Le critère principal de sélection des arrêts présentés est leur intérêt potentiel pour le praticien, qu’il soit avocat, juriste en entreprise ou conseiller au sein d’une organisation offrant du soutien en la matière.
Le contrat de travail
Dans un arrêt daté du 13 octobre 2013(1) relatif à une affaire genevoise, le TF s’est à nouveau penché sur un contrat de conciergerie, soit un contrat qualifié de «mixte», qui combine des prestations régies par les dispositions relatives au droit du travail et au droit du bail.
La question du droit applicable se pose notamment, et de manière très sensible, en cas de résiliation du contrat, le régime applicable dépendant de la «prestation déterminante» (ATF 131 III 566 c. 3.1).
Dans le cas d’espèce, le TF a considéré, en s’appuyant sur une partie de la doctrine, que la «prestation prépondérante» devait se déterminer, entre autres critères, suivant qu’il incombe au propriétaire ou au concierge de verser une soulte. C’est donc ici un facteur économique qui a été retenu. Très concrètement, comme le montant du salaire (800 fr.) était plus élevé que le loyer (600 fr.), la résiliation devait obéir, dans le cas traité, aux règles applicables en matière de droit du travail.
Par cette décision, le TF a apporté une réponse claire, pouvant s’appliquer dans toute la Suisse, y compris, justement, dans le canton de Genève, dont la pratique en cas de contrat mixte ne semblait pas toujours en adéquation avec la pratique fédérale(2).
Obligation de fidélité du travailleur
Tout récemment, un travailleur a appris à ses dépens que la violation d’une obligation de fidélité pouvait avoir des conséquences non seulement civiles (art. 328 CO et la partie générale du CO), mais également pénales.
Ainsi, le 16 janvier 2014, le TF a confirmé(3) que le fait, pour un travailleur, de mettre à la disposition de son nouvel employeur des données sur des clients, établies par lui-même chez un ancien employeur, ceci alors que le travailleur était lié par une obligation de discrétion et une interdiction de concurrence, constituait une violation de l’article 5 lit. a de la loi sur la concurrence déloyale (LCD) et, par conséquent une infraction pénale au sens de cette disposition.
Par l’exploitation d’une telle liste, le travailleur a bel et bien agi de façon déloyale en exploitant indûment le résultat d’un travail qui lui avait été confié.
Cet arrêt mérite sans doute une attention particulière, dans la mesure où il met en évidence que l’application de la LCD est souvent ignorée par les praticiens du droit du travail qui se contentent d’invoquer l’article 321a CO en cas de violation de l’obligation de fidélité de la part d’un travailleur. Le TF rappelle que les praticiens du monde du travail, qu’ils soient juges ou avocats, ne doivent pas craindre de se référer à d’autres dispositions de notre ordre légal que celles du Code des obligations ou de la loi sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce (LTr).
Responsabilité du travailleur
En 2007, à la suite des malversations financières, une banque a dû licencier avec effet immédiat un gestionnaire de fortune. Un mois après le licenciement, une transaction a été passée entre les parties. Elle prévoyait notamment une indemnisation de la banque par l’employé licencié à raison des frais occasionnés par les intervenants internes et externes mandatés par la banque afin d’établir les faits et pour prendre les mesures adéquates.
Le TF s’est posé la question suivante: la banque était-elle en droit d’exiger un tel remboursement de la part de son ancien employé? Par un arrêt du 4 juin 2013, le TF a répondu par l’affirmative(4). A son avis, il est évident que la banque aurait été fondée de mandater une fiduciaire dans de telles circonstances pour effectuer l’entier des recherches, et qu’elle aurait ainsi dû payer des honoraires qui représentent un dommage. Par conséquent, poursuit notre Haute Cour, quand bien même c’est un service interne qui a fait le travail, la banque était en droit d’exiger le remboursement selon un tarif qui se devait toutefois de rester «raisonnable». En conséquence, l’employé félon doit non seulement rembourser les sommes détournées, mais il doit, en plus, assumer le dédommagement de toutes les démarches internes qui s’imposent raisonnablement pour établir les faits relatifs aux opérations suspectes.
Indemnité de départ discrétionnaire/gratification
Le TF a validé une pratique très courante, souvent proposée par les employeurs ou leurs conseils, en jugeant conforme au droit l’accord selon lequel un employé a droit à une indemnité de fin de rapports de travail (indemnité de départ) à condition que les rapports de travail prennent fin à une date fixe.
Dans le cas d’espèce, le versement de l’indemnité de plus de 100 000 fr. était octroyé à condition que le contrat de travail se terminât le 30 octobre 2009. L’employeur était ainsi en droit de retenir ce versement si le contrat devait être prolongé pour l’une des causes énoncées à l’article 336c CO (protection contre le licenciement en temps inopportun, notamment en cas de maladie, d’accident ou de grossesse). L’employeur est en quelque sorte légitimé à proposer un geste, l’indemnité de départ, à condition que l’employé renonce, de son côté, à certains droits (la protection découlant de l’article 336c CO, dont indirectement les indemnités journalières de l’assurance perte de gain).
D’une manière générale, le TF est d’avis(5) que, contrairement au salaire, l’octroi d’indemnités peut parfaitement être conditionné, comme toute gratification au sens de l’article 322d al. 1 CO d’ailleurs, au respect de certaines conditions imposées par l’employeur.
Travailleur payé sur provision
Dans un arrêt publié(6), qui a eu un bon écho chez les praticiens, le TF a voulu assurer une meilleure protection de toute une catégorie de travailleurs qui, sans nécessairement être engagés en tant que voyageurs de commerce (articles 347 ss CO), sont rémunérés de manière exclusive ou, en tout cas prépondérante, par des provisions. Il importe dans ces cas-là que l’employeur verse une rémunération convenable.
S’appuyant sur la doctrine «moderne», le TF veut ainsi éviter l’exploitation de travailleurs par des employeurs qui feraient miroiter, notamment lors du recrutement, le versement de provisions irréalistes au regard des circonstances.
Le TF a considéré que le montant de 3874.25 fr. par mois représente un salaire convenable (et par conséquent «minimal», peut-on ajouter), car il est encore largement inférieur, selon les statistiques, au salaire mensuel brut pour des activités simples et répétitives dans l’Arc lémanique.
Cette décision représente sans aucun doute la grande nouveauté jurisprudentielle de l’année 2013: en effet, c’est de manière inattendue que le TF a étendu à tous les travailleurs soumis au CO une protection qui semblait jusqu’alors réservée aux voyageurs de commerce. Par cette décision, le TF a véritablement fait œuvre de législateur en accordant un salaire minimal à une certaine catégorie de travailleurs.
On relèvera, pour être complet, que le TF n’a en tout cas pas manifesté son intention de limiter à 3874.25 fr. le salaire «convenable» à verser dans de telles circonstances. Dans le futur, lorsqu’un juge sera appelé à connaître d’affaires comparables, tout dépendra des circonstances et du coût de la vie dans la région du lieu de travail, ce qui laisse encore une belle marge d’appréciation.
Protection de la personnalité du travailleur
Il n’est pas une année sans que le TF doive préciser la pratique concernant la protection de la personnalité des travailleurs (art. 328 CO), vaste sujet s’il en est. Ce fut encore le cas en 2013.
Il est fréquent que, lors d’un recrutement, un employeur prenne contact avec le précédent employeur d’un candidat à un poste. Il arrive que dans, de telles circonstances, l’ancien employeur donne des renseignements défavorables sur son ancien employé, et ceci peut-être même avec une volonté de nuire à ce dernier. Cette pratique est évidemment déplorable et condamnable. Elle n’a toutefois que peu occupé les tribunaux qui manquent le plus souvent de preuves.
Le TF a jugé l’année dernière(7) que seuls les renseignements erronés peuvent constituer une violation de l’article 328 CO. Si, à cause de tels renseignements, le travailleur n’obtient pas la place convoitée, il a bien droit à la réparation de son dommage. Comme souvent dans de telles circonstances, le TF a considéré qu’il valait mieux renvoyer l’affaire au Tribunal cantonal du canton de Vaud pour le calcul concret du dommage, une opération complexe et délicate.
Application de la LTr en cas de renvoi au droit suisse
Dans une affaire quelque peu singulière, connue comme celle du «boulanger afghan», le TF a précisé, dans un arrêt publié au Recueil officiel(8), que le renvoi au droit suisse dans un contrat de travail exécuté à l’étranger ne vaut pas pour la LTr, une loi qui, si l’on comprend bien, est trop adaptée aux particularités de la Suisse pour pouvoir être appliquée dans d’autres contrées.
Dans le cas d’espèce, il s’agit d’un boulanger allemand, domicilié en Allemagne, engagé par une entreprise suisse pour travailler à Kaboul. Cet employé se fondait sur la LTr pour justifier une créance portant sur des indemnisations, en sus du salaire convenu dans son contrat de travail, pour le travail effectué de nuit et durant les jours fériés lors de son séjour en Afghanistan. Le TF s’est opposé à ce raisonnement, au nom de grands principes juridiques, sans nécessairement les développer.
Cette décision est des plus sages. Il est vrai qu’admettre le raisonnement du demandeur n’aurait pas manqué de créer de nombreuses incertitudes et complications au vu des particularités de l’environnement afghan, de son calendrier, de ses jours fériés…
Licenciement abusif
On sait que l’article 336 al. 1 lit. a CO considère abusif le congé lorsqu’il est donné par une partie pour une raison inhérente à la personnalité de l’autre partie, à moins que cette raison n’ait un lien avec le rapport de travail ou ne porte, sur un point essentiel, un préjudice grave au travail dans l’entreprise. Le TF a déjà laissé ouverte la question de savoir si les traits de caractère ou certains types de comportement (Verhaltensmuster) font partie des raisons inhérentes à la personnalité selon cette disposition.
Au début de cette année, le TF a jugé(9), en conformité avec la majorité de la doctrine(10) et de la jurisprudence européenne, que licencier un travailleur parce qu’il était âgé de 70 ans ne pouvait pas être considéré comme un licenciement abusif au sens de notre Code des obligations. Dans une telle situation, il n’y a pas lieu, précise notre Haute Cour, d’appliquer l’article 8 al. 2 Cst. (protection contre les discriminations).
Cette dernière décision est parfaitement conforme à l’esprit de nos lois et à la pratique en vigueur dans notre pays depuis des décennies: en effet, à l’arrivée à la retraite, la vaste majorité des employés reçoivent une lettre de résiliation des rapports de travail sans que cela soit considéré comme une atteinte à la personnalité. Peut-être en ira-t-il autrement le jour où, pour des raisons économiques et démographiques, les personnes devront travailler après avoir atteint l’âge de 64 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes et ne pourront pas être licenciées avant d’avoir vu leur santé fortement décliner… Qui vivra verra!
Du formalisme dans le contrat de travail
Avant de conclure cette recension d’arrêts du TF, il faut encore citer deux décisions qui mettent en évidence les exigences, très formelles, du TF s’agissant des compléments au salaire.
Dans une décision concernant le travail de nuit, le TF a jugé(11) que l’employeur ne peut pas refuser de payer la majoration pour travail de nuit lorsque, bien que l’ayant formellement interdit, il tolère de fait que l’employé travaille entre 23 heures et 6 heures.
Dans six affaires identiques provenant de Bâle-Campagne(12), le TF a rappelé que, pour déroger à la règle d’une convention collective fixant le nombre d’heures de travail maximales à effectuer par semaine, un accord oral ne suffisait pas, et cela même s’il a été apparemment accepté durant de nombreuses années dans l’entreprise. Dans le cas d’espèce, les employés licenciés pour des raisons économiques étaient par conséquent parfaitement fondés à exiger en justice le paiement de ces heures supplémentaires pour les cinq ans précédant le licenciement, même s’ils n’ont jamais fait valoir ce droit précédemment. Il n’y a en tout cas pas abus de droit à agir de la sorte, précise le TF.
En conclusion, on rappellera, une fois encore, que, en droit du travail, les employeurs qui veulent se protéger contre de mauvaises surprises n’ont d’autres choix que de formaliser et de documenter les règles applicables et les accords convenus avec les travailleurs.
Un employeur averti en vaut deux!
*Spécialiste FSA en droit du travail.
(1) Arrêt du Tribunal fédéral du 17 octobre 2013, 4A_102/2013.
(2) A ce propos, voir Ullin STREIFF/Adrian VON KAENEL/Roger RUDOLPH, in «Arbeitsvertrag, Praxiskommentar zu Art. 319 – 362», 7e édition, 2013, Zurich – Basel – Genève, ad art. 319 note 11, p. 96.
(3) TF, arrêt du 16 janvier 2014, 6B_298/2013.
(4) TF, arrêt du 4 juin 2013, 4A_47/2013.
(5) TF, arrêt du 4 septembre 2013, 4A_219/2013.
(6) ATF 139 III 214.
(7) TF, arrêt du 31 juillet 2013, 4A_117/2013.
(8) ATF 139 III 141.
(9) TF, arrêt du 17 février 2014, 4A_399/2013.
(10) A titre d’exemple, voir Olivier SUBILIA/Jean-Louis DUC, Droit du travail, 2010, p. 556 no 15 ou Zürcher Kommentar, p. 170, art. 336 CO N° 16.
(11) TF, arrêt du 19 décembre 2013, 4_A434/2013.
(12) TF, arrêts du 18 septembre 2013, 4A_194/2013, 4A_196/2013, 4A_198/2013, 4A_200/2013, 4A_202/2013 et 4A_204_2013.