Droit privé
Art. 321c CO cum 9, 12 et 13 LTr – heures supplémentaires
La distinction à opérer entre les heures supplémentaires, dont le traitement est réglé à l’art. 321c CO, et le travail supplémentaire de la LTr est encore rendue plus cruciale au regard du dernier arrêt du Tribunal fédéral en la matière1.
Si un employé fournit régulièrement à l’employeur des décomptes de ses heures de travail, sans chercher à éclaircir la question de la rémunération des heures supplémentaires rapportées, et sans jamais réclamer leur paiement, l’employeur est fondé à comprendre que des augmentations régulières de salaire (env. 10% / an) valent compensation tacite au regard de la règle de l’art. 321c CO.
Ce raisonnement ne vaut cependant pas en cas de travail supplémentaire effectué au-delà du maximum légal de l’art. 9 LTr: la rémunération des heures afférentes au travail supplémentaire doit être indiquée sur les fiches mensuelles de salaire. L’employé ne peut pas être de mauvaise foi en ne réclamant le paiement du travail supplémentaire qu’au terme des rapports de travail. Dans le cas d’espèce, c’est un montant de plus 90 000 francs qu’obtient ce «gros travailleur».
Art. 329d CO – salaire
Durant le temps de travail, il est interdit d’intégrer la part de salaire correspondant aux vacances avec le salaire courant. Le TF a, ces dernières années2, accepté quelques exceptions à ce principe en s’écartant du texte de la loi, mais en soumettant ces exceptions à trois conditions:
• Il doit s’agir d’une activité professionnelle irrégulière, à savoir avec des taux d’activité variables;
• La part destinée aux vacances doit être clairement et expressément exclue du salaire convenu, pour autant qu’il existe un contrat écrit;
• La part de salaire destinée aux vacances (8,33% par exemple) doit être mentionnée dans ce sens sur les différents bulletins de salaire lesquels doivent comprendre des décomptes séparés pour le salaire et les vacances.
Le TF, dans un arrêt publié au Recueil officiel3, apporte des conditions plus strictes pour accepter une telle exception: dans le cas où l’employé travaille à 100% pour le même employeur, il n’y a, avec les outils informatiques à disposition sur le marché, plus de difficultés insurmontables à effectuer un calcul du salaire afférent aux vacances conforme à la loi, et cela même en cas de variations mensuelles.
Par conséquent, en cas d’emploi à plein temps chez le même employeur, une exception au principe de l’art. 329d al. 1 CO en raison de variations mensuelles du salaire est inadmissible. Une autre solution reste de l’avis du TF toujours envisageable: l’indemnité de vacances est mentionnée spécifiquement sur chaque fiche de salaire mensuelle, mais versée uniquement lors de la prise effective des vacances par le travailleur.
Voilà un arrêt de notre plus haute cour qui devrait retenir l’attention de tous les praticiens qui veulent éviter à un employeur de devoir payer les vacances deux fois, et cela même si les autres conditions formelles sont respectées (cf. contrat écrit et fiches de salaires mensuelles explicitant la séparation salaire/vacances).
Article 336 ss. CO – licenciement abusif
Voilà plusieurs années que le TF a rendu des arrêts exprimant la nécessité de respecter l’obligation d’exercer un licenciement avec ménagement et sans mensonges: il faut respecter une certaine bonne foi4.
Ces derniers mois, de multiples recours ont porté sur la question du licenciement abusif et de l’exercice des droits y relatifs dans le cadre judiciaire. Certains d’entre eux méritent notre plus grande attention.
Dans une affaire zurichoise5, l’employeur a licencié son cuisinier 11 mois avant sa retraite, alors qu’ils ont été liés par un contrat de travail pendant une trentaine d’années. Même si les indemnités journalières en cas de maladie allaient bientôt être épuisées, le TF a donné son aval à une indemnité de quatre mois et demi de salaire pour licenciement abusif. Le fait que le travailleur était en capacité de travail au moment du licenciement a joué un rôle.
De manière cohérente avec sa pratique, le TF a rappelé6 qu’il n’y avait pas de devoir d’assistance accru envers le travailleur, âgé de 40 ans et travaillant depuis à peine deux ans et demi dans une entreprise.
Par contre, le TF a jugé7 abrupt le licenciement d’une citoyenne suisse engagée par un État étranger à Genève en qualité de secrétaire pour une mission permanente. À l’âge de 61 ans, elle se fait licencier sans avertissement, alors qu’elle avait consacré l’essentiel de sa vie au service de cet employeur. En première instance, l’État étranger est condamné à verser un montant global comprenant notamment une indemnité pour licenciement abusif. Le TF ne voit pas ce qui aurait dispensé l’employeur d’organiser un entretien préalable et de rechercher d’autres solutions que le licenciement.
En deux mots: le TF confirme sa pratique relative au devoir de protection accru pour les travailleurs âgés ayant une grande ancienneté, même si cette pratique souffre de quelques exceptions8.
Le TF montre aussi de la compréhension pour un travailleur (même très grassement payé!) victime de comportement (gravement?) mensonger de la part de son employeur qui reste totalement passif dans une situation qui méritait pourtant des mesures. Ainsi en est-il allé pour le licenciement d’un CEO d’une entreprise active dans le commerce de céréales9.
Engagé avec un bonus d’entrée de 2,5 millions USD, des actions d’une valeur de 4 millions USD et une garantie de versement de salaire de 6,5 millions USD en cas de résiliation du contrat à durée déterminée de trois ans, ce CEO a obtenu six mois d’indemnité à titre de licenciement abusif. Le TF valide, du bout des lèvres, l’indemnité quant à sa quotité: il constate l’omniprésence peu constructive et permanente de l’administrateur unique dans la marche des affaires et le fait que le CEO a été écarté de certaines réunions.
Ainsi, ce CEO ne s’est vu octroyer ni le temps, ni le cadre et la sérénité nécessaires pour remplir les objectifs visés. Il y avait entrave régulière à son travail, constituant une violation de l’art. 328 CO. De plus, le motif de résiliation était mensonger et l’employeur n’avait rien entrepris pour améliorer la situation. Finalement, la publication du licenciement dans la presse spécialisée, qui laissera l’employé sans emploi durant une longue période, emporte la conviction: il y a, pour le TF, un licenciement abusif.
Sans surprise, licencier de façon cavalière n’est pas recommandé. Toutefois, dans la mesure où la manière de licencier n’est pas méprisante, un licenciement prononcé même après dix ans d’ancienneté ne sera pas en soi abusif10, surtout si l’employeur s’est donné de la peine dans la gestion de cette situation. Cela dit, il ne suffit pas de prétendre qu’une entreprise aurait pu mieux s’y prendre pour qualifier d’abusif un licenciement.
Plus que jamais d’actualité, le harcèlement sexuel a donné l’occasion au Tribunal fédéral de rappeler que le respect de la personnalité implique de traiter certaines situations avec rigueur, engagement et clarté. L’affaire se déroule dans une banque genevoise: à l’occasion d’un déplacement dans un autre service, une employée allègue alors avoir été harcelée sexuellement quelques semaines auparavant par une personne travaillant dans ce nouveau service, plus précisément lors de la soirée de Noël 2017 (fesses touchées à deux reprises). Sans y mettre les formes attendues, la banque confronte les personnes, mène une enquête et finit par licencier cette employée pour rupture du lien de confiance.
Le congé-représailles est finalement retenu par le TF11 à la suite de l’instruction judiciaire. De l’arrêt du Tribunal fédéral, quelques éléments fort intéressants méritent d’être retenus: il n’y a pas que les employés qui donnent satisfaction qui peuvent subir du harcèlement et il importe, en matière de protection de la personnalité, qu’un employeur adopte un système ou des mesures de protection connues des employés auxquelles ils peuvent faire appel avec la confidentialité requise.
On attend aussi des mentions explicites de l’application de certaines procédures en cas de harcèlement sexuel. En deux mots, en matière de harcèlement sexuel, le TF souhaite que l’on mette fin aux mesures qui n’auraient qu’un caractère cosmétique.
Le TF a aussi voulu rappeler12 qu’une mauvaise gestion interne devrait conduire les employeurs concernés à faire preuve de réserve et d’humilité avant d’entamer des procédures pénales contre ses travailleurs. Ainsi, lorsque l’employeur a mis sur pied des règles peu claires concernant le remboursement des frais et que de plus l’employé a reçu des instructions ou promesses contradictoires de la part de ses supérieurs hiérarchiques respectifs, accuser un travailleur de violer les règles concernant le remboursement des frais, le mettre en demeure de rembourser en quelques semaines un montant de 104'944 francs qui aurait été indûment payé et le menacer de plainte pénale est attentatoire à l’honneur si la faute de l’employé n’est pas prouvée.
Si le licenciement est en relation avec ces reproches, il est légitime que la personne concernée obtienne une indemnité de six mois de salaire pour licenciement abusif.
On conclura cette présentation des arrêts en lien avec l’art. 336 CO en mettant en évidence deux exigences procédurales nouvelles requises par le TF:
• En cas d’action en justice fondée sur le licenciement abusif, c’est bien au demandeur d’alléguer et de prouver avoir formé opposition dans le délai légal, et cela même si ce fait n’est pas contesté par la partie adverse. Aussi, dans l’affaire traitée13, l’action en paiement à hauteur de 37'500 francs est réduite à néant puisque la demanderesse n’a pas produit à temps le courrier d’opposition envoyé à son employeur, et cela même si ce dernier n’a jamais contesté l’avoir reçu!
• Selon le TF14, il importe lors de l’opposition au licenciement que le travailleur manifeste clairement sa réelle intention de ne pas former seulement son opposition au congé, mais aussi sa volonté de contester le délai de résiliation, confirme être disposé à poursuivre la relation de travail, ainsi que sa volonté d’obtenir une indemnité au titre du licenciement abusif. Cet arrêt a déjà fait l’objet de critiques15.
En tous les cas, à suivre cet arrêt, il importe dès à présent de redoubler de vigilance dans la manière de formuler les oppositions aux licenciements: il faut motiver l’opposition, en contestant le licenciement quant à son principe, tout en remettant en cause l’échéance du délai de résiliation, et en manifestant la volonté de poursuivre les rapports de travail, en qualifiant la résiliation d’abusive et en réservant le droit d’exiger une indemnité pour licenciement abusif.
On attend, dans les mois qui viennent, des précisions de notre plus haute cour à propos de ce dernier arrêt qui fera encore couler de l’encre.
Procédure de poursuite et droit du travail
Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de trancher une question de principe qui intéressera tout particulièrement les employés qui doivent entamer une procédure de poursuite pour obtenir le paiement des montants qui leur ont été alloués judiciairement. En effet, la particularité des jugements en droit du travail consiste dans le fait que les tribunaux condamnent les employeurs à verser une somme brute, sous déduction des charges sociales usuelles. La question qui se pose est celle de savoir si, sur la base d’un jugement condamnant l’employeur à verser un salaire brut, le juge de la mainlevée doit accorder la mainlevée définitive et, le cas échéant, pour le salaire net ou le salaire brut16.
Il incombe au débiteur d’une poursuite, en l’espèce l’employeur, d’établir par titre, non seulement la cause de l’extinction, mais encore le montant exact à concurrence duquel la dette en poursuite serait éteinte17. Dans le cadre d’une procédure de mainlevée définitive, il doit apporter la preuve stricte de sa libération18.
Le TF confirme tout d’abord que le jugement qui condamne un employeur au versement d’une somme au titre de salaire est en principe un salaire brut. Le TF a ensuite admis la qualité de titre à la mainlevée définitive d’un jugement emportant condamnation à payer un montant brut sous déduction des cotisations sociales.
En revanche, l’employeur poursuivi en paiement d’une créance de salaire brut19 peut opposer, à titre de moyen libératoire au sens de l’art. 81 al. 1 LP, son obligation de payer les cotisations sociales aux institutions concernées, dont il est le seul débiteur20. La preuve par titre de la seule obligation de s’acquitter des cotisations sociales – et non du paiement effectif de ces dernières – suffit. Si l’employeur n’arrive pas à prouver par titre l’étendue de son obligation de payer les cotisations sociales, le juge de la mainlevée devra lever l’opposition à concurrence du salaire brut21.
Droit public
Cette année, un arrêt du Tribunal fédéral, d’ailleurs publié au Recueil officiel22, a particulièrement retenu l’attention en matière de fonction publique. Au terme d’un arrêt très complet, le TF a décidé que compte tenu de la particularité de l’indemnité pour licenciement abusif prévue à l’art. 336a CO, il convient d’admettre que celle-ci constitue un versement fait à titre de réparation du tort moral au sens de l’art. 24 let. g LIFD. Une telle indemnité est exonérée de l’impôt fédéral direct ainsi que des impôts cantonaux et communaux (art. 7 al. 4 let. i LHID).
Cette décision a évidemment des répercussions heureuses pour les bénéficiaires de telles indemnités qui ne pourront toutefois déduire les honoraires d’avocat avancés pour obtenir dites indemnités dans la mesure où les honoraires ne pourront plus être qualifiés de frais d’acquisition du revenu.
Mesures de lutte contre le COVID-19 et droit du travail
Si la pandémie de COVID-19 semble maintenant reléguée au bas des préoccupations quotidiennes malgré de légers soubresauts épidémiques23, le temps judiciaire beaucoup plus long consacre une moisson d’arrêts rendus par le Tribunal fédéral en lien avec les mesures de lutte contre le coronavirus dans le monde du travail.
Port obligatoire du masque
Deux arrêts ont été rendus en lien avec des licenciements prononcés pour refus du port obligatoire du masque facial de protection sur le lieu de travail. Notons d’emblée que ces deux arrêts concernent des fonctionnaires et ont donc été rendus par la Cour de droit public du TF. L’interprétation et l’application des règles de droit cantonal et communal qui étaient applicables n’ont par conséquent été examinées que sous l’angle restreint de l’arbitraire24.
Le premier cas concerne le refus d’une psychologue engagée par la ville de Zurich de porter le masque facial dans les bâtiments de l’administration en invoquant un empêchement médical. L’employée a dans ce cadre produit un certificat médical attestant d’une dispense de port du masque dans les transports publics. L’employeur a requis un examen médical par un médecin-conseil; cette mesure a été rejetée par l’employée malgré plusieurs mises en demeure et des demandes répétées. Après environ trois mois de refus, l’employeur a procédé au licenciement avec effet immédiat de l’employée25.
Le Tribunal fédéral a confirmé l’appréciation du Tribunal cantonal selon laquelle l’attitude de l’employée consistait en une violation de son devoir de loyauté et de fidélité, ainsi que d’un refus d’exécuter ses tâches conformément aux instructions de l’employeur26.
Le refus persistant de se soumettre à l’examen d’un médecin-conseil a également joué un rôle important dans l’appréciation du cas. La profession de psychologue de l’employée et la grande responsabilité qu’elle avait dans son travail ont également été déterminantes27. Le licenciement avec effet immédiat a été considéré comme proportionné notamment eu égard aux nombreux avertissements qui l’ont précédé et au refus obstiné de l’employée de participer à la preuve de son incapacité médicale à porter un masque facial en rejetant tout examen médical par un médecin-conseil28.
Nous pouvons retenir de cet arrêt que la position professionnelle de l’employée, le rôle d’exemplarité des collectivités publiques et les nombreux avertissements ont joué un rôle important dans l’appréciation de notre Haute Cour. Le refus de se soumettre à un examen médical afin de lever les doutes sur la validité du certificat médical produit a vraisemblablement été déterminant. Enfin, le Tribunal fédéral n’a procédé qu’à un contrôle sous l’angle de l’arbitraire des dispositions du règlement sur le personnel de la Ville de Zurich.
La seconde décision rendue en la matière concerne le licenciement ordinaire d’une enseignante d’une école professionnelle zurichoise. En bref, il était reproché à l’employée de s’être exprimée devant les élèves de manière critique sur l’obligation de porter le masque et les prétendus risques de ce dernier, d’avoir remis en question le plan de protection de l’établissement et d’avoir refusé de faire appliquer l’obligation du port du masque durant ses enseignements et ce nonobstant plusieurs avertissements29. Une telle attitude a constitué une violation de l’obligation de loyauté et de fidélité à laquelle il fallait encore ajouter une absence de volonté de dialogue qui a totalement détruit le rapport de confiance nécessaire à la poursuite de la relation de travail30.
Le Tribunal fédéral a également retenu que l’obligation de port du masque consistait en une mesure reconnue de lutte contre la propagation du coronavirus et était prévue dans l’ordonnance COVID-19 Situation particulière31. La non-application des mesures de protection contre la propagation d’une maladie n’est pas protégée par la liberté d’expression, ce d’autant plus qu’en tant qu’employée de l’État l’enseignante avait un devoir de loyauté et de fidélité accru32.
Le Tribunal fédéral a par conséquent confirmé la validité du licenciement ordinaire prononcé. On notera encore que les instances cantonales avaient octroyé à l’employée une indemnité d’un mois de salaire pour un vice formel dans la procédure de licenciement. Le Tribunal fédéral a relevé que dite indemnité avait été octroyée à tort mais qu’il n’y avait pas de motif d’y revenir en raison de «l’interdiction de la reformatio in pejus»33.
Il convient de garder à l’esprit que les faits qui ont donné lieu à ces deux arrêts datent de l’année 2020, soit des premiers mois de la pandémie, alors que les contaminations, les hospitalisations et les décès étaient importants34. Dans les deux cas, plusieurs avertissements ont été donnés afin de permettre aux employés de modifier leur comportement. Le complexe de faits à l’origine du licenciement est par conséquent particulièrement important dans la pesée des intérêts opérée par le Tribunal fédéral.
Le fait qu’il s’agisse d’employés de la fonction publique a-t-il pu jouer un rôle? Le Tribunal fédéral semble en tout cas retenir une obligation de fidélité accrue pour cette catégorie particulière d’employés.
À notre sens, les développements issus de ces deux arrêts peuvent également avoir une certaine portée dans l’appréciation de situations semblables qui auraient à être jugées à l’aune du droit privé.
Vaccination obligatoire
Le Tribunal fédéral a rendu, à la même date, une série de quatre arrêts35, dont l’un a été publié au Recueil officiel des ATF36, examinant la validité du licenciement ordinaire prononcé à l’encontre de quatre collaborateurs des forces spéciales de l’armée suisse (DRA-10) en raison de leur refus de la vaccination contre le COVID-1937.
Le Tribunal fédéral a naturellement reconnu qu’une vaccination obligatoire constituait une atteinte à la liberté personnelle du collaborateur, garantie par l’art. 10 al. 2 Cst., et au respect de la vie privée et familiale conférée par l’art. 8 par. 1 CEDH38.
Dans le cadre de l’examen de la validité du licenciement, le Tribunal fédéral a procédé à une analyse des conditions de restriction des droits fondamentaux fixées par l’art. 36 Cst.
Notre Haute Cour a estimé qu’une base légale au sens formel n’était pas nécessaire compte tenu du fait qu’une vaccination constitue une atteinte légère à la liberté personnelle39. La base légale matérielle invoquée étant l’art. 7 al. 1 OPers-PPOE40 qui prévoit notamment qu’avant d’accomplir son engagement, «la personne concernée doit se faire examiner par un médecin et prendre des mesures de prévention et de traitement». C’est ainsi sur cette base que le médecin en chef de l’armée a ajouté le vaccin contre le COVID-19 sur la liste des vaccins obligatoires pour les membres des forces spéciales de l’armée.
Le rapport de droit public spécial qui lie les membres du DRA-10 avec la Confédération permettait également d’admettre une restriction à la liberté personnelle fondée sur une base légale matérielle41.
L’intérêt public retenu n’était pas la protection de la santé publique, mais la nécessité d’assurer la disponibilité opérationnelle immédiate des membres du DRA-10 en vue d’un éventuel engagement à l’étranger au pied levé42. Compte tenu des dispositions sanitaires applicables dans de nombreux pays, telles que test négatif, certificat de vaccination, etc., lesquelles étaient en outre amenées à être adaptées fréquemment et rapidement, seule une vaccination contre le COVID-19 pouvait assurer une disponibilité opérationnelle des membres des forces spéciales43. La restriction litigieuse à la liberté personnelle était ainsi justifiée par l’intérêt public supérieur de la sauvegarde des intérêts suisses à l’étranger.
Sous l’angle de la proportionnalité, le Tribunal fédéral a retenu que la mesure imposée était apte à atteindre l’objectif poursuivi, à savoir garantir que les opérateurs du DRA-10 soient en mesure de participer en tout temps aux missions qui leur sont assignées à l’étranger44. En outre, d’autres mesures moins incisives qu’un licenciement – telles que tests réguliers, production d’un certificat COVID sans vaccination ou encore suspension sans salaire – ne permettaient pas d’atteindre le but visé, à savoir la disponibilité opérationnelle immédiate du personnel militaire des forces spéciales45.
Le Tribunal fédéral a encore confirmé la restriction à la liberté personnelle sous l’angle de l’examen de la proportionnalité au sens étroit en retenant que les risques d’effets indésirables graves liés au vaccin contre le COVID-19 ne représentaient qu’une proportion infinitésimale de cas par rapport au nombre de doses administrées46 et que l’intérêt public invoqué devait par conséquent prévaloir.
La résiliation ordinaire du contrat de travail pour refus de vaccination reposait ainsi sur des motifs objectifs suffisants, ce qui excluait le versement d’une indemnité fondée sur la LPers dans la mesure où la résiliation découlait d’une faute de l’employé47.
Comme l’a relevé Suat Ayan48, les circonstances très particulières de ces affaires ne permettent vraisemblablement pas de tirer des conclusions plus générales sur le sort d’autres obligations vaccinales, en particulier dans le cadre de rapports de droit du travail soumis au droit privé. La compagnie aérienne Swiss avait également imposé la vaccination de son personnel navigant pour des motifs de disponibilité de personnel et afin d’assurer le bon déroulement des opérations aériennes49. À notre connaissance, aucun arrêt n’a été publié à ce sujet.
Les enseignements tirés de l’ATF 149 I 129 risquent de ne pas pouvoir être transposés sans autre aux contestations de licenciement prononcés pour refus de vaccination dans d’autres secteurs. Une fine pesée des intérêts devra être effectuée entre la protection de la liberté personnelle, d’une part, et les impératifs d’un employeur, d’autre part. En d’autres termes, la garantie opérationnelle d’une entreprise privée pèsera vraisemblablement moins lourd dans la pesée des intérêts que la sauvegarde des intérêts suisses à l’étranger par les forces spéciales.
1 TF 4A 304/2021 du 10.3.2023.
2 ATF 149 III 202 c. 2 et la jurisprudence mentionnée.
3 ATF 149 III 202.
4 Par exemple, ATF 131 III 535 c. 4.2.
5 TF 4A_117/2023 du 15.5.2023.
6 TF 4A_39/2023 du 14.2.2023.
7 TF 4A_307/2022 du 18.1.2023.
8 À titre d’exemple voir les arrêts TF 4A 44/2021 du 2.6.2021 et 4A 390/2021 du 1.2.2022.
9 TF 4A_259/2022 du 23.2.2023.
10 TF 4A_131/2023 du 22.6.2023.
11 TF 4A_283/2022 du 15.3.2023.
12 TF 4A_3/2023 du 30.8.2023.
13 TF 4A_412/2022 du 11.5.2023, destiné à la publication.
14 TF 4A_59/2023 du 28.3.2023.
15 Voir article de Werner Gloor, L’opposition au congé: des conditions supplémentaires à sa validité; commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 4A 59/2023, Newsletter DroitDuTravail.ch, juin 2023.
16 ATF 149 III 258 c. 6.
17 ATF 149 III 258 c. 6.1.2.
18 ATF 136 III 624 c. 4.2.1.
19 ATF 149 III 263 c. 6.2.1.
20 ATF 149 III 263 c. 6.3.2.
21 ATF 149 III 263 c. 6.3.3.
22 ATF 148 II 551.
23 Voir covid19.admin.ch/fr consulté le 28.10.2023.
24 Art. 95 LTF; voir parmi beaucoup d’autres ATF 141 I 36 c. 5.4; ATF 146 II 367, c. 3.1.5.
25 TF 8C_271/2023 du 19.6.2023.
26 TF 8C_271/2023 du 19.6.2023 c. 4.2.
27 TF 8C_271/2023 du 19.6.2023 c. 5.3.
28 TF 8C_271/2023 du 19.6.2023 c. 5.2.
29 TF 8C_372/2023 du 7.8.2023, c. 4.1.
30 TF 8C_372/2023 du 7.8.2023, c. 4.1 et 5.3.
31 RO 2020 2213 ss.; TF 8C_372/2023 du 7.8.2023, c. 5.3.
32 TF 8C_372/2023 du 7.8.2023, c. 5.3.
33 TF 8C_372/2023 du 7.8.2023, c. 4.2 ; à notre sens, l’arrêt se fonde à tort sur la prohibition de la reformatio in pejus pour justifier son raisonnement à ce sujet. Il s’agit plus de l’impossibilité pour le TF de statuer ultra petita, soit sur un objet qui n’a pas été porté à sa cognition dans la mesure où l’autorité intimée n’a pas recouru contre l’octroi de l’indemnité à l’employée.
34 Les statistiques d’évolution des contaminations, hospitalisations et décès liés au COVID-19 sont disponibles sur le site de l’OFSP: covid19.admin.ch/fr consulté le 28.10.2023.
35 TF 8C_327/2022, 8C_351/2022, 8C_340/2022 et 8C_362/2022 du 22.2.2023.
36 TF 8C_327/2022 du 22.2.2023, publié à l’ATF 149 I 129.
37 Il ne sera fait par la suite référence qu’à l’arrêt TF 8C_327/2022 du 22.2.2023, destiné à publication.
38 ATF 149 I 129 c. 5.1 et 6.1.
39 ATF 149 I 129 c. 3.4.2 et 5.1.2; voir également à ce sujet Yves Donzallaz, Traité de droit médical, vol. I, 2021, p. 633 n. 1327 et p. 634 n. 1329, avec référence à l’ATF 99 la 747 c. 2.
40 Ordonnance concernant le personnel effectuant un engagement de la troupe visant la protection de personnes et d’objets à l’étranger du 6 juin 2014 (RS 519.1).
41 ATF 149 I 129 c. 5.1.2
42 ATF 149 I 129 c. 5.1.2 et 5.2.2.
43 ATF 149 I 129 c. 5.2.2.
44 ATF 149 I 129 c. 5.3.2.
45 ATF 149 I 129 c. 5.3.2 et 5.3.3.
46 ATF 149 I 129 c. 5.3.4.
47 ATF 149 I 129 c. 7.
48 Suat Ayan, Obligation vaccinale des militaires professionnels; commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_351/2022, Newsletter DroitDuTravail.ch, août 2023.
49 Article Air-Journal.fr du 25.8.2021; air-journal. fr/2021-08-25-vaccinationobligatoire-pour-les-navigantsde-swiss-5230053.html, consulté le 29.10.2023; Suat Ayan, op. cit.