1. Restitution anticipée de la chose louée par le locataire
Le locataire qui a trouvé un nouveau logement correspondant mieux à ses attentes et souhaite pouvoir restituer la chose louée à sa régie sans avoir à respecter le préavis ou le terme contractuels, pour ne pas avoir à payer un double loyer, doit présenter à celle-ci un candidat de remplacement (art. 264 CO). Celui-ci doit être prêt à reprendre la chose aux mêmes conditions, solvable, et ne pas prêter le flanc à des critiques objectives de la part de la régie.
1.1 Restitution de la chose louée
Dans un arrêt récent(3), le Tribunal fédéral (ci-après: TF) a pu rappeler ce qu’était la restitution effective de la chose louée par le locataire. Premièrement, la restitution se fait par remise de la chose même ou des moyens qui la font passer dans la puissance du bailleur. Ainsi, lorsque le bail porte sur des locaux, le locataire doit remettre tous les jeux de clés servant à y accéder, y compris les éventuels doubles qu’il a fait faire. L’application de l’art. 264 CO suppose donc que le locataire manifeste clairement et sans ambiguïté son intention de restituer la chose au bailleur de façon anticipée, de manière qu’il lui appartient de procéder effectivement à la restitution complète et définitive, par la remise des clés au bailleur, et qu’il ne peut se contenter de laisser les locaux vides et inoccupés. A noter que le TF va, ici, plus loin que ne l’exigent certains précédents, qui atténuent, selon les cas, l’obligation de restituer toutes les clés (si la restitution ultérieure d’une clé ne suffit pas à exclure la volonté du locataire de restituer les lieux) ou admettent, malgré l’absence de remise de toutes les clés, une libération anticipée du locataire qui a manifesté clairement et sans ambiguïté son intention de rendre les locaux, dès lors que le bailleur adopte un comportement contraire à la bonne foi, par exemple en refusant obstinément et sans raison la remise des clés(4). Si le locataire prudent sera bien inspiré de redonner toutes les clés – au besoin en allant à la régie et se faisant donner quittance de la restitution, voire en adressant toutes les clés par pli recommandé au bailleur –- il faut admettre une certaine souplesse au vu des circonstances du cas, notamment en fonction du comportement des parties, de manière qu’une lecture trop stricte de cet ATF ne devrait pas être de mise. Cet arrêt est également intéressant en ce sens qu’il rappelle que la restitution des locaux n’intervient que lorsque le locataire a remis les locaux vides, mais, là encore, il conviendra de n’être pas rigoriste, puisque, selon les cas, le bailleur pourra obtenir le remboursement des frais qu’il a dû assumer si le locataire a omis de vider et/ou de nettoyer les locaux. En l’espèce, le TF admet ainsi la restitution effective, malgré la présence dans les lieux de câbles et d’un carton. L’important est en effet de ne pas pouvoir douter de la volonté du locataire de quitter les locaux.
1.2 Offre d’un remplaçant
Le TF avait déjà laissé entendre que l’offre d’un candidat répondait à des exigences minimales(5). Ainsi, l’indication à la régie (par prudence par écrit et en recommandé) des coordonnées exactes des candidats devrait suffire, ce que le TF confirme dans un arrêt plus récent(6), notre Haute Cour reprochant, en l’espèce, au locataire de ne pas avoir «donné à la bailleresse l’occasion de conclure un nouveau bail», car il s’est trouvé «dans l’incapacité de fournir des coordonnées permettant de joindre une personne disposée à reprendre le bail». Cette mise au point est bienvenue lorsqu’on sait que certains auteurs – et certaines régies en pratique – exigent que le locataire remette au bailleur un dossier complet avec certificats de salaire, attestation de non-poursuite et références(7). Il faut bien plutôt penser que c’est au bailleur, notamment lorsqu’il est représenté par une régie, de joindre le candidat et d’obtenir toutes clarifications nécessaires. Rappelons que, en pratique, il sera plus aisé à la régie de se voir révéler des données aussi privées que des revenus, qu’au locataire sortant, auquel le candidat de remplacement se livrera moins volontiers. L’étendue des informations et des documents remis par le locataire sortant au bailleur ne devrait donc jouer de rôle que dans l’examen de la durée admissible du temps de réflexion laissé au bailleur pour se prononcer sur le remplaçant proposé (plus le dossier est complet, plus le délai sera court).
1.3 Solvabilité du remplaçant
Le remplaçant proposé doit être solvable, dit la loi. Le TF a laissé ouverte récemment la question de savoir si serait acceptable une personne insolvable mais pourvue d’une garantie suffisante, en l’espèce un cautionnement(8). Le TF n’a pas eu à trancher la question, car le cautionnement était vicié, faute notamment d’indiquer numériquement l’engagement total que la caution était prête à assumer. Il va de soi, à notre avis, que la garantie sous forme d’un colocataire – solvable – solidairement responsable est admissible. On la rencontre d’ailleurs souvent en pratique pour deS jeunes gens en formation. Un cautionnement valable au sens de l’art. 493 al. 1 CO devrait également être admis, pour peu que l’engagement total de la caution corresponde à un montant suffisamment élevé, au regard des circonstances importantes pour le bailleur (montant du loyer, caractéristiques des locaux, durée prévisible d’une procédure d’expulsion, etc.). Un cautionnement valable d’un montant couvrant les éventualités auxquelles le bailleur pourrait être exposé, considérées de manière loyale et raisonnable, devrait ainsi être admis au regard de l’art. 264 CO.
1.4 Remplaçant disposé à reprendre la chose aux mêmes conditions
Pour que le locataire soit libéré, il est essentiel que le successeur proposé soit prêt à reprendre le bail aux mêmes conditions. L’idée sous-jacente est que le bailleur doit se trouver dans la même situation que celle qui aurait été la sienne si le bail s’était poursuivi avec le même preneur. Le locataire de remplacement doit donc accepter les locaux dans l’état où ils se trouvent. Toutefois, le TF précise dans un récent arrêt, que le remplaçant reste acceptable, s’il sollicite des travaux de remise en état que le locataire sortant était en droit de réclamer(9).
Ainsi, en général, le remplaçant pourra exiger des travaux d’entretien nécessaires, mais ni de menues réparations qui seraient à la charge du sortant (ici, le TF retient que les personnes proposées n’étaient pas disposées à reprendre le bail «aux mêmes conditions» dans la mesure où elles demandaient des travaux de nettoyage que le sortant ne pouvait pas réclamer à sa bailleresse [art. 259 CO]), ni des prestations supplémentaires au sens de l’art. 269a lit. b CO, ni encore la réparation de dégâts imputables au locataire.
2. Protection contre les congés
2.1 Délais
Le locataire qui reçoit la résiliation de son bail peut la contester sous 30 jours dès réception. Dans un récent arrêt(10), le TF a tranché que ce délai court dès le jour où le locataire diligent pouvait prendre connaissance de la résiliation et pas celui où il prend effectivement connaissance de l’envoi. Le TF rend, ici, une décision surprenante, puisqu’il se réfère sans discussion à un ATF 137 III 208 qui tranchait une question différente, soit le moment où le congé déploie ses effets(11). Le TF se prononce par ailleurs dans une composition à trois juges, alors qu’une question de cette importance aurait justifié une composition à cinq, et alors même que le TF aurait pu s’abstenir, car le recours sur lequel il avait à se prononcer était irrecevable. Le délai de contestation doit être compté dès le jour de la prise de connaissance effective, ne serait-ce que parce que c’est ce que comprend le quidam en lisant la formule officielle l’informant de ses droits. A défaut, les considérations relatives à la procédure simplifiée protectrice de la partie faible ne seraient que des mots. Les critiques émises contre cet arrêt devraient amener notre Haute Cour, dans un prochain cas, à revoir sa copie, de manière que la portée de cet arrêt ne doive pas être exagérée(12).
2.2 Protection contre les congés de représailles consécutifs à une entente entre les parties
Le législateur a prévu un système de protection, qui se veut efficace, contre les congés de représailles et qui prévoit que le bail ne peut être résilié que pour certains motifs strictement listés dans la loi, lorsqu’une procédure a opposé les parties ou qu’un accord a été trouvé hors procédure.
Selon l’art. 271a al. 2 CO, le délai de protection de trois ans pendant lesquels le locataire est protégé contre une résiliation qui ne serait pas donnée pour les motifs exhaustivement listés à l’alinéa 3 de l’art. 271a CO, est également applicable lorsque le locataire peut prouver par des écrits qu’il s’est entendu avec le bailleur, en dehors d’une procédure de conciliation ou d’une procédure judiciaire, sur une prétention relevant du bail.
Dans l’ATF 130 III 563, le TF a donné une définition très stricte de l’«entente», en l’assimilant à une transaction avec des concessions réciproques.
Selon la doctrine, le terme «entente» doit pourtant être largement compris et, pour qu’il y ait entente, il suffit que le bailleur fasse une concession par rapport à sa position initiale, alors qu’une concession réciproque du locataire n’est pas nécessaire, ce qui ressort également de l’art. 271a al. 1 lit. e ch. 2 CO, selon lequel le délai de protection s’applique lorsque le bailleur a unilatéralement abandonné ses prétentions dans une procédure(13).
Récemment, le TF a rendu un arrêt(14) qui semble aller dans le sens d’une interprétation moins stricte de l’entente. L’entente au sens de l’art. 271a al. 2 CO, selon ce jugement, est un arrangement amiable par lequel les parties règlent un différend définitivement. Par conséquent, l’art. 271a al. 2 CO ne s’applique pas lorsqu’il n’y a pas de litige, parce que l’une ou l’autre des parties donne directement suite à la requête de son cocontractant. In casu, le litige a porté notamment sur le dédommagement pour des nuisances subies pendant un chantier de rénovation. La régie avait, dans un premier temps, répondu que le dédommagement était intervenu sous forme de l’installation d’une climatisation dans le restaurant du locataire. Le locataire avait contesté cette façon de voir et réclamé le remboursement d’un mois de loyer à titre d’indemnisation pour les travaux de rénovation. La bailleresse accédera finalement à cette demande. Dans un tel cas, malgré l’absence de concessions réciproques, le TF estime qu’il y a eu litige entre les parties, et donc entente une fois un arrangement trouvé, de manière que le délai de protection contre les congés de représailles avait bien commencé à courir.
2.3 Congé pour louer à un tiers à un prix plus élevé
De longue date, le TF admet la validité du congé motivé par le souhait du bailleur de relouer l’objet à un tiers à un loyer plus élevé(15).
Plus récemment, le TF a rappelé que, pour que le congé contesté soit dans une telle hypothèse validé, il appartient au bailleur de faire la preuve stricte qu’il est légalement en mesure d’exiger du nouveau locataire un loyer supérieur au loyer payé jusque-là par le preneur congédié(16), notamment par la preuve d’exemples comparatifs en nombre suffisants, démontrant que le loyer actuel est en dessous des loyers usuellement pratiqués dans le quartier.
En dernière date, le TF a précisé que, pour faire la preuve stricte précitée, les exemples comparatifs produits devaient être analysés concrètement et rigoureusement, comme lorsque le juge doit décider du bien-fondé d’une hausse du loyer, la détermination des loyers usuels du quartier ne s’effectuant pas sur la base d’une «impression d’ensemble»; en effet, un tel mode de procéder se heurterait à la règle bien établie selon laquelle le juge doit se livrer à des comparaisons concrètes, en fonction des critères énumérés à l’art. 11 OBLF(17).
Cet arrêt amène une précision bienvenue, puisque certains bailleurs prétendaient remplacer la qualité des exemples fournis par la quantité de ceux-ci, estimant que le juge devait se déclarer convaincu après un examen impressionniste des preuves. Il est aussi plus conforme au principe selon lequel un congé ne devrait pas permettre de viser une hausse du loyer qui ne serait, au demeurant pas possible en cours de bail, et au fait que la liberté de mettre un terme au contrat de bail est limitée par l’obligation d’agir conformément aux règles de la bonne foi, étant précisé que le législateur a voulu cette restriction, afin notamment de protéger le locataire, en tant que partie faible, de tenir compte de l’importance du logement comme besoin indispensable de l’individu, de promouvoir la paix sociale et de combattre la spéculation immobilière(18).
3. Point de départ des intérêts moratoires
3.1 En matière de réduction du loyer pour défaut de la chose louée
Dans un récent arrêt(19), le TF rappelle le point de départ des intérêts moratoires, point très souvent omis en pratique dans les conclusions des locataires sollicitant une réduction du loyer pour le défaut affectant leurs locaux.
Il est rappelé que les intérêts moratoires supposent la demeure du bailleur, et donc une mise en demeure (art. 102 al. 1 CO). Les intérêts ne courent que dès la réception de la mise en demeure. Toutefois, comme le locataire se contente le plus souvent de faire des avis de défaut, sans mettre le bailleur en demeure, les intérêts, pour peu qu’il y soit conclu dans un mémoire, ne courront que dès la date à laquelle le bailleur se voit notifier le mémoire de demande du locataire (art. 105 al. 1 CO), et pas, précise le TF, le jour du dépôt de la demande.
3.2 En matière de fixation du loyer par le juge, lorsque la notification du loyer initial est viciée
Voilà un point qui devrait rencontrer une importance pratique accrue, car le Conseil fédéral a annoncé récemment que la formule de notification du loyer initial (art. 270 al. 2 CO), qui informe le locataire du loyer payé par son prédécesseur et des motifs présidant à la fixation de son loyer ainsi que de son droit de contester le loyer s’il l’estime abusif, sera obligatoire pour toute la Suisse.
Le TF a déjà dit que le loyer était nul, soit quand la formule n’a pas été remise au locataire, soit quand elle est viciée, car il y manque un élément décisif(20). Le juge peut alors, à la demande du locataire, fixer le loyer et condamner le bailleur au remboursement du trop payé de par le passé.
En pratique, les tribunaux, à tout le moins genevois, font courir les intérêts, s’agissant du trop perçu, dès le jour de l’entrée en force du jugement fixant le loyer. En matière de contestation du loyer initial, à savoir quand le loyer a été valablement notifié, cela apparaît correct, puisque l’art. 270e CO stipule que le bail est inchangé pendant une procédure. En revanche, cela l’est moins s’agissant d’un loyer nul.
Le TF semble considérer que, dans un tel cas, les intérêts courent dès la date moyenne(21), (la date d’exigibilité moyenne des sommes versées en trop), il est vrai sans l’avoir discuté. Au vu de l’absence d’application dans un tel cas de l’art. 270e CO, il se justifierait toutefois d’admettre que tel est le cas.
(1) Lire plaidoyer 6/12 du 20 novembre 2012.
(2) Plusieurs revues juridiques se livrent à cet exercice. Voir récemment: LANDRY-BARTHE, Nathalie, Droit du bail, in Journal des tribunaux. 2, vol. 161(2013), pp. 129-137; HEDIGER, Bruno, Ent-wicklungen im Mietrecht, in Schweizerische Juristen-Zeitung, 109 (2013), pp. 309-316. Une présentation annuelle et commentée des Arrêts du Tribunal fédéral (ci-après: ATF) est faite chaque année en décembre par la revue du Séminaire sur le droit du bail de l’Université de Neuchâtel, Droit du Bail. Enfin, une newsletter en ligne (www.bail.ch/newsletter) présente, chaque mois, toutes les décisions du TF.
(3) Arrêt du TF 4A_388/2013, c. 2.
(4) Voir les exemples cités par TERRAPON, Pascal, Transfert du bail et restitution anticipée de la chose louée, in 17e Séminaire sur le droit du bail, pp. 172-173.
(5) Voir arrêt du TF 4A_373/2008 et les remarques y afférentes de l’auteur in plaidoyer 6/12 du 20 novembre 2012.
(6) Arrêt du TF 4A_557/2012, c. 2.1.
(7) Voir pour un point de vue très orienté en faveur du bailleur, BÄTTIG, Hans, Die vorzeitige Rückgabe der Mietsache, in MRA 4/12, pp. 177 ss, p. 180. Même cet auteur conseille toutefois au bailleur de contacter le locataire sortant pour obtenir plus de détails, en tant que de besoin.
(8) Voir arrêt du TF 4A_411/2013, c. 4; voir aussi le commentaire de MONTINI, Marino, in Newsletter Bail.ch février 2014.
(9) Arrêt du TF 4A_557/2012, c. 2.1.
(10) Arrêt du TF 4A_471/2013, c. 2.
(11) Voir, déjà à propos de cet arrêt publié, la critique de KOLLER, Thomas, in ZBJV 149/2013, p. 46.
(12) Voir en particulier KOLLER, Thomas, Wenn mir Mon-Repos die Ruhe raubt…, in Jusletter, 3 février 2014, et la critique fouillée de BÄRTSCHI, Harald, et ACKERMANN, Ruedi, in Jusletter, 3 février 2014.
(13) Voir la note de PROBST, Thomas, à l’ATF 130 III 563, in Droit du bail, N° 17/2005, p. 45.
(14) Arrêt du TF 4A_671/2012, c. 3.1.
(15) ATF 120 II 105, c. 3b.
(16) Arrêt du TF 4A_472/2007, c. 2.
(17) Arrêt du TF 4A_612/2012, c. 3.2.2.
(18) Arrêt du TF 4A_414/2009, c. 3.1
(19) Arrêt du TF 4A_11/2013, c. 5.
(20) ATF 124 III 62.
(21) Arrêt du TF 4A_490/2011, c. 4.4.