
23TF 4A_236/2012 du 2.8. 2012: le TF avait confirmé qu’il fallait «tenir compte de la procédure relativement complexe» qui existait au sein d’une grande entreprise; notre plus Haute Cour n’a pas reproché à un employeur d’avoir tardé huit jours ouvrables avant de communiquer la résiliation avec effet immédiat. Au final, ce qui apparaissait décisif durant le délai de réflexion, c’est que l’employeur n’eût pas adopté une attitude dont on pourrait déduire qu’il aurait été prêt à poursuivre la relation de travail nonobstant les faits reprochés.
24Voir par exemple ATF 138 I 113 c. 6.3.2 et les arrêts cités, parmi d’autres.
25TF 4A_559/2016 du 18.1.2017 c. 4.1.
26Ibid. c. 4.2.
27TF 4A_161/2016 du 13.12.2016.
28ATF 142 III 579 c. 4 in fine.
29Lire, en ce sens, Adrien Witzig, in Newsletter septembre 2016 du site internet www.droitdutravail.ch
30Dans le même sens, lire Roger Rudolf, Besprechung des Bundesgerichtsurteil 4A_521/2016 vom. 1. Dezember 2016, ARV/DTA, Schultess, 2017, pp. 25-29.
31ATF 143 II 102, notamment c. 3.5.
32TF 4A_11/2016 du 7.6.2016.
33Ibid. c. 5.
34ATF 143 I 65 c. 5.5.
35Ibid. c. 6.2.
36Cet arrêt, qui concerne une affaire en droit du travail, est déjà mentionné par Bohnet François, in «Jurisprudence récente: quelques pièges en procédure civile», Plaidoyer N° 3, mai 2017, p. 34.
37ATF 142 III 683 c. 3.
38Lire Patrick Wagner et Sylvio Riesen, Das Verfahren bei Streitigkeiten aus Krankentaggeldversicherungen nach VVG, in Anwaltsrevue 2016, pp. 437-441, en particulier p. 441.
39ATF 142 III 683 c. 5.4.