Droit privé
1.1 Art. 319 CO et 320 CO – Qualification du contrat de travail
Le contrat de travail se définit par la mise à disposition par le travailleur de sa force de travail au service de l’employeur, dans un rapport de subordination et moyennant une rémunération. Le Tribunal fédéral s’est dernièrement penché sur la qualification et la délimitation du contrat de travail dans deux arrêts.
Dans une première décision, il s’agissait de déterminer si un contrat de stage relevait, ou non, d’un contrat de travail et devait ainsi donner lieu à une rémunération. En l’espèce, la demanderesse prétendait qu’en ayant été engagée comme stagiaire comptable durant plus d’une année, elle avait droit à une rémunération. Le Tribunal fédéral, confirmant ainsi les décisions rendues dans le cas d’espèce par les instances cantonales, a estimé que la volonté des parties consistait à conclure un contrat de stage non rémunéré.
En second lieu, le Tribunal fédéral a examiné si la conclusion d’un contrat de stage non rémunéré était conforme à l’art. 320 al. 2 CO, prescrivant qu’un contrat de travail est conclu «lorsque l’employeur accepte pour un temps donné l’exécution d’un travail qui, d’après les circonstances, ne doit être fourni que contre un salaire». Ainsi, la liberté des parties de prévoir la gratuité d’un contrat de stage est limitée par l’art. 320 al. 2 CO.
Quels sont les éléments qui permettent d’exclure qu’un contrat de stage entre dans la qualification d’un contrat de travail donnant lieu à une rémunération? Il s’agit de l’intérêt prépondérant du stagiaire à acquérir une expérience pratique, de développer ses connaissances ou d’augmenter ses chances d’être engagé ultérieurement. En revanche, lorsque le maître de stage a un intérêt objectif à la prestation fournie par le stagiaire, le stage relève du contrat de travail et doit être rémunéré. En l’espèce, et au vu de l’intérêt prépondérant du stagiaire à l’acquisition de connaissances, le Tribunal fédéral a nié l’existence d’un contrat de travail, et ce nonobstant une durée de stage de près de 14 mois.
Dans un autre arrêt, la question qui se posait était celle de la qualification du contrat liant un parent d’accueil de jour d’enfants avec l’association gérant les attributions des gardes et les parents. Le Tribunal fédéral a rappelé la jurisprudence bien établie fixant les critères permettant de distinguer le contrat de travail des autres contrats de service, à savoir si la personne concernée se trouve dans une relation de subordination qui place le travailleur dans la dépendance de l’employeur sous l’angle temporel, spatial et hiérarchique.
Notre Haute Cour a encore précisé qu’un des critères permettant de démontrer un rapport de subordination est la dépendance économique du travailleur, soit le fait de savoir si, en se liant par contrat, l’employé a abdiqué son pouvoir de disposition sur sa force de travail, car il ne peut plus participer au résultat économique de sa force de travail ainsi investie, au-delà de la rémunération qu’il reçoit à titre de contre-prestation.
Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a retenu que le parent d’accueil de jour d’enfants se trouvait dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de l’association organisant le réseau de garde, en particulier eu égard à l’obligation d’exclusivité prévue dans le contrat.
Tout comme dans les récents arrêts concernant les travailleurs de plateforme de service, la dépendance économique dans laquelle se trouvait le travailleur a été un élément important dans l’équation pour retenir une qualification de contrat de travail.
1.2 Art. 328 CO – Protection de la personnalité
Les praticiens l’ont constaté: les enquêtes internes au sein des organisations et des entreprises sont de plus en plus fréquentes, cela alors que le cadre juridique applicable à celles-là est encore fort mal défini. Une enquête interne dans une banque zurichoise a offert l’occasion au Tribunal fédéral de fixer quelques principes dans un arrêt qui a déjà eu un bel écho. Une application des garanties de la procédure pénale aux enquêtes internes diligentées par l’employeur lui-même ou des mandataires externes a été écartée par notre Haute Cour.
On ne peut en effet comparer le contexte d’une procédure pénale et celui d’une enquête interne concernant deux parties à un contrat. Il en découle que si un employé devait être licencié au terme d’une enquête interne réalisée avec sérieux, l’employeur aura respecté les injonctions de l’art. 328 al. 2 CO. Cela a pour conséquence que le licenciement prononcé sur la base des éléments recueillis au cours de l’enquête interne ne sera pas reconnu comme abusif, à condition que l’employeur ait recherché des clarifications suffisantes avant de prononcer le licenciement.
Dit sous une autre forme: si, au terme d’une procédure pénale, l’employé devait être blanchi des soupçons qui pesaient sur lui, le licenciement ne serait pas forcément abusif, pour autant justement que l’employeur ait procédé à une enquête sérieuse et approfondie.
Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a aussi mis en évidence le fait que le travailleur doit user de la possibilité qui lui est offerte dans le cadre de l’enquête interne de se préparer à l’entretien et de trouver ou de présenter des éléments à sa décharge, faute de quoi il ne pourra plus se prévaloir par la suite d’une violation du droit d’être entendu. Tout donne à penser que les principes dégagés de cet arrêt feront autorité pour les années à venir.
1.3 Art. 336 ss. CO – Licenciement abusif
Au cours des derniers mois, le Tribunal fédéral a traité de nombreuses affaires portant sur le caractère abusif, ou non, d’un licenciement.
Dans un arrêt concernant un assureur actif dans le domaine de la santé, un employé a été licencié pour avoir proposé, dans le cadre d’un recrutement, des conditions contractuelles à une nouvelle agente qui auraient été défavorables à l’employeur sur le plan économique, puisqu’elles exposaient ce dernier à verser une rémunération plus élevée pour la même production d’affaires, ce dont l’employé-recruteur aurait eu conscience.
Ce manquement au devoir de fidélité, au demeurant non relevant pénalement, est un fait relativement lourd à mettre au passif de l’employé-recruteur. Par conséquent, même si la manière dont le licenciement a été prononcé est qualifiée de discourtoise, les juges de Mon-Repos en ont conclu que l’employeur n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation. En tous les cas, le fait que l’employeur n’avait pas permis à l’employé-recruteur de s’expliquer avant que le congé lui soit notifié ne permet pas non plus de conclure au licenciement abusif.
Un licenciement prononcé parce que l’employeur a de forts soupçons qu’une infraction pénale a été commise à son détriment sera-t-il qualifié d’abusif par la suite en cas d’acquittement? C’est la question qui s’est posée à la suite du licenciement d’une préparatrice en pharmacie. Au terme d’une première enquête, cette employée a été soupçonnée de différentes opérations anormales sur certains rapports de caisse.
Avec le concours de la pharmacienne responsable, l’employeur a mené une enquête relativement fouillée, reprenant chacune des écritures douteuses pour une période comprise entre janvier 2019 et juin 2020 et en avait conclu qu’il était fort probable que l’assistante était responsable d’opérations litigieuses. À cette occasion, le Tribunal fédéral a rappelé qu’une résiliation ordinaire n’est pas abusive du seul fait qu’en définitive l’accusation élevée contre le travailleur se révèle infondée ou n’est pas confirmée. Il n’y aurait abus que si l’employeur accuse le travailleur avec légèreté ou sans justification raisonnable.
Dans le cas d’espèce, la Cour cantonale a considéré que l’employeur avait entrepris les vérifications que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui. Ainsi, prononcer un licenciement sur la base d’indices suffisants recueillis à l’occasion d’une enquête sérieuse empêchera l’employé de se prévaloir d’un licenciement abusif.
La question de la protection des femmes de retour au travail après un congé maternité a occupé à plusieurs reprises le Tribunal fédéral ces dernières années. Il en est encore allé ainsi au début 2024 après un licenciement dans une entreprise à Genève, au sein de laquelle une employée est revenue au travail avec un taux d’activité réduit à 80% comme elle le souhaitait. Cette femme s’était retrouvée en incapacité de travail durant six mois lors de sa grossesse, puis avait eu un congé maternité de l’ordre de trois mois et demi et un congé non payé de quatre mois et demi.
En sus du taux d’activité, l’employeuse avait consenti à des aménagements jugés adéquats et favorables à l’employée: il avait été tenu compte de sa situation et de certains de ses besoins, tels que ceux découlant de l’allaitement. Alors que la santé de la travailleuse se dégradait une nouvelle fois, l’employeur a pris l’initiative de mettre un terme aux rapports de travail, sans que les juges fédéraux y voient un licenciement abusif.
Même si peu de conclusions définitives peuvent être tirées de cet arrêt à cause de questions procédurales, force est de constater que notre Haute Cour semble relativement peu sensible à la question des licenciements après maternité et surtout de la nécessité d’offrir de meilleurs aménagements du temps de travail, en particulier lors un retour d’un congé maternité ou quelques semaines plus tard.
La question des congés-modifications ne fait, quant à son principe, plus l’objet de débats au sein de notre ordre juridique. L’employeur peut recourir à ce processus s’il respecte les délais de résiliation et peut se fonder sur des motifs économiques liés à l’exploitation de l’entreprise ou aux conditions du marché. Dans de telles circonstances, un licenciement ne sera pas qualifié d’abusif au regard des art. 336 ss. CO. Dans un arrêt concernant une affaire neuchâteloise, notre Haute Cour a pris soin d’encore préciser que l’annonce du congé-modification doit intervenir de manière non brutale, sans malveillance et sans humiliation à l’égard de l’employé concerné.
À la suite d’une surcharge de travail pour un poste occupé à 100%, l’employé s’est vu proposer un contrat avec un taux de 80% au motif que l’employeur avait décidé de renforcer son poste avec une deuxième personne à 80%. Par conséquent, le licenciement qui s’est ensuivi, motivé par le fait que l’employé a refusé une diminution de son taux d’activité, n’était pas abusif.
En cas de maladie persistante, dans quelle mesure est-ce que le licenciement d’un employé malade est-il abusif? Le Tribunal fédéral apporte à cette question une réponse claire concernant un cuisinier vaudois: ce n’est que dans des situations graves qu’une telle résiliation sera qualifiée d’abusive au sens de l’art. 336 al. 1 let. a CO. Tel sera le cas lorsqu’il résulte de manière non équivoque que la maladie du travailleur a été causée par l’employeur, qui aurait par exemple omis de prendre les mesures commandées par l’art. 328 al. 2 CO.
Les juges fédéraux ont ensuite illustré leur propos: le fait qu’un conflit avec un nouveau supérieur hiérarchique puisse entraîner une incapacité de travail ne doit généralement pas être pris en considération pour juger d’un éventuel licenciement abusif. En effet, de l’avis du Tribunal fédéral, de telles situations seraient fréquentes et n’atteindraient pas la plupart du temps le degré de gravité nécessaire pour que l’existence d’un congé abusif puisse être reconnue. De plus, on ne saurait exiger de l’employeur qu’il prenne toutes les mesures envisageables pour éviter un tel conflit. Ainsi, pour qu’un employé malade puisse invoquer un licenciement abusif, il faudra d’abord que celui-ci prouve une violation préalable de l’art. 328 CO de la part de son employeur.
On terminera la présentation des arrêts relatifs au licenciement abusif par l’affaire concernant le licenciement d’un boulanger de 62 ans. Ce dernier avait préalablement été averti à trois reprises pour des questions relatives à la gestion des marchandises, à ses rapports avec ses collègues, ainsi qu’à sa tenue. Après le licenciement, l’employeur a décrit son comportement dans le certificat de travail de manière très positive, voire élogieuse. Le Tribunal fédéral a saisi cette occasion pour dégager quelques principes à propos du licenciement des employés proches de l’âge de la retraite et au bénéfice d’une certaine ancienneté.
Préalablement, il est soutenu qu’un licenciement n’est pas per se abusif dès lors qu’il frappe un employé âgé et bénéficiant d’une grande ancienneté. Il faut traiter chaque cas séparément et, même si l’employé n’a pas été entendu ou n’a pas été averti préalablement du licenciement, il ne faut pas automatiquement en conclure qu’il y aurait un licenciement abusif. Le manque d’égards est certes un élément important à prendre en compte, mais n’est, en tant que tel, pas nécessairement décisif.
Après ces cautèles, il a été noté, dans le cas d’espèce, que l’employeur reconnaissait que l’employé donnait entière satisfaction, s’acquittait de ses tâches avec sérieux, rigueur et ponctualité et qu’il était un excellent professionnel jamais absent de son poste de travail. Relevant de plus que l’employé dont il est ici question avait été malade suite à son licenciement (état dépressif majeur et deux hospitalisations pour le mettre à l’abri d’idéations suicidaires), le Tribunal fédéral a considéré que le remerciement de cet employé sans autre forme d’explication, alors même qu’il était peut-être possible de lui offrir un autre poste au sein de l’entreprise, était dépourvu de toute empathie et devait être qualifié de licenciement abusif.
Les éclaircissements apportés dans ce dernier arrêt sont bienvenus. Les praticiens regretteront toutefois une approche très précautionneuse qui rechigne à poser quelques règles claires en matière de licenciement abusif des travailleurs âgés, lesquelles offriraient une meilleure prévisibilité des décisions judiciaires. Entre prévisibilité de ses décisions et volonté de garder une certaine liberté d’appréciation dans l’examen des cas concrets, le Tribunal fédéral semble donner la priorité à la préservation de sa marge d’appréciation.
1.4 Art. 336c CO – Incapacité de travail situationnelle et protection contre le licenciement
Dans un arrêt rendu certes dans une cause de droit public et en application de la loi sur le personnel de la Confédération, le Tribunal fédéral a tranché une controverse portant sur la portée de la protection contre le licenciement en temps inopportun lorsque l’incapacité de travail est liée au poste. Bien que l’arrêt en question ait été rendu en application de la LPers et de l’OPers, il déploie un effet en droit privé dans la mesure où les dispositions de droit public examinées reprennent les principes dégagés à l’art. 336c CO.
Le TF a été amené à trancher la question de savoir si un employé dont l’incapacité de travail était liée au poste pouvait, ou non, bénéficier de la protection contre le licenciement conférée par l’art. 336c CO. Après avoir rappelé qu’une telle protection n’était pas donnée lorsque l’atteinte à la santé était si insignifiante qu’elle n’empêchait pas d’occuper un nouveau poste de travail, notre Haute Cour s’est demandé dans le cas concret si l’incapacité de travail situationnelle résultait d’un harcèlement psychologique de la part de l’employeur contraire à son obligation de protection de la personnalité du travailleur.
L’instance inférieure, à savoir le Tribunal administratif fédéral, a estimé qu’aucun harcèlement psychologique ne pouvait être imputé à l’employeur et que l’incapacité de travail était intimement liée au poste selon les rapports et les certificats médicaux. Cette appréciation factuelle a été confirmée par le Tribunal fédéral, qui n’a pas retenu une appréciation arbitraire des faits. Fort de ce constat, ce dernier, dans une subsomption très synthétique, a tranché que, dans la mesure où l’«état de santé [de l’employé] était intimement lié à son poste de travail, l’instance précédente pouvait retenir sans violer le droit que la période de protection ne s’appliquait pas».
Cette prise de position amène quelques commentaires de notre part. Elle constitue à n’en pas douter un changement de paradigme extrêmement important en matière de protection des travailleurs contre le congé en cas d’incapacité de travail situationnelle qui a été évoqué par Werner Gloor. Pour notre part, nous relèverons que l’arrêt commenté n’est pas destiné à publication aux ATF et a été rendu dans une composition ordinaire de seulement trois juges. On peut regretter qu’un arrêt qui pourrait avoir une grande portée n’ait pas donné lieu à un examen dans une composition à cinq juges.
Par ailleurs, et afin d’éviter les conséquences de la perte de la protection conférée par l’art. 336c CO, cette jurisprudence incitera les employés à requérir de leur médecin des certificats médicaux attestant d’une incapacité générale de travail et non pas situationnelle. Les médecins devront pour leur part être particulièrement attentifs dans la
manière de rédiger les certificats médicaux. En effet, si une incapacité de travail se révèle être uniquement situationnelle, le médecin attestant d’une incapacité générale de travail prendrait un risque important d’être accusé d’établissement de faux certificat médical (art. 318 CP).
La jurisprudence a notamment déjà eu l’occasion de retenir que remplissaient les conditions de l’infraction de faux certificat médical l’attestation mensongère d’une capacité de travail, le certificat médical antidaté ou encore le certificat médical attestant faussement une incapacité à comparaître en justice.
Les litiges portant sur la nature de l’incapacité de travail (situationnelle ou générale), d’un côté, et la véracité des certificats médicaux, d’un autre côté, risquent fort de s’accroître dans le futur, ce qui n’est pas de nature à renforcer la protection des travailleurs malades.
1.5 Art. 329d CO – Salaire
Devant se prononcer sur la qualification du contrat liant une dentiste à l’hygiéniste dentaire qui exerçait dans son cabinet, le Tribunal fédéral a dans un très bref considérant rappelé qu’une rémunération exclusivement fondée sur des commissions était admissible, y compris en cas de travail à temps partiel, et ne saurait en tant que tel exclure une qualification de contrat de travail à la relation contractuelle. Il faut en revanche s’assurer qu’en procédant de la sorte, l’employé dispose d’une rémunération convenable (application par analogie de l’art. 349a CO relatif au contrat de voyageur de commerce).
Droit public
2.1 Travail forcé et salaires impayés (art. 4 CEDH)
Dans un arrêt publié, le Tribunal fédéral a été amené à trancher la question de savoir si une victime de traite d’êtres humains pouvait ou non obtenir de l’État une réparation pour son préjudice économique (salaires impayés) qui n’avait pas été indemnisé par l’auteur de l’infraction de traite d’êtres humains.
Dans le cadre de son examen, le Tribunal fédéral s’est principalement penché sur l’interprétation de l’art. 19 LAVI pour arriver à la conclusion que seule l’indemnisation du tort moral par l’État entrait en ligne de compte. En réponse à la demande de la victime de reconnaître un élargissement du devoir d’indemnisation de l’État sur la base des engagements internationaux pris par la Suisse – en particulier en application de la CEDH et de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains, notre Haute Cour a estimé qu’il «ne ressort ainsi pas de la jurisprudence de la CourEDH que l’art. 4 CEDH, même interprété à la lumière de l’art. 15 CETEH, prévoie une obligation positive d’instaurer un mécanisme d’indemnisation subsidiaire par l’État des victimes de traite d’êtres humains à hauteur des salaires qu’elles n’auraient pas perçus».
En l’état de la jurisprudence interne, une victime de traite d’êtres humains ne peut dès lors pas prétendre à l’indemnisation subsidiaire de sa perte de salaire par l’État.
Une analyse détaillée de cet arrêt sortirait du cadre de la présente chronique. Nous nous rallions en revanche à la critique sévère de cette jurisprudence qui a été émise par une partie de la doctrine. On notera en particulier que le Tribunal fédéral s’est essentiellement penché sur l’interprétation de l’art. 19 LAVI pour exclure un droit à une indemnisation subsidiaire par l’État de la perte de salaire résultant d’une situation de traite d’êtres humains. Quant à l’examen de la conformité du droit suisse au droit international (art. 4 CEDH et 15 CETEH), celui-ci a été effectué de manière particulière. Le Tribunal fédéral a tout d’abord exclu un droit subjectif fondé sur l’art. 15 CETEH au motif que cette disposition n’est pas self-executing.
En ce qui concerne les obligations découlant de l’art. 4 CEDH, lesquelles sont directement applicables, le Tribunal fédéral a procédé à une interprétation fort restrictive des obligations positives imposées aux États parties en la matière. La CourEDH a en effet déjà eu l’occasion de reconnaître diverses obligations positives émanant de l’art. 4 CEDH prohibant la traite d’êtres humains.
Dans l’affaire Chowdury et autres c. Grèce, la CourEDH avait notamment condamné l’État défendeur à payer le montant des salaires non perçus dans le cas de traite d’êtres humains en raison des violations de ses obligations positives portant sur l’adoption de mesures de prévention et de protection et de garantie à une enquête effective. Pour notre Haute Cour, le fait que la Suisse ait condamné pénalement les responsables de traite exclurait une responsabilité ou une obligation de l’État d’assurer l’indemnisation complète des victimes. Une telle interprétation n’est pas soutenable.
Les obligations positives qui s’imposent en vertu de l’art. 4 CEDH impliquent de garantir une indemnisation effective des victimes de traite d’êtres humains. Par ailleurs, l’absence de caractère self-executing de l’art. 15 CETEH ne saurait exclure de procéder a minima à un contrôle de conformité du droit suisse au droit international. Notre Haute Cour aurait ainsi dû à tout le moins prendre acte d’une violation par la Suisse de ses obligations internationales en la matière au motif de l’absence d’un fonds d’indemnisation des victimes comprenant le dommage lié aux salaires non perçus.
Outre une violation de l’art. 15 CETEH cum 4 CEDH, l’absence de mise en œuvre effective d’un mécanisme garantissant une réelle et complète indemnisation des victimes de traite d’êtres humains contrevient encore à l’art. 4 § 1 du Protocole de 2014 relatif à la Convention sur le travail forcé, 1930, du 11 juin 2014, lequel prévoit que «tout Membre doit veiller à ce que toutes les victimes de travail forcé ou obligatoire […] aient effectivement accès à des mécanismes de recours et de réparation appropriés et efficaces, tels que l’indemnisation». On peine à comprendre comment une telle obligation peut être réalisée si les garanties d’indemnisation conférées par l’art. 19 LAVI se limitent à l’indemnisation du tort moral et des frais médicaux.
On rappellera à cet égard que lorsque, comme en l’espèce, des obligations positives issues de la CEDH ou d’autres instruments du droit international imposent à l’État d’adopter des mesures législatives (i.e. mise en place d’un fonds d’indemnisation), cette obligation s’impose également aux autorités judiciaires qui doivent en contrôler la bonne mise en œuvre.
2.2 Art. 8 Cst. et 3 et 6 LEg
Durant la période analysée, un seul arrêt qui n’est pas destiné à publication a été rendu par le Tribunal fédéral en matière de discrimination salariale fondée sur le sexe dans le cadre d’un contrat de droit privé.
Le TF a tout d’abord rappelé les principes découlant de la LEg, en particulier en ce qui concerne la présomption de discrimination salariale en présence d’éléments permettant de la rendre vraisemblable et de l’allégement du fardeau de la preuve qui en découle.
Dans le cas d’espèce, les instances cantonales avaient nié l’existence d’une discrimination salariale fondée sur le sexe nonobstant le fait que l’employée avait rendu vraisemblable que certains de ses subordonnés hommes avaient une rémunération plus élevée qu’elle au motif que l’employeur a pu apporter une justification à ce différentiel. On relèvera au passage que certains moyens de preuves requis par l’employée, telle la mise en œuvre d’une expertise, ont été rejetés par les instances cantonales.
Cet arrêt poursuit dans une certaine mesure la jurisprudence du Tribunal fédéral, qui ne revoit qu’avec réserve les décisions rendues par les juridictions cantonales. En examinant les autres arrêts rendus par notre Haute Cour ces derniers mois en matière d’égalité salariale, on relève la même réserve dès lors qu’il s’agit de revoir l’examen effectué par les instances cantonales, que l’arrêt ait été rendu en faveur du travailleur ou de l’employeur. Ainsi, et lorsque l’état de fait est déterminant pour l’issue d’un litige, le sort de la cause se joue principalement devant les instances cantonales.
Notes de bas de page voir PDF.