Cette sélection, destinée aux praticiens, qu’ils soient avocats, juristes ou conseillers juridiques en entreprise ou dans une collectivité publique, met en évidence la variété et la richesse des problématiques traitées. Cette année, exceptionnellement et vu son retentissement, nous commençons la présentation de cette sélection par un arrêt de droit constitutionnel du TF.
1. Droit constitutionnel
L’arrêt du TF du 21 juillet 20171 concernant le salaire minimum dans le canton de Neuchâtel, publié dans le recueil officiel, a retenu l’attention aussi bien des spécialistes de droit public que de tous les spécialistes de droit du travail. A cette occasion, le TF a donné son aval à la loi cantonale neuchâteloise qui instaure un salaire minimal de 20 fr. à l’heure, une telle loi ne portant en particulier pas atteinte à la liberté économique. A cet égard, il a été retenu que les justifications fournies par les autorités à l’appui de l’introduction du salaire minimum «dénotent, de façon prépondérante, des préoccupations de politique sociale et ne poursuivent pas (…) la finalité d’influencer la libre concurrence»2. De plus, notre Haute Cour a considéré que la loi respecte le principe de la proportionnalité, puisque tout donnerait à penser qu’elle peut atteindre les résultats escomptés (comprendre: la lutte contre la pauvreté) et qu’il n’y aurait pas d’autres mesures moins incisives qui permettraient d’atteindre le même objectif3. L’instauration du salaire minimum ne porte ainsi atteinte ni à la liberté économique des employeurs ni à la liberté syndicale.
Neuchâtel est ainsi le premier canton suisse à introduire le salaire minimum. L’arrêt rendu aura sans doute de grandes répercutions dans les années à venir, notamment dans les cantons du Jura et du Tessin qui doivent achever de concrétiser, sur le plan légal, des mandants constitutionnels4. Des conséquences peuvent aussi être attendues dans des actions qui seraient menées par des «travailleurs du numérique» qui pourraient ainsi exiger le respect de conditions minimales, du moins pour le travail accompli sur le territoire du canton de Neuchâtel5.
2. Droit privé
2.1. Salaire en cas d’empêchement de travailler (324a CO)
Il vaut la peine de s’arrêter sur deux arrêts du TF qui traitent spécifiquement de la responsabilité contractuelle de l’employeur n’ayant pas fait preuve de toute la rigueur exigée par le code des obligations pour déroger aux règles énoncées à l’art. 324a al. 1 CO. On sait que l’art. 324a CO fixe les conditions de l’obligation de l’employeur de verser le salaire pendant un temps limité lorsque l’employé est empêché de travailler, sans faute de sa part, pour une cause inhérente à sa personne. Il prévoit un régime de base (al. 1 à 3), de nature relativement impérative (cf. art. 362 CO), et offre aux parties intéressées d’y déroger, ce qui ne sera possible que par un accord écrit, un contrat type de travail ou une convention collective qui devra accorder au travailleur des prestations au moins équivalentes (art. 324a al. 4 CO).
Dans le premier arrêt6, le TF a considéré qu’un employeur avait violé ses obligations dans ce cadre en n’informant pas un travailleur que l’assurance souscrite prévoyait que le droit de passer de l’assurance collective à l’assurance individuelle devait être exercé dans un délai d’un mois après la fin des rapports de travail. Or, la convention collective qui s’appliquait aux relations de travail prévoyait que ce droit devrait pouvoir être exercé dans un délai de trois mois. La conséquence? Deux employeurs doivent assumer solidairement des dommages-intérêts à hauteur de 63 365 fr. pour ce défaut d’information qui avait porté préjudice à leur ancien employé ayant respecté le délai prévu dans la CCT, mais pas celui indiqué dans le contrat d’assurance perte de gain!
Dans le second arrêt concernant l’art. 324a CO, le TF a été plus clément pour l’employeur7. La lettre d’engagement d’un travailleur prévoyait ceci: «Assurance perte de gain. La perte de gain en cas d’accident est assurée à 80% dès le troisième jour. La perte de gain en cas de maladie est assurée à 80% dès le troisième jour.» Or, dans le cas d’espèce, l’employeur n’a conclu aucune assurance perte de gain et n’a déduit aucune prime au travailleur. Ce dernier est tombé malade et réclame un montant correspondant à onze mois de salaire à 80% pour cause d’inexécution contractuelle. Dans cette affaire, le TF constate que le contrat de travail écrit ne mentionne pas deux éléments essentiels du régime dérogatoire, soit la durée des prestations et les modalités de financement des primes. Par conséquent, comme la forme prescrite n’est pas respectée, les parties n’ont, selon le TF, pas convenu valablement d’un régime dérogatoire. Le travailleur est par conséquent débouté de sa requête en paiement à hauteur de 45 760 fr. brut.
2.2. Protection contre les congés – résiliation abusive (art. 336 ss CO)
Cette année encore, les conditions d’application des articles 336 ss CO ont retenu l’attention du TF à de multiples reprises. Il est connu que, selon le droit suisse, la résiliation ordinaire du contrat de travail est abusive lorsqu’elle intervient dans l’une des situations énumérées à l’art. 336 al. 1 CO. Voilà plusieurs années que le TF a étendu cette notion de licenciement abusif et considéré que l’énumération de l’art. 336 al. CO n’est pas exhaustive: il y a en effet d’autres circonstances qui permettent de considérer qu’il y aurait abus de droit (art. 2 CC) à prononcer un licenciement. Dans cet esprit, deux arrêts du TF méritent d’être retenus.
• Une travailleuse âgée de 48 ans est licenciée parce qu’elle aurait commis de graves erreurs dans l’exécution de ses tâches et qu’elle aurait entretenu de mauvaises relations avec le bureau du Conseil d’administration. Au terme de l’instruction, le tribunal civil a jugé ces motifs fallacieux. Le licenciement n’aurait ainsi été justifié que pour de simples prétextes: le TF n’a rien trouvé à redire à une indemnité de quatre mois fondée sur un licenciement abusif8.
• Deux employeuses ont usé de méthodes relativement courantes dans les grandes entreprises pour licencier une directrice d’un EMS: le licenciement était assorti d’une libération de l’obligation de travailler durant le délai de résiliation, de la restitution immédiate des clés avec interdiction d’accéder aux locaux, de mesures de surveillance pour récupérer les effets personnels et d’interdiction de prendre contact avec le personnel. Pour le TF, la prise de telles mesures est de nature, selon l’expérience générale de la vie, à faire naître chez les autres employés le soupçon que le licenciement se fonde sur des motifs graves, à tout le moins lorsque, comme en l’espèce, il n’y a pas de raison particulière liée, par exemple, à des données sensibles ou à un risque de perte de clients. De plus, comme les employeuses ont échoué à prouver les manquements reprochés, le TF considère que les employeuses ont agi par convenance personnelle, ce qui est propre à faire apparaître le congé comme abusif 9.
La morale de l’histoire? La liberté de résilier le contrat de travail est loin d’être absolue, et les employeurs peuvent se voir reprocher de plus en plus souvent des abus de droit en cas de résiliation, en particulier lorsqu’ils donnent le sentiment d’agir de manière purement égoïste.
Reste que le TF a, une fois de plus, confirmé10 que, en cas de licenciement collectif, une restructuration d’entreprise justifiée pour des motifs économiques objectifs peut constituer un motif justifié permettant d’écarter la présomption de licenciement abusif au sens de l’art. 336 al. CO. En l’état actuel du droit en Suisse, les représentants des travailleurs ne bénéficient, en cas de restructuration, d’aucune protection. En d’autres mots: il n’y a pas de protection accordée à ceux qui assurent, y compris parfois contre leur gré, la défense collective des intérêts communs des travailleurs. Entre les lignes, voici le message du TF: seule une modification législative pourrait assurer une meilleure protection des représentants des travailleurs s’il devait s’agir d’appliquer, en Suisse, la Convention OIT no 9811.
2.3. Congé en temps inopportun (art. 336c CO) et certificat médical
Comme on le sait, l’art. 336c CO énonce, sous lettres a à d, divers motifs empêchant l’employeur, après le temps d’essai, de résilier le contrat de travail pendant une certaine période (service obligatoire militaire ou dans la protection civile; service civil; grossesse, service d’aide à l’étranger ordonné par l’autorité fédérale). Le TF a jugé12 que le travailleur peut bénéficier de plusieurs périodes de protection non seulement lorsqu’il cumule les hypothèses prévues par les différentes lettres de l’art. 336c al. 1 CO (cumul «interlittéral»), mais aussi lorsqu’il est incapable de travailler en raison d’un accident, puis d’une maladie ou pour cause de maladies ou d’accidents successifs n’ayant aucun lien entre eux (cumul «intralittéral»). La doctrine précise que, généralement, une nouvelle maladie ou un nouvel accident donne droit à une nouvelle période de protection, certains auteurs ayant précisé que la nouvelle maladie ne devrait avoir aucun lien avec la précédente13. Dans cette affaire traitée par le TF, le travailleur avait été incapable de travailler dans un premier temps suite à une pathologie coronarienne. Ensuite, il a souffert d’une tumeur rénale et s’est retrouvé finalement en incapacité de travail pour des raisons psychiatriques. Son propre médecin généraliste avait indiqué que «les différentes causes de l’incapacité s’entremêlent et qu’une frontière entre l’une et l’autre est quelque peu artificielle» et que les problèmes d’ordre psychologique ont toujours été en arrière-plan. Au vu de ces éléments, et notamment donc de ce qu’avait constaté le médecin traitant, le TF en arrive à la conclusion que les pathologies physiques et psychiques sont liées à un point suffisant pour exclure de retenir, en droit, un nouveau cas d’incapacité de travail ouvrant une nouvelle période de protection.
Ce dernier arrêt du TF nous permet de faire la transition avec les questions liées au certificat médical. On sait, en particulier, dès lors qu’il s’agit d’appliquer l’art. 336c CO, que c’est aux travailleurs de prouver (art. 8 CC) leur incapacité de travail. Une très récente publication fait le point, avec beaucoup d’acuité, sur le certificat médical à l’aune du droit du travail14. On retiendra, parmi d’autres, les éléments suivants qui sont illustrés par trois décisions récentes du TF.
• Le certificat médical ne constitue pas un moyen de preuve absolu. Parmi les éléments à prendre en compte pour examiner cette force probante, il faut relever la relation particulière qui lie un patient et son médecin15.
• Pour le TF, les certificats et les rapports médicaux produits par une partie sont similaires, sous l’angle du droit à la preuve, à de simples expertises privées, soit des allégués des parties ne constituant pas des moyens de preuve proprement dits. En d’autres termes, dans certaines circonstances, comme l’a précisé le TF, les allégations précises, résultat d’un rapport médical, peuvent apporter la preuve de leur véracité si elles sont appuyées par des indices objectifs16. Il y a bien un changement de paradigme: ce n’est pas parce que le certificat est émis par une personne exerçant une profession réglementée qu’une présomption d’exactitude devrait être (automatiquement) accordée17. Le certificat médical ne peut donc constituer une preuve que tant qu’il n’est pas contesté par l’employeur ou l’assureur perte de gain18.
Dans la pratique, judiciaire notamment, les conséquences des dernières réflexions du TF, exprimées souvent au moyen d’obiter dictum, seront importantes dans les années à venir.
• Pour les travailleurs, il ne sera plus possible de se contenter d’un certificat médical: il faudra l’étayer par d’autres éléments lui donnant une force probante, ce qui pourra être obtenu, par exemple, par des détails supplémentaires ou un deuxième certificat19, ou même l’audition du médecin en tant que témoin dans le procès civil.
• Pour les employeurs, ou aussi les assureurs, il devient plus facile de contester les certificats médicaux remis par les travailleurs ou leurs conseils, ce qui contraint le travailleur à étayer davantage son moyen de preuve ou à tenter d’en obtenir un supplémentaire auprès d’un autre thérapeute.
2.4. Résiliation immédiate – conditions – justes motifs (art. 337 CO)
La jurisprudence concernant les licenciements avec effet immédiat offre, année après année, un florilège de situations et de décisions cocasses et tragiques qui ne peuvent laisser indifférent. Pour le praticien, la question de la prévisibilité des décisions pose encore et toujours des difficultés, car les autorités judiciaires ont de la peine à fixer des lignes claires pour définir les «justes motifs».
Lorsqu’une caissière d’un magasin est prise «la main dans le sac», qui contient deux paquets de céréales et deux paquets de charcuterie, il y a, à l’évidence, la commission d’une infraction pénale, considérée comme juste motif permettant à l’employeur de licencier avec effet immédiat cette travailleuse20. On peut aussi comprendre que le TF sanctionne le Tribunal cantonal vaudois, qui n’avait pas retenu de justes motifs de licenciement dans le cas d’une infirmière qui, assurant un service de garde durant la nuit pour 17 patients affectés de troubles psychiatriques, s’était enfermée et endormie dans le salon de service d’une clinique spécialisée21, salon depuis lequel elle ne pouvait plus assurer les urgences. De même, il est cohérent pour le TF de valider le licenciement avec effet immédiat d’une employée qui, durant le délai de résiliation et malgré deux mises en demeure, refuse de fournir ses services22. Mais il est parfois étonnant de constater combien le TF peut être tolérant vis-à-vis de décisions de première et de deuxième instance qui laissent pourtant un grand malaise: ainsi en est-il allé dans un arrêt du 31 janvier 2018 par lequel le TF n’a pas voulu réexaminer la décision du Tribunal cantonal vaudois qui avait considéré que les conditions de l’art. 337 CO n’étaient pas remplies: des écarts de conduite répétés, des propos grossiers et sexistes, des commentaires déplacés et le fait de jeter des regards étranges n’auraient ainsi pas été suffisants, en l’absence d’avertissement formel, pour licencier avec effet immédiat un travailleur23.Une telle décision ne peut que rendre très «inconfortable» la position de l’employeur24, puisqu’elle a notamment pour effet de ne pas assurer la prévisibilité des décisions futures des autorités judiciaires dès qu’il s’agit d’examiner les justes motifs de l’art. 337 CO.
3. Fonction publique
3.1. Egalité salariale hommes-femmes
Dans le domaine de la fonction publique, deux arrêts du TF traitant de l’égalité entre hommes et femmes méritent l’attention.
Dans son arrêt du 1er décembre 2015 publié dans le recueil officiel25, le TF avait admis que la profession d’enseignant à l’école primaire et au cycle préparatoire devait être qualifiée de typiquement féminine et avait renvoyé l’affaire à l’autorité inférieure, le Tribunal administratif d’Argovie, afin qu’il reprenne son analyse. Ce tribunal ayant finalement confirmé que, à son avis, il n’y avait pas de discrimination, la cause est remontée au TF qui a donc rendu son arrêt l’année dernière26. Parmi les griefs examinés, le TF réfute l’argument de la recourante tendant à l’instauration d’un seul et même système de rémunération pour toute la fonction publique cantonale. Ainsi, un système d’appréciation particulier pour évaluer les performances du corps enseignant peut se justifier. Par conséquent, un canton peut très bien mettre sur pied deux grilles d’appréciation différentes. Au final, le TF est d’avis que la décision cantonale respecte les injonctions du droit fédéral en matière de discrimination salariale. Cet arrêt du TF – qui laisse un goût amer – a été l’objet de critiques, justifiées à notre sens27. Une fois encore, c’est l’extrême frilosité des autorités judiciaires qui l’a emporté dès lors qu’il s’agit de traiter les questions d’(in-)égalité salariale entre femmes et hommes.
Le 9 octobre 2017, le TF a rendu une autre décision sur l’égalité salariale entre femmes et hommes28. Dans ce cadre, il s’agissait d’examiner une instruction interne des CFF prévoyant qu’il n’y a pas d’augmentation de salaire individuelle, ni de part unique liée à la prestation en cas «d’absences de plus de six mois durant l’année civile précédente pour cause de congé (payé ou non), de service obligatoire suisse/ou de maladie/ d’accident». Les CFF considèrent que cette énumération des causes d’absence n’est pas exhaustive et qu’elle englobe également les absences dues à la maternité. Le TF n’a pas été insensible à la cause de la recourante: il rappelle que la discrimination salariale peut être directe ou indirecte29 et que la notion de rémunération englobe toute rémunération fournie en contrepartie du travail effectué, notamment les gratifications et les bonus30. Mais, ensuite, le TF ouvre, sans l’exprimer clairement, la porte à l’application de la Convention internationale du 18 décembre 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedef). Dommage que les intentions du TF n’aient pas été exprimées plus clairement en prévision de cas proches ou semblables31.
Toujours en ce qui concerne l’égalité salariale au sein de la fonction publique, le TF a cassé32 une décision de la Cour suprême du canton de Schaffhouse, qui avait admis une discrimination fondée sur le sexe à propos de la rémunération des enseignantes maternelles cantonales qui exercent cette fonction depuis longtemps. Le TF a toutefois renvoyé la cause à la juridiction cantonale pour qu’elle examine si les enseignantes maternelles employées de longue date sont rémunérées de manière discriminatoire par rapport aux enseignantes employées plus récemment.
La cause de l’égalité salariale ne progresse décidément qu’à pas de fourmis dans notre pays.
3.2. Rupture de contrats dans la fonction publique
Le TF n’admet statistiquement qu’un très faible nombre de recours dans cette matière. On peut parfois comprendre pourquoi, du moins si l’on s’attache à lire certains de ses arrêts. Ainsi, en ce qui concerne les congés dans la fonction publique, voici cinq arrêts dans lesquels les recours paraissent avoir été à juste titre rejetés.
• A été jugé33 licite le licenciement d’un fonctionnaire au sujet duquel la cour cantonale genevoise avait retenu que la violence, l’agressivité, le caractère attentatoire à l’honneur et menaçant des termes proférés à l’encontre d’une apprentie, certes majeure, qui plus est en la forme écrite, constituent un comportement qui, quels qu’en avaient pu être les motifs, devait être qualifié de manquement grave. Il est vrai que les propos, retranscris de manière très brute, étaient d’une rare violence: «(SALE PUTE), Petite, Moche, qui pue la MERDE de CHIEN, Si tu t’avises encore une seule fois de dire des Mensonges à ma femme à mon sujet, tu aurais affaire à moi (…) Vas crever en Enfin Pourriture du Diable, Ne croise jamais mon chemin, y compris ma famille aussi bien à Onex que partout ailleur. Tu restera une prostituée pour l’éternité»(sic). Au vu de ces éléments, le caractère attentatoire à l’honneur ne faisait guère de doute.
• C’est sur l’ensemble des circonstances que le TF juge acceptable un licenciement immédiat34: aussi, l’indication volontairement inexacte du temps de travail introduit dans le système de timbrage, ainsi que le fait de publier sur Facebook un enregistrement vidéo montrant le travailleur et une collègue se moquer de leur supérieur constituent des manquements graves, propres à justifier une rupture du lien de confiance entre un employeur et un travailleur. L’attitude de la recourante dénote une absence de volonté de se plier aux injonctions et aux avertissements de l’employeur.
• Reste que, suivant les circonstances, le seul fait de donner des indications volontairement inexactes du temps de travail introduit dans le système de timbrage peut représenter une violation grave du devoir de fidélité qui peut fonder un licenciement avec effet immédiat: c’est ce qu’un chef de service de l’Office fédéral de la police a appris à ses dépens dans un arrêt du TF du 1er mars 201835. Sans surprise, le TF a considéré qu’un délai de sept jours octroyé à ce fonctionnaire pour se déterminer à l’égard d’une rupture de la relation de travail apparaît suffisant, d’autant que le recourant connaissait les faits reprochés et la décision envisagée depuis plusieurs semaines36.
4. Protection des données
On le sait, la Suisse a pris un gros retard dans le domaine de la protection des données: cela se manifeste, d’une part, par une loi – la loi sur la protection des données – qui n’est qu’un tigre de papier et, d’autre part, par des pratiques très lacunaires dans les relations de travail. Dans un arrêt publié au recueil officiel37, le TF a eu à traiter plusieurs problématiques intéressantes concernant un employé des CFF qui consultait des pages pornographiques au travail, et ce malgré l’avertissement apparaissant sur son écran et indiquant que cette consultation était illicite. Le moyen de preuve ayant été obtenu de manière illicite, le TF a procédé à une pondération des intérêts. En l’espèce, selon notre Haute Cour, l’employeur pouvait faire usage des résultats de l’analyse informatique obtenus de manière illicite et résilier avec effet immédiat les rapports de travail pour motif grave, et ce malgré le fait que l’employé consultait ces sites internet durant des temps morts.
On relèvera que cette décision n’est peut-être pas conforme aux injonctions de la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) dans l’affaire Barbulescu38, qui peut se résumer comme ceci: un travailleur a été amené à créer, à la demande de son employeur, un compte de messagerie instantanée Yahoo! Messenger. Le règlement interne de l’entreprise prohibait l’utilisation des lignes d’internet, du téléphone ou du télécopieur pour des activités non professionnelles. L’employeur procéda au contrôle de l’activité du requérant par l’enregistrement, en temps réel, de ses communications internet ainsi que du volume de son trafic de données électroniques. A cette occasion, il remarqua que son employé utilisait l’internet et le service de messagerie instantanée à des fins personnelles. L’employeur produisit 45 pages de retranscription de communications privées du travailleur. Ce dernier a été licencié en raison de ces faits. La CrEDH, en composition de Grande Chambre, a finalement reconnu une violation de l’article 8 CEDH par arrêt du 5 septembre 2017. La responsabilité de l’Etat roumain était engagée en raison des manquements de ce dernier à garantir au requérant la jouissance d’un droit consacré par cet article. La CrEDH a arrêté six principes directeurs qui doivent guider les autorités nationales dans l’application de leur obligation de protéger la vie privée des employés dès lors que la protection des données est concernée.
i)L’employé a-t-il été informé de la possibilité que l’employeur prenne des mesures de surveillance de sa correspondance et de ses autres communications ainsi que de la mise en place de telles mesures?
ii)Quels ont été l’étendue de la surveillance opérée par l’employeur et le degré d’intrusion dans la vie privée de l’employé?
iii)L’employeur a-t-il avancé des motifs légitimes pour justifier la surveillance de ces communications et l’accès à leur contenu même?
iv) Aurait-il été possible de mettre en place un système de surveillance reposant sur des moyens et des mesures moins intrusifs que l’accès direct au contenu des communications de l’employé?
v)Quelles ont été les conséquences de la surveillance pour l’employé qui en a fait l’objet?
vi)L’employé s’est-il vu offrir des garanties adéquates, notamment lorsque les mesures de surveillance de l’employeur avaient un caractère intrusif?
On connaît beaucoup d’employeurs, en Suisse, qui auraient intérêt à s’inspirer de ces principes dès lors qu’il s’agit de traiter et de surveiller l’activité de leurs employés sur internet. y
Michel Chavanne, avocat*.
*Spécialiste FSA en droit du travail
1ATF 143 I 403.
2Ibid. c. 5.5.
3Ibid. c. 5.6.4 et 5.6.5.
4Pour une analyse du salaire minimum en Suisse, voir la newsletter en droit du travail de l’Université de Neuchâtel d’octobre 2017, commentaire de Pascal Mahon/Federica Steffanini, pp. 4 à 7.
5Voir Anne Meier, «Risques de précarisation des travailleurs induits par les plateformes», PJA 2018, pp. 302 ss, en particulier 314 et 315.
6TF 4A_300/2017 du 30.1.2018.
7TF 4A_228/2017 du 23.3.2018.
8TF 4A_240/2017 du 14.2.2018.
9TF 4A_92/2017 du 26.6.2017.
10TF 4A_656/2016 du 1.9.2017 et le renvoi aux ATF 133 III 352 c. 6 et 138 III 359 c. 6.2.
11RS 0.822.719.9.
12TF 4A_706/2016 du 4.8.2017.
13Ibid. c. 2.1.
14Voir Mercedes Novier, Le certificat médical dans les relations de travail, in: Les certificats dans les relations de travail (Dunand/Mahon, éd.), Université de Neuchâtel, 2018, pp. 75 à 138.
15Dans ce sens, voir TF 4A_243/2017 du 30.6.2017, c. 3.1.3 et TF 5A_239/2017 du 14.9.2017.
16TF 4A_42/2017, c. 3.3.3., destiné à publication.
17Novier, p. 126.
18TF 4A_42/2017, c. 3.3.3.
19A titre d’exemple, en cas de dépression ou de burn-out, il sera sans doute bon d’obtenir un deuxième certificat d’incapacité de la part d’un psychiatre, en sus de celui délivré par le médecin de famille.
20 TF 4A_177/2017 du 22.6.2017.
21TF 4A_112/2017.
22TF 4A_35/2017 du 31.5.2017.
23TF 4A_127/2017 du 31.1.2018.
24Voir Christine Sattiva Spring, in: Newsletter, avril 2018, de l’Université de Neuchâtel.
25ATF 141 II 411.
26TF 8C_693/2016 du 4.7.2017.
27Voir Christine Sattiva Spring, newsletter de l’Université de Neuchâtel, septembre 2017, et surtout «Au tribunal aussi, l’égalité salariale avance peu», plaidoyer 3/18, pp. 22 ss.
28TF 8C_605/2016 et Christine Sattiva Spring, plaidoyer 3/18 (supra), p. 26.
29Ibid. c. 6.1.
30Ibid. c. 6.2.
31Pour une analyse plus complète de l’arrêt, voir Chrtistine Sattiva Spring, newsletter Université de Neuchâtel, décembre 2017.
32TF 8C_56/2017 du 21.2.2018 destiné à publication.
33TF 8C732/2016 du 26.9.2017.
34TF 8C_800/2016 du 12.12.2017.
35TF 8C_301/2017.
36Ibid. c. 3.
37ATF 143 II 443.
38CrEDH, arrêt de la Grande Chambre no 61496/08 «Barbulescu c. Roumanie», du 5.9.2017.10