Vu la multitude d’arrêts rendus par notre Haute Cour en droit du bail depuis deux ans et les nombreuses publications y afférentes, nous avons choisi de nous limiter à la présentation détaillée de quelques arrêts intéressants, en particulier pour les praticiens, plutôt que de proposer un simple survol de la jurisprudence.
1. Stipulation pour autrui dans le cadre d’une vente d’immeuble
TF 4A_520/2013 du 17 février 2014
A la suite de la vente d’un immeuble à Vevey, les deux acheteurs se sont obligés, par acte authentique, à reprendre les baux à loyer existants «en se réservant de les maintenir, les modifier ou les résilier en observant les délais légaux et conventionnels ainsi que toutes les dispositions relatives à la protection des locataires». Le contrat comporte également un engagement personnel pris par les acquéreurs à ne pas requérir la démolition totale de l’immeuble et à maintenir le bail à loyer d’un local commercial exploité par une imprimerie. La validité de ces obligations échoit le 1er juillet 2020.
L’un des acheteurs, devenu propriétaire unique de l’immeuble, décide, malgré tout, de résilier le bail des locataires de l’imprimerie avec effet au 1er juillet 2014 avec, pour motif, la démolition et la reconstruction complète du bâtiment. Les locataires contestent ce congé en vain, car, selon les juges, la clause de l’acte de vente est une stipulation pour autrui imparfaite qui oblige l’acheteur à l’égard des vendeurs, mais ne peut pas être invoquée dans une procédure entre l’acheteur et les locataires.
Suite à cette décision, les vendeurs de l’immeuble ouvrent conjointement action contre l’acheteur et nouveau propriétaire. Celui-ci est condamné, en première instance, à maintenir les locataires dans les locaux et à conclure avec ces derniers un bail à loyer – aux conditions du précédent contrat – jusqu’au 1er juillet 2020. En seconde instance, les juges cantonaux modifient légèrement la décision du premier juge et obligent le propriétaire à offrir la conclusion d’un bail aux locataires, plutôt qu’à en conclure un avec eux. Le bailleur conteste l’arrêt cantonal devant le TF qui rejette son recours.
Dans sa décision, notre Haute Cour confirme que l’art. 112 al. 1 CO autorise les vendeurs à réclamer en justice l’exécution de l’obligation à laquelle se sont engagés les acheteurs (dont le nouveau propriétaire de l’immeuble), obligation qui avait pour objet de maintenir le bail à loyer qui avait débuté en 2004. Selon les juges fédéraux, l’ordre de proposer aux locataires la conclusion d’un nouveau bail est un moyen adéquat au regard de l’art. 98 al. 1 CO d’imposer l’exécution. Ceci est également conforme à l’art. 98 al. 3 CO, qui permet au créancier d’exiger que ce qui a été fait en contravention de l’obligation soit supprimé.
Ainsi, proposer aux locataires un nouveau bail, aux conditions du précédent contrat, remédie à la résiliation – adressée le 18 novembre 2008 en violation de cette obligation –, car il suffit aux destinataires de l’offre de l’accepter pour s’assurer, comme si le bail initial n’avait pas été résilié, l’usage des locaux au-delà du 1er juillet 2014, date à laquelle le congé devait prendre effet.
Cet arrêt présente un grand intérêt pour les locataires qui se retrouveraient dans une situation similaire, car il confirme qu’à certaines conditions, ils ont la possibilité de demeurer dans l’objet loué, même si une résiliation leur a été valablement signifiée. Cela implique toutefois d’avoir connaissance du contrat de vente, mais celui-ci peut être aisément obtenu en en requérant la production dans le cadre de la procédure de contestation du congé. Il restera alors aux locataires à convaincre le vendeur de faire valoir ses droits à l’exécution de l’obligation à laquelle l’acheteur s’est engagé.
Il n’est pas inutile de préciser que, dans une note publiée dans la revue Droit du bail, Christine Chappuis explique de manière convaincante qu’une stipulation pour autrui parfaite aurait dû être retenue par les juges en lieu et place d’une stipulation pour autrui imparfaite (DB 2014 p. 17). Cela signifie que, dans le cas d’espèce, les locataires auraient pu s’opposer à la résiliation anticipée avec succès, en exigeant directement et personnellement l’exécution de l’obligation prise par le nouveau propriétaire de maintenir le bail jusqu’en 2020 (art. 112 al. 2 CO).
Les développements qui précèdent doivent donc inciter les praticiens à se montrer particulièrement attentifs aux clauses figurant dans un contrat de vente qui imposent des obligations aux acheteurs, lorsqu’une résiliation est donnée dans le contexte d’un transfert légal de bail consécutif à l’aliénation d’un immeuble.
2. Congé ordinaire vs. congé extraordinaire
TF 4A_464/2014 du 21 novembre 2014
Dans un arrêt de novembre 2014, le TF annule la résiliation ordinaire signifiée le 14 mars 2011 à une locataire née en 1934 et vivant dans l’immeuble litigieux depuis 1939. A l’appui du congé, le propriétaire invoque que les locaux loués ne sont pas entretenus et se trouvent dans un état de salubrité inacceptable. Les autorités judiciaires cantonales établissent qu’au moment du congé, de nombreux objets jonchent le sol de l’appartement, qu’il est très difficile de se déplacer dans la chambre à coucher, qu’un perroquet vit en liberté et y dépose des excréments et que l’une des portes intérieures – rongée par l’animal sur une grande partie de sa surface – est fortement endommagée. Elles précisent toutefois que les peintures et les tapisseries datent des années 1940 et que la locataire n’a jamais réclamé ni travaux ni rafraîchissement.
A la suite de la résiliation, qui l’a atteinte tant psychiquement que physiquement, la locataire met tout en œuvre pour faire débarrasser et nettoyer les lieux, se sépare de son animal de compagnie, répare les dégâts, règle les frais et mandate une aide-ménagère pour l’avenir. Lors de l’inspection locale, les pièces sont rangées et propres.
Le TF rappelle qu’au terme de l’art. 271 al. 1 CO, la résiliation d’un bail d’habitation ou de locaux commerciaux est annulable lorsqu’elle contrevient aux règles de la bonne foi. Cette disposition protège le locataire, notamment contre le congé purement chicanier qui ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection, et dont le motif n’est qu’un prétexte. Le locataire est protégé en cas de disproportion grossière des intérêts en présence; il l’est également lorsque le bailleur use de son droit de manière inutilement rigoureuse ou adopte une attitude contradictoire. Il s’agit d’une jurisprudence bien établie.
Dans ce contexte, la Cour cantonale a estimé qu’en l’espèce, il y a une disproportion grossière des intérêts en présence et que le propriétaire a usé de son droit de manière inutilement rigoureuse. Son intérêt à sauvegarder le bon état des locaux, purement pécuniaire, s’oppose à la situation personnelle particulièrement pénible de la locataire, sa situation étant caractérisée par le grand âge et la solitude, la très longue durée de sa présence dans les locaux et sa difficulté à abandonner des meubles et des objets qui ont appartenu à ses parents. La Cour souligne en outre que l’encombrement et l’insalubrité qui ont motivé le congé ont pu être résolus simplement et rapidement par l’intervention d’une entreprise dans cet appartement qui n’a pas été entretenu depuis des décennies. En raison du «problème humain» de la locataire, son intérêt à conserver l’appartement prime celui du propriétaire à se le faire restituer pour le motif avancé.
Statuant sur le recours du propriétaire, le TF confirme la décision des autorités de première instance estimant que le congé se fonde sur des motifs légitimes, le propriétaire voulant à juste titre que l’appartement soit rétabli dans un état apte à l’habitation normale des lieux. Cependant, pour parvenir à ce but, les congés ordinaire (art. 266a al. 1 CO) et extraordinaire (art. 257f al. 1 et 3 CO) étaient tous les deux aptes à lui permettre d’atteindre ce but dans un délai raisonnable. Le congé extraordinaire suppose préalablement une protestation écrite du propriétaire adressée à la locataire. Par conséquent, si le propriétaire avait agi ainsi, la locataire aurait pu rétablir une situation conforme à ses obligations, ce qui est confirmé par la remise en état de l’appartement effectuée par la locataire après avoir reçu le congé. Les juges fédéraux estiment donc que l’objectif du propriétaire se serait réalisé, sans que la locataire perde son logement. Au regard de l’ensemble des circonstances et, en particulier en tenant compte du fait qu’une personne âgée ne supporte que difficilement le choc d’un déménagement et ne s’adapte que difficilement à un nouveau logement, le congé ordinaire est, en l’occurrence, inutilement rigoureux. Le propriétaire aurait dû passer par la voie du congé extraordinaire, approprié au but visé, mais nettement moins dommageable pour sa partenaire contractuelle, étant donné la nécessité de lui adresser une sommation et de la possibilité, de cette manière, de mettre fin à la violation du contrat.
Cet arrêt est particulièrement marquant, puisque les décisions dans lesquelles un locataire est protégé en cas de disproportion grossière des intérêts en présence ou de l’utilisation par le bailleur de son droit de manière inutilement rigoureuse ne sont pas légion. Jacques Ansermet, dans les Cahiers du bail, estime que l’arrêt du TF est critiquable, car il aurait tenu compte de faits postérieurs au congé, alors que la validité d’une résiliation doit être appréciée en fonction des circonstances présentes au moment de cette manifestation de volonté (CdB, n° 2, juin 2015). Nous ne pouvons soutenir cette analyse. En effet, la décision de notre Haute Cour n’a pas été prise en fonction de la remise en état de la locataire post-congé, mais bien au vu de l’ensemble des circonstances. Or, ce qui semble avoir convaincu les différentes autorités judiciaires dans cette affaire, c’est bien que, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, l’objectif légitime du propriétaire, à savoir rétablir l’appartement dans un état apte à l’habitation normale, aurait pu être atteint par le biais d’une protestation écrite accompagnée d’une menace de résiliation extraordinaire. Par conséquent, si le raisonnement du TF peut paraître à première vue contre-intuitif, il est en réalité parfaitement logique et conforme tant au texte légal qu’à sa jurisprudence.
3. Résiliation pour non-paiement du loyer
TF 4A_260/2015 du 4 août 2015
Un récent arrêt du TF confirme sa jurisprudence constante selon laquelle le congé prononcé en raison du non-paiement du loyer dans le délai comminatoire ne peut être annulé que tout à fait exceptionnellement.
Dans une affaire genevoise, une société loue depuis le 1er novembre 1994 des locaux commerciaux destinés à l’exploitation d’une bijouterie de luxe en contrepartie d’un loyer mensuel de 18 805 fr. La bailleresse met en demeure une première fois la locataire pour les loyers de février et mars 2012, avec menace de résiliation. Elle en fait de même pour le loyer d’avril 2012. En juin 2012, la propriétaire doit une nouvelle fois sommer sa locataire, sous menace de congé, de régler dans les 30 jours la somme totale de 37 630 fr. correspondant au loyer de mai et de juin 2012, plus 20 fr. de frais de rappel. Ce pli est distribué le 15 juin 2012. Le 4 juillet 2012, la locataire paie 18 805 fr. et allègue en procédure avoir téléphoné à la gérance de la bailleresse le lundi 16 juillet 2012 pour obtenir un délai de 24 heures, afin de verser le solde dû; la personne responsable, non joignable, devait, au dire de la locataire, reprendre contact le lendemain, ce qu’elle a omis de faire. Le 18 juillet 2012, la bailleresse notifie à la locataire la résiliation des baux contractés par la locataire. Le congé est motivé par le non-paiement des loyers malgré la mise en demeure du 14 juin 2012, cela conformément à l’art. 257d CO. Le lendemain, la locataire procède au versement de 18 805 fr., correspondant au solde du montant réclamé le 14 juin 2012, sans le remboursement des frais de rappel.
Tant le Tribunal des baux que l’instance cantonale supérieure confirment les congés et ordonnent l’évacuation des locaux. Ils estiment que le paiement du solde du loyer a été fait trois jours après l’échéance du délai comminatoire, que la locataire n’a pas apporté la preuve qu’un délai supplémentaire lui aurait été accordé et, de toute manière, qu’elle ne s’est pas toujours acquittée à temps du loyer dans le passé, ayant fait l’objet de mises en demeure quelques mois auparavant, si bien que les résiliations ne sont pas contraires à la bonne foi.
Notre Haute Cour confirme ces décisions. Elle indique, en premier lieu, qu’un locataire mis en demeure pour non-paiement du loyer ne peut pas, de bonne foi, inférer que le bailleur lui accorde un délai supplémentaire en contactant la gérance le dernier jour du délai comminatoire pour obtenir une prolongation et en recevant l’indication que la personne responsable est inaccessible et reprendra contact le lendemain. Ensuite, sur les griefs liés à la violation de l’art. 271 CO qui réprime les congés donnés en violation du principe de la bonne foi, les juges fédéraux rappellent que, selon l’art. 257d al. 2 CO, le bailleur peut, à défaut de paiement dans le délai comminatoire fixé (au moins trente jours pour les baux d’habitation et les locaux commerciaux), résilier le contrat pour la fin d’un mois. La jurisprudence admet que le congé prononcé conformément à l’art. 257d CO peut, à titre très exceptionnel, contrevenir aux règles de la bonne foi, toutefois la notion doit être interprétée très restrictivement. L’annulation entre en considération notamment si le bailleur réclame au locataire une somme largement supérieure à celle en souffrance sans être certain du montant effectivement dû, si l’arriéré est insignifiant ou est réglé très peu de temps après l’expiration du délai comminatoire alors que le locataire s’était jusque-là toujours acquitté du loyer à temps, ou si le bailleur ne résilie le contrat que longtemps après l’expiration de ce même délai. Cependant, notre Haute Cour considère qu’en l’espèce, la locataire a payé le solde trois jours après l’expiration du délai comminatoire, et avait déjà tardé à payer le loyer des mois précédents, de sorte que, dans ces circonstances, il ne saurait être question ni d’un retard négligeable ni de mauvaise foi de la bailleresse.
Cette décision démontre, une fois encore, que le congé notifié conformément à l’art. 257d CO ne peut être considéré comme contrevenant aux règles de la bonne foi que dans des cas très exceptionnels, cette notion devant être interprétée très restrictivement. Il sied enfin de relever qu’en cas de non-paiement du loyer, les propriétaires optent le plus souvent pour la procédure dite «des cas clairs» de l’art. 257 CPC, ce qui accélère le processus menant à l’expulsion des locataires.
4. Fixation du loyer
TF 4A_198/2014 du 17 juillet 2014 et 4A_517/2014 du 2 février 2015
Deux arrêts du TF confirment que la maxime inquisitoriale sociale, applicable dans les litiges en matière de bail à loyer concernant la protection contre les congés, les loyers abusifs, ainsi que la prolongation de bail, n’oblige pas le juge à instruire d’office le litige lorsqu’un plaideur renonce à expliquer sa position. Dans ces décisions, les autorités judiciaires ont été appelées à fixer le loyer initial, les bailleurs n’ayant pas informé leurs locataires, à l’aide de la formule officielle – obligatoire dans le canton de Vaud en l’occurrence –, du loyer payé par le locataire précédent. Lorsque de telles situations se présentent, la validité du contrat de bail n’est pas remise en cause, mais cela entraîne la nullité de la clause fixant le loyer. La loi ne précise pas comment le juge doit compléter le contrat et fixer le loyer initial. La jurisprudence a comblé cette lacune et a retenu qu’il doit se fonder sur toutes les circonstances du cas. Parmi les facteurs à prendre en compte, il y a notamment la limite du rendement excessif, les loyers non abusifs pratiqués dans le quartier et le loyer payé par le précédent locataire.
En l’espèce, les bailleurs n’ont pas apporté les éléments nécessaires pour permettre un calcul du rendement net, calcul qui nécessite au moins, selon la jurisprudence, la connaissance du prix d’achat de l’immeuble, respectivement du prix d’achat du terrain et de la construction ainsi que du montant des fonds propres investis et des capitaux empruntés. Aussi, bien que les bailleurs ne soient pas autorisés à tirer profit d’une omission de produire des documents requis permettant de calculer le rendement net, le juge n’est pas forcé d’instruire d’office le litige. Cela a pour conséquence qu’il peut se baser, faute de mieux, sur des données statistiques ou sur son expérience. Selon notre Haute Cour, le juge cantonal dispose en effet d’une grande marge d’appréciation lorsqu’il doit fixer le loyer initial, le TF ne revoyant qu’avec retenue la décision que ce dernier prend à cet égard.
Il est intéressant de noter que, dans le premier arrêt (soit celui du 17 juillet 2014), les locataires se sentent lésés par la décision de ne pas calculer le rendement net, alors que, dans la décision du 2 février 2015, ce sont les propriétaires qui, estimant avoir produit suffisamment de documents, se plaignent de l’absence d’un calcul de rendement net.
Quoi qu’il en soit, le TF maintient sa jurisprudence qui pose, à notre avis, problème, puisque, même si les juges de Mon-Repos s’en défendent, le bailleur peut en pratique tirer profit de l’omission de produire les pièces requises en vue de calculer le rendement. En particulier dans la période actuelle où le taux hypothécaire est très bas, un calcul de rendement est souvent défavorable au propriétaire. Par ce biais, l’on parvient en effet régulièrement à des loyers très bas, calculés de manière parfaitement conforme au système voulu par le législateur qui permet la fixation du loyer en partant du critère absolu que constitue le rendement excessif de la chose louée (art. 269 CO). Or, lorsque les loyers sont fixés selon l’expérience du Tribunal, voire selon les loyers usuels, ils sont, en règle générale, plus élevés que lorsqu’ils sont calculés en fonction du rendement, ce qui avantage donc les propriétaires.
Pour essayer de contourner ces obstacles, le locataire prudent aura ainsi tout intérêt à requérir la production des documents permettant de calculer le rendement, non seulement en main du bailleur ou du propriétaire, mais également auprès de toute personne disposant des pièces utiles. On peut penser, entre autres, à la gérance, lorsque l’objet litigieux est géré par une régie immobilière, au Registre foncier ou à celui qui a vendu l’objet litigieux au propriétaire. L’autre avantage en agissant de la sorte, c’est qu’en procédure civile, les tiers, au contraire des bailleurs (agissant comme partie dans le cadre de la procédure judiciaire), doivent produire les documents exigés par les tribunaux, au risque d’y être contraints par le biais d’une exécution forcée, ce qui s’avère souvent une «menace» dissuasive.
5. Les loyers usuels
TF 4A_179/2015 du 16 décembre 2015
Deux locataires prennent à bail, à compter du 1er mars 1994, un appartement de trois pièces et demie à Morges. Après avoir vu trois demandes de baisse de loyer leur être refusées par leur bailleresse entre mars 2011 et août 2012 au motif que le montant usuel du loyer correspondrait aux loyers pratiqués dans le quartier, les locataires présentent une nouvelle demande de réduction du loyer invoquant la baisse du taux hypothécaire de 3,75% à 2,25% et la hausse de l’IPC. La bailleresse n’y répond pas, puis, dans un second temps, invoque les loyers usuels pour refuser la baisse exigée. Saisi, le Tribunal des baux invite la bailleresse à fournir un certain nombre de documents, parmi lesquels l’adresse et la désignation précise de cinq ou six appartements de comparaison situés dans la localité ou le quartier, satisfaisant ainsi aux critères de l’art. 11 al. 1 OBLF ainsi que tout justificatif des caractéristiques de ces appartements.
Le Tribunal des baux rejette le moyen que la bailleresse a tenté de tirer des loyers usuels du quartier et admet la demande de baisse de loyer, décision confirmée par la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud. La bailleresse ayant interjeté un recours, le TF rappelle que, lorsque le bailleur invoque les loyers usuels pour contrer une demande de baisse de loyer basée sur la variation du taux hypothécaire, il faut procéder à des comparaisons concrètes, à la lumière des critères de l’art. 11 OBLF. La détermination des loyers usuels ne peut pas s’effectuer sur la base d’une «impression d’ensemble». Il s’agit de se fonder soit sur des statistiques officielles (art. 11 al. 4 OBLF), soit sur au minimum cinq logements de comparaison qui présentent, pour l’essentiel, les mêmes caractéristiques que le logement litigieux quant aux critères de l’art. 11 al. 1 OBLF, soit quant à l’emplacement, la dimension, l’équipement, l’état et l’année de construction, tout en tenant compte de l’évolution récente de leurs loyers. Selon notre Haute Cour, le degré de preuve exigé pour les loyers usuels de la localité et du quartier est la preuve stricte. En d’autres termes, le juge doit acquérir la certitude des loyers usuels. Les statistiques officielles ne peuvent être prises en considération que si elles contiennent des données chiffrées, suffisamment différenciées et dûment établies sur l’emplacement, la dimension, l’équipement et l’état de la chose louée, comme aussi sur la période de construction. A défaut, le bailleur peut également apporter la preuve des loyers usuels en fournissant au moins cinq logements de comparaison, comme indiqué ci-dessus.
Dans l’application de cette méthode, la mise en balance étant effectuée non à l’aide de statistiques officielles établies sur la base de très nombreux appartements, mais avec seulement cinq logements, il s’impose de se montrer particulièrement strict dans l’admissibilité des logements qui peuvent être pris en considération, dès lors que le tribunal doit pouvoir en tirer des conclusions certaines. Un certain schématisme est nécessaire pour garantir la prévisibilité du droit et l’égalité de traitement. Par conséquent, le fait que l’appartement litigieux soit plus grand et ait un loyer moins élevé que le logement de comparaison n’est pas un critère déterminant. Autrement dit, en l’absence de statistiques officielles, on ne saurait exiger du juge, qui doit pouvoir procéder à une comparaison schématique, de pondérer différents éléments, par exemple de compenser une différence de surface avec un environnement plus calme ou un loyer moindre.
En plus de ces éléments de fond, l’arrêt du TF dispose qu’en application de la maxime inquisitoire sociale, le tribunal doit rendre attentives les parties aux lacunes dans les pièces produites, mais n’a pas à leur signaler que leur offre de preuve est impropre à établir le fait allégué et les inviter à fournir de nouvelles informations adéquates. Notre Haute Cour ajoute à cet égard qu’il ne faut pas confondre la lacune dans les pièces produites et la pertinence de celles-ci, en particulier lorsque, comme en l’espèce, la bailleresse est représentée par un avocat, ce qui impose au tribunal une certaine retenue.
Cette jurisprudence confirme les difficultés pour apporter la preuve du loyer usuel, preuve qui échoue en pratique presque systématiquement. y