Droit cantonal
Droit de la profession d’avocat
Un avocat peut représenter deux plaignants dans deux procédures pénales dirigées contre le même individu pour des faits similaires. L’interdiction de double représentation sert à protéger l’intérêt du mandant, et non celui de la partie adverse. Ladite interdiction n’a lieu d’être qu’en présence d’un risque de conflit d’intérêts propre à prétériter le représenté. Or, dans le présent cas, aucun risque de conflit d’intérêts entre les parties plaignantes n’a été identifié.
État de fait
Une femme porte plainte contre son ex-partenaire. La procédure pénale concerne des menaces, des viols et des violences physiques. Dans ce cadre, la plaignante est représentée par l’avocat B. Le prévenu est marié avec D. Par la suite, D. dépose également plainte contre son époux. L’avocat B. représente aussi l’épouse du prévenu dans cette deuxième procédure portant sur des voies de faits, des injures, des menaces et de la contrainte. Par ordonnance du 11 avril 2022, le Ministère public dénie la capacité de postuler de Me B. dans les deux procédures pénales. Les plaignantes recourent contre cette ordonnance auprès de l’Autorité de recours en matière pénale du Tribunal cantonal neuchâtelois.
Extrait des considérants
2.
a) Selon l’article 127 al. 1 CPP, le prévenu, la partie plaignante et les autres participants à la procédure peuvent se faire assister d’un conseil juridique pour défendre leurs intérêts. Dans les limites de la loi et des règles de sa profession, un conseil juridique peut défendre les intérêts de plusieurs participants à la procédure, dans la même procédure (art. 127 al. 3 CPP). Dans les règles relatives aux conseils juridiques, l’article 127 al. 4 CPP réserve la législation sur les avocats.
b) Parmi les règles professionnelles que doit respecter l’avocat, l’article 12 let. c de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats (loi sur les avocats, LLCA, RS 935.61) prévoit qu’il doit éviter tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé. L’interdiction de plaider en cas de conflit d’intérêts est une règle cardinale de la profession d’avocat. Elle est en lien avec la clause générale de l’article 12 let. a LLCA – selon laquelle l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence –, avec l’obligation d’indépendance figurant à l’article 12 let. b LLCA, ainsi qu’avec l’article 13 LLCA relatif au secret professionnel.
c) Ces règles visent avant tout à protéger les intérêts des clients de l’avocat, en leur garantissant une défense exempte de conflit d’intérêts. Elles tendent également à garantir la bonne marche du procès, en particulier en s’assurant qu’aucun avocat ne soit restreint dans sa capacité de défendre l’un de ses clients – notamment en cas de défense multiple –, respectivement en évitant qu’un mandataire puisse utiliser les connaissances d’une partie adverse acquises lors d’un mandat antérieur au détriment de celle-ci. Les critères suivants peuvent permettre de déterminer l’existence ou non de mandats opposés dans un cas concret : l’écoulement du temps entre deux mandats, la connexité (factuelle et/ou juridique) de ceux-ci, la portée du premier mandat – à savoir son importance et sa durée –, les connaissances acquises par l’avocat dans l’exercice du premier mandat, ainsi que la persistance d’une relation de confiance avec l’ancien client. Le devoir de fidélité exclut a fortiori que l’avocat procède contre un client actuel (ATF 145 IV 218 cons. 2.1, avec des références ; arrêt du TF du 23.02.2021 [1B_339/2020] cons. 2.1).
d) Il faut éviter toute situation potentiellement susceptible d’entraîner des conflits d’intérêts. Un risque purement abstrait ou théorique ne suffit pas et le risque doit être concret. Il n’est toutefois pas nécessaire que le danger concret se soit réalisé et que l’avocat ait déjà exécuté son mandat de façon critiquable ou en défaveur de son client. Dès que le conflit d’intérêts survient, l’avocat doit mettre fin à la représentation (ATF 145 IV 218 cons. 2.1 et les arrêts cités ; arrêt du TF du 23.02.2021 [1B_339/2020] cons. 2.1). En outre et à mesure qu’un risque concret suffit, il n’y a pas lieu d’attendre la réalisation du conflit d’intérêts pour interdire à un avocat de postuler. Le seul fait que les déclarations d’un participant de la procédure paraissent correspondre, en début de procédure, à celles d’un autre participant, ne suffit pas pour écarter tout risque concret ultérieur de conflits d’intérêts (arrêt du TF du 23.02.2021 [1B_339/2020] cons. 2.3).
e) Il y a notamment violation de l’article 12 let. c LLCA lorsqu’il existe un lien entre deux procédures et que l’avocat représente dans celles-ci des clients dont les intérêts ne sont pas identiques. Il importe peu en principe que la première des procédures soit déjà terminée ou encore pendante, dès lors que le devoir de fidélité de l’avocat n’est pas limité dans le temps. Il y a aussi conflit d’intérêts, au sens de la disposition susmentionnée, dès que survient la possibilité d’utiliser, consciemment ou non, dans un nouveau mandat les connaissances acquises antérieurement, sous couvert du secret professionnel, dans l’exercice d’un mandat antérieur (ATF 145 IV 218 cons. 2.1 ; arrêt du TF du 23.02.2021 [1B_339/2020] cons. 2.1).
f) Le Tribunal fédéral a souvent rappelé que l’avocat a notamment le devoir d’éviter la double représentation s’il serait amené à défendre les intérêts opposés de deux parties à la fois, car il n’est alors plus en mesure de respecter pleinement son obligation de fidélité et son devoir de diligence envers chacun de ses clients (ATF 145 IV 218 cons. 2.1 et les références citées ; arrêt du TF du 23.02.2021 [1B_339/2020] cons. 2.1).
g) Dans le cas de parties plaignantes, les règles sur les mandats multiples dans les litiges civils s’appliquent et la double représentation devrait être possible, sous réserve d’un conflit d’intérêts concret et étayé par des faits (cf. Moreillon/Parein-Reymond, Petit commentaire CPP, n. 10a ad art. 127 ; Harari, in : CR CPP, 2e éd., n. 41 ad art. 127).
3.
a) Il paraît utile de rappeler, à titre préalable, qu’en fonction du principe de l’unité de la procédure, les infractions sont poursuivies et jugées conjointement quand un prévenu a commis plusieurs infractions (art. 29 al. 1 let. a CPP), sauf exception motivée par des raisons objectives (art. 30 CPP ; sur ces – assez rares – exceptions, cf. Bouverat, in : CR CPP, 2e éd., n. 4 ad art. 30). Les circonstances du cas d’espèce ne paraissent pas, a priori, justifier que deux procédures pénales soient menées en parallèle contre le même prévenu. Tenter d’éviter au prévenu que son épouse apprenne qu’il a peut-être eu un enfant avec une autre femme (la paternité n’est en l’état pas établie) peut difficilement constituer un motif suffisant pour ne pas joindre les causes ; le prévenu et son épouse sont d’ailleurs déjà séparés, comme cela ressort de la procédure en cours devant le Tribunal civil.
b) Dans le cadre des deux procédures pénales en cours, les intérêts des plaignantes respectives ne sont pas opposés. Chacune de ces plaignantes demande la poursuite du prévenu, pour des faits distincts et sans autre lien entre eux que l’identité d’auteur présumé. L’éventuelle condamnation du prévenu pour les faits concernant l’une des plaignantes ne dépend pas de sa condamnation ou de son acquittement pour ceux relatifs à l’autre (comme cela peut être le cas, ainsi que le relèvent les recourantes, si un prévenu est poursuivi pour deux infractions commises au même moment, mais en des lieux différents). De manière générale, rien n’empêche, par exemple, que le même mandataire représente plusieurs plaignants qui reprochent chacun un cambriolage, des violences ou des menaces au même prévenu ; cela permet d’ailleurs des économies pour les parties plaignantes, respectivement pour la collectivité si les plaignants plaident au bénéfice de l’assistance judiciaire. Les conclusions civiles que les plaignantes pourraient déposer, le moment venu, ne pourraient pas porter sur des contributions d’entretien en faveur d’enfants, faute de lien avec les faits reprochés au prévenu, et des prétentions relatives à des dommages-intérêts ou à un tort moral pourraient être formulées par chacune des plaignantes indépendamment, sans que le résultat dans l’un des cas influe sur le sort de l’autre. Pour l’essentiel, les infractions reprochées au prévenu se poursuivent d’office, de sorte que la perspective d’une négociation d’un accord avec le prévenu en vue d’un retrait de plainte, par l’une des plaignantes ou les deux, n’est que très théorique, ceci d’autant plus que le prévenu conteste la plupart des faits qui font l’objet des préventions. Dans les circonstances du cas d’espèce, on ne discerne ainsi pas de risque autre que purement théorique qu’en procédure pénale, l’une des plaignantes soit, du fait de la double représentation, moins bien défendue que si deux mandataires différents intervenaient. La décision entreprise ne dit d’ailleurs pas en quoi un tel risque pourrait consister.
c) Que le prévenu lui-même puisse peut-être avoir intérêt à ce que les plaignantes soient représentées par des mandataires différents est sans pertinence, les règles sur les conflits d’intérêts visant à protéger les clients des avocats et non leurs adverses parties. À cet égard, on notera que les procédures devront vraisemblablement être jointes et que, si elles ne l’étaient pas, chacune des plaignantes – comme elles le relèvent à juste titre – aura connaissance du fait qu’une autre procédure est en cours, par l’extrait du casier judiciaire du prévenu qui sera sans doute joint au dossier. Dans la seconde hypothèse et si les plaignantes avaient des mandataires différents, rien n’empêcherait l’un de ceux-ci, ou les deux, de demander l’édition du dossier de l’autre procédure (ce que ferait tout mandataire diligent), édition qui pourrait difficilement être refusée. Même avec des mandataires différents, le prévenu devrait ainsi s’attendre à ce que chacune des plaignantes ait connaissance des faits concernant l’autre et en tire, le cas échéant, des arguments en rapport, par exemple, avec le caractère de l’intéressé. La règle de l’article 29 al. 1 let. a CPP a d’ailleurs pour conséquence habituelle que le prévenu à qui plusieurs infractions sont reprochées est jugé en une fois pour l’ensemble des faits, que chacune des parties plaignantes peut ainsi – sauf exception rarissime – prendre connaissance des faits concernant les autres parties plaignantes et que rien ne les empêche d’en tirer les conclusions qui leur paraissent adéquates, pour la défense de leur cause. Que le même mandataire représente deux ou plusieurs plaignants n’y change alors rien.
d) Le Ministère public retient que la possibilité ou l’impossibilité d’utiliser dans le cadre d’un mandat des connaissances acquises dans le cadre d’un autre mandat est de nature à restreindre l’indépendance de l’avocat et constitue un conflit d’intérêts nécessitant de mettre fin aux deux mandats. Dans la perspective d’une jonction des causes au pénal ou de l’édition du dossier concernant une plaignante dans la procédure concernant l’autre, on ne voit pas quelles connaissances acquises dans le cadre d’un mandat pourraient être utilisées d’une manière contraire aux intérêts des parties plaignantes, ni quelles seraient les informations que le mandataire ne pourrait pas utiliser. Le Ministère public ne dit d’ailleurs pas, concrètement, en quoi un conflit d’intérêts pourrait exister à cet égard. C’est bien plus là encore l’intérêt du prévenu – i.e. éviter que le mandataire de chaque plaignante bénéficie d’éléments de la part de celui de l’autre plaignante – qui induit une telle approche par les procureurs, mais cet intérêt n’est précisément pas pertinent.
e) La perspective d’une procédure civile éventuelle en reconnaissance de paternité et en aliments, que Y. et son enfant pourraient introduire, ne peut pas justifier l’interdiction du double mandat, pas plus que ne le peuvent, plus généralement, les conséquences financières éventuelles de la double – pour le moment encore hypothétique – paternité du prévenu. Comme le relèvent les recourantes, leur avocat n’a pas reçu de mandat pour agir en reconnaissance de paternité. De toute manière, la question à examiner ici est celle de savoir si ce mandataire peut représenter les deux plaignantes dans la procédure pénale et pas ce qu’il en serait en procédure civile. Le cas échéant, ces questions devraient être examinées par les juges civils qui pourraient être concernés, étant relevé que, quand un enfant n’a pas de paternité légale ou reconnue, l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte peut désigner un curateur pour établir la filiation paternelle (art. 308 al. 2 CC) et que, dans le cas d’espèce, elle veillerait sans doute à ne pas désigner comme curateur le mandataire qui représente l’épouse du père présumé dans une procédure matrimoniale.
f) Il résulte de ce qui précède qu’aucun risque concret de conflit d’intérêts n’existe, pour les procédures pénales en cours et dans les circonstances du cas d’espèce, du fait de la représentation des deux plaignantes par celui qui est actuellement leur mandataire.
[…]
Arrêt de l’Autorité de recours en matière pénale du Tribunal cantonal neuchâtelois ARMP.2002.26 du 12 mai 2022.
Droit des assurances sociales
En cas de réintroduction d’une demande de prestations de l’assurance-invalidité, l’Office cantonal d’assurance invalidité est tenu d’instruire le dossier si le requérant démontre qu’une modification de son état de santé depuis sa première demande est plausible. Dans le cas d’espèce, l’expertise d’un médecin spécialiste en addictologie a été déterminante.
État de fait
Le requérant, sujet à des troubles dépressifs et anxieux, a déposé une première demande de prestations à l’assurance-invalidité. Afin d’analyser la situation, l’Office de l’assurance invalidité du canton de Vaud se base notamment sur le rapport du médecin-conseil de l’assurance perte de gain de l’ancien employeur de l’intéressé. Ledit rapport fait état de troubles du comportement liés à l’utilisation d’alcool, en particulier. Il est conclu que le recourant ne souffre d’aucun trouble incapacitant et son droit à des prestations de l’assurance invalidité est d’abord nié. La décision entre en vigueur. Le requérant dépose ensuite une nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité. L’office d’assurance invalidité adresse une fin de non-entrée en matière. Le Tribunal cantonal, qui précise que le nouveau droit entré en vigueur au 1er janvier 2022 n’est pas applicable, renvoie la cause à l’Office de l’assurance invalidité pour qu’elle instruise le dossier.
Extrait des considérants
[…]
2.
a) Le litige porte sur le refus de l’office AI d’entrer en matière sur la nouvelle demande de prestations présentée par le recourant le 21 janvier 2021. Il convient en particulier d’examiner si le recourant a rendu plausible une modification des faits depuis la dernière décision de refus de prestations du 7 janvier 2019, qui justifierait un nouvel examen de son cas.
b) Des modifications législatives et réglementaires sont entrées en vigueur au 1er janvier 2022 dans le cadre du « développement continu de l’AI » (loi fédérale sur l’assurance-invalidité [LAI] [Développement continu de l’AI], modification du 19 juin 2020, RO 2021 705, et règlement sur l’assurance-invalidité [RAI], modification du 3 novembre 2021, RO 2021 706). Conformément aux principes généraux en matière de droit transitoire, l’ancien droit reste en l’espèce applicable, au vu de la date de la décision litigieuse rendue le 17 septembre 2021 (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; 138 V 176 consid. 7.1 ; TF 9C_881/2018 du 6 mars 2019 consid. 4.1).
3.
a) Lorsqu’une rente a été refusée parce que le degré d’invalidité était insuffisant, une nouvelle demande ne peut être examinée que si la personne assurée rend plausible que son invalidité s’est modifiée de manière à influencer ses droits (art. 87 al. 2 et 3 RAI [règlement du 17 janvier 1961 sur l’assurance-invalidité ; RS 831.201]). Cette exigence doit permettre à l’administration qui a précédemment rendu une décision de refus de prestations, entrée en force, d’écarter sans plus ample examen de nouvelles demandes dans lesquelles la personne assurée se borne à répéter les mêmes arguments sans rendre plausible une modification des faits déterminants depuis le dernier examen matériel du droit aux prestations (ATF 133 V 108 consid. 5.2 ; 130 V 71 ; 130 V 64 consid. 2 et 5.2.3).
b) Le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par l’autorité (art. 43 al. 1 LPGA), ne s’applique pas à la procédure prévue par l’art. 87 al. 2 et 3 RAI (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5). Lorsqu’elle est saisie d’une nouvelle demande, l’administration doit donc commencer par examiner si les allégations de la personne assurée sont, d’une manière générale, plausibles. Si tel n’est pas le cas, l’affaire est liquidée d’entrée de cause et sans autre investigation par un refus d’entrer en matière. À cet égard, l’administration se montrera d’autant plus exigeante pour apprécier le caractère plausible des allégations de la personne assurée que le laps de temps qui s’est écoulé depuis sa décision antérieure est bref (ATF 109 V 108 consid. 2b ; TF 9C_789/2012 du 27 juillet 2013 consid. 2.2).
c) Selon la doctrine, « rendre plausible » ne doit pas être compris au sens de la preuve de la vraisemblance prépondérante telle qu’elle est souvent exigée en droit des assurances sociales. Il ne s’agit en effet pas ici d’apporter une « preuve complète » qu’un changement notable est intervenu dans l’état de fait depuis la dernière décision. Il suffit bien plutôt qu’il existe des indices à l’appui de ce changement et que le juge ou l’administration puissent être convaincus que les faits allégués se sont vraisemblablement produits (Michel Valterio, Droit de l’assurance-vieillesse et survivants [AVS] et de l’assurance-invalidité [AI], Genève/Zurich/Bâle 2011, n° 3100, p. 840 ss).
4.
[…]
e) Au final, il s’avère que les éléments médicaux avancés par le recourant rendent plausible une modification de son état de santé depuis la dernière décision de refus de prestations rendue le 7 janvier 2019. L’appréciation de l’état de santé de l’intéressé et de sa capacité de travail ne concorde plus avec les indications ressortant du rapport médical produit à l’appui de la dernière demande de prestations du 21 janvier 2021. Ainsi, le SMR ne pouvait qualifier la situation d’inchangée sans procéder à un minimum d’investigations sur le fond, ce dont il s’est abstenu. A ce stade, il n’appartient toutefois pas au Tribunal d’ordonner la forme que doit prendre cette instruction, mais uniquement à l’intimé d’entrer en matière sur la demande de prestations déposée le 21 janvier 2021. En conséquence, il y a lieu de renvoyer la cause à l’office AI afin qu’il entre en matière sur cette demande de prestations puis, conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales (art. 43 al. 1 LPGA), mette en œuvre les mesures d’instruction idoines aux fins d’éclaircir les questions faisant l’objet des considérants 4b à 4d ci-dessus. Concrètement, il s’agira d’éprouver les atteintes à la santé alléguées et leur répercussion en termes de capacité de travail.
Arrêt de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud AI 379/21 - 188/2022 du 10 juin 2022.
Droit des étrangers
S’agissant du regroupement familial inversé, les liens affectifs et économiques étroits que le parent entretient avec ses enfants doivent être analysés. Le Tribunal cantonal du canton du Valais relève que le lien affectif prend le pas sur les liens économiques. En l’espèce, ilest admis que la recourante entretient des liens étroits avec ses enfants en raison de la garde alternée et de l’autorité parentale conjointe. Le lien économique doit également être reconnu compte tenu des contributions en nature délivrées en cas de garde alternée. Les juges concluent que l’éloignement géographique du pays d’origine de la requérante ne saurait être omis et impacterait sur les relations avec ses enfants.
État de fait
Des suites de la séparation avec son époux, la recourante, ressortissante kenyane, s’est vu refuser la prolongation de son autorisation de séjour au motif que la vie commune avec son ex-conjoint avait duré moins de trois ans, seule la vie commune en Suisse étant déterminante. Deux enfants sont nés de cette union, la recourante demande qu’une prolongation de son autorisation de séjour lui soit accordée pour maintenir les liens affectifs avec ses enfants. Le Tribunal cantonal du canton du Valais admet son recours contre la décision du Conseil d’État du canton du Valais.
Extrait des considérants
[…]
4. Au fond, la recourante invoque, notamment, une violation de l’article 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr (intitulée, depuis le 1er janvier 2019, loi fédérale sur les étrangers et l’intégration et abrégée LEI), estimant que sa situation a été mal appréciée par l’autorité précédente et qu’elle remplit le critère des raisons personnelles majeures.
4.1.1 Vu l’article 126 al. 1 LEI, la cause est à juger selon l’ancien droit. Dans la teneur qu’il avait selon celui-ci, l’article 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr permet au conjoint étranger de demeurer en Suisse après la dissolution de l’union conjugale, lorsque la poursuite de son séjour s’impose pour des raisons personnelles majeures. Des raisons personnelles majeures au sens de l’article 50 al. 1 let. b LEtr peuvent découler d’une relation digne de protection avec un enfant qui a le droit de séjourner en Suisse (ATF 143 I 21 consid. 4.1 ; ATF 139 I 315 consid. 2.1). Pour déterminer si tel est le cas, il faut examiner la situation dans son ensemble, en tenant compte de la jurisprudence rendue en application de l’article 8 CEDH (que la recourante invoque du reste expressément), les raisons personnelles majeures au sens de l’article 50 al. 1 let. b LEtr ne pouvant être comprises de manière plus restrictive que les droits découlant de l’article 8 CEDH (ATF 143 I 21 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 2C_276/2021 du 28 juin 2021 consid. 5.1).
La jurisprudence a précisé, en lien avec l’article 50 al. 1 let. b LEtr, que l’exigence du lien affectif particulièrement fort doit être considérée comme remplie lorsque les contacts personnels sont exercés dans le cadre d’un droit de visite usuel selon les standards d’aujourd’hui (ATF 140 I 145 consid. 3.2). En Suisse romande, il s’agit d’un droit de visite d’un week-end toutes les deux semaines et durant la moitié des vacances ; seuls importent les liens personnels, c’est-à-dire l’existence effective de liens familiaux particulièrement forts d’un point de vue affectif et non pas seulement les décisions judiciaires ou les conventions entre parents (ATF 144 I 91 consid. 5.2.1 et les arrêts cités).
Une telle solution prend également en compte l’article 9 par. 3 CDE (ATF 140 I 145 consid. 3.2 ; ATF 139 I 315 consid. 2.4 et 2.5).
Quant aux liens économiques, ils supposent que l’étranger verse une contribution financière pour l’entretien de l’enfant. Cette contribution peut également avoir lieu en nature, en particulier en cas de garde alternée. Le Tribunal fédéral a admis qu’il convient de distinguer la situation dans laquelle l’étranger ne contribue pas à l’entretien de l’enfant faute d’avoir été autorisé à travailler de celle dans laquelle il ne fait aucun effort pour trouver un emploi. Les exigences relatives à l’étendue de la relation que l’étranger doit entretenir avec son enfant d’un point de vue affectif et économique doivent rester dans l’ordre du possible et du raisonnable. Il y a lieu également de tenir compte des décisions des autorités civiles réduisant ou supprimant l’obligation de verser une pension alimentaire et de l’importance des prestations en nature consenties en faveur de l’enfant, l’exercice d’un droit de visite équivalant à une quasi garde alternée confirmant sous l’angle des prestations en nature l’existence de liens économiques étroits (ATF 144 I 91 consid. 5.2.2 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1029/2020 du 10 mai 2021 consid. 5.1).
Enfin, on ne saurait parler de comportement irréprochable lorsqu’il existe, à l’encontre de l’étranger, des motifs d’éloignement, en particulier si l’on peut lui reprocher un comportement répréhensible sur le plan pénal ou en regard de la législation sur les étrangers, étant entendu qu’en droit des étrangers, le respect de l’ordre et de la sécurité publics ne se recoupe pas nécessairement avec la violation de dispositions pénales, de sorte que l’appréciation émise par l’autorité de police des étrangers peut s’avérer plus rigoureuse que celle de l’autorité pénale (ATF 144 I 91 consid. 5.2.4 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1029/2020 précité consid. 5.1).
4.1.3 Le Tribunal fédéral a assoupli les règles en matière de regroupement familial inversé lorsque l’enfant a la nationalité suisse (ATF 136 I 285 consid. 5.2 ; ATF 135 I 153 consid. 2.2.3 ; ATF 135 I 143 consid. 4.4). Dans ce cas, la jurisprudence n’exige en particulier plus du parent qui entend se prévaloir de l’article 8 CEDH un comportement irréprochable ; seule une atteinte d’une certaine gravité à l’ordre et à la sécurité publics peut l’emporter sur le droit de l’enfant suisse à pouvoir grandir en Suisse. Cette jurisprudence ne trouve toutefois application que lorsque le parent qui sollicite l’autorisation de séjour a la garde exclusive et l’autorité parentale sur son enfant. En pareille situation, le départ du parent qui a la garde de l’enfant entraîne de facto l’obligation pour ce dernier de quitter la Suisse. Le renvoi du parent entre ainsi en conflit avec les droits que l’enfant peut tirer de sa nationalité suisse, comme la liberté d’établissement, l’interdiction du refoulement ou le droit de revenir ultérieurement en Suisse (ATF 140 I 145 consid. 3.3 ; ATF 135 I 153 consid. 2.2.2).
4.2.1 En l’occurrence, la recourante est entrée en Suisse le 10 juin 2014 et a été mise au bénéfice d’une autorisation de séjour dans le cadre du regroupement familial. Elle a vécu auprès de son époux et de ses enfants jusqu’à la séparation du couple, constatée le 9 mars 2017. La garde des deux enfants a d’abord été confiée au père, le droit de visite de la mère s’exerçant, dans un premier temps, dans un Point Rencontre à raison de deux samedi par mois, puis étant progressivement élargi pour atteindre un droit de visite usuel (cf. courrier du 28 septembre 2020 de l’OPE, p. 282 du dossier du Conseil d’Etat). Par décision du 5 novembre 2020, l’APEA a instauré, en accord avec les deux parents, une garde alternée sur ses fils, aujourd’hui âgés de 14 et 12 ans. Ainsi, la situation de la recourante en l’espèce diffère des situations visées par les jurisprudences présentées. En effet, ses enfants sont de nationalité suisse comme leur père, qui dispose de l’autorité parentale sur eux et en a la garde depuis la séparation. Il s’ensuit qu’un éventuel éloignement de la mère ne remettrait pas en cause le séjour des enfants en Suisse et que la jurisprudence relative au regroupement familial inversé lorsque l’enfant a la nationalité suisse ne trouve pas application telle quelle à la situation de la recourante.
Toutefois, la recourante, qui n’est pas encore formellement divorcée du père, a toujours bénéficié, de par la loi, de l’autorité parentale sur ses enfants (cf. art. 298 al. 1 CC a contrario) et dispose également, depuis plus d’un an, de la garde alternée de ces derniers. Ainsi, la jurisprudence relative à la situation du parent étranger qui n’a pas l’autorité parentale ni la garde de l’enfant au bénéfice d’une autorisation d’établissement ou de séjour en Suisse ne saurait pas non plus lui être appliquée, comme l’a fait à tort l’autorité précédente, du moins pas sans aménagement dans la pesée des intérêts, notamment sous l’angle de l’ordre public (cf. ATF 140 I 145 consid. 4.1).
4.2.2 Relativement à l’existence d’un lien affectif particulièrement fort, ce qui est déterminant, sous l’angle de l’article 8 par. 1 CEDH, c’est la réalité et le caractère effectif des liens qu’un étranger a tissés avec le membre de sa famille qui bénéficie d’un droit de résider en Suisse au moment où le droit est invoqué, quand bien même, par définition, des liens familiaux particulièrement forts impliquent un rapport humain d’une certaine intensité, qui ne peut s’épanouir que par l’écoulement du temps. Dans ces conditions, il importe peu qu’initialement et pendant une période relativement brève, la recourante n’ait pas pu entretenir des relations affectives et économiques fortes avec ses fils (cf. ATF 140 I 145 consid. 4.2). Dans son bilan de situation du 11 septembre 2020, l’OPE a proposé la levée des mesures de protection, compte tenu notamment de la relation positive et régulière entre les enfants et leur mère. La recourante a, par ailleurs, précisé dans un courrier du 8 octobre 2020 que, depuis son déménagement dans l’appartement situé en dessous de celui de son conjoint, elle profitait de ses fils de manière presque quotidienne. Sur le vu des contacts réguliers qui ont été maintenus entre la recourante et ses enfants depuis la séparation, puis se sont intensifiés au cours du temps jusqu’à convaincre l’APEA d’instaurer une garde alternée, il convient de retenir que la recourante entretient un lien affectif étroit avec ses fils.
4.2.3 Sous l’angle économique, il faut, certes, constater que la recourante, qui dépend de l’aide sociale depuis qu’elle s’est séparée du père de ses enfants, n’a jamais été en mesure de verser une quelconque prestation financière à ceux-ci. Cela ne peut, toutefois, pas lui être complètement reproché. En effet, il ressort des éléments au dossier qu’à la suite de la séparation avec son époux, elle a été hospitalisée à l’hôpital de D. du 9 mars 2017 au 1er juin 2017. Elle s’est ensuite trouvée en incapacité de travail à 100% jusqu’au 31 décembre 2017. L’on peut également admettre qu’à partir du 10 juin 2017, à savoir à partir du moment où elle était dans l’attente du renouvellement de son autorisation de séjour, il était objectivement moins facile pour elle de trouver du travail (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_264/2019 du 6 juillet 2020 consid. 3.3.2). A cela s’ajoute que, depuis plus d’un an, la recourante exerce une garde alternée, impliquant une prise en charge volontaire non seulement affective mais également en nature (nourriture, habits, loisirs, …) de ses enfants, de sorte que, d’une certaine manière, elle entretient aussi, indirectement, des relations économiques étroites avec ces derniers, par le paiement de certaines prestations.
4.2.4 S’agissant du comportement de la recourante, rien au dossier n’indique qu’elle aurait, depuis son entrée en Suisse, occupé les forces de l’ordre (hormis les interventions policières au domicile conjugal), ce qu’il convient de retenir en sa faveur. A son détriment, on relèvera en revanche la dépendance à l’aide sociale, sa dette s’élevant tout de même à 83 576 fr. 80 au 31 juillet 2021, soit un montant qui doit être qualifié d’important. Ce dernier point peut cependant être quelque peu relativisé, dans la mesure où, comme exposé au paragraphe précédent, sa dépendance à l’aide sociale ne peut pas lui être complètement reprochée. De plus, force est de rappeler que la recourante détient l’autorité parentale conjointe sur ses enfants et en a la garde alternée, élément dont il faut tenir compte dans la pesée des intérêts, notamment sous l’angle de l’ordre public (cf. ATF 140 I 145 consid. 4.1). Ainsi, la dépendance à l’aide étatique pèse moins lourdement en sa défaveur que si elle ne détenait pas l’autorité parentale.
4.2.5 Quant au critère géographique, la distance entre la Suisse et le Kenya paraît suffisamment grande pour rendre pratiquement impossible ou, à tout le moins, pour perturber sensiblement le maintien de la relation que la recourante entretient avec ses enfants (cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 2C_318/2013 du 5 septembre 2013 consid. 3.4.2 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral F-2782/2017 du 30 janvier 2019 consid. 11.4).
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Arrêt de la Cour de droit public du Tribunal cantonal du canton du Valais A1 21 21 du 1er décembre 2021