1. La garde alternée
1.1. A géométrie variable
TF 5A_904/2015 du 29 septembre 2016. Une garde alternée ne nécessite pas forcément que les deux parents aient un droit de garde strictement équivalent (c. 2.3 et 2.4).»
1.2. Sa définition
TF 5A_418/2019 du 29 août 2019. «Le concept de «garde conjointe» ne ressort pas de la loi. La loi emploie les termes «garde» et «garde alternée», sans les définir. Elle ne précise pas quel serait le pourcentage de prise en charge pour instaurer une «garde alternée». Le Tribunal fédéral considère que le terme «garde» se réduit désormais à la seule dimension de la «garde de fait» (faktische Obhut), qui se traduit par l’encadrement quotidien de l’enfant et par l’exercice des droits et des devoirs liés aux soins et à l’éducation courante (c. 3.5.2).»
1.3. Mais la négation de la double résidence habituelle des enfants en ce cas 1
TF 5A_131/2019 du 18 avril 2019, ATF 110 II 119. «La notion de résidence habituelle, qui n’est pas définie dans la CLaH80, est basée sur une situation de pur fait. Elle traduit une certaine intégration dans un environnement social et familial. Sa détermination est indispensable dans l’examen d’une requête fondée sur la CLaH80 pour déterminer l’existence d’un déplacement ou d’un non-retour de l’enfant,
a fortiori illicite, puis pour que le juge du fond compétent (art. 16 et 19 CLaH80) puisse rendre une décision sur l’attribution des prérogatives parentales. Le juge de la résidence habituelle étant le juge compétent à ce titre, la question de la résidence habituelle est déterminante dans l’examen d’une requête en retour de l’enfant fondée sur la CLaH80
(c. 3.1).»
2. Les contributions d’entretien
2.1. Non destinées à combler une lacune juridique improprement dite, suite au moment du partage de prévoyance professionnelle dans le divorce
TF 5A_14/2019 du 9 avril 2019, ATF 145 III 169. «Le Parlement savait que l’avancement du terme pour déterminer le partage allait avoir une influence sur les montants à partager. Il ne s’agit donc pas de combler une lacune, mais d’interpréter la question de savoir si, dans le champ d’application des normes inchangées sur les effets du mariage, il existe la possibilité d’octroyer une compensation d’un éventuel déficit de prévoyance par une contribution d’entretien comprenant un entretien de prévoyance, par le moyen de mesures provisionnelles de divorce (c. 3.5). Dans l’ancien droit, les deux rentes prévues postdivorce étaient exemptes de la composante d’entretien de prévoyance, parce que le mariage était conçu comme une institution de prévoyance et que l’épouse non coupable pouvait prétendre à un entretien à vie. Cela a changé avec le nouveau droit du divorce, en 2000: le législateur a non seulement abandonné le principe de la faute, mais a aussi placé au premier plan la prévoyance personnelle des époux et leur distanciation économique correspondante; afin de compenser l’abandon de la compensation de prévoyance résultant de rentes à vie, le législateur a prévu le partage des prestations de sortie accumulées pendant le mariage (art. 122 CC) et a introduit un entretien de prévoyance postdivorce d’une certaine durée… (art. 125 al. 1 et 125 al. 2 ch. 8 CC). En revanche, l’art. 163 CC, est demeuré inchangé en sa version du 1er janvier 1988, même lors de la révision du partage de la prévoyance entrée en vigueur le 1er janvier 2017, alors que le Parlement était conscient des effets de la révision. Il s’ensuit que, même si l’art. 163 CC impose à l’époux qui couvre seul les besoins économiques de la famille par le revenu de son travail de se constituer une prévoyance appropriée, lui permettant de continuer à pourvoir après sa retraite à l’entretien convenable de la famille 2, la contribution d’entretien fixée dans le contexte des art. 176 al. 1 ch. 1 CC ou de l’art. 276 al. 1 CPC ne comprend que l’entretien de consommation 3 (c .3.6).»
2.2. Du beau-parent et du revenu hypothétique du parent
TF 5A_129/2019 du 10 mai 2019. «Plus l’âge de la personne à laquelle un revenu hypothétique va être imputé est avancé, plus le tribunal doit motiver avec précision sa position quant à l’accès effectif à l’emploi (c. 3.2.2.5). Selon l’art. 159 al. 3 CC, les conjoints ont un devoir d’assistance l’un envers l’autre (c. 4.1). L’obligation d’assistance du conjoint à l’entretien des enfants nés avant le mariage découlant de l’art. 278 al. 2 CC est subordonnée à trois conditions: l’obligation du conjoint est subsidiaire à celle des parents biologiques de l’enfant qui doivent avoir épuisé leur capacité de gain; elle n’entre en jeu qu’une fois le minimum vital du conjoint et de ses propres enfants couverts; et elle ne peut être plus élevée que si le parent débiteur n’avait pas été marié au conjoint (c. 4.3.1). L’obligation d’assistance du conjoint pour les enfants hors mariage (art. 159 al. 3 CC, 278 al. 2 CC et 163 CC) ne signifie pas que la totalité du revenu du conjoint doit être ajoutée à celui du parent ou qu’un minimum vital commun doit être établi en vertu du droit de la famille (c. 4.3.2).»
3. La contribution de prise en charge de l’enfant
3.1. Rappels des principes, au-delà de la comptabilité
TF 5A_727/2018 du 22 août 2019. «Le parent qui ne s’occupe pas de l’enfant ou pas de manière significative doit en principe payer sa contribution d’entretien en argent. Si les parents se partagent la garde de l’enfant, ils doivent, en principe, participer de manière égale tant aux soins en nature qu’aux prestations pécuniaires (c. 4.3.2.1). Plus la situation financière est bonne et plus l’excédent du parent qui assure les soins primaires est élevé, plus il est probable que le parent participera à l’entretien en argent de l’enfant. La participation du parent qui a la garde principale est possible si sa capacité économique est plus grande que celle de l’autre parent. Si le parent qui s’occupe en majorité de l’enfant a une capacité de gain disproportionnellement supérieure à celle de l’autre parent, il doit participer à l’entretien de l’enfant en argent (c. 4.3.2.2). En cas de prise en charge partagée, le critère exclusif pour répartir les prestations financières est la capacité de gain des parents (c. 4.3.2.3). Lorsqu’un enfant n’a plus besoin d’une prise en charge complète, la contribution d’entretien due par le parent ayant la garde ne peut plus consister uniquement en des prestations en nature. La contribution d’entretien en argent ne doit pas être répartie strictement entre les parents selon leur capacité de gain. Les prestations en nature comprennent non seulement la surveillance directe de l’enfant, mais aussi des services tels que la cuisine, la lessive, les courses, l’aide aux devoirs, les soins de santé, les services de nuit, les services de transport, le soutien pour faire face aux préoccupations quotidiennes de l’enfant, etc. Ces prestations ne peuvent être évaluées en termes monétaires. Ainsi, une répartition stricte des prestations financières pour l’enfant serait contraire à l’art. 276 CC (c. 4.3.3). Selon la jurisprudence, la fixation des contributions d’entretien au-delà de l’âge de la majorité lors du jugement de divorce n’est pas obligatoire. La prise en compte d’une éventuelle réduction des contributions d’entretien en raison des revenus de l’enfant peut, selon les circonstances, aller à l’encontre du but de l’art. 286 al. 2 CC, qui est d’éviter à l’enfant la charge psychologique que représente une action contre son parent, si l’enfant n’a un jour aucun revenu pris en compte au sens de l’art. 285 al. 1 en lien avec l’art. 276 al. 3 CC (c. 5.3.2). Ainsi, le tribunal ne viole pas le droit fédéral s’il ne tient pas compte lui-même des évolutions prévisibles des revenus de l’enfant, car le père a la possibilité d’introduire une procédure en modification ultérieurement (c. 5.3.3).»
3.2. Augmentée lorsque le parent non gardien n’exerce pas ses relations personnelles avec l’enfant
TF 5A_327/2018 du 17 janvier 2019 4. «Il est donc possible d’exiger de l’épouse un taux d’activité de 70% dès l’entrée en secondaire du plus jeune enfant. C’est certes un peu moins élevé que les 80% de la jurisprudence mais, dans le cas d’espèce, l’époux a renoncé au droit de visite sur ses enfants et la prise en charge incombe exclusivement à la mère, ce qui permet de justifier le taux d’activité de 70% (c. 5.3.2.2).
Rappel de la méthode dite des frais de subsistance pour déterminer les coûts indirects induits par la prise en charge de l’enfant 5. Dans le cas d’espèce, le déficit de l’épouse est réparti entre les deux enfants, mais, dès que la plus grande aura 16 ans, seule la cadette profitera de la contribution de prise en charge (c. 6.2). L’époux estime que la répartition du disponible (35% pour lui-même et 65% pour son épouse) est arbitraire (c. 7.1). En l’espèce, la méthode dite du minimum vital avec répartition de l’excédent (zweistufige Methode) a été appliquée pour fixer la contribution d’entretien destinée à l’épouse. Les contributions d’entretien des enfants ont été fixées préalablement à celle de leur mère et, selon leurs besoins concrets (méthode du calcul concret – einstufige Methode). Dans ces conditions, une répartition du solde disponible entre les enfants, d’une part, et l’épouse, d’autre part, ne se justifiait donc pas. Mais, l’époux n’exerçant pas son droit de visite, les enfants ne bénéficient pas, du moins indirectement, du disponible de leur père. Ainsi, il n’est pas arbitraire de n’octroyer que 35% du disponible au père (c. 7.2.1).»
4. Conventions entre époux dérogeant au droit des régimes matrimoniaux ou au droit des effets du mariage
4.1. Droit des sociétés applicable exclusivement
TF 5A_391/2018 du 10 octobre 2019 (all.). Epoux ayant fondé une Sàrl destinée à acquérir leur logement conjugal, dont la jouissance a été attribuée à l’époux sur mesures protectrices de l’union conjugale. L’époux, associé minoritaire, a vendu la demeure et s’est attribué le bénéfice tiré de la vente. La Sàrl est mise en faillite peu après le dépôt d’une requête en divorce par l’épouse. La faillite est close pour insuffisance d’actifs en cours de procédure.
«Le domicile conjugal appartenait à la Sàrl; l’art. 205 al. 3 CC n’est donc pas applicable. Si l’ex-époux a retiré de manière illicite le bénéfice de la vente de l’immeuble, c’est ainsi à la Sàrl qu’il aura porté préjudice (c. 2.4). Selon l’art. 214 al. 1 CC, les acquêts existant à la dissolution sont estimés à leur valeur à l’époque de la liquidation. En l’espèce, l’entreprise n’existait plus à ce moment-là en raison de sa faillite, et il est incontesté qu’il n’existait pas non plus de produit de liquidation. C’est donc de manière arbitraire que l’instance d’appel a qualifié les prétentions de l’épouse de part de produit à la liquidation, alors même que ce produit n’existait pas. Même si l’article 205 al. 3 CC devait être applicable, on ne peut parler d’aucun produit hypothétique de liquidation. Faute de créance établie, il n’y a donc aucune place pour un tel règlement de dettes entre époux (c.2.4.1). On ne peut parler d’une aliénation de bien d’acquêts au sens de l’art. 208 CC que lorsqu’une aliénation de biens des acquêts a eu lieu. Or, en acquérant le domicile conjugal par le biais d’une Sàrl, les époux l’ont en effet placé en dehors du champ d’application des dispositions du droit des régimes matrimoniaux (c. 2.4.2). Se pose enfin la question de l’application de l’art. 195 al. 1 CC selon lequel lorsqu’un époux confie expressément ou tacitement l’administration de ses biens à son conjoint, les règles du mandat sont applicables, sauf convention contraire. La gestion des biens, au sens de l’art. 195 al. 1 CC, présuppose un contrat entre époux, selon le droit des obligations, par lequel ils peuvent déroger au droit des mandats, par exemple en concluant un contrat de société. C’est exactement ce qu’ont fait les époux en créant la société. Partant, ce n’est ni le droit matrimonial ni les règles du mandat qui sont applicables en l’espèce, mais bien le droit des sociétés (c. 2.4.3.). Ainsi, si elle avait voulu empêcher l’aliénation de la fortune du bien immobilier propriété de la Sàrl, ou réclamer des dommages-intérêts à raison de celle-ci, l’épouse aurait dû agir sur la base de son statut d’associée dans la faillite. En outre, il n’est indiqué nulle part que l’épouse a, par exemple, tenté d’exercer ses droits à l’information et de contrôle en qualité d’associée dans la forme prévue par la loi, mais que l’époux l’en aurait empêchée. Par conséquent, il n’est pas possible d’examiner si l’on est en présence d’une situation qui justifierait l’application du principe du «Durchgriff» (levée du voile social fondée sur le droit des régimes matrimoniaux ou sur d’autres droits découlant des dispositions applicables au divorce) (c. 2.4.3) 6.»
4.2. Droit des contrats applicable aux conventions à faire ratifier (art. 7 et 168 CC cum 279 CPC)
Rappelons qu’en droit suisse, les époux ne sont libres de choisir ni le droit applicable aux effets du mariage (art. 48 LDIP), ni celui qui présidera à leur divorce (art. 61 LDIP), ni celui qui régira les effets accessoires de leur divorce (art. 63 al. 2 LDIP) hors régime matrimonial (art. 52 LDIP). Ils ne peuvent pas non plus élire le for du divorce (art. 18, 20, 59, 60 LDIP cum art. 23 al. 1 CPC). Voir, en comparaison, l’accord de coopération renforcée permettant aux ressortissants de certains pays européens de choisir la loi applicable à leur divorce 7; le Règlement Bruxelles IIbis leur donnant plus de choix de fors de divorce 8; l’art. 4 du Règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 leur permettant de procéder à une élection de for en matière d’obligations alimentaires réciproques; et l’art. 15 du même Règlement cum art. 8 du Protocole de La Haye de 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires leur permettant de choisir la loi applicable à leurs obligations réciproques d’entretien. Au regard des arrêts commentés, les époux étrangers qui se sont liés par une convention réglant par avance les effets du mariage et du divorce éventuel gagneront à l’adapter en s’établissant en Suisse, pour exposer l’économie de leur contrat, et indiquer en quoi il est toujours clair, complet et n’est pas manifestement inéquitable au regard du droit suisse du mariage et du divorce.
4.2.1 TF 5A_980/2018 du 5 juin 2019 (all.). Contrat de mariage de séparation de biens incluant une obligation de versement, par l’époux, de l’entretien du couple pendant la vie commune et d’une somme de 1 200 000 francs à l’épouse en cas de divorce. Non-ratification par le juge du divorce, fondée sur l’art. 279 CPC.
«Il convient de comparer la situation des époux, créée par la convention, avec celle qui serait la leur si la convention n’avait pas été passée: la convention est manifestement inéquitable si elle diverge de la réglementation légale d’une manière immédiatement reconnaissable et éclatante et si des considérations économiques ne justifient pas un tel écart. De cette manière, la favorisation trop grande d’un des époux doit être empêchée. C’est sous la réserve des accords touchant à l’entretien des enfants, qui doivent être appréciés à l’aune du bien de l’enfant. En exerçant cet examen de la ratification, le juge jouit d’un pouvoir d’appréciation élargi (art. 4 CC), que le Tribunal fédéral revoit avec retenue (c. 4.1.). Le Tribunal cantonal avait considéré que la clause de compensation de l’épouse n’était justifiée ni par des considérations liées à l’entretien (le mariage a été de courte durée, sans enfant, et n’a ainsi pas eu d’impact sur la recourante; cette dernière est demeurée active professionnellement tant avant qu’après le mariage et a bénéficié tant de ses revenus que de versements de 1,4 million de francs de son époux, ce qui a renforcé ses revenus; et si vie commune il devait y avoir eu, elle aura été de courte durée) ni par des motifs liés à la liquidation du régime matrimonial (l’intimé était âgé de 70 ans au mariage avec son épouse plus jeune de 20 ans, et actif à 40%, sa diminution d’activité professionnelle et de sa capacité de gain était prévue, et sa fortune a diminué de 4,5 millions à 3,8 millions de francs pendant le mariage, en sorte que la constitution d’actifs partageables serait exclue en pratique), puisque la recourante n’aurait été fondée à ne réclamer ni l’un ni l’autre en l’absence de convention. Quant à lui, le Tribunal fédéral a constaté la disproportion évidente existant entre la situation créée par la convention et la situation légale. Il n’a pas non plus trouvé de motifs qui justifieraient l’octroi d’une telle indemnité pour des considérations d’équité (c. 4.2.). 9» Rappelant que les conventions réglant les effets du divorce doivent être ratifiées par le juge même si elles ont été conclues avant le mariage (ATF 121 III 393 c. 5B, p. 395 notamment), le TF relève que le texte clair de la loi ne laisse pas de place pour la ratification des conventions prénuptiales touchant des relations «luxueuses»: même les intérêts de conjoints fortunés ayant des besoins de sécurité accrue en termes de planification des effets du divorce ne justifient pas l’absence de ratification et pourraient tout au plus justifier un changement de loi.
4.2.2. TF 5A_778/2018 du 23 août 2019 (all.). Epoux, mariés depuis 2008, ayant conclu un contrat de mariage prévoyant qu’en cas de divorce, l’époux verserait 20 000 francs par mois à son épouse dès l’entrée en force du jugement de divorce. L’instance précédente, saisie d’une requête unilatérale de divorce par l’époux, a refusé d’allouer une contribution d’entretien à l’épouse sur la base de l’art. 125 CC, au motif que le mariage n’avait pas eu d’influence importante sur la vie des conjoints (nicht lebensprägend) et qu’ainsi, l’épouse devait être placée dans la même situation que si le mariage n’avait pas existé, et qu’il ne fallait que compenser l’intérêt «négatif» au mariage, conformément à l’art. 125 al. 1 CC, non plaidé par l’ex-épouse (c. 4.1). Le TF examine donc si un tel entretien est dû sur le fondement de la convention prénuptiale du 7 février 2008, seule plaidée jusque devant lui par l’ex-épouse. Il rappelle tout d’abord «qu’en vertu de l’art. 168 CC, les conjoints peuvent se lier par tous contrats entre eux et avec les tiers; la loi ne contient aucune disposition interdisant à un époux de s’engager à verser un entretien à l’autre en cas de divorce. Un tel contrat, qui n’est soumis à aucune exigence de forme ni de contenu minimal (ce qui n’exclut pas qu’il soit inclus dans un contrat de mariage soumis à la forme authentique, art. 184 CC), lie les parties sous la réserve d’une ratification ultérieure par le juge du divorce. Les règles applicables au droit des contrats s’appliquent. Il n’est donc pas acceptable de n’examiner une telle convention qu’à l’aune de l’art. 27 CC, et de lui dénier tout effet contraignant sans examiner les circonstances concrètes (c. 5.5.). Les circonstances pertinentes, pour l’examen du contenu de la convention, au sens de l’art. 279 al. 1 CPC, se situent au moment de la ratification judiciaire, et cela, que le divorce soit intenté sur requête commune ou non 10 (art. 279, 282 CPC); le juge doit prendre en compte, par conséquent, les éventuels changements de circonstances intervenus depuis la conclusion de la convention. Ainsi, si des contributions d’entretien sont dues par convention ou jugement, les éléments de revenu et de fortune de chaque époux doivent être précisés (art. 282 al. 1 let. a CPC), non pas comme une fin en soi, mais parce qu’en cas d’éventuelle modification des contributions d’entretien, ils doivent permettre de procurer la clarté nécessaire au fondement sur lequel repose le jugement de divorce. C’est ainsi que le devoir de documenter sert le juge en première ligne. Ces informations obligatoires doivent lui permettre de statuer sur le caractère non manifestement inéquitable des contributions d’entretien convenues. Ces renseignements à propos de la fortune et des revenus doivent donc être d’actualité. C’est ainsi que l’art. 282 al. 1 let. a CPC ne se réfère pas aux chiffres de revenus et de fortune des époux à l’époque de la conclusion de la convention anticipée de divorce. Il faut donc entendre ainsi la formulation légale de l’art. 282 al. 1 let. a CPC: «La convention ou la décision qui fixent des contributions d’entretien doit indiquer: a) les éléments du revenu et de la fortune de chaque époux qui seront pris en compte dans le calcul.» Sur le plan procédural, nonobstant le devoir d’interpellation atténué du juge quand les questions dont il est nanti sont soumises à la maxime des débats (art. 55, 277 al. 1 CPC), lorsque le juge constate que des titres qui lui permettraient de statuer sur les conséquences financières du divorce font défaut, il doit requérir des parties la production des documents manquants (art. 277 al. 2 CPC). Ces titres comprennent ceux qui lui sont nécessaires pour statuer sur la ratification ou non de la convention réglant les effets accessoires patrimoniaux du divorce. Le juge ne peut donc se borner à refuser de ratifier la convention pour le motif qu’elle serait peu claire ou incomplète: il doit bien au contraire compléter la convention, en signalant cela aux parties et en relevant les points problématiques dans son jugement, comme il le ferait dans tous les cas dans lesquels aucune convention de divorce n’existerait (c. 5.6.). Ce devoir d’interpellation du juge ne change rien à la répartition du fardeau de la preuve: si le juge, après avoir interpellé les parties, ne parvient pas à ratifier ou à refuser de ratifier une convention faute d’avoir obtenu les éléments nécessaires à fonder son jugement, il doit trancher conformément à l’art. 8 CC (c. 5.7.2.).»
5. Procédure
5.1. Conflit d’intérêts entre le mineur et le parent qui le représente contre l’autre parent
TF 5A_244/2018 du 26 août 2019 (all.). «Le Tribunal fédéral examine si l’art. 299 CPC qui, jusqu’au 31 décembre 2016 ne s’appliquait qu’aux procédures matrimoniales, s’applique également aux actions indépendantes (c. 2.2). Il analyse plus précisément la question de savoir s’il y a un conflit d’intérêt entre la mère et l’enfant à partir du moment où les parents ont eu l’autorité parentale conjointe. Lorsque le père ou la mère détient seul l’autorité parentale, il ou elle peut agir dans une procédure d’entretien contre l’autre parent, au nom de l’enfant, en application de l’art. 304 CC (c. 2.4). Selon la jurisprudence, il faut déterminer de manière abstraite s’il existe un conflit d’intérêt au sens de l’art. 306 al. 2 et 3 CC. Un conflit d’intérêt a été admis si les intérêts de la personne représentée et ceux du représentant légal se contredisent 11 ou si le représentant légal pourrait être influencé par des intérêts de proches qui ne coïncident pas avec ceux de la personne représentée 12. La question décisive est de savoir s’il est possible, pour le représentant légal, d’agir au détriment de la personne représentée 13 (c. 2.7). Dans les procédures indépendantes concernant le pouvoir de représentation d’un parent selon l’art. 306 al. 2 et CC, les principes de l’art. 299 CPC s’appliquent par analogie. Il y a lieu d’instaurer un curateur de représentation par le Tribunal ou l’APEA uniquement si cela apparaît nécessaire au regard des circonstances concrètes du cas d’espèce (c. 2.7.4).»
5.2. Obligation de chiffrer ses conclusions dès que possible
TF 5A_368/2018 du 25 avril 2019. «Aux termes de l’art. 58 al. 1 CPC – applicable aux questions relatives à la liquidation du régime matrimonial 14 –, le tribunal ne peut accorder à une partie ni plus, ni autre chose que ce qui est demandé, ni moins que ce qui est reconnu par la partie adverse 15. Les conclusions des parties doivent ainsi être suffisamment déterminées. Lorsqu’elles portent sur la liquidation du régime matrimonial, elles doivent indiquer à quel résultat le demandeur prétend 16. Par ailleurs, l’action tendant au paiement d’une somme d’argent doit être chiffrée (art. 84 al. 2 CPC), sous réserve de l’application de l’art. 85 al. 1 CPC 17. Selon cette disposition, le demandeur peut intenter une action non chiffrée s’il est dans l’impossibilité d’articuler d’entrée de cause le montant de sa prétention ou si cette indication ne peut être exigée d’emblée. Une fois les preuves administrées ou les informations requises fournies par le défendeur, le demandeur doit toutefois chiffrer sa demande dès qu’il est en état de le faire (art. 85 al. 2, 1re phrase, CPC), autrement dit, dès que possible 18. L’art. 85 CPC n’a ainsi pas pour effet de limiter la portée de la maxime de disposition, le demandeur n’étant pas libéré de son obligation de chiffrer ses prétentions, mais pouvant seulement différer le moment auquel il doit y procéder 19 (…). Le principe de disposition n’interdit cependant pas au tribunal de déterminer le sens véritable des conclusions et de statuer sur cette base, plutôt que selon leur libellé inexact ou imprécis 20. Les conclusions doivent en effet être interprétées selon le principe de la confiance, à la lumière de la motivation de l’acte 21 (…). Une partie qui a pris des conclusions insuffisantes en première instance ne peut corriger cette négligence procédurale en appel 22 (c. 4.3.3.).»
5.3. For de l’avis aux débiteurs
TF 5A_479/2018 du 6 mai 2019. «Le for d’une action indépendante pour l’avis au débiteur doit être déterminé conformément à l’art. 23 al. 1 23 ou 26 24 CPC afin que les décisions indépendantes sur l’avis aux débiteurs puissent faire l’objet d’un recours. (c. 5.6).»
5.4. Demande d’entraide internationale en matière civile fondée sur la Convention de La Haye sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale du 18 mars 1970 et faits nouveaux en procédure de recours
TF 5A_362/2018 du 2 juillet 2019 25. «(…) la décision attaquée est sujette à un recours selon les art. 319 ss CPC (…).Certes, cette voie de droit prohibe expressément la présentation de faits et de preuves nouveaux (art. 326 al. 1 CPC), mais ce principe est assorti de plusieurs exceptions(…). Le régime de l’art. 326 al. 1 CPC doit être calqué sur celui de l’art. 99 al. 1 LTF, afin d’empêcher que la présentation des faits et preuves nouveaux soit soumise à une réglementation plus rigoureuse devant l’autorité cantonale que devant le Tribunal fédéral 26. Or, le Tribunal fédéral peut tenir compte d’éléments nouveaux qui rendent sans objet le recours 27; ce principe vaut également en instance de recours cantonale 28. Partant, l’autorité cantonale devait prendre en considération la décision par laquelle le Tribunal du district de Riga a clos la procédure de divorce entre les parties [à l’origine de la demande d’entraide], même si elle a été produite après l’ordonnance du premier juge et l’expiration du délai de recours 29.»
*Chargée de cours à l’Ecole d’avocature de Genève.
1
Ici, garde alternée franco-suisse. Voir à ce sujet, art. 21 CLaH80 (Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, RS 0.211.230) lorsque la demande vise, en réalité, la protection de l’exercice effectif du droit aux relations personnelles. Cet arrêt
a été critiqué par Andreas Bucher (La jurisprudence suisse en matière de droit international privé de la famille, RSDIE 2019, pp. 315 ss) et Philippe Meier (CLaH et double résidence frontalière – suite de l’Arrêt 5A_846/2018 (RJ 34-19), Arrêt du TF 5A_131/2019 du 18 avril 2019, RMA 2019, pp. 212-213) pour lesquels la CLaH80 ne serait pas applicable ratione materiae si l’on admet le principe d’une résidence habituelle partagée pour les familles habitant dans les zones frontalières. Lire cependant Bucher, CR Loi sur le droit international privé, Convention de Lugano, Helbing Lichtenhahn, 2011, n. 4 et 5 ad art 68; relire l’art. 190 Cst. fixant la mission du TF; et découvrir Gian Paolo Romano, Vers des tribunaux transnationaux pour les familles transnationales? L’exemple de la responsabilité parentale, in: SJ 2019 II, p. 245 ss.
2
ATF 129 III 257 c. 3.1., p. 260 et références.
3
ATF 134 III 577 c. 3 p. 579; 140 III 337 c. 4.2.1 p. 338; TF 5A_876/2014 du 3.6.2015 c. 3.1; 5A_565/2015 du 24.11.2015 c. 4.1; 5A_1020/2015 du 15.11.2016 c. 5.1; 5A_493/2017 du 7.2.2018 c. 3.1.
4
Interprétation de la ligne directrice du TF, relative au revenu hypothétique du parent gardien lié à la scolarisation de l’enfant, par paliers d’âges (TF 5A_384/2018 du 21.9.2018, c. 4.7.6.; ATF 144 II 481); cf., pour la couverture des besoins de base du parent gardien à laquelle tend la contribution de prise en charge.
5
TF 5A_454/2017 du 17.5.2018; ATF 144 III 377.
6
Le TF laisse ouverte la question de savoir dans quelle mesure une action en responsabilité fondée sur le droit des sociétés est encore possible,
dans la mesure où il semble qu’après la faillite, le recourant devrait encore être rejugé pour abus de confiance, gestion fautive et violation
de l’obligation de tenir une comptabilité (art. 760 al. 1 et 2 CO) (c. 2.5. de l’arrêt commenté).
7
Art. 5 Règlement (UE) N° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable
au divorce et à la séparation de corps (Rome III).
8
Art. 3 à 7 Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le Règlement (CE) n° 1347).
9
La recourante plaidait fondamentalement que la liberté des conventions peut et doit régner, en particulier entre gens fortunés; que les deux parties étaient conscientes de leurs circonstances personnelles avant mariage autant qu’après (un domicile chacun; aucun cercle social commun; autonomie financière), qui n’avaient rien d’extraordinaire (c. 4.3.1.);
qu’au vu de la fortune de son époux,
il n’allait pas de soi qu’elle n’aurait pas voulu être indemnisée pour l’acceptation de la séparation de biens, afin d’obtenir des garanties financières; ce d’autant que l’intimé vivait dans
de bonnes circonstances financières et pouvait lui verser l’indemnité convenue sans diminution de son train de vie; qu’au demeurant, l’art. 279 CPC
avait été conçu pour protéger la partie la plus faible économiquement, soit elle-même (c. 4.4.). Le TF a rejeté tous
les arguments de la recourante.
10
Ce considérant est très intéressant: faut-il y lire que le TF entend enfin abandonner sa jurisprudence (antérieure à la suppression du délai de réflexion de 2 mois de l’art 111 aCC et à l’entrée en vigueur du CPC qui soumet, à son art. 277 al. 1, les contributions d’entretien et la liquidation du régime matrimonial à la maxime des débats) publiée à l’ATF 135 III 193 c. 2.2; TF, 5A_688/2013, c. 7.2.1., selon laquelle, lorsque le tribunal est saisi d’une requête commune de divorce, chaque partie peut retirer son accord sur le divorce ou sur les termes de la convention jusqu’à l’audience
et pendant celle-ci, sans indication de motifs (faculté qui n’est pas réservée à chaque partie si le tribunal est saisi d’une requête unilatérale de divorce; seule la faculté de réclamer la non ratification de la convention lui étant accordée; TF, 5A_721/2012, c. 3.2; 5A_772/2014, c. 3.2 notamment)? Le c. 5.6. qui suit le donne clairement à penser: on voit mal pourquoi le juge devrait user de son devoir d’interpellation ou compléter la convention, s’il n’a pas à examiner les motifs invoqués par une partie pour retirer son consentement à l’accord.
11
ATF 118 II 101 c. 4c. Nous sommes d’avis (à l’instar de la doctrine citée par le TF au c. 2.7.1., Geiser, Übersicht über die Revision des Kindesunterhaltsrechts, PJA 2016 p. 1284, 1288; Maranta/Fassbind, Interessenkollisionen im Kindesunterhaltsrecht?, RMA 2016 p. 457; Schweighauser/Stoll, Neues Kindesunterhaltsrecht – Bilanz nach einem Jahr, FamPra.ch 2018 p. 649) que le simple fait qu’une contribution de prise en charge (art. 285 al. 2 CC; correspondant aux frais de subsistance du parent gardien, ATF 144 III 377, c. 7.1.2.1.) est réclamée pour l’enfant, place le parent gardien en situation de conflit d’intérêts concret avec l’enfant dont il plaide la créance alimentaire. Au vu, cependant, des considérants de l’arrêt commenté (en particulier c. 2.7.3, qui nie le conflit d’intérêts en raison de la primauté des coûts directs de l’enfant sur la contribution de prise en charge, vu l’ATF 144 III 481 c. 4.3.), il nous apparaît qu’une protection efficace des intérêts de l’enfant commande que soient analysées, tout au long de la procédure, les conséquences de cette situation pour l’enfant, dont la garde déterminera la couverture des besoins de subsistance de l’un de ses parents.
12
ATF 107 II 105 c. 4.
13
Affolter-Fringeli/Vogel, Berner Kommentar, 2016, N. 36 zu Art. 306 ZGB; Schnyder/Murer, Berner Kommentar, 1984, N. 83 zu Art. 392 ZGB.
14
TF 5A_621/2012 du 20.3.2013 c. 4.3.1 et les références.
15
(ne eat iudex ultra petita partium).
16
TF 5A_618/2012 du 27.5.2013 c. 4.3.3; 5A_621/2012 du 20.3.2013 c. 4.1.
17
ATF 142 III 102 c. 3; TF 4A_164/2016 du 18.10.2016 c. 3.2.
18
Dans le même sens: Arrêt de la Cour suprême du canton de Berne ZK 12 366 du 13.3.2014 c. 9.4.2 cité in: CPC online ad art. 85 CPC. Note: la sanction de l’absence de chiffrage est le déboutement, comme dans le cas d’espèce.
19
Alexandre A. Markus, Berner Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, Art. 1-149 ZPO, 2012, no 1 ad art. 85 CPC; Francesco Trezzeni, Commentario pratico al Codice di diritto processuale civile svizzero, vol. 1, 2e éd., 2017, no 22 ad art. 85 CPC.
20
TF 5A_753/2018 du 21.1.2019 c. 3.1; TF 5A_527/2016 précité c. 3.3.1.
21
ATF 137 III 617 c. 6.2; 123 IV 125 c. 1; TF 4A_375/2012 du 20.11.2012 c. 1.2., non publié in: ATF 139 III 24, et les références.
22
TF 5A_793/2014 du 18.5.2015 c. 3.2.6, non publié in: ATF 141 III 302.
23
Pour l’avis prévu par les art. 132 et 177 CC.
24
Pour l’avis prévu par l’art. 291 CC.
25
Lire l’excellente recension de doctrine et de jurisprudence effectuée au c. 4.2., à propos de la garantie de l’efficacité de la procédure d’entraide judiciaire, qui doit être donnée tout en respectant le droit d’être entendu des personnes intéressées, et qui est réputée l’être si celles-ci disposent d’une voie de recours avant le renvoi de la commission rogatoire.
26
ATF 139 III 466 c. 3.4; Jakob Steiner, Die Beschwerde nach der Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2019, n. 555, avec d’autres références.
27
ATF 137 III 614 c. 3.2.1; récemment: TF 8C_123/2019 du 10.5.2019 c. 2.3; TF 5A_866/2018 du 18.3.2019 c. 3.3; TF 5A_396/2018 du 29.6.2018 c. 2.3.
28
Jean-Luc Colombini, Code de procédure civile, 2018, n. 1.2.2 ad art. 326 CPC, avec la jurisprudence citée.
29
Cf. pour l’art. 99 al. 1 LTF: TF 5A_710/2017 du 30.4.2018 c. 2.3.