Cette sélection, destinée aux praticiens, qu’ils soient avocats, juristes ou conseillers juridiques en entreprise ou dans une collectivité publique, met en évidence la variété et la richesse des problématiques traitées. Cette année, au vu de leur retentissement, nous commençons la présentation de cette sélection par des arrêts portant sur l’application du droit international.
1. Droit international et droit constitutionnel
1.1. Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP)
Les deux arrêts rendus par le TF le 15 janvier 20191 à propos du paiement de salaire en euros, étaient très attendus dans le monde du travail. Le TF allait enfin pouvoir se prononcer sur cette question centrale: est-il possible pour un employeur suisse d’offrir des conditions salariales différentes à ses employés suivant que leur domicile est en Suisse ou dans un pays limitrophe? Aux premiers serait offert un salaire en francs suisses et, aux seconds, un salaire en euros. Dans les deux cas d’espèce, il y avait d’un côté deux travailleurs, à savoir une ressortissante allemande habitant en Allemagne et travaillant dans le canton de Schaffhouse et un ressortissant français établi en France et travaillant dans le canton du Jura; de l’autre côté, les deux employeurs respectifs, tous les deux en proie à des difficultés financières suite aux effets du cours de change après la baisse de l’euro. Nous sommes en 2011-2012: ces deux travailleurs ont accepté, par écrit, et après avoir subi de grosses pressions, des modifications contractuelles de leur rémunération, donnant ainsi leur aval à une diminution de leur salaire en cas de forte de baisse de l’euro. A chaque fois, l’employeur a bien mentionné le fait qu’il état contraint de prendre une telle décision pour des raisons économiques, ne cachant pas que les travailleurs domiciliés en Suisse gardaient, eux, les mêmes conditions de rémunération. Or, en vertu de l’article 4 de l’ALCP2, les travailleurs européens ne doivent pas être discriminés, les discriminations tant directes qu’indirectes étant interdites. Au terme d’une analyse complexe, et pas des plus limpides, le TF est arrivé à la conclusion, dans ces deux situations particulières, que les travailleurs devaient être déboutés de leur action en paiement visant à rétablir l’égalité avec leurs collègues établis sur le territoire suisse. Par cette action, nous dit le TF, ils auraient adopté des comportements contradictoires en revenant, en quelque sorte, sur leurs engagements écrits respectifs pris quelques années plus tôt. En deux mots: ces travailleurs sont de mauvaise foi. Ces deux décisions, prises à trois juges contre deux, laissent un goût amer3. Le TF avait l’occasion de trancher des questions de fond, mais il a préféré, avec la plus infime des majorités, ne pas le faire4.
1.2. Liberté syndicale (28 Cst. féd.)
Deux affaires portant sur le droit de grève ont été traitées par le TF au cours des derniers mois.
La première5, une affaire fribourgeoise, faisait suite à l’adoption, le 17 novembre 2017 par le Grand Conseil fribourgeois, d’une modification de la LPers/Fr dont l’art. 7 avait la teneur suivante: «La grève est interdite pour les catégories du personnel suivantes: policiers et policières, agents et agentes de détention et personnel de soins.» Saisi d’un recours de droit public, notamment par deux infirmières, le TF a rappelé qu’il avait considéré, il y a quelques années, qu’une grève ne saurait paralyser le service public dans certains domaines essentiels sous l’angle de l’intérêt public6. S’agissant du personnel médical, le TF a affiné son analyse7: il est d’avis que la LPers/Fr contient déjà de nombreuses restrictions à la grève dans le domaine de la santé et qu’il ne serait par conséquent «pas dans la logique de ces dispositions» d’interdire purement et simplement la grève à une catégorie de personnel aussi large que le «personnel de soins». Cette interdiction n’est ainsi pas dans un «rapport raisonnable» avec le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public. La portée de l’atteinte se révèle ainsi non conforme aux exigences constitutionnelles, puisque deux articles de la loi permettent déjà d’assurer, même en cas de grève, les services essentiels à la sauvegarde de la santé publique. L’art. 7 LPers/Fr doit par conséquent être partiellement annulé, en a conclu le TF.
Dans un second arrêt portant sur le droit de grève, le TF a examiné8 une demande en paiement de 20 travailleurs de l’Hôpital de La Providence à Neuchâtel qui avaient été licenciés avec effet immédiat en février 2013. Les travailleurs considéraient qu’il n’y avait pas de «justes motifs» au sens de l’art. 337 CO et qu’ils avaient par conséquent droit à des montants déterminés en vertu de l’art. 337c al. 1 et al. 3, ainsi qu’à 3000 fr. à titre de tort moral. Le juste motif de licenciement invoqué par l’employeur étant une «grève illicite», les tribunaux civils ont dû examiner le caractère licite ou illicite de la grève menée. L’arrêt rendu, tout en confirmant de manière globale la jurisprudence en matière de droit de grève, mérite l’attention, en particulier à propos des développements relatifs à la proportionnalité de la grève. S’appuyant sur les constatations de l’arrêt cantonal (mais sans les nommer clairement), le TF considère que, à partir du 23 janvier 2013 au moins, les grévistes faisaient valoir une revendication politique (au sens large), et ne visaient plus des objectifs en relation avec la personne du repreneur de l’hôpital. Il faut en effet savoir que, à partir du 23 janvier 2013, l’employeur avait fait une concession et s’était engagé à respecter la CCT jusqu’au 31 décembre 2013. Les grévistes maintenaient cependant la grève dans le but d’obtenir une prolongation illimitée de la CCT. Aussi, à partir du 23 janvier 2013, le TF considère que la grève n’était plus proportionnée et qu’il était du devoir des grévistes de cesser la grève, et d’accepter des négociations, ou d’«aller à Canossa» comme le jugent certains9. A cette occasion, le TF a rappelé sa jurisprudence10 et réaffirmé le fait que, si une grève est illicite, cela ne signifie pas encore automatiquement que les travailleurs qui y ont participé puissent être licenciés avec effet immédiat. Dans le cas d’espèce, l’employeur avait pris la précaution d’avertir préalablement les grévistes et même de mener des entretiens individuels avec les employés, assistés de leur avocat.
2. Droit privé
2.1. Définition du contrat de travail (art. 319 CO)
Même les musiciens le savent: la musique n’adoucit pas toujours les mœurs! Le TF a dû traiter11 de la rupture du contrat liant une association valaisanne avec son directeur artistique, qui prenait aussi part, en tant que soliste ou chef d’orchestre, à quatre concerts par an. Un tel contrat doit être qualifié de contrat mixte ou composé soumis aux règles du contrat d’entreprise et au contrat de mandat, en tous cas vu les circonstances du cas présent. Vu que le volet principal du contrat concerne ce contrat de mandat, et qu’il s’agit même là de son centre de gravité, c’est en vertu des règles sur le mandat que le contrat pourra être résilié dans son ensemble.
2.2. Diligence et fidélité à observer (321a CO)
En Suisse, 19,3% des personnes qui exerçaient une activité professionnelle en 2017 ont quitté leur poste de travail en l’espace d’un an12. Inévitablement, la sauvegarde des intérêts légitimes de l’employeur, et son corollaire, le devoir de fidélité et de loyauté, vont poser problème. Il est fréquent que ces changements d’employeurs donnent naissance à des disputes13. Le TF a examiné ces questions14 dans le monde bancaire, un monde très sensible sur ces thèmes, et cela en lien avec des sollicitations de clientèle effectuées par un ancien employé d’une banque genevoise. Le cas était le suivant: le lendemain de la fin de son contrat, un ancien collaborateur contacte ses anciens clients, les remercie de la bonne collaboration accordée au cours des années de travail chez son ancien employeur et leur indique qu’il a commencé son travail dans une autre banque concurrente. Non seulement, il nomme cette dernière, mais il mentionne, en plus, qu’il va reprendre contact avec eux, tout en joignant, annexé, un modèle de courrier par lequel les clients de la banque pouvaient solliciter le transfert de leurs avoirs chez le nouvel employeur. Sans surprise, le TF précise que l’ancien employé ne pouvait pas se voir reprocher une violation de l’art. 321c CO, puisqu’il a agi après la fin des rapports de travail. Lorsque la prestation fournie se caractérise surtout par les capacités personnelles de l’employé (comme avec un avocat ou un médecin), et bien, nous fait comprendre le TF, l’ancien employeur doit souffrir que ses clients puissent être recontactés de manière très directe par ses anciens employés dès la fin des rapports contractuels de travail. Même la clause de non-concurrence ne pourra être d’aucun secours à l’employeur15 dans de telles circonstances.
2.3. Heures de travail supplémentaires (321c CO)
C’est un grand sujet de polémique au terme des contrats de travail: les employés exigent des remboursements d’heures supplémentaires qui dépassent très souvent ce que les employeurs sont prêts à accorder. La situation est souvent nébuleuse: le travailleur n’a pas de moyens de preuve pouvant facilement emporter la conviction du juge. De plus, ce dernier a souvent des difficultés à déterminer si l’employeur savait ou devait savoir que l’employé avait effectué des heures supplémentaires. Voilà plusieurs années que le TF a, dans ce domaine, une approche plutôt protectrice. Il a rappelé ses raisonnements dans deux décisions qui ont valeur pédagogique.
Dans la première décision16, le TF met en évidence le fait que l’employé a gardé le silence au cours de son emploi et n’a pas formellement annoncé les heures supplémentaires avant la fin de son contrat. Ce silence, nous dit le TF, ne peut toutefois pas être retenu contre l’employé. En effet, lorsque ce dernier peut de bonne foi admettre que ses heures supplémentaires étaient approuvées, il reste de bonne foi en exigeant leur rétribution après son licenciement, et n’avait nullement à en communiquer plus tôt le nombre exact à son employeur.
La seconde décision tempère quelque peu la première: le TF rappelle que la tardivité de l’annonce par le travailleur des heures de travail supplémentaire pourrait avoir pour conséquence la déchéance de ses droits: «Il est bien clair qu’elle [la travailleuse] ne pouvait pas attendre sept ans pour une telle annonce, après avoir accepté chaque mois, durant cette longue période, le paiement de son salaire sans jamais faire état des heures supplémentaires exécutées.»17 On peut toutefois comprendre la position du TF
lorsqu’on apprend que cette assistante dans le domaine immobilier alléguait… 7000 heures supplémentaires, ce qui correspondrait à deux ans et demi d’activité professionnelle à un taux d’activité de 100%.
2.4. Gratification (322d CO)
En ce qui concerne les gratifications, la jurisprudence se stabilise18 après plusieurs décisions définissant notamment les contours de l’accessoriété, et cela même si les principes développés sont si compliqués qu’ils semblent échapper à une bonne compréhension de nombreux acteurs de la justice, de l’aveu du TF lui-même19.
Pour déterminer le droit à une gratification, le TF ne perd cependant pas de vue qu’il faut aussi tenir compte du droit à l’égalité de traitement. A cet égard, un arrêt du TF apporte une clarification bienvenue: pour faire valoir le droit à l’égalité de traitement avec ses collègues, un employé n’a pas à avoir été subjectivement «blessé» par les non- versements20. Le constat de l’inégalité de traitement est suffisant en tant que tel. Cette précision est bienvenue: le droit à l’égalité de traitement ne peut pas dépendre du sentiment subjectif de celui qui en est victime.
2.5. Protection de la personnalité du travailleur (328 CO)
Personne ne semble contester aujourd’hui le fait que les remarques et les commentaires grossiers ou embarrassants peuvent entrer dans la définition du harcèlement sexuel. Mais où doit-on fixer la limite? Cet exercice est d’autant plus périlleux que, dans la vie de tous les jours, des termes utilisés par les uns et les autres, parfois d’une façon familière, ont des portées différentes suivant les personnes concernées et les circonstances dans lesquelles ils ont été prononcés. Aussi, on pourra gloser presque à l’infini sur le qualificatif de «Mistinguett» dont une travailleuse s’est trouvée affublée à une reprise par un directeur commercial d’une entreprise active dans le commerce du sucre21. Le TF a été saisi, et il a même fait du zèle: il a consulté des dictionnaires, a fait des recherches sur Mistinguett (danseuse cabarettiste de la Belle Epoque), pour savoir qui elle était vraiment et, surtout, ce qu’elle pouvait représenter à l’époque. Il en est arrivé à la conclusion qu’une telle comparaison, faite aujourd’hui à une seule reprise, ne s’apparentait pas à du harcèlement sexuel. A notre avis, c’est une question de bon sens: il faut bien considérer que, aujourd’hui, il n’y a qu’une infime minorité de personnes qui savent précisément qui était Mistinguett et quel est le sens précis qui pourrait éventuellement être donné à ce surnom. Il est heureux que le TF a tranché de la sorte. En effet, dans le cas contraire, il aurait ouvert la voie, nous en sommes convaincu, à une police du langage tout simplement pas réaliste.
Cela dit, les employeurs restent bien inspirés de donner des instructions claires en vue du respect des uns et des autres dans le cadre du travail et, le cas échéant, de sermonner ceux qui ont des paroles dégradantes à l’égard de leurs subordonnés ou leurs collègues. En effet, si ces actions préventives, ou même «punitives» qui découlent de l’art. 328 CO ne sont pas prises, l’employeur pourra se le voir reprocher par la suite. Ainsi, comme le rappelle le TF, une résiliation peut être qualifiée d’abusive lorsque l’employeur résilie du fait de sa propre violation du devoir imposé par l’art. 328 CO: c’est à lui de prendre préalablement toutes les mesures que l’on pouvait attendre de sa part pour désamorcer un conflit, avant, éventuellement, de prononcer des licenciements de travailleurs qui pourraient se considérer comme victimes de son inaction22. La morale de l’histoire? Un employeur peu prévenant sera plus facilement puni pour son inaction, sa négligence, en particulier par la condamnation à une indemnité pour licenciement abusif. Ne pas prévenir peut donc coûter cher!
2.6. Protection contre les congés – résiliation abusive (art. 336 ss CO)
Il n’y a pas beaucoup de décisions du TF qui donnent leur blanc-seing au versement d’une indemnité de six mois, à savoir le maximum légal, en cas de licenciement abusif (voir art. 336a al. 2 CO)23. Ce fut le cas pourtant dans une affaire récente24: une direction d’EMS avait licencié une infirmière au prétexte qu’elle aurait eu un conflit d’intérêts entre son travail au sein de l’EMS et le contrat de représentation thérapeutique en faveur de sa tante, résidante du même EMS. Au vu des circonstances (employée âgée de 57 ans, vingt-deux ans d’ancienneté, au bénéfice d’excellentes évaluations, licenciement intervenu onze mois avant l’ouverture du droit à une retraite anticipée), le TF a avalisé une indemnité de six mois. En sus de la mauvaise foi de l’employeur dans le cadre de ce licenciement, le TF a aussi rappelé qu’il protège de manière accrue les travailleurs âgés au bénéfice d’une grande ancienneté25.
2.7. Résiliation immédiate – conditions – justes motifs (art. 337 CO)
On ne cesse de le rappeler chaque année dans le cadre de la présente rubrique: la jurisprudence concernant les licenciements avec effet immédiat offre un florilège de situations et de décisions cocasses, ou tragiques. Cette année n’a pas échappé à la règle.
Le premier arrêt concerne un cas de harcèlement au travail26 où nos yeux ont de la peine à croire la description qui nous est faite du supérieur hiérarchique d’une apprentie. Le licenciement avec effet immédiat de ce chef de cuisine a été considéré comme justifié, parce qu’il a pincé son apprentie, mis ses mains sur ses fesses et sur ses hanches, mordu son cou, appliqué des spatules chaudes sur sa peau, lui a demandé de se mettre sous le bureau, lui a proposé de partir en voyage pour tester leur compatibilité sexuelle, lui a demandé de se mettre à quatre pattes et l’a appelée parfois «petite chérie» ou «petite cochonne» en cuisine; il lui donnait également des bisous et lui faisait des caresses sur la joue! Au vu de l’entier de ces éléments, on reste coi! Un licenciement avec effet immédiat ne souffre évidemment pas la moindre critique, ni la plus infime des réserves: de tels comportements doivent être sanctionnés par un employeur, et cela même s’il n’avait préalablement pas pris les mesures, pourtant commandées par les circonstances, en vue de protéger la victime. On est bien loin du cas de Mistinguett27…
La deuxième affaire qui a retenu l’attention est celle relative au calcul d’une indemnité fondée sur l’art. 337c al. 3 CO en cas de licenciement injustifié. Le TF a mis les points sur les «i» en ce qui concerne le montant des indemnités à verser en cas de situation avantageuse de l’employé: le juge ne saurait en effet d’emblée inférer d’une telle situation la nécessité de réduire l’indemnité qui est due en vertu de l’art. 337c al. 3 CO. En d’autres termes, la jurisprudence relative aux bonus n’a qu’un effet indirect sur le calcul de l’indemnité pour licenciement injustifié: le montant de cette indemnité est calculé en fonction de l’entier des critères posés à l’art. 337c al. 3 CO, en partant du salaire du travailleur qui, lui, dépendra de l’éventuelle requalification de la gratification facultative (ou du bonus) dont aurait bénéficié l’employé28. Voilà une précision méthodologique qui ne peut qu’être approuvée, notamment au regard du texte de l’art. 337c al. 3 CO.
2.8. Impossibilité de renoncer et prescription (art. 341 CO)
Il est fréquent que, au terme des relations de travail, employeur et employé signent une convention de fin de rapports de travail, et souvent avec une clause mentionnant qu’elle vaut pour solde de tout compte.
Et pourtant, le CO prévoit en son art. 341 al. 1, et cela même certains spécialistes l’ignorent encore, que le travailleur ne peut pas renoncer, pendant la durée du contrat et durant le mois qui suit la fin de celui-ci, aux créances résultant de dispositions impératives de la loi ou d’une convention. Cette disposition n’interdit certes pas des accords transactionnels impliquant des concessions réciproques par chaque partie, mais il vaut mieux y prêter attention. La situation se complique singulièrement lorsque cette convention de résiliation comporte une clause de renonciation à agir en justice: pour le TF, toute clause par laquelle le travailleur renonce au droit de faire contrôler judiciairement la validité de la convention au regard de l’art. 341 al. 1 CO est évidemment nulle29. Dans ce cas d’espèce, le TF accepte finalement le versement partiel d’une peine conventionnelle de plus d’un million de dollars en faveur d’un employeur. Cet arrêt, complexe et compliqué, est déroutant à plus d’un égard30: le praticien aura sans doute de la peine d’en tirer une certaine prévisibilité quant au caractère acceptable des transactions passées entre employeur et employé. Dommage, car il y a un véritable besoin en la matière.
C’est toutefois un autre arrêt du TF, publié à son Recueil officiel31, qui retient surtout l’attention à propos de l’art. 341 CO. A cette occasion, notre Haute Cour a confirmé, et même renforcé, sa jurisprudence32 en ce qui concerne l’arbitrabilité des conflits de droit du travail. Le TF a nié le caractère librement arbitrable des prétentions issues des dispositions impératives ou semi-impératives selon les art. 361 et 362 CO. Cela signifie que les créances protégées par l’art. 341 al. 1 CO ne peuvent faire l’objet d’une convention d’arbitrage qu’après le mois suivant la fin des rapports de travail. Le TF considère, à juste titre, que le besoin de protection du travailleur doit être pris en compte non seulement par le droit matériel, mais également sur le plan procédural. Dans le cas d’espèce, qui oppose un entraîneur, ancien joueur de football du FC Bâle, à un club de première ligue de la région bâloise, le TF va même plus loin que dans le passé: il considère que l’entier du litige opposant les parties doit être tranché par un tribunal étatique, même si seules certaines prétentions étaient visées par l’art. 341 CO. En effet, selon le TF, on ne peut hypothétiquement considérer que les parties auraient accepté de scinder leurs prétentions respectives en deux procédures différentes suivant qu’il s’agit, ou pas, de créances résultant de dispositions impératives de la loi33.
Toujours en application de l’art. 341 CO, le TF a rapporté qu’il ne voyait pas quel obstacle pourrait empêcher qu’un plan social conclu avec la délégation du personnel subordonne le versement d’une indemnité de départ à la condition que les employés qui bénéficient de ce plan social signent une quittance pour solde de tout compte, sous réserve bien entendu des créances résultant de dispositions impératives de la loi ou d’une convention collective, auxquelles le travailleur ne peut pas renoncer selon l’art. 341 al. 1 CO34. Cette décision, certes non surprenante, apporte une clarification bienvenue dans le cadre de la négociation de plans sociaux.
3. Procédure civile – for de l’action en justice (34 CPC)
Le TF a rendu en matière de procédure civile une décision particulièrement intéressante. Elle concernait un travailleur valaisan engagé par une entreprise ayant son siège dans le canton de Zurich, avec des succursales dans les cantons de Lucerne, de Fribourg et de Saint-Gall. Le travailleur était domicilié à Conthey et avait été engagé en qualité de représentant d’abord régional, puis en tant que responsable pour le canton du Valais. Il a ouvert, au terme du contrat, action en Valais, la défenderesse invoquant alors l’exception d’incompétence (art. 34 CPC), parce que le for de l’action se trouverait à Zurich. Il ressort de l’arrêt que l’auteur était occupé dans plusieurs lieux en Valais, qu’il effectuait environ 20% des tâches administratives à son domicile à Conthey. Dans cette affaire, le TF se montre sensible au fait que le for du lieu habituel de l’activité convenue «répond à un but de protection du travailleur à titre de partie socialement la plus faible». Au terme d’un raisonnement très complet, le TF en conclut que rien ne justifie que le demandeur soit contraint d’ouvrir action dans le canton de Zurich, ou de renoncer à l’action, alors que son activité se pratiquait exclusivement en Valais. Aussi, le TF reconnaît la compétence du Tribunal des districts d’Hérens et de Conthey.
4. Fonction publique
4.1. Art. 330a al. 1 CO en liaison avec l’art. 6 al. 2 LPers; certificat de travail
En septembre de l’année dernière, le TF, par sa 1re Cour de droit social, a rendu une décision qui risque de faire quelques vagues35. Le cas concerne une greffière du Tribunal administratif fédéral engagée à partir du 1er mars 2014. Elle a été absente au travail du 30 avril au 1er octobre 2014, puis du 2 juillet au 31 août 2015, puis enfin du 12 novembre 2015 jusqu’au terme de son contrat. Le 26 avril 2016, son employeur lui indiqua qu’il considérait qu’elle ne prétendait qu’à une incapacité de travail situationnelle. Il mit par conséquent cette greffière en demeure de venir travailler sous menace d’un licenciement avec effet immédiat. Comme elle ne revint pas au travail, elle fut licenciée avec effet immédiat le 25 mai 2016. Ainsi, alors que son contrat a duré 27 mois, elle a été en incapacité de travail durant 16 mois, à savoir durant environ 60% de la période contractuelle. Conformément à sa jurisprudence, le TF a rappelé que, lorsque la durée des absences a un poids appréciable par rapport à celle des rapports de travail, elles doivent être mentionnées dans le certificat de travail. On peut encore comprendre ce point de vue s’il est appliqué en procédant à une balance des principes de bienveillance, de véracité et de complétude. Il ne demeure pas moins que, à ce stade déjà le certificat de travail peut avoir un caractère fortement pénalisant pour le travailleur à la recherche d’un travail. On ne suit toutefois plus le TF lorsqu’il affirme que les interruptions de travail commanderaient de mentionner également les motifs de l’absence (maladie, congé de maternité)36. Pour un arrêt de principe, le TF a semble-t-il surréagit: l’employée en question avait clairement violé son obligation de loyauté et de fidélité en se présentant aux examens du brevet d’avocat, alors qu’elle s’était annoncée en maladie et le TF n’hésite pas à la sanctionner, du moins indirectement, en autorisant la mention des motifs d’absence. Une telle mention va, à nos yeux, à l’encontre de la protection de la personnalité et des données dont bénéficiait cette employée37. On peut craindre qu’une telle jurisprudence soit appliquée à d’autres situations comparables.
4.2. Sanctions administratives (art. 9 et 16 Cst., LPol/GE)
Le TF a très opportunément rappelé38 à un policier genevois que sa dégradation de fonctionnaire de gendarmerie était licite suite à la publication, par ses soins, de billets attaquant personnellement des magistrats et un parti politique. Ce policier assimilait le comportement d’une section du Parti socialiste au Parti national-socialiste d’Adolf Hitler. Le fait que le policier exerce un mandat de député, comme l’y autorise la loi genevoise, n’est en rien le blanc-seing qui lui permettrait de porter gravement atteinte à l’honneur d’autrui. y
*Spécialiste FSA en droit du travail
1 TF 4A_215/2017 et 4A_230/2018 du 15 janvier 2019.
2 Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (RS 0.142.112.681).
3 Lire aussi Kathrin Alder, «Bundesgericht: Arbeitgeber können aufatmen: Die Forderungen von Grenzgängern nach Lohnnachzahlungen sind rechtsmissbräuchlich», in: NZZ du 12 16.1.2019, p. 16 (extrait de http://www.swisslex.ch le 11 juin 2019).
4 Lire Aurélien Witzig, «L’introuvable effet direct du principe de non-discrimination des travailleurs européens; note sur l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_230/2018», Newsletter Droitdutravail.ch, avril 2019 et Kurt Pärli, Eurolohn: Berufung auf das Diskrimierungsverbot ist rechtmissbräuchlich, in: Jusletter, 20 mai 2019.
5 ATF 144 I 306.
6 Voir l’arrêt 2P.328/1992 du 23 mars 1995, c. 4a, qui traite d’une affaire genevoise.
7 ATF 144 I 306 c. 4
8 TF 4A_64/2018 du 17 décembre 2018.
9 Voir par exemple Giuseppe Donatiello, Sans liberté, où est le droit de grève constitutionnellement garanti? Ou Du glissement de l’exigence de nécessité à l’exigence de proportionnalité au sens étroit; analyse de l’arrêt 4A_64/2018, Newsletter Droitdutravail.ch, mars 2019; lire aussi Jean-Fritz Stöckli, Unrechtmässiger Streik, gerechtfertige fristlose Entlassungen, in: ARV/DAT, 2019, pp. 35 à 37.
10 TF 4A_64/2018 c. 6.2.
11 TF 4A_129/2017 du 11 juin 2018.
12 Voir les statistiques de l’Office fédéral de la statistique sur https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/travail-remuneration/activite-professionnelle-temps-travail/actifs-occupes/mobilite-professionnelle.html (consultée le 30 mai 2019).
13 Lire Angela Hensch, Der Stellenwechsel, eine Quelle von Ärgernissen, in: ARV/DTA, 2019, pp . 1-23.
14 TF 4A_116/2018 du 28 mars 2019.
15 Ibid. c. 4.1.
16 TF 4A_28/2018 du 12 septembre 2018.
17 TF 4A_184/2018 du 28 février 2019.
18 Dans ce sens, voir Rémy Wyler, Chronique de droit du travail, in: JdT 2017 II 236».
19 Voir TF4A_463/2017, c. 3: le TF rappelle ces principes dès lors que «ni les parties ni la Cour cantonale ne semblent les avoir bien compris».
20 TF 4A_651/2117 du 4 avril 2018, en particulier le considérant 3.6.2.
21 TF 4A_166/2018.
22 TF 4A_166/2018 du 20 mars 2019 c.3.2.
23 Voir par exemple Streiff/von Känel/Rudolf, in: Arbeitsvertag, Praxiskommentar zu Art. 319-362 OR), 7. Auflage, 2012, ad art. 336a CO, No 4, pp. 1049-1054.
24 TF 4A_485/2017 du 25 juillet 2018.
25 ATF 132 III 115 = JdT 2006 I 152, TF 4A_419/2007 du 29 janvier 2008, TF 4A_558/2012 du 18 février 2013, TF 4A_384/2014 du 12 novembre 2014.
26 TF 4A_105/2018 du 10 octobre 2018.
27 Voir supra la présentation et la critique de l’arrêt TF 4A_166/2018.
28 TF 4A_173/2018 du 29 janvier 2019.
29 TF 4A_13/2018 - 4A_17/2018 du 10 octobre 2018 c. 5.1.
30 Voir par exemple Aurélien Witzig, Tentative de rationalisation de la transaction en droit du travail – Commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_13/2018, Newsletter Droitdutravail.ch, décembre 2018.
31 ATF 144 III 235 = JdT 2018 II 323.
32 Voir en particulier l’ATF 136 III 476, rendu peu avant l’entrée en vigueur du code de procédure civile (CPC).
33 ATF 144 III 235 = JdT 2018 II 323 c. 2.3.4.
34 TF 4A_74/2018 du 28 juin 2018.
35 ATF 144 II 345.
36 ATF 144 II 345 c. 5.3.
37 Lire Françoise Martin Antipas, La mention des absences et de leur cause dans le certificat de travail, le cas de la grossesse et de la maternité – Commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_134/2018, Newsletter Droitdutravail.ch, octobre 2018.
38 TF 8C_252/2018 du 29 janvier 2019.