Droit de la circulation routière
Un transport d’élèves contraire au droit fédéral
Un bus de la ligne des Transports publics fribourgeois (TPF) qui ne sert qu’au transport des enfants et des adolescents de deux écoles ne saurait être considéré comme étant affecté au transport de ligne couvert par une concession. De ce fait, les TPF ne peuvent pas déroger aux obligations imposées par la loi sur la circulation routière: les passagers doivent être attachés et les places debout ne sont pas admises.
État de fait
Lors d’un trajet en bus vers son établissement scolaire, un enfant a chuté des suites d’un freinage d’urgence. Sa blessure a nécessité des points de suture. Les parents de l’enfant ont exigé que la commune prenne des mesures pour sécuriser le transport des élèves. Leurs demandes portaient sur la mise en place de minibus pour le transport des élèves de l’école primaire et l’obligation de prévoir des ceintures de sécurité et des places assises en suffisance. Après avoir été déboutés par le préfet, les parents recourent au tribunal cantonal. Tant le fait que le bus dessert directement deux écoles que l’absence de publication des horaires permet de déduire que ce bus est réservé au transport des écoliers.
Extrait des considérants
[…]
2.1. La loi du 20 mars 2009 sur le transport de voyageurs (LTV; RS 745.1) ainsi que l’ordonnance du 4 novembre 2009 sur le transport de voyageurs (OTV; RS 745.11) établissent des distinctions entre différents types de transports de voyageurs. Ainsi, il existe une distinction, notamment, entre le transport de voyageur soumis à concession (art. 6 LTV et art. 6 OTV) et les courses servant exclusivement à transporter des écoliers ou des étudiants (art. 7 al. 2 LTV et art. 7 let. b OTV). Ces distinctions sont importantes, notamment au regard des exigences de sécurité propres à chacun des deux. L’art. 6 al. 1 LTV prévoit que la Confédération peut octroyer à des entreprises des concessions de transport de voyageurs professionnel et régulier après avoir consulté les cantons concernés, en réservant cependant les art. 7 et 8 LTV. Le Conseil fédéral peut prévoir que les cantons accordent des autorisations pour d’autres offres de transport de moindre importance (art. 7 al. 2 LTV). Selon l’art. 6 let. a OTV, une concession est nécessaire pour les liaisons régulières entre des points de départ et d’arrivée déterminés, les voyageurs étant embarqués et déposés aux arrêts fixés dans l’horaire (service de ligne), avec fonction de desserte. L’art. 7 let. b OTV indique qu’une autorisation cantonale est nécessaire pour les courses servant exclusivement à transporter des écoliers ou des étudiants (transport d’écoliers).
[…]
2.3. Il s’agit ensuite de déterminer si le trajet réalisé par les enfants des recourants représente un transport d’écoliers au sens de l’art. 7 OTV, ou s’il correspond à un transport de voyageurs soumis à concession selon l’art. 6 OTV. En effet, sur le plan cantonal, le trafic induit par les écoles est intégré, dans la mesure du possible, dans les prestations offertes par les transports publics concessionnaires financés par les conventions d’offre. Toutefois, la création de cercles scolaires et l’absence de transports publics dans certaines régions nécessitent la mise en place de transports d’élèves spécifiques (cf. Mémorandum du Service de la Mobilité relatif au déplacements d’élèves, état au 20 juin 2022). Le Préfet affirme que, dans le cas d’espèce, le transport des élèves du quartier de F.________ fait partie de la ligne concessionnaire n° kkk. Venant eux aussi confirmer cette thèse, les TPF précisent qu’il s’agit toutefois d’un bus de renfort instauré dans le but de répondre à la forte demande sur la ligne en question. Ils affirment par la même occasion que les arrêts concernés sont bel et bien couverts par la concession fédérale et que l’horaire interne aux TPF, transmis par leur soin, vient confirmer cela.
Il sied néanmoins de préciser que la Cour n’est pas liée par l’appellation donnée par les TPF à la course litigieuse. Bien qu’elle soit considérée comme un renfort par ceux-ci, la qualification de transport d’écoliers au sens de la loi doit s’examiner en fonction du type d’usagers du bus et du but qu’on lui confère. Ainsi, son accessibilité par les usagers de transports publics (autre que les écoliers et étudiants) est déterminante pour l’examen à venir.
Contrairement à ce qu’affirme le Préfet et conformément aux informations recueillies auprès des TPF, les horaires du bus de F.________ demeurent introuvables sur le portail de recherche online (cf. https://www.tpf.ch/fr/horaires-et-plans/horaire-en-ligne/recherche-ditineraire, consulté le 9 septembre 2022). En effet, en inscrivant les arrêts de bus concernés, à savoir «H.________» et «I.________», on constate que seul le bus de la ligne officielle s’affiche et que la trajectoire de celui-ci impose de se rendre à pied jusqu’à l’arrêt «J.________». Il apparait dès lors évident que les arrêts en question ne sont desservis que par le bus de renfort et qu’ils ne constituent pas des arrêts officiels de la desserte. Il est fort probable que, s’il n’était pas nécessaire de transporter autant d’écoliers aux heures de pointe, ces arrêts de bus ne seraient jamais desservis par les TPF et que les enfants résidant dans le quartier de F.________ seraient obligés de marcher jusqu’à l’arrêt le plus proche, à savoir J.________, afin de se rendre à l’école. De plus, il importe peu de constater que les arrêts en question figurent sur les documents internes des TPF, ces documents n’étant pas accessibles aux usagers et n’étant de ce fait pas connus du public. En conséquence, de par l’absence informations officielles sur le moteur de recherche des TPF, on peine à suivre l’argumentaire de l’autorité selon lequel le bus de renfort constitue une course ouverte à tous, en ce que le public n’a pas accès aux horaires de celui-ci et n’a donc aucun moyen de savoir qu’il existe une course soi-disant officielle. On constate par la même occasion que les seules informations accessibles à propos du parcours litigieux se trouvent dans les librettos distribués en début d’année scolaire à l’école primaire de la ville de D.________ et sur le site internet de L.________ (cf. https://romont.friweb.ch/sites/romont/files/personal/Libretto2021 _2022_V_finale.pdf, consulté le 20 juin 2022; http://www.co-glane.ch/uploads/files/HORAIRE_DES_JANVIER_2019.pdf, consulté le 9 septembre 2022). De plus, on remarque que les courses du bus de renfort se limitent aux horaires de début et de fin des cours et qu’elles n’ont pas lieu lors des vacances scolaires. En outre, il convient de relever que les autres arrêts desservis par le bus de renfort sont situés à proximité des différentes écoles. En effet, démarrant sa course au quartier de F.________, le bus ne s’arrête pas à la gare de D.________, contrairement au bus de ligne, et se rend directement aux arrêts desservant l’école primaire et le cycle d’orientation. Ainsi conçu, le parcours du bus ne s’adresse à l’évidence qu’aux enfants et adolescents fréquentant les écoles. Il ne s’agit pas d’une course destinée à soutenir la ligne officielle en période de surcharge, mais, nonobstant sa dénomination, d’une course spécifiquement affectée au transport d’élèves. Pris dans leur ensemble, les éléments objectifs qui ressortent de l’instruction démontrent clairement que les courses de renfort sont en réalité exclusivement destinées et réservées aux écoliers de la ville de D.________ et qu’elles n’ont ainsi pas pour but de transporter qui que ce soit d’autre. Au vu de tout ce qui précède, il appert que le bus litigieux ne concerne que le transport des élèves de l’école primaire de D.________ ainsi que ceux de L.________. Outre le fait qu’il est difficile, voire impossible pour les autres usagers des transports publics de trouver les horaires et informations de la course en question, on doit constater surtout que la conception même de celle-ci, dont le parcours vise uniquement à desservir les écoles (cf. ci-dessus), démontre qu’elle n’a pas vocation à transporter d’autres passagers et présente ainsi un caractère exclusif vis-à-vis des élèves et étudiants. Elle remplit de ce fait la condition posée par la loi.
3.
3.1. Le Conseil fédéral peut édicter des règles complémentaires de circulation et prévoir, lorsque les circonstances particulières l’exigent, des exceptions aux règles de circulation, notamment pour l’armée et pour la protection civile. Il peut également édicter de telles règles pour des routes à sens unique (art. 57 al. 1 LCR). Le Conseil fédéral peut prescrire que les occupants de voitures automobiles utilisent les dispositifs de retenue (ceinture de sécurité ou système analogue) (art. 57 al. 5 let. a LCR). Suivant l’art. 3a al. 1 OCR, dans un véhicule équipé de ceinture de sécurité, le conducteur et les passagers doivent porter, pendant le trajet, les ceintures de sécurité existantes. Les conducteurs doivent s’assurer que les enfants de moins de douze ans sont correctement attachés. Selon l’al. 2 let. e, sont dispensées de l’obligation de porter la ceinture, les conducteurs et passagers des véhicules automobiles affectés au trafic régional exploité selon l’horaire par les entreprises de transport concessionnaires. Selon l’art. 107 al. 2 de l’ordonnance du 19 juin 1995 concernant les exigences techniques requises pour les véhicules routiers (OETV; RS 741.41), les places debout ne sont admises que dans les autocars et les minibus affectés au trafic régional exploité selon l’horaire par des entreprises de transport concessionnaires ou au remplacement de trains, ainsi que dans les voitures automobiles où le personnel qui effectue le chargement ou le surveille ne peut être transporté assis.
3.2. Sur le vu des éléments établis ci-dessus, le trajet réalisé par les enfants des recourants doit être considéré comme un transport d’écoliers au sens de l’art. 7 let. b OTV, ne faisant pas partie de la concession existante. En conséquence, celui-ci ne bénéficie pas des exceptions prévues aux art. 3a al. 2 let. e OCR et 107 OETV, et doit ainsi respecter les obligations prévues par la loi en terme de sécurité. En l’occurrence, le véhicule transportant les élèves de F.________ est un bus articulé mesurant 18 mètres de long. Bien qu’étant muni de ceintures de sécurité, il ne possède pas suffisamment de places assises afin que tous les élèves présents puissent s’assoir.
3.3. Ainsi, au vu de ce qui précède, le véhicule utilisé par les TPF dans le cadre du transport des écoliers du quartier de F.________ ne respecte pas les obligations imposées par les dispositions légales pertinentes et viole de ce fait le droit fédéral. Le recours s’avère dès lors bien fondé dans son principe. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de donner suite à la demande de complément d’expertise réclamée par les recourants devenue, dans l’intervalle, sans pertinence.
[…]
Arrêt 601 2022 10 du 27.9.2022 du Tribunal cantonal de canton de Fribourg
Droit de l’aménagement du territoire
Un classement en zone agricole disproportionné
Lors de dézonage en Zone agricole de parcelles pour réduire une zone à bâtir surdimensionnée, les autorités doivent respecter le principe de proportionnalité. Si un classement en zone à constructibilité limitée permet d’atteindre l’objectif de réduction des zones à bâtir prévu à l’article 15 de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT), il y a lieu d’admettre cette option qui lèse moins le droit de propriété.
État de fait
Un couple est propriétaire d’une parcelle supportant un bâtiment d’habitation, une grange et des boxes à chevaux à Curtilles. La parcelle se trouve partiellement en zone à bâtir. Pour se conformer aux obligations de la loi sur l’aménagement du territoire, la commune de Curtilles adapte son plan général d’affectation (PGA) et son plan partiel d’affectation (PPA). Il est notamment décidé de dézoner la parcelle du couple. Ces derniers font d’abord opposition, puis recourent contre les décisions approuvant les plans du Conseil communal et du Département des institutions et du territoire. La Cour de droit administratif et public du tribunal cantonal admet le recours. Le dézonage de la parcelle des recourants était disproportionné. En effet, un classement en zone à constructibilité limitée aurait permis au propriétaire de conserver ses installations sans porter atteinte à des intérêts publics contraires.
Extrait des considérants
3. La recourante soutient que, en déclassant et en affectant en zone agricole une surface de 1’647m2 de la parcelle no 333, l’autorité intimée a violé la garantie de la propriété, respectivement le principe de la proportionnalité en relation avec cette garantie (art. 26 et 36 al. 3 Cst.).
[…]
c) Selon l’art. 26 al. 1 Cst., la propriété est garantie. Cette garantie n’est toutefois pas absolue. Comme tout droit fondamental, elle peut être restreinte aux conditions fixées à l’art. 36 Cst. Une restriction doit ainsi reposer sur une base légale, être justifiée par un intérêt public ou la protection d’un droit fondamental d’autrui et respecter le principe de la proportionnalité. Ce dernier principe exige que les mesures mises en œuvre soient propres à atteindre le but visé (règle de l’aptitude) et que celui-ci ne puisse pas être atteint par une mesure moins contraignante (règle de la nécessité); il doit en outre y avoir un rapport raisonnable entre ce but et les intérêts compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts) (ATF 146 I 157 consid. 5.4; 141 I 20 consid. 6.2.1).
Quand la contestation porte sur la modification d’un plan d’affectation, le propriétaire foncier dont le fonds devient partiellement ou totalement inconstructible peut invoquer la garantie de la propriété (art. 26 al. 1 Cst.) en faisant valoir que la restriction n’est pas justifiée par un intérêt public (art. 36 al. 2 Cst.), ni conforme au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.) (cf. CDAP AC.2015.0224 du 17 janvier 2018 consid. 4c).
d) aa) L’art. 14 LAT prévoit que les plans d’affectation règlent le mode d’utilisation du sol (al. 1) et qu’ils délimitent en premier lieu les zones à bâtir, les zones agricoles et les zones à protéger (al. 2). L’art. 18 al. 1 LAT prévoit que le droit cantonal peut prévoir d’autres zones d’affectation.
bb) L’art. 18 al. 1 LAT permet aux cantons de subdiviser, varier, combiner et compléter les zones d’affectation de base (zones à bâtir, zone agricole et zone à protéger). Les autres zones visées à l’art. 18 LAT ont donc pour particularité de permettre, la plupart du temps, de préciser, combiner et compléter les trois zones d’affectation de base. Peuvent notamment être prévues en application de cette disposition des «zones à bâtir particulière ou à constructibilité restreinte». Des autres zones au sens de l’art. 18 al. 1 LAT peuvent ainsi être créées à l’intérieur de la zone à bâtir, en particulier des zones destinées aux loisirs et à la détente ainsi que des espaces verts destinés à améliorer la qualité du milieu bâti (cf. arrêt TF 1C_398/2018 du 16 avril 2020 consid. 4.2).
Selon le droit fédéral, les «zones à bâtir particulière ou à constructibilité restreinte» ne sont admises que si elles s’appuient sur une pesée complète des intérêts en présence relevant de l’aménagement du territoire et qu’elles ne contournent pas les buts de l’aménagement du territoire que sont l’utilisation mesurée du sol, la concentration des habitations dans les zones à bâtir et l’interdiction des constructions en ordre dispersé (cf. RUDOLF MUGGLI; Commentaire pratique LAT: Planifier l’affectation, 2016, n.29 ad art. 18 LAT). Dans la mesure où une nouvelle zone fondée sur l’art. 18 LAT ne favorise pas la dispersion des constructions, mais prévoit uniquement l’agrandissement minime d’un secteur déjà construit ou l’agrandissement mesuré de bâtiments existants, elle est admissible pour autant qu’elle soit fondée sur une pesée des intérêts objectivement justifiée (ATF 124 II 391 consid. 3a; TF 1C_404/2014 du 24 mars 2015 consid. 4.1.1).
e) En l’occurrence, affecter le secteur litigieux en zone à bâtir particulière ou à constructibilité restreinte plutôt qu’en zone agricole serait clairement dans l’intérêt de la recourante. L’affectation en zone agricole a en effet pour conséquence de rendre non conformes à la zone les installations équestres sises au sud de la parcelle, installations construites pour l’essentiel à une époque où cette partie de la parcelle était colloquée en zone à bâtir. Or, tel ne serait pas le cas d’une affectation en zone à bâtir à constructibilité restreinte, qui permettrait par exemple le remplacement ou la reconstruction des constructions équestres existantes dans les mêmes volumes avec la même affectation (affectation équestre), voire un agrandissement minime de ces constructions, toujours avec la même affectation. Une telle affectation devrait également permettre cas échéant des travaux de transformation des installations équestres (notamment des boxes à chevaux) afin d’y détenir des animaux dans des conditions respectueuses, même si celles-ci ne sont pas utilisées par des personnes habitant à proximité, ce que ne permet pas l’art. 24 e LAT. On relèvera qu’une réglementation de ce type ne porterait pas atteinte à des intérêts publics opposés, notamment la préservation du paysage en (cf. art. 1 al. 2 let. a et 3 al. 2 LAT) et le risque de perte de terres agricoles de qualité (cf. art. 3 al. 2 let. a LAT). Elle ne favoriserait pas la dispersion des constructions dès lors que celles-ci sont existantes. De manière générale, elle ne poserait pas problème au regard des buts et principes régissant l’aménagement du territoire, notamment le principe de l’utilisation mesurée du sol et de la séparation du bâti et du non bâti. Si on se fonde sur les catégories NORMAT (voir directives duConseild’Etat, www.vd.ch/fileadmin/user_upload/themes/territoire/amenagement/Normat/20.06.01_Directive_NORMAT_v1.1.pdf) pourrait par exemple être envisagée une zone de tourisme et de loisirs 18 LAT ou une zone para-agricole 18 LAT.
L’affectation en zone agricole litigieuse poursuit un seul but, à savoir contribuer à la réduction des zones à bâtir. Or, dans la mesure où une zone à bâtir à constructibilité restreinte n’autoriserait pas la construction de nouveaux logements et l’accueil de nouveaux habitants, elle permettrait également d’atteindre le but poursuivi par l’art. 15 LAT et la mesure A11 du PDCn qui est d’éviter que les communes hors centre notamment disposent d’une zone à bâtir surdimensionnée susceptible de dépasser le taux de croissance de la population attribué par le Canton pour les quinze prochaines années. Elle permettrait par conséquent d’atteindre le but d’intérêt public visé (réduction d’une zone à bâtir surdimensionnée) tout en portant une atteinte moindre aux intérêts de la recourante et à la garantie de la propriété dont elle peut se prévaloir. Le grief relatif à la violation du principe de la proportionnalité sous l’angle de la nécessité en relation avec la garantie de la propriété doit dès lors être admis.
f) On relèvera encore qu’il n’est pas contesté que le secteur litigieux ne se prête pas à l’exploitation agricole ou à l’horticulture productrice et qu’il ne s’agit pas de terrains qui, dans l’intérêt général, devraient être exploités par l’agriculture. Ce secteur ne remplit par conséquent pas les exigences fixées à l’art. 16 LAT pour qu’un terrain soit classé en zone agricole (cf. art. 16 al. 1 let. a et b LAT). Certes, selon la jurisprudence, en cas de déclassement d’une parcelle constructible pour des motifs de surdimensionnement de la zone à bâtir, la possibilité d’une exploitation effective à des fins agricoles n’est pas déterminante (Cf. arrêt TF 1C_378/2016 du 4 janvier 2017 consid. 3.6). Un intérêt général au classement en zone agricole pour ce motif ne peut toutefois pas être reconnu en l’espèce puisque, on l’a vu, le secteur litigieux remplit les exigences pour une affectation dans une zone à bâtir à constructibilité restreinte régie par l’art. 18 LAT. L’affectation de ce secteur en zone agricole n’est par conséquent pas conforme à l’art. 16 LAT.
[….]
Arrêt AC.2022.0122 du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 15.2.2023
Procédure pénale
Enquête requise sur la violation de droits humains
La qualité de partie d’un proche de la victime, qui allègue la violation de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants et du droit à la vie (2, 3 CEDH), est reconnue par le Tribunal cantonal fribourgeois. En effet, il n’est pas possible en l’état d’exclure la violation d’un droit conventionnel à ce stade de l’enquête vu les nombreuses zones d’ombre du dossier.
État de fait
Soupçonné de traite d’êtres humains et d’encouragement à la prostitution, un homme est interpellé avec son amie. Cette dernière se suicide dans la salle d’audition en se pendant avec un lacet. Après ce drame, le concubin de la défunte dépose plainte pénale pour homicide par négligence et exposition. Il reproche à la police d’avoir laissé la défunte seule dans la salle d’audition dans un état de détresse psychique faute d’avoir été informée des motifs de son arrestation en raison de problèmes de langue. La défunte a par ailleurs pu porter ses chaussures à lacets, contrairement aux précautions d’usage. Le ministère public dénie la qualité de partie plaignante et la demande d’assistance judiciaire du concubin de la défunte tout en soumettant ce dernier et son conseil à l’obligation de garder le secret de la procédure. Un recours est déposé contre l’ordonnance du ministère public au Tribunal cantonal fribourgeois. Les juges cantonaux admettent le recours.
Extrait des considérants
[…]
3.4.4. Ceci étant posé, on perçoit immédiatement la difficulté suivante: pour que la qualité de partie soit reconnue au recourant, il faut des soupçons que B.________ ait été victime d’actes prohibés par le droit conventionnel. Or, le recourant n’a pas une connaissance directe des circonstances du décès. Il ne peut justifier sa qualité de partie qu’en fonction d’éléments qu’il ne connaît pas, mais que l’enquête a précisément pour but d’investiguer. Il apparaît dès lors délicat de nier à A.________ sa qualité de partie sans lui permettre de se prononcer sur les éléments du dossier, en particulier sur les faits qui, de son point de vue, pourraient constituer une atteinte telle que définie ci-avant. Or, son accès au dossier est conditionné à sa qualité de partie. Cette difficulté ne peut être résolue de façon satisfaisante qu’en accordant au proche de la victime décédée la qualité de partie, décision qui par ailleurs n’est pas définitive. Il faut néanmoins qu’il puisse se prévaloir, à la suite du décès de la personne proche, d’indices concrets allant dans le sens d’un possible traitement inhumain et dégradant. Des accusations ne reposant que sur de pures conjonctures sont insuffisantes.
3.4.5. En l’espèce, des informations qu’il a pu glaner, n’ayant pas eu accès au dossier, le recourant prétend qu’entre son interpellation et son décès, soit plus de 24 heures, feue B.________, enfermée dans une cellule, n’a pas été informée des motifs de son arrestation en raison des problèmes de langue empêchant les policiers de communiquer avec elle et de l’indisponibilité de l’interprète allemand-thaï; elle a ainsi été livrée à elle-même, laissée dans un «flou total», sans pouvoir parler à quiconque, ni comprendre ce qui lui arrivait. Ces conditions sont propres, selon lui, à déclencher un sentiment de détresse, de peur et d’angoisse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une arrestation, et ces sentiments l’ont conduite à se donner la mort. Il considère en outre que les policiers ont failli à prendre toutes les mesures propres à protéger la vie d’une personne détenue, en omettant de lui retirer ses chaussures pourvues de lacets alors qu’elle avait été laissée seule en salle d’audition. La présence des lacets constitue ainsi une situation à risque, particulièrement pour une personne détenue sujette à un choc carcéral, et plus encore lorsque celle-ci n’a, durant plus de 24 heures, pas été informée de ce qui lui arrivait et de ce qui l’attendait. Les actes dénoncés sont dès lors susceptibles de constituer un traitement inhumain et dégradant; à tout le moins, compte tenu du stade précoce de l’enquête il ne peut en être exclu. A ce stade de l’instruction dont on doit constater qu’elle a été matériellement ouverte ne serait-ce que par les mesures de contrainte prononcées (premier examen du cadavre; autopsie) et les autres mesures d’investigation menées directement par le Ministère public, et au vu des éléments de fait partagés par ce dernier, les circonstances de la privation de liberté de la défunte ne sont pas clairement établies. Elles font précisément l’objet de l’enquête pénale en cours. L’instruction devra déterminer si des reproches pénaux peuvent être établis, respectivement si les conditions de détention de la défunte, notamment le contexte ayant abouti à son décès, étaient exemptes de tout reproche. Si feue B.________ a été laissée, comme le craint le recourant, dans un état de détresse, de peur et d’angoisse l’ayant amenée à l’acte fatal, faute d’explication même superficielle sur sa situation, il est prématuré d’exclure tout comportement pouvant constituer un traitement prohibé par le droit conventionnel. Même si rien au dossier n’indique qu’elle a été victime d’acte de torture et de maltraitance directe, d’autres éléments interpellent. Le convoyeur qui l’a transportée a indiqué qu’elle n’avait pas l’air en grande forme et que lors du transport elle était apeurée et toute recroquevillée. Le recourant lui-même a indiqué lors de son audition du 6 novembre 2022 que la défunte avait très peur lors de son arrestation et qu’elle avait l’air terrifiée. Il a certes d’ores et déjà été établi, comme le relève le Ministère public, qu’elle n’a pas été en isolement total durant toute la durée de sa détention, soit 27 heures environ; des policiers ont été à son contact, notamment pour lui fournir des menus services d’hygiène et alimentaires. Le jour de son décès, un policier s’est rendu à son contact à 11h07, il «a été en mesure de péniblement comprendre qu’elle souhaite manger et boire quelque chose. Elle a demandé des nouvelles de son mari (Mein Mann) et l’inspecteur lui a répondu qu’il allait bien et qu’elle allait bientôt être auditionnée avec une interprète» (ordonnance litigieuse p. 2). Cela étant, le Ministère public souligne également l’impossibilité pour les policiers de communiquer avec elle en raison de problème de langue et en l’absence de traducteur. Aussi doit-on s’interroger sur les possibilités réelles de vérifier sérieusement l’état de la défunte si les policiers ne pouvaient pas communiquer avec elle. Au dossier figure également une annotation faite par un des inspecteurs comme quoi le jour de son interpellation, sans indication d’heure précise, « dans l’après-midi, je demande à la traductrice thaïlandaise de m’accompagner dans le box 139 car je dois faire signer l’arrestation provisoire à B.________. La traductrice lui explique en thaïlandais pourquoi elle se trouve dans nos locaux. B.________ lui répond en thaïlandais qu’elle ne comprend pas pourquoi elle se trouve ici. On lui explique plusieurs fois en détail pourquoi elle se trouve en arrestation provisoire et on lui demande de signer le document. Malgré nos explications, elle refuse de signer le document. La discussion dure entre 5 min et 10 min, B.________ était calme. C’est le seul contact verbal que j’ai eu avec la prévenue » (déclarations écrites de D.________ du 4 octobre 2022). Cette brève note n’indique toutefois pas quelles informations ont été transmises à la défunte par la traductrice, ni si elle a été informée de la suite de la procédure. Ce contact n’a pas été avancé par le Ministère public dans l’ordonnance litigieuse et il n’en est nullement fait mention dans la «note au dossier» concernant «le résumé des passages saillants des enregistrements de police». Il existe à ce stade des zones d’ombre quant aux contacts et informations qu’elle a eus durant sa privation de liberté. De surcroît, pour des raisons que l’enquête déterminera, elle a pu conserver ses chaussures et ses lacets alors qu’elle se trouvait seule dans une pièce, semble-t-il sans surveillance. Eu égard aux zones d’ombre du dossier qui ne permettent en l’état pas d’exclure tout comportement prohibé par le droit conventionnel, il n’y a pas lieu de nier la qualité de partie du recourant. Comme dit précédemment, sa qualité de partie dépend d’éléments qu’il ignore à ce stade et qui font précisément l’objet de l’enquête en cours.
[…]
5.
[…]
5.3. Aux termes de l’art. 73 al. 2 CPP, la direction de la procédure peut obliger la partie plaignante, d’autres participants à la procédure ainsi que leurs conseils juridiques, sous commination de la peine prévue à l’art. 292 CP, à garder le silence sur la procédure et sur les personnes impliquées, lorsque le but de la procédure ou un intérêt privé l’exige. Cette obligation doit être limitée dans le temps. La direction de la procédure doit faire preuve de retenue dans le prononcé d’une telle injonction, puisque le principe consacré par le CPP est celui de la liberté d’expression. Le silence ne saurait ainsi être imposé aux parties que pour des motifs importants, notamment en présence d’indices concrets d’un risque d’influence sur le cours de la procédure ou d’un risque d’atteinte aux droits de la personnalité d’une autre partie (arrêt TF 1B_435/2019 du 16 janvier 2020 consid. 3.2). L’obligation de garder le secret a été consacrée par le législateur notamment en vue de permettre à la direction de la procédure de prendre des mesures en amont, destinées par exemple à mieux préserver les droits de la personnalité et la présomption d’innocence (BSK StPO-Saxer/Thurnheer, art. 73 CPP n. 4). L’obligation de garder le silence prévue par l’art. 73 al. 2 CPP ne concerne pas les communications internes entre le conseil juridique et son mandant, qu’il soit prévenu ou autre participant à la procédure, mais vise avant tout à empêcher les communications externes de faits secrets à des personnes étrangères à la procédure pénale (ATF 146 IV 218 consid. 3.2.3). Constituent des secrets les faits dont la connaissance ou l’accès sont limités à un cercle restreint de personnes et que celui qui en est maître veut garder confidentiels en ayant pour cela un intérêt légitime (CR CPP-Steiner/Arn, 2e éd. 2019, art. 73 CPP n. 2).
Le secret de l’enquête est motivé par les nécessités de protéger les intérêts de l’action pénale (en prévenant les risques de collusion ainsi que le danger de disparition et d’altération de moyens de preuve) ainsi que les intérêts des parties à la procédure, notamment le prévenu qui bénéficie de la présomption d’innocence garantie aux art. 6 par. 2 CEDH, 32 al. 1 Cst. et 10 al. 1 CPP (cf. également art. 74 al. 3 CPP). Il s’agit en outre de protéger le processus de formation de l’opinion et de prise de décision (ATF 126 IV 236 consid. 2c/aa) en garantissant l’impartialité du pouvoir judiciaire. D’autres intérêts privés doivent aussi être pris en compte, notamment ceux de la victime qui bénéficie d’une protection accrue en vertu notamment de la LAVI et des art. 117 et 152 CPP (arrêt TF 6B_256/2012 du 27 septembre 2012 consid. 2.3). Le secret est en outre limité aux faits révélés par l’enquête elle-même ainsi qu’aux décisions et mesures d’instruction non publiques, la seule communication relative au dépôt d’une plainte et à l’ouverture d’une enquête n’étant pas couverte (TC FR 502 2014 104 du 26 juin 2014 consid. 4; Daphinoff/Jetzer, Die Verpflichtung zur Geheimhaltung nach Art. 73 Abs. 2 StPO, in RSJ 2022 p. 600 et les références citées; Moreillon/Parein Reymond, Petit commentaire CPP, art. 73 n. 5).
5.4. En l’espèce, dans la décision attaquée, le Ministère public indique que les médias ont été informés du dépôt de plainte, suspectant le recourant et son mandataire d’en avoir averti la presse. Les recourants ne nient pas être à l’origine de cette information, ce qui ressort par ailleurs clairement de l’article publié dans E.________ le 22 octobre 2022 (pièce 8). Ils relèvent néanmoins n’avoir donné aucune autre information que l’existence du dépôt de plainte, et ce sur demande du média. Cet élément n’est en principe pas couvert par le secret de l’instruction. Le mandataire s’est également exprimé sur un autre aspect procédural, à savoir que le Ministère public examinerait la légitimation du recourant à déposer une telle plainte. Il est par contre vrai que, sauf à invoquer ces deux aspects formels, les recourants ne se sont exprimés ni sur le contenu de la plainte ni sur les éléments révélés par les investigations. On doit également souligner que le Ministère public a partagé des éléments provenant des investigations avec le recourant lors de son audition comme témoin le 9 novembre 2022, sans que ceux-ci se retrouvent par la suite dans la presse. Le Ministère public motive la mesure de silence en exposant que sa décision du 17 novembre 2022 contient de nombreuses informations qui n’ont pas été communiquées au public ni à quiconque; il craint ainsi que ces éléments se retrouvent dans la presse, ce qui pourraient nuire aux investigations encore en cours. Dans ses déterminations du 6 décembre 2022, il précise qu’il est encore en attente du rapport d’autopsie et du rapport de la police forensique neuchâteloise. Une telle motivation ne permet pas de justifier la mesure imposée aux recourants. Elle consiste en effet en une simple généralité, propre à toute instruction, sans qu’on en perçoive le risque concret d’influence sur le cours de la procédure, en particulier sur l’établissement par des autorités du rapport d’autopsie et celui de l’investigation forensique. Le seul risque abstrait – tel qu’en définitive allégué en l’espèce – susceptible d’«empêcher une investigation efficace et sereine de l’état de fait» ne suffit pas (Daphinoff/Jetzer, p. 601 et les références citées; BSK StPO-Saxer/Thurnheer, art. 73 n. 15). Il s’ensuit que la mesure de silence doit être annulée.
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Arrêt 502 2022 273 du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 20.1.2023