Cette sélection est destinée aux praticiens, qu’ils soient avocats, juristes ou conseillers juridiques en entreprise ou dans une collectivité publique. Les arrêts choisis et commentés mettent en évidence une partie de la jurisprudence publiée ainsi que les arrêts non publiés les plus intéressants.
1. Droit privé
1.1 Définition du contrat de travail (art. 319 CO)
Attendue depuis quelques années, la jurisprudence du TF concernant la relation contractuelle établie par des plateformes comme Uber avec ses chauffeurs et ses livreurs s’est enrichie de deux arrêts qui devraient faire référence. Dans le 1er d’entre eux , il s’agissait de déterminer si c’est à bon droit que les autorités genevoises avaient qualifié de location de services la mise à disposition de livreurs à des restaurants pour la livraison de repas à domicile, au moyen de la plateforme «Uber Eats». Dans le second arrêt, il fallait examiner si c’est sans arbitraire que les autorités genevoises ont qualifié la société Uber B.V. d’exploitant de transport au sens de l’article 4 lettre c de la loi genevoise sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur . En synthèse, pour ces deux arrêts très denses, on retiendra que ce n’est pas en soi la qualité de plateforme numérique qui est décisive pour qualifier le statut du prestataire. Il s’agit à chaque fois, selon le TF, d’examiner attentivement le lien de subordination, et surtout celui de la dépendance économique dans laquelle se trouve la personne qui reçoit des opportunités de course ou de livraison. En l’état, vu le degré d’interventionnisme de la plateforme, le fait qu’elle dicte les conditions tarifaires, contrôle l’activité des chauffeurs et facture elle-même les prestations aux clients, le TF a jugé que la plateforme «Uber Driver» n’est pas un simple intermédiaire, mais bien un employeur qui doit assumer à ce titre ses obligations.
À n’en pas douter, ces arrêts feront date, et ils feront encore couler beaucoup d’encre dans les mois à venir.
1.2 Protection de la personnalité du travailleur (art. 328 CO)
Quelle est la responsabilité qu’encourt une grande banque suisse qui fait, ou laisse, travailler un de ses cadres dans un environnement risqué (les États-Unis), lequel représente un marché rapportant de gros chiffres d’affaires et des marges? Faut-il juger différemment la responsabilité de la banque du fait qu’elle semble donner des injonctions contradictoires avec d’un côté des directives internes respectant tant bien que mal la législation et de l’autre côté l’octroi de gratifications très profitables récompensant indirectement des comportements dont le caractère délictueux semble fort probable? Dans une décision rendue à cinq juges , le TF a validé la politique de la banque: le comportement de ce cadre était si opportuniste, dénotant apparemment une telle avidité financière, que la responsabilité de la banque n’était pas engagée sur le plan juridique. Peu importe dans le fond que ce cadre se soit retrouvé dans une situation schizophrénique: sa formation, son statut et sa fonction auraient dû lui donner la force de résister. Finalement, traitant encore de l’éventuel caractère abusif du licenciement de ce cadre, le TF s’est senti obligé de préciser qu’il n’a pas à sanctionner les comportements moralement critiquables ou inconvenants, mais uniquement l’abus de droit. Dura lex, sed lex.
1.3 Licenciement abusif (art. 336 CO) et discriminatoire (art. 6 LEg)
À l’échéance d’une période de protection (art. 336c CO), il est admissible pour l’employeur de licencier un travailleur . Se pose toutefois la question de l’éventuel caractère abusif (art. 336 CO) ou discriminatoire, en particulier sous l’angle de l’abus de droit d’un tel licenciement lorsque celui-ci intervient immédiatement après l’échéance d’une période de protection. Si l’employeur apporte la preuve que le licenciement n’a pas été prononcé pour de faux motifs, le licenciement prononcé peu après le terme d’une période de protection n’est pas abusif.
En l’espèce, à deux occasions, le TF a confirmé sur la base de l’état de fait cantonal que la résiliation n’était ni liée à la grossesse, ni aux revendications de l’employée. Certes, le licenciement prononcé peu après une grossesse ou un congé maternité peut encore se révéler discriminatoire au sens de la LEg, laquelle institue une présomption de discrimination dès que la personne qui s’en prévaut la rend vraisemblable . Compte tenu de l’état de fait du cas d’espèce, le TF n’a pas retenu d’indices suffisants permettant de confirmer la vraisemblance d’une discrimination.
Dans un arrêt de 2005 publié au recueil officiel, le TF avait admis, pour la première fois, que le licenciement d’un travailleur âgé qui était proche de l’âge de la retraite et qui était au bénéfice de longs rapports de travail auprès de l’employeur pouvait constituer un cas de licenciement abusif. Cette année, le TF a précisé qu’il s’agissait d’un cas exceptionnel et que le seul âge du collaborateur ne saurait fonder un licenciement abusif. Ainsi, le TF a réformé un arrêt du Tribunal cantonal vaudois qui avait octroyé une indemnité de six mois de salaire à une employée qui avait été licenciée à 10 mois de son droit à la retraite et après une vingtaine d’années d’engagement. Le licenciement avait en outre été donné en raison de la maladie de la travailleuse, à l’échéance du délai de protection. L’employeur avait pu justifier le licenciement par une nécessité de réorganisation interne découlant de l’absence prolongée de l’employée et de l’incertitude quant à la date de son potentiel retour au travail vu que l’employée n’avait strictement rien dit à ce propos. Le TF a ainsi nié tout licenciement abusif, s’appuyant sur le motif qu’en droit privé il n’existe pas d’obligation d’entendre l’autre partie avant de prononcer un licenciement et qu’il n’existe pas non plus d’obligation de soumettre un licenciement envisagé à un contrôle de proportionnalité. En droit privé, des mesures moins incisives ne doivent pas nécessairement être prises par l’employeur avant un licenciement.
Ces arrêts récents semblent marquer une inflexion de la jurisprudence dans le sens d’un retour à une application plus stricte du principe de la liberté contractuelle, laquelle se concrétise par la liberté des parties de mettre un terme à un contrat de travail de durée indéterminée sans devoir justifier d’un motif particulier conformément à l’article 335 CO. Dans cette optique, selon notre Haute Cour, c’est à titre exceptionnel qu’il faut reconnaître le caractère abusif d’un licenciement (art. 336 CO et 2 CC). Il conviendra de rester attentif à l’évolution de la jurisprudence en la matière afin de pouvoir confirmer si le durcissement observé relève d’une tendance générale ou ne constitue que l’expression de cas particuliers.
1.4 Congé en temps inopportun (art. 336c CO) – manifestation de volonté
Aux termes de l’article 336c CO, l’employeur ne peut pas résilier le contrat pendant certaines périodes (obligations militaires, incapacité de travail, grossesse et congé maternité, notamment). Un congé prononcé durant une telle période est nul. La date à laquelle est prononcé un licenciement peut ainsi avoir une importance considérable sur la validité du congé. Le TF a ainsi eu l’occasion d’examiner cette question: laquelle de l’annonce d’un licenciement à venir effectuée par courriel le 2 août ou de la réception le 3 août par l’employée du courrier recommandé de licenciement devait être considérée comme expression de la volonté de mettre un terme au contrat et valoir comme acte formateur du licenciement? Dans cette affaire, la réponse à y apporter avait toute son importance, la période de protection de l’article 336c CO, en l’espèce la fin du congé maternité de l’employée, arrivant à son terme le 2 août.
Le TF rappelle tout d’abord que la résiliation d’un contrat de travail est une manifestation de volonté unilatérale par laquelle une partie déclare mettre un terme à la relation de travail. Il s’agit de l’exercice d’un droit formateur, lequel déploie ses effets dès qu’il parvient au destinataire, le principe de réception faisant foi. Dans son courriel d’annonce de licenciement, l’employeur avait indiqué «Je dois donc vous annoncer que vous allez recevoir un courrier de licenciement d’ici demain». Le TF a relevé que l’emploi du futur dans le courriel du 2 août consistait dans l’annonce d’un simple avis, en l’espèce d’une communication d’intention. Le licenciement n’est ainsi pas intervenu de manière prématurée le 2 août mais a bien déployé ses effets par la réception, le 3 août, du courrier recommandé de licenciement. Le licenciement n’a ainsi pas été prononcé en temps inopportun.
1.5 Restitution et droit de rétention (art. 339a CO)
Deux arrêts de mars 2022 viennent opportunément rappeler aux praticiens qu’au terme du contrat de travail, les parties peuvent exercer un droit de rétention (art. 895 CC par renvoi de l’art. 339a al. 3 CO) sur les biens remis par l’autre partie dans le cadre de l’exécution du contrat. Dans le cas présent, la cour cantonale genevoise avait donné son aval au fait que les travailleurs usent de leur droit de rétention sur leur véhicule de fonction jusqu’au versement des arriérés de salaire. Le TF ne trouve rien à redire à cette pratique, qu’il valide. Dans de telles circonstances, c’est bien à l’employeur qu’il revient de faire le premier pas et de s’exécuter.
2. Loi sur le travail
Dans la période sous revue, un arrêt du TF portant sur la LTr a retenu l’attention: il concerne l’interprétation de l’exception à l’applicabilité de la LTr en faveur des ménages privés (art. 2 al. 2 lit. g LTr). Si le législateur a souhaité conférer à la LTr un champ d’application très étendu, son article 2 institue un certain nombre d’exceptions à l’application de la loi sur le travail, au nombre desquelles se trouvent les ménages privés. Dans cette affaire, une société de soins à domicile prétendait pouvoir bénéficier de l’exclusion de l’application de la LTr pour les travailleurs qu’elle plaçait au service de personnes privées pour la fourniture de soins à domicile. Le TF a premièrement rappelé que toute exception à l’application de la LTr ne devait être admise que restrictivement compte tenu du caractère protecteur de la loi . La notion de «ménage privé» n’est pas définie par la loi. La doctrine et la jurisprudence considèrent qu’il y a ménage privé lorsque l’employeur engage quelqu’un pour ses besoins privés et non pas à des fins professionnelles. Tel est notamment le cas du personnel de ménage, des enseignants à domicile, cuisiniers, jardiniers, etc. Le fait que le travailleur fasse ménage commun avec l’employeur est sans importance . Par ailleurs, la justification de l’exception de l’applicabilité de la LTr aux ménages privés se fonde en particulier sur la volonté de protéger le domicile et la sphère privée de l’employeur des contrôles étatiques, d’une part, et sur le lien de confiance particulier qui est noué entre l’employeur et le travailleur dans de telles circonstances . La situation est en revanche différente lorsque les soins à domicile sont prodigués par les employés d’une société tierce qui sont «placés» auprès du bénéficiaire. Il n’y a ainsi pas de rapport contractuel entre le bénéficiaire et le travailleur. Le fait que l’employeur ne soit pas le bénéficiaire des soins permet également de procéder au contrôle du respect des règles de protection des travailleurs tout en ménageant la protection de la sphère privée . En définitive le fait qu’un tiers, en l’occurrence la société proposant les prestations de soins à domicile, intervienne et que la relation ne soit pas exclusivement bipartite conduit à exclure l’application de l’exception conférée par l’article 2 LTr en faveur des ménages privés .
3. Procédure
3.1 Immunité de juridiction d’un État étranger
L’engagement de personnel par les missions permanentes d’États étrangers a déjà donné lieu à plusieurs arrêts du TF, en particulier en ce qui concerne le droit applicable et l’immunité de juridiction . Dans le cadre d’un litige de droit du travail opposant l’ancien cuisinier mis au service d’un ambassadeur et un État étranger employeur, ce dernier a tenté d’invoquer l’incompétence des tribunaux suisses, d’une part, et son immunité de juridiction, d’autre part, pour faire échec à la demande déposée par son ancien employé . C’est ce second aspect qui nous intéressera.
L’immunité de juridiction est un principe largement reconnu du droit international public par lequel un État étranger peut se prévaloir de son immunité lorsqu’il agit en vertu de sa souveraineté. Tel n’est en revanche pas le cas lorsque l’État étranger agit comme un particulier ou comme titulaire d’un droit privé. Ces principes sont en outre «codifiés» au sein de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens (CNUIJE). L’article 11 par. 1 CNUIJE détermine les situations dans lesquelles les États peuvent invoquer leur immunité pour les rapports de travail. L’immunité de juridiction est ainsi exclue dans les procédures se rapportant à un contrat de travail entre l’État et une personne physique pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre État. L’article 11 par. 2 CNUIJE prévoit certaines exceptions à ce principe. En particulier, l’État étranger invoquait l’immunité de juridiction pour les conflits de droit du travail d’employés au bénéfice de l’immunité diplomatique (art. 11 par. 2 let. b/iv. CNUIJE) . Selon le TF, le personnel jouissant de l’immunité diplomatique au sens de la CNUIJE est nécessairement une personne qui exerce des fonctions particulières dans l’exercice de la puissance publique (iure imperii), ce qui exclut les employés occupés uniquement à des tâches subalternes . En l’espèce, un cuisinier n’a aucune influence décisionnelle sur l’activité de la mission étrangère, de sorte que l’immunité de juridiction invoquée par l’État doit être niée, ce d’autant plus que, comme le relève le TF, le but poursuivi par l’article 11 CNUIJE consiste à limiter l’immunité de juridiction en matière de droit du travail .
3.2 Action partielle (art. 247 CPC)
Introduite en 2011 au niveau fédéral par l’entrée en vigueur du code de procédure civile fédéral, l’action partielle (art. 86 CPC) crée encore bien des soucis aux praticiens malgré plus de 10 ans de jurisprudence rendue en la matière. L’action partielle doit favoriser l’accès aux tribunaux, comme en droit du travail, pour des requêtes ayant une valeur litigieuse inférieure à 30 000 francs, d’une part, tout en évitant d’autre part le risque évident d’abus de droit, notamment en prohibant la «technique du salami» consistant à décomposer un procès en de multiples affaires distinctes.
Le 23 juin 2022, le TF a rendu une décision dans une affaire zurichoise un brin cocasse. Le 13 janvier 2020, une employée avait déposé deux demandes auprès du Tribunal des prud’hommes de Zurich: par la première, elle avait conclu au paiement de la somme de 29 999 francs pour résiliation abusive de son contrat de travail en tant que dentiste. Par la deuxième procédure, elle avait également réclamé le paiement de 29 999 francs pour résiliation abusive de son contrat de travail en sa qualité de directrice de centre médical. Par décisions du 8 septembre 2020, le Tribunal des prud’hommes avait joint ces deux premières procédures. Avant même qu’il ne soit statué sur les deux premières demandes, l’employée a déposé deux autres procédures auprès du Tribunal des prud’hommes le 8 décembre 2020. D’une part, elle a encore fait valoir des prétentions salariales découlant des deux contrats de travail pour un montant de 29 999 francs; d’autre part, elle a notamment demandé le paiement d’un solde de vacances pour 8587 francs résultant des deux contrats de travail. Par décision du 9 février 2021, le Tribunal des prud’hommes a également joint l’ensemble des procédures et les a toutes transférées auprès du tribunal compétent qui était amené à appliquer la procédure ordinaire. En deux mots, l’autorité de première instance avait réuni quatre requêtes pour les traiter en une seule procédure.
Après avoir rappelé les règles générales qui s’appliquent à l’action partielle, le TF reprend un constat qui avait déjà été rendu il y a quelques années. L’action partielle permet au demandeur de limiter la demande en justice de manière à pouvoir profiter de la procédure simplifiée et de la gratuité des frais. Le législateur était conscient de cette possibilité et l’a prise en compte en réglementant l’action partielle. Dans le cas d’espèce, le TF est arrivé au constat suivant: la travailleuse n’a pas eu recours à l’action partielle pour limiter la valeur litigieuse au montant maximal prévu par la loi pour pouvoir bénéficier de la procédure simplifiée et de la gratuité des frais, mais elle a tenté de contourner les limites de fixation de la valeur litigieuse prévues par la loi. Tel n’est pas le but de l’action partielle. Ainsi, le Tribunal fédéral a nié le raisonnement de la travailleuse qui prétendait pouvoir soumettre un litige d’une valeur litigieuse supérieure à 100 000 francs dans le cadre d’un seul et même procès tout en souhaitant bénéficier de l’application de la procédure simplifiée, laquelle n’est prévue, sauf exception, que pour les affaires dont la valeur litigieuse n’excède pas 30 000 francs. Le TF n’a rien eu à redire au jugement de la cour cantonale, qui a considéré qu’il y avait eu abus de droit en procédant de la sorte. Nous ne pouvons que partager ce constat.
4. Fonction publique
4.1 Sanction disciplinaire et révocation
Les sanctions disciplinaires qui peuvent être prononcées en droit de la fonction publique sont de nature à nourrir un important contentieux. Plusieurs arrêts du TF ont été rendus en la matière. Le TF rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’autorité qui prononce une sanction disciplinaire jouit d’un large pouvoir d’appréciation, lequel est toutefois subordonné au respect du principe de proportionnalité.
Il a ainsi été retenu comme respectant le droit fédéral et le principe de proportionnalité:
- Le blâme prononcé à l’encontre d’un policier municipal qui avait tenu des propos injurieux tels que «connard», «garce» ou «idiot» à l’égard de subordonnés.
- La rétrogradation de sergent-major à sergent-chef pour une durée de 3 ans (impliquant une diminution du traitement d’environ 3000 francs par an) pour avoir tiré le pull-over d’une subordonnée en vue de plonger son regard dans son décolleté ainsi que d’autres actes constitutifs de harcèlement sexuel .
- La révocation, équivalant à un licenciement selon la loi genevoise relative au personnel de l’administration cantonale, d’un haut cadre qui avait harcelé sexuellement (avances répétées, immixtions dans la vie privée, insinuations à connotation sexuelle) plusieurs subordonnées de manière systématique et répétée sur une période de plusieurs années . Cette affaire est particulière dans la mesure où la sanction disciplinaire prononcée par le Conseil d’État genevois avait été annulée par le Tribunal cantonal en raison des bons états de service du collaborateur. Sur recours de l’État, le TF a réformé l’arrêt cantonal et a confirmé la révocation. Pour le TF, la révocation était nécessaire compte tenu des faits reprochés et de la rupture du lien de confiance . Le TF a même qualifié l’annulation de la révocation par le Tribunal cantonal d’arbitraire .
- La révocation d’un enseignant qui, lors d’un voyage d’études, a permis à deux élèves mineures d’entrer en boîte de nuit, leur a payé une bouteille de vodka sans en contrôler leur consommation, puis, de retour à l’hôtel – après avoir constaté que les deux élèves ne pouvaient plus rentrer dans leur chambre – les a invitées à dormir dans sa chambre dans le même lit, une des élèves n’ayant pour seul habit que sa culotte . La révocation a été considérée comme trop sévère par les juges cantonaux. Cette sanction ultime a en revanche été confirmée par le TF sur recours de l’État. Les juges de Mon-Repos ont considéré que l’attitude de l’enseignant avait porté atteinte à l’obligation de protection de l’intégrité physique et psychique des élèves et que le fait de partager son lit avec elles (nonobstant l’absence de grief d’atteinte à l’intégrité sexuelle) ne respectait pas la dignité des élèves . Malgré l’absence d’antécédents et les bons états de service de l’enseignant, toute autre sanction que la révocation apparaissait comme arbitraire .
Ces deux derniers arrêts sont remarquables, car ils ne font pas que confirmer la décision prise en dernière instance cantonale. Cela pourrait dénoter une volonté de notre Haute Cour de changer de paradigme en ce qui concerne la sanction d’actes constitutifs de harcèlement sexuel ou de fautes particulièrement graves.
4.2 Licenciement de lanceurs d’alerte
Deux auxiliaires, nées en 1959 et en 1982, travaillant pour un service de l’État de Genève, ont dénoncé de graves manquements dans le cadre de l’organisation et de la gestion du service en charge de l’organisation des votations cantonales. Le Ministère public a ordonné l’ouverture d’une instruction pénale. Quelques mois plus tard, le procureur général a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a relevé qu’en l’état, la procédure ouverte ne contenait aucun indice qu’une fraude électorale ou que des actes de corruption eussent été commis. Entre décembre 2019 et février 2020, la situation de ces deux auxiliaires a été évoquée dans divers médias, où elles sont elles-mêmes présentées comme des lanceuses d’alertes à qui on ne proposerait plus la moindre tâche en tant qu’auxiliaire pour les «étrangler financièrement». Le 27 février 2020, le procureur général a ordonné le classement de la procédure pénale. Par la suite, l’État de Genève a résilié les rapports de travail avec ces deux employées, ceci après que le président du Conseil d’État avait qualifié ces dernières de «dénonciatrices», tout en précisant ceci: les «qualifier de lanceurs d’alerte est hasardeux car il faut pour cela avoir dénoncé des faits avérés, or le procureur général a, dans ses dernières conclusions, écarté toute fraude […]». Selon le TF, dès lors que les recourantes n’ont pas saisi préalablement le «groupe de confiance», spécialement chargé de la bonne application du dispositif de protection de la personnalité des employés de l’État de Genève, elles ne sauraient se plaindre d’un défaut de protection de la part de l’État. Cette jurisprudence ne constitue pas une surprise: avant de frapper un grand coup, un lanceur d’alerte se doit, sauf exception, d’user préalablement des voies de dénonciation internes auprès de son employeur. ❙
1 TF 2C_575/2020 du 30.5.2022 (publication aux ATF prévue) et TF 2C_34/2021 du 30.5.2022 avec résumé et commentaires par Sabrine Magoga-Sabatier, Portée et enjeux de la requalification en travail salarié des relations avec les plateformes Uber et Uber Eats, in: Newsletter DroitDuTravail octobre 2022.
2 TF 2C_575/2020 du 30.5.2022.
3 TF 2C_34/2021 du 30.5.2022.
4 Dans le même sens, voir TF 4A_365/2021 du 28.1.2022 c. 4.
5 TF 4A_479/2020 du 30.8.2022.
6 TF 4A_390/2021 du 1.2.2022 c. 3.1.3.
7 TF 4A_537/2021 du 18.1.2022 c. 5; TF 4A_479/2021 du 29.4.2022 c. 5.3.2 et 5.4; voir aussi ATF 123 III 246 c. 5 et TF 4A_390/2021 du 1.2.2022 c. 3.1.3.
8 TF 4A_537/2021 du 18.1.2022 c. 5 et TF 4A_479/2021 du 29.4.2022 c. 5.3.3.
9 TF 132 III 115 c. 5.
10 TF 4A_390/2021 du 1.2.2022 c. 3.1.2.
11 TF 4A_390/2021 du 1.2.2022 c. 3.4.1 ss.
12 TF 4A_390/2021 du 1.2.2022 c. 3.1.4 et 3.4.2.
13 On peut encore ajouter l’arrêt TF 4A_479/2020 du 30.8.2022 c. 6
14 TF 4A_390/2021 du 1.2.2022 c. 3.1.
15 Pour un regard critique sur les difficultés du Tribunal fédéral à fixer des règles claires lorsqu’il fait œuvre de législateur, voir Roger Rudolph, Richterliche Rechsfindung im Arbeitsrecht, 2021, en particulier les pages 302 à 304.
16 TF 4A_479/2021 du 29.4.2022.
17 TF 4A_479/2021 du 29.4.2022 c. 4.1.
18 TF 4A_479/2021 du 29.4.2022 let. a.
19 TF 4A_479/2021 du 29.4.2022 c. 4.4.
20 TF 4A_479/2021 du 29.4.2022 c. 4.5.
21 TF 4A_466/2021 et 4A_468/2021 du 4.3.2022.
22 ATF 148 II 203, voir également Jean-Christophe Schwaab, Un ménage à trois n’est pas un ménage privé; commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_470/2020 du 22 décembre 2021, in: Newsletter DroitDuTravail.ch février 2022.
23 ATF 148 II 203 c. 4.2.
24 ATF 148 II 203 c. 4.3.
25 ATF 148 II 203 c. 4.4.1.
26 ATF 148 II 203 c. 4.4.3.
27 ATF 148 II 203 c. 4.6; pour une analyse plus approfondie de cette jurisprudence,voir Jean-Christophe Schwaab, op. cit.
28 Cf. p. ex. ATF 134 III 570; ATF 135 III 162 ; ATF 138 III 750.
29 TF 4A_481/2021 du 4.7.2022.
30 TF 4A_481/2021 du 4.7.2022 c. 3.3.
31 TF 4A_481/2021 du 4.7.2022 c. 3.3.2.
32 TF 4A_481/2021 du 4.7.2022 c. 3.3.2. et les réf. citées.
33 TF 8D_5/2021 du 10.2.2022, c. 7.2.4.
34 TF 8C_707/2020 du 1.12.2021 c. 4.1.2.
35 TF 8D_5/2021 du 10.2.2022, c. 7.3.
36 TF 8C_610/2021 du 2.2.2022.
37 TF 8C_610/2021 du 2.2.2022 c. 6.3.
38 TF 8C_610/2021 du 2.2.2022 c. 6.4.
39 TF 8C_335/2021 du 23.11.2021 c. 4.1.
40 TF 8C_335/2021 du 23.11.2021 c. 5.2.
41 TF 8C_335/2021 du 23.11.2021 c. 5.3 s.