Droit de la fonction publique
La violation des droits acquis lors de l'introduction d'une nouvelle grille des fonctions salariales est constitutive d'une inégalité de traitement.
Une association regroupant
170 employés de l'Etablissement hospitalier multisite cantonal neuchâtelois (ci-après: EHM) a qualité pour agir en action de droit administratif contre une inégalité de traitement salariale dans la fonction publique. La Cour de droit public peut cependant se borner à rappeler quelques solutions jurisprudentielles déjà appliquées en la matière et n'a pas à corriger au cas par cas la situation des 170 demandeurs.
Etat de fait
A la suite de l'adoption, par le Grand Conseil neuchâtelois, le 4 octobre 2000, d'une motion relative à la situation du personnel de santé dans le canton, le Conseil d'Etat a mis sur pied des groupes de travail aux fins d'harmoniser et d'améliorer le statut des employés de ce secteur. Des négociations ont été engagées entre, d'une part, cinq associations et syndicats du personnel concerné (SSP-VPOD, SYNA, SMF, ASI, Pro Domicile) et, d'autre part, trois associations d'employeurs touchées (Etat de Neuchâtel, Ville de Neuchâtel, Ville de La Chaux-de-Fonds, ANEM, ANEMPA, FFAS). Elles ont conduit à la conclusion, le 2 décembre 2003, d'une convention collective de travail de droit public du secteur de la santé du canton de Neuchâtel (dite CCT 21 de droit public) et de huit avenants ou conventions annexes, les dispositions relatives à la rémunération (annexe b initiale) étant reportées jusqu'à la mise en vigueur complète de la CCT (art. 3 de l'avenant 1). La CCT 21 est progressivement entrée en vigueur dès le 1er juillet 2004.
Parallèlement, la loi cantonale sur l'Etablissement hospitalier multisite cantonal (EHM) est entrée en vigueur le 24 août 2005. Cet établissement déploie ses activités sur les sites suivants:
1. Hôpital de La Chaux-de-Fonds; 2. Hôpital Pourtalès, à Neuchâtel; 3. Hôpital du Val-de-Travers, à Couvet; 4. Hôpital du Val-de-Ruz, à Landeyeux; 5. Hôpital du Locle; 6. Hôpital de la Béroche, à Saint-Aubin-Sauges; 7. Hôpital La Chrysalide, à La Chaux-de-Fonds.
La LEHM stipule que: art. 50: Les principes généraux suivants doivent prévaloir dans le cadre des négociations, à savoir: a) le personnel des institutions est repris par l'EHM sur la base de la convention collective de travail CCT Santé 21 de droit public (Teneur selon L du 21.02.2006 [FO 2006 N° 18]); b) le personnel des institutions repris doit être affilié à une caisse de pension; le transfert est défini et géré par l'Etat; art. 51: Les négociations doivent avoir abouti au plus tard le 31 décembre 2005. Le groupement a saisi, le 27 mai 2009, le Tribunal administratif d'une action de droit administratif au sens des articles 58 et 59 LPJA. Les 170 demandeurs concluent à ce que le Tribunal constate l'inégalité de traitement dont ils feraient l'objet s'agissant de la collocation de leurs années d'expérience en fixant leurs salaires et à ce qu'il enjoigne à l'EHM de reprendre chacun des dossiers des demandeurs et de transposer leurs salaires à l'échelon correspondant à leurs années d'expérience, avec effet rétroactif au 1er janvier 2007, le tout sous suite de frais et dépens. Ils allèguent principalement que l'article 5 du règlement sur la rémunération de la CCT 21 n'est pas respecté par la transposition salariale effectuée au 1er janvier 2007, que cet irrespect est constitutif d'une violation de l'article 8 Cst. neuchâteloise et 8 Cst. féd. et d'une inégalité de traitement entre anciens employés repris par l'EHM et nouveaux employés engagés par celui-ci depuis le 1er janvier 2007. Ils allèguent que les mesures de correction prises par le Conseil d'Etat le 25 juin 2007 ne rectifient que de manière limitée ou arbitraire les inégalités constatées et requièrent de l'EHM qu'il reconnaisse intégralement leurs années d'ancienneté et d'expérience professionnelle. Dans sa réponse du 21 juillet 2009, l'EHM conclut au rejet de la demande, sous suite de frais.
Extrait des considérants
1. a) Selon l'article 58 LPJA, la Cour de droit public du Tribunal cantonal (...) connaît en instance unique des actions fondées sur le droit administratif et portant, notamment, sur des prestations pécuniaires découlant des rapports de service des agents de l'Etat et des communes, y compris les prestations d'assurances (let. a). (...)
b) Par personnes ayant qualité pour recourir au sens de l'article 32 LPJA, on entend celles qui peuvent faire valoir un intérêt digne de protection à ce qu'une décision contestée soit annulée ou modifiée (art. 32 lit. a LPJA). Une association a qualité pour recourir (...) lorsqu'elle est directement touchée comme n'importe quelle personne privée par la décision attaquée, ou lorsqu'une majorité de ses membres sont lésés par la décision ou la loi visée et ont eux-mêmes qualité pour agir, à la condition que les statuts de l'association attribuent à celle-ci la tâche de défendre les intérêts en cause (...).
c) On peut certes se demander ce qu'il en est d'une association créée uniquement dans le but d'ouvrir une action en justice, (...), qui n'a pas participé aux travaux et à la mise sur pied des CCT 21 et dont les membres (...) (soutiennent) que, n'appartenant à aucune des associations de personnel ou syndicats ayant longuement mené de très délicates négociations en la matière, ils seraient globalement lésés dans leurs intérêts pécuniaires. Face aux 5000 personnes soumises aux deux CCT 21 (...) et notamment aux 2270 personnes de l'EHM ayant finalement accepté les avantages et les désavantages desdites conventions collectives, on pourrait également se demander jusqu'où vont les limites du respect du consensus social (...) obtenu et celles du respect de la bonne foi. (...)(L)es demandeurs allèguent expressément ne pas être, pour la plupart, membres des parties négociantes. Ces deux questions (...) peuvent toutefois rester indécises compte tenu du fait que sur les 170 membres de l'association (...), une probable majorité d'entre eux serait en droit, à titre individuel également, de se prévaloir des mêmes moyens d'action légaux.
d) Les demandeurs concluent à ce que la Cour de céans constate que la collocation de leurs années d'expérience dans la fixation de leurs salaires constitue une inégalité de traitement (...), mais également que le défendeur soit condamné à reprendre chacun des dossiers des demandeurs et à transposer leurs salaires à l'échelon correspondant à leurs années d'expérience, avec effet rétroactif au 1er janvier 2007. L'action ne tend donc pas uniquement à la constatation d'un droit; il s'agit d'une action condamnatoire non chiffrée. En vertu du principe de disposition, les parties disposent de l'objet du litige et décident si et dans quelle mesure elles entendent soumettre le différend au juge. (...) Les conclusions des demandeurs sont dès lors recevables, car susceptibles d'être adjugées si elles se révèlent fondées (arrêt de la Cour de droit public du 10.07.2012 dans la cause X. [CDP.2011.341] cons. 1).
2. a) Selon les demandeurs, la CCT 21 de droit public applicable à l'EHM (...) ne respecterait pas, s'agissant de leur nouvelle rémunération, le principe de l'égalité de traitement.
b) Dans les rapports de travail de droit public, en principe, le fonctionnaire n'a pas droit au maintien de ses conditions générales d'engagement telles qu'elles existaient au moment où il a été nommé; le régime qui lui est applicable suit les modifications que le législateur apporte au statut, sous réserve de la protection des droits acquis, lesquels constituent l'exception. Il y a, premièrement, droit acquis lorsque la loi déclare explicitement conférer tel droit ou, par diverses formulations, fixer un droit une fois pour toutes. La seconde catégorie de droits acquis se rapporte aux arrangements que l'administration et le fonctionnaire peuvent passer (...). En l'espèce, la CCT 21 ne qualifie en matière de rémunération aucune prétention de ses employés d'une manière telle que l'on pourrait la qualifier de droit acquis ni ne reprend aucune garantie légale de ce type (...). Les droits acquis éventuels invoqués par les demandeurs en la présente cause devraient donc trouver leur fondement dans un acte normatif. Or, il n'en existe pas ici.
c) Ces principes jurisprudentiels que le Tribunal fédéral n'a cessé de confirmer depuis 1975 (ATF 101 Ia 443 précisé par l'arrêt 106 Ia 163, au terme d'une querelle doctrinale de longue haleine), n'ont plus, par la suite, été remis en cause (...).
3 a) Les demandeurs ne se prévalent pas d'une violation du principe de la bonne foi et ceci à raison (...).
C'est donc au seul regard d'une éventuelle violation de la prohibition de l'arbitraire ou de l'égalité de traitement que doit être examiné le présent litige. Ces deux principes, et donc l'article 8 al. 1 Cst. féd., sont notamment violés lorsque dans un rapport de travail de droit public, un travail de même valeur est rémunéré de manière inégale. Dans les limites de l'interdiction de l'arbitraire et du principe de l'égalité de traitement, les autorités sont habilitées à choisir (...) les critères qui vaudront pour la rémunération des fonctionnaires. Le droit constitutionnel n'exige pas que les rémunérations soient uniquement fonction de la qualité du travail fourni ou des exigences effectivement posées. Les inégalités de traitement doivent cependant être raisonnablement motivées, et donc apparaître objectivement défendables. Aussi le Tribunal fédéral a-t-il reconnu que l'article 8 Cst. féd. n'est pas violé lorsque les différences de rémunération reposent sur des motifs objectifs tels que l'âge, l'ancienneté, l'expérience, les charges familiales, les qualifications, le type et la durée de la formation, les horaires, les performances, les attributions ou les responsabilités endossées (ATF 123 I 1, p. 7 ss cons. 6a à 6c, 124 II 436 cons. 7a). Ceci est aussi valable dans le cadre de l'application du droit: les autorités sont tenues, selon le principe de l'égalité de traitement, de traiter de manière égale les situations semblables pour lesquelles les faits pertinents sont les mêmes, à moins qu'un motif objectif ne justifie un traitement différent (ATF 131 I 105 p. 107 cons. 3.1 et les références (...). Le droit constitutionnel cantonal n'offre pas une protection plus étendue (...).
On parle d'inégalité de traitement dès lors qu'une autorité traite de façon différente deux situations qui sont tellement semblables qu'elles requièrent un traitement identique (distinction insoutenable) ou lorsqu'elle traite d'une façon identique deux situations qui sont tellement différentes qu'elles requièrent un traitement différent (assimilation insoutenable) (ATF 129 I 113 cons. 5.1 et les références citées).
b) En l'espèce, l'examen d'une éventuelle inégalité de traitement (distinction insoutenable) suppose dans un premier temps une comparaison entre le statut des demandeurs auprès de leur ancien employeur (...), d'une part (avant l'entrée en vigueur du règlement sur la rémunération), et le statut harmonisé, d'autre part. On ne saurait cependant déduire du seul fait de la suppression des hautes paies ou de la rétrogradation dans les échelons des nouvelles classes de traitement de l'EHM (...) que, d'un point de vue général, les conditions de travail et de rémunération des anciens employés sont ainsi moins favorables dans le statut harmonisé de la CCT. Comme le relève par ailleurs le défendeur, le passage au nouveau statut impliquait un changement juridique important des rapports de service, maintenant réglés de manière nettement plus égalitaire, dans une convention collective, impérative pour les employeurs et le personnel concerné, et dont l'application (...) fera l'objet de contrôles stricts. Dans la mesure où l'instauration de la CCT 21 visait cependant clairement une harmonisation et revalorisation de la situation salariale du personnel de la santé (80% des 5'000 personnes touchées par les CCT 21 de droit public et de droit privé voient leur situation améliorée et pour 10% du personnel concerné, obtiennent un très net rattrapage salarial), mais pas seulement, puisque (...) les négociateurs de la CCT 21 ont souhaité mettre l'accent également sur l'amélioration des conditions de travail, la réduction des horaires et l'allongement des vacances, il a fallu (...) trouver un système de transposition d'anciennes classes de fonctions et (...) de traitement hétéroclites (...) en un système unique et harmonisé qui ne péjore en tout cas pas la situation salariale du personnel de santé.
Dans un premier temps, les organes de la CCT 21 (...) ont procédé à l'établissement d'une nouvelle classification unifiée des fonctions (...), selon un système (...) qui garantit le début d'une certaine harmonisation intercantonale bien que la jurisprudence du Tribunal fédéral ne l'impose pas (...).
Dans un second temps, la Commission faîtière de la CCT 21 a avalisé les nouvelles grilles salariales et le Conseil d'Etat a approuvé le 14 juin 2006 les propositions de la commission selon lesquelles l'intégration de chaque employé (...) se ferait, dès le 1er janvier 2007 au franc pour franc (...).
Le principe de la transposition franc pour franc est (...) appliqué de longue date et ne prête pas flanc à la critique, même lorsqu'il crée des inégalités de traitement entre anciens employés, certaines fois privilégiés, du moins temporairement, et nouveaux engagés (...). Il n'y a pas lieu de le remettre en cause, quant à sa légitimité, même si (...) il entraîne ici des conséquences totalement inédites.
A première vue, ce système combiné d'harmonisation a bien fonctionné en matière d'attribution des nouvelles fonctions (...), mais moins bien fonctionné en matière de collocation salariale des 2400 personnes soumises à la CCT 21 de droit public, dont les 1700 employés de l'EHM. Outre la présente action regroupant 170 demandeurs, la Cour de céans est encore saisie de trois actions individuelles de même type et d'une action un peu spéciale où la demanderesse requiert que son ancien statut communal soit maintenu en matière de rémunération. (...).
On ne saurait (...) considérer qu'au sein des anciens employés repris par l'EHM, le système ait été constitutif d'une péjoration arbitraire de leur situation antérieure (...) ou d'inégalités de traitement entre eux. (...) Les demandeurs allèguent toutefois que la plupart d'entre eux n'auraient pas bénéficié de ces mesures de rattrapage et que celles-ci ont été appliquées de manière arbitraire mais ce grief n'est pas plus motivé (...). Au regard des dispositions très précises figurant dans l'avenant salarial à la CCT 21 et dans les directives (...), il est peu vraisemblable (...) que ce grief soit fondé mais seul l'examen individuel de chaque dossier personnel des demandeurs permettrait de le vérifier (...). Vu le sort du litige (...), il incombera cependant au défendeur de procéder à cette vérification et de corriger les éventuels oublis constatés.
Pour le surplus, le nouveau système de classification des fonctions et des salaires n'a pas entraîné des inégalités de traitement entre les demandeurs et le reste du personnel repris par l'EHM. Du moins ceux-ci ne s'en prévalent-ils plus dans leur demande.
4. Il en va par contre différemment si l'on prend en considération, dès le 1er janvier 2007, les conditions d'engagement et de rémunération du nouveau personnel de l'EHM en comparaison de celles du personnel EHM repris des anciennes institutions.
L'article 5 du RRE stipule que chaque fonction est colloquée dans une chaîne et dans une classe de la grille des fonctions. A l'entrée en service le salaire est fixé en tenant compte de l'expérience acquise et attestée selon les critères suivants:
• Les années d'expérience professionnelle dans une fonction équivalente donnent droit chacune à un échelon.
• Les années d'expérience professionnelle utiles à la fonction donnent droit chacune à trois quarts d'échelon.
• L'expérience professionnelle, selon les alinéas 2 et 3, est comptée pour moitié lorsque le taux de l'activité exercée a été inférieur à 40%.
• Les années d'autres expériences professionnelles ou d'expérience de vie donnent droit à un quart d'échelon. Elles sont comptées dès la fin de la formation requise pour la fonction exercée ou dès l'âge légal de la majorité civile.
• Le salaire est fixé à l'échelon supérieur lorsque le résultat aboutit à des parts d'échelons.
Or à l'évidence (...) la transposition des salaires franc pour franc fait perdre à certains employés de longue date (...) un nombre d'échelons parfois important, en comparaison des conditions d'engagements offertes aux nouveaux employés de l'EHM dès le 1er janvier 2007, à expérience et fonction égales. (...).
La jurisprudence admet de même qu'un employé promu dans une fonction plus élevée que sa fonction précédente (...) ne saurait se voir garantir les échelons d'ancienneté antérieurement obtenus (AGVE 2007.371) et que les employés qui, du fait d'une nouvelle classification, se retrouvent dans une situation surévaluée n'ont droit alors qu'à une garantie de salaire (LGVE 2007 II 4) (...).
Sous réserve des exceptions précitées, au regard des seules années d'ancienneté dans la fonction publique neuchâteloise, la différence de traitement entre anciens et nouveaux employés saute aux yeux.
Sur cette question, l'EHM nie l'évidence sur plusieurs points.
a) Il soutient que les anciens employés repris des anciennes institutions de santé et ses nouveaux employés sont des groupes distincts (...). En l'espèce toutefois, (...) ce sont des personnes de même formation, exerçant la même fonction, avec le même nombre d'années d'expérience qui vont se voir accorder plus ou moins d'échelons dans la nouvelle classification salariale. Alors qu'il suffirait, comme l'allèguent les demandeurs et comme le reconnaît l'EHM, à l'ancien personnel repris par lui, de quitter temporairement le système de santé publique neuchâtelois puis d'y revenir quelques temps plus tard pour bénéficier des nouvelles dispositions de classification salariale, ce qui démontre à l'évidence l'inéquité du système.
b) Il soutient que le personnel repris a bénéficié d'autres compensations (vacances, horaires de travail, indemnités, élargissement de la fourchette des échelons, etc.). Ici aussi cet argument tombe à faux puisque le nouveau personnel engagé bénéficie très exactement des mêmes conditions. L'EHM n'est certes pas responsable du fait que dans les 7 institutions antérieures (45 dans le domaine complet touché par les CCT 21), placées sous 5 régimes salariaux différents (...) les organes de la CCT 21 ont dû compenser (...) dans un premier temps, d'importantes différences de traitement, déjà entre anciens employés. Il ne saurait cependant s'en prévaloir pour justifier la création de nouvelles inégalités de traitement entre anciens et nouveaux employés.
c) Il soutient que la CCT 21 et son RRE ont été négociés paritairement et que (...) les organes de la CCT (...) ont été appelés à faire des choix, notamment en décidant de privilégier les conditions de travail (7 millions sur les 10 initialement engagés) et le rattrapage de certaines conditions salariales avant l'amélioration de celles-ci. Cet argument (...) n'explique pas pourquoi le personnel nouveau se trouve mieux traité que le personnel ancien. (...)
d) (...) (L)'EHM explique aussi que cette option d'ignorer délibérément une éventuelle inégalité de traitement permettait de favoriser l'engagement de collaborateurs mieux formés, aux connaissances plus fraîches et plus appréciées. Outre que cet argument est assez vexatoire (...) ce complément d'argumentation reste tout aussi dépourvu de sens dans la mesure où, à situation, titre et formation égaux, un employé engagé avant 2007 reste discriminé par rapport à celui engagé après 2007.
e) L'EHM soutient en dernier lieu (...) qu'en sa qualité d'organe d'application de la CCT 21 et de son RRE, il n'était pas en droit d'y déroger. (...) (Mais f)ace à une violation assez évidente d'une disposition constitutionnelle, un organe d'application ne saurait se contenter de se retrancher derrière le principe de subordination.
5. (...) (L)a Cour de céans ne peut que constater que, pour partie, le personnel des anciennes institutions, repris par l'EHM, est effectivement victime d'une inégalité de traitement par rapport au nouveau personnel engagé, sans qu'aucune justification objective ne l'explique, et que les critères jurisprudentiels conduisant à un tel constat sont à l'évidence remplis. (...)
Toutefois, comme le relèvent tant les demandeurs que le défendeur, la correction par le juge d'une inégalité de traitement fait courir le risque manifeste d'en créer d'autres (ATF 123 I 1, 120 Ia 329).
(...) (L)a résolution de l'inégalité constatée ne se résumera pas à l'application d'une simple règle de trois, au sens arithmétique du terme (ancienne classification, nouvelle classification, augmentation du nombre d'échelons) comme au sens des parties concernées (EHM, organes faîtiers de la CCT 21, Etat de Neuchâtel).
Cela d'autant que la jurisprudence fédérale impose au juge constitutionnel ou administratif, en matière de droit à l'égalité de traitement, une retenue certaine (ATF 129 I 161 cons. 3.2). Les autorités cantonales disposent en effet d'un large pouvoir d'appréciation, particulièrement en ce qui concerne les questions d'organisation et de rémunération (ATF 123 I 1, 121 I 49) et le juge doit observer une retenue particulière non seulement lorsqu'il s'agit de comparer deux catégories d'ayants droit mais de juger l'ensemble d'un système de rémunération, tant il est évident que l'issue du présent litige
ne saurait concerner que les 170 demandeurs en cause. Il risque en effet de créer de nouvelles inégalités s'il cherche à n'atteindre que l'égalité entre deux catégories d'employés (ATF 120 Ia 329).
Dès lors, la conclusion tendant à constater l'existence d'une inégalité de traitement étant admise (...), il n'appartient pas à la Cour de céans de déterminer les correctifs propres à y remédier mais à l'EHM de procéder à un réexamen individuel de la classification de chacun des demandeurs ou (...) un réexamen intégral du système de transposition, en fonction des possibilités financières du système de santé neuchâtelois (...).
Par ces motifs, la Cour de droit public
1. Constate que le système de transposition salariale appliqué par le défendeur est constitutif d'une inégalité de traitement entre anciens employés repris par l'EHM et nouveaux employés engagés par lui dès le 1er janvier 2007.
2. Transmet le dossier au défendeur pour réexamen individuel de la situation de chacun des demandeurs, au sens des considérants.
3. Condamne le défendeur à verser aux demandeurs une indemnité globale de dépens partiels de 15 000 fr., TVA, frais et débours inclus.
4. Statue sans frais.
(Arrêt N° CDP.2009.254 du 29 octobre 2012 de la Cour de droit public du Tribunal cantonal neuchâtelois)
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Un conducteur a été condamné avec raison, sur la base des seuls dires de la piétonne impliquée, pour ne lui avoir pas cédé le passage. Il circulait sur une zone de rencontre, où les piétons ont en principe la priorité. D'après les déclarations de la piétonne, il lui a foncé dessus sans freiner, de telle manière qu'elle a été forcée de se mettre en sécurité en sautant sur le côté. Selon le Tribunal fédéral, la justice zurichoise avait le droit de partir des affirmations de cette victime, selon lesquelles l'automobiliste avait commis clairement un excès de vitesse et l'avait concrètement mise en danger en ne lui cédant pas la priorité.
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Le Tribunal fédéral a confirmé le maintien en détention préventive d'un délinquant de la route notoire, car il est sérieusement à craindre que, s'il était libéré, il puisse commettre d'autres délits routiers importants, tels que des conduites en état d'ivresse provoquant de nouveaux accidents de la circulation. Le risque de commission de tels délits graves constitue certainement le fait de «compromettre sérieusement la sécurité d'autrui», au sens de l'art. 221 I lit. c CPP. Ce n'est qu'après avoir réalisé une enquête de psychologie du trafic qu'on pourra réexaminer dans quelle mesure le danger de commettre d'autres délits graves pourrait être écarté par d'autres mesures de prévention que la détention. L'automobiliste en question avait renversé une cycliste à Bâle alors qu'il était en état d'ivresse et l'avait tuée, avant de commettre un délit de fuite.
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La brique de construction Lego ne peut pas non plus réclamer en Suisse un droit de protection lié à la marque. Le Tribunal fédéral a donné raison à l'entreprise concurrente Mega Brands Inc. Les juges de Lausanne avaient chargé, en 2004, le Tribunal de commerce zurichois de savoir si la forme de la brique Lego était techniquement nécessaire pour faire tenir les pièces de ce jeu de construction, ce qui excluait une protection liée au droit des marques. Les juges zurichois, après expertise et divers essais, sont arrivés à la conclusion que toutes les formes de construction alternatives entraînaient des coûts de fabrication élevés et que la silhouette de la brique Lego n'était donc pas susceptible d'être protégée, ce qu'a désormais confirmé le TF.
(4A_20/2012 du 3.7.2012)
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A la suite de l'initiative populaire pour le renvoi des étrangers criminels fut introduit l'art. 121 Cst., lequel ne doit être appliqué que lorsque les dispositions d'exécution qui ont été prévues seront édictées. Une majorité de quatre juges de la 2e Cour de droit public a rejeté en délibération publique, que la norme en question soit directement applicable. Les cas jugés concernaient deux étrangers dont le recours a été rejeté, qui devaient quitter la Suisse, respectivement à la suite d'un viol et de délits liés aux stupéfiants. Le TF a en revanche donné raison à une troisième personne, qui n'avait été condamnée que pour un seul délit lié à la drogue.
(2C_828/2011, 2C_926/2011 et 2C_162/2012 du 12.10.2012; les considérants écrits sont attendus)
Pas de parcage sur
une interdiction de parquer
Une interdiction de parquer prohibe le fait de s'arrêter tout comme de parquer dans la rue en question. Le Tribunal fédéral a confirmé l'amende d'un chasseur qui avait laissé sa voiture en Valais durant une semaine sur un espace pour faire demi-tour d'une rue qui n'était accessible qu'avec une autorisation journalière. D'après l'arrêt de la Cour de droit pénal, il convient de quitter la rue à l'échéance de l'autorisation journalière. Celui qui persiste à y laisser sa voiture après ce temps doit être amendé, même s'il a l'intention d'obtenir de nouveau une autorisation journalière pour le moment où il rentrera à la maison.
(6B_847/2011 du 21.8.2012)
Pas de concordat sur la culture du chanvre
Le Tribunal fédéral a annulé le concordat latin sur la culture et le commerce du chanvre. Signé par les cantons de Vaud, Fribourg, Genève, Neuchâtel et du Valais, cet accord autorisait la culture et le commerce du chanvre à des conditions strictes, notamment le respect d'une teneur en THC par plante inférieure à 1%. Selon le TF, seule la Confédération est compétente pour édicter des règles régissant ce domaine. La législation très détaillée prévue par la loi fédérale sur les stupéfiants (LStup) ne laisse aucune latitude aux cantons de légiférer sur la culture et le commerce légal du chanvre. Lorsque la loi sur les stupéfiants interdit le chanvre ayant une teneur en THC de plus de 1%, cela ne signifie pas que les cantons puissent édicter des règles qui leur sont propres s'agissant du chanvre dont la teneur en THC est inférieure. Le concordat, qui était entré en vigueur en mars dernier, devait autoriser ces cantons à contrôler la culture et le commerce de chanvre légal. Ce concordat prévoyait un devoir d'annoncer la culture du chanvre par les paysans, la possession d'autorisation de commercialiser le chanvre par les commerçants et l'existence d'un contrat écrit obligatoire pour toute acquisition ou aliénation de chanvre.
(2C_698/2011 du 5.10.2012; les considérants écrits sont attendus)
«Vogue» est une marque célèbre
La désignation «Vogue» du célèbre magazine de mode a en Suisse la valeur de marque célèbre, ce qui interdit à un fabriquant de montres d'utiliser l'appellation «Vogue My Style». Le Tribunal fédéral rappelle à cette occasion que le possesseur d'une marque célèbre peut en interdire l'utilisation pour toutes sortes de marchandises et de services, lorsqu'une telle utilisation compromet la force de différenciation de la marque, profite de sa réputation ou lui nuit (art. 15 de la loi fédérale du 28 août 1992 sur la protection des marques et des indications de provenance (LPM). Il s'ensuit pour le TF que les éditeurs de «Vogue» ont aussi droit à la protection de leur marque vis-à-vis des montres en question.
(4A_128/2012 du 7.8.2012)
P. J./S. Fr
Arrêts destinés à la publication
Droit public et droit administratif
La personne qui n'a subi qu'un dommage matériel dans un accident de la circulation routière ne peut faire valoir qu'elle a été directement touchée, au sens de l'art 115 de la loi sur le Tribunal fédéral (LTF). Elle n'a par conséquent pas qualité pour former un recours en matière pénale au sens de l'art. 81 al. 1 lit b ch. 5 LTF, contre d'autres personnes impliquées dans l'accident.
(1B_432/2011 du 20.9.2012)
Les avocats peuvent exercer leur profession dans le cadre d'une société de capitaux (société anonyme ou Sàrl). La loi sur la libre circulation des avocats exige seulement que l'activité de l'avocat soit organisée de façon à assurer son indépendance. Cette condition est remplie lorsqu'une société d'avocats est entièrement contrôlée par des avocats.
(2_C/237/2011 du 7.9.2012)
La Fondation Switch, détenant l'exclusivité de l'enregistrement des noms de domaine .ch et .li, est autorisée à faire de la publicité pour sa filiale «Switchplus» sur sa homepage. Dans le domaine du «Retail», Switch n'est pas liée par les droits fondamentaux, et donc pas non plus par l'exigence de l'égalité de traitement posée par les concurrents de sa filiale.
(2C_271/2012 du 14.8.2012)
Droit civil
Comme l'appel, l'appel joint doit être notifié à la partie adverse dans un délai de trente jours, pour qu'elle se détermine par écrit. Application par analogie des art. 311 et 312 CPC.
(5A_206/2012 du 9.8.2012)
L'art. 228 ch. 3 CPC, selon lequel le tribunal devant établir les faits d'office admet les faits et moyens de preuves nouveaux jusqu'aux délibérations, ne s'applique qu'en procédure de première instance.
(4A_228/2012 du 28.8.2012)
Fondement de l'octroi de l'effet suspensif lors d'un recours contre une mesure protectrice portant sur l'attribution de la garde de l'enfant après une séparation: si l'enfant est placé auprès du parent qui s'occupait de lui avant la procédure de mesures protectrices, l'effet suspensif doit en principe être refusé. Mais, lorsque le juge octroie la garde au parent qui ne s'occupait pas principalement de l'enfant avant la procédure, l'effet suspensif doit être accordé.
(5A_303/2012 du 30.8.2012)
Une convention de divorce peut être ratifiée par le Tribunal fédéral lui-même (pour le cas où les parties ne se sont entendues qu'après avoir fait recours).
(5A_123/2012 du 28.6.2012)
La qualification de «raciste» est erronée et de nature à violer les droits de la personnalité quand elle vise une personne qui s'est exprimée contre l'extension de l'islam et pour la préservation de la culture suisse.
(5A_82/2012 du 29.8.2012)
Droit des obligations
Les principes développés par la jurisprudence relative à l'obligation de restituer des ristournes ou rétrocessions s'appliquent aussi aux banques chargées de gérer la fortune d'un client lorsque, dans ce cadre, elles acquièrent pour le client des parts de fonds de placement ou des produits structurés et que des commissions leur sont versées en contrepartie de la commercialisation de ces valeurs. Le Tribunal fédéral a aussi décidé que l'obligation de restituer, inhérente au contrat de mandat, s'étend également aux commissions que la banque reçoit de sociétés qui lui sont liées au sein d'un groupe.
(4A_127/2012 et 4A_141/2012 du
30 octobre 2012)
Droit pénal
Les coûts de l'action en première instance en cas de classement de la procédure ou d'acquittement ne peuvent être mis que dans certains cas à la charge de la partie plaignante dont la participation s'est limitée à une demande de sanction (art. 427 CPP). Si la personne concernée renonce à une participation à l'audience en deuxième instance, elle ne peut être obligée de prendre en charge des coûts ou de verser des dépens.
(6B_93/2012 du 26.9.2012)
Droit des assurances sociales
Les nouvelles dispositions de la loi bernoise sur l'aide sociale, visant à faciliter la recherche d'information par les autorités, sont conformes à la Constitution fédérale. C'est notamment le cas de l'obligation faite à toute personne requérant l'aide sociale de fournir une procuration aux autorités permettant la recherche de renseignements la concernant. L'absence de procuration ne peut toutefois pas conduire à un refus d'entrer en matière sur la demande d'aide.
(8C_949/2011 du 4.9.2012)
La prise en charge des primes d'assurance maladie, dans le cadre de l'aide d'urgence à une requérante d'asile iranienne déboutée, ne doit pas être subordonnée à la condition que la femme vive dans un logement collectif. En l'occurrence, l'Iranienne vivait dans l'appartement de sa sœur et de l'ami de celle-ci.
(8C_65/2012 du 21.8.2012)
L'encaissement auprès de l'aide sociale d'un éventuel excédent, en raison de revenus irréguliers (en l'occurrence des indemnités de l'AI), peut avoir lieu mensuellement (canton de Zurich). Reste ouverte la question de savoir pendant combien de temps l'encaissement peut durer.
(8C_325/2012 du 24.8.2012)
Le canton de Berne ne commet pas de discrimination fondée sur l'âge (art. 8 Cst.), en exigeant des personnes âgées de plus de
65 ans une participation, en fonction du revenu, aux coûts de soins à domicile (Spitex).
(8C_44/2012 du 31.8.2012)
Lorsqu'un rentier AI commence à purger sa peine avec du retard, la rente AI pour la période allant du prononcé de la peine à l'entrée en prison ne peut pas être suspendue.
(8C_289/2012 du 30.8.2012)
Les tribunaux cantonaux ne peuvent pas refuser d'entrer en matière sur une demande de révision au seul motif qu'un recours contre la décision à réviser est pendant devant le TF. En introduisant sa demande de révision, la partie concernée doit requérir du TF la suspension de la procédure devant la Haute Cour.
(8C_45/2012 du 11.7.2012)
Les principes posés dans l'arrêt 137 V 210 concernant les expertises des COMAI dans le cadre de l'AI valent aussi dans le domaine de l'assurance accidents: en cas de désaccord, il convient de rendre une décision et d'accorder à la personne concernée le droit de poser des questions en relation avec l'expertise.
(8C_336/2012 du 13.8.2012)
P.J ./S. Pr
Derniers arrêts de Strasbourg
Youssef Nada: la Suisse s'est trop cachée derrière l'ONU
La Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a admis le recours de l'homme d'affaires Youssef Nada. Ce double national italo-égyptien s'était efforcé en vain, après l'ouverture en 2001 d'une information judiciaire contre lui en Suisse, d'être biffé de la liste des personnes qui pouvaient être en contact avec Al-Quaida ou les talibans (Annexe à l'ordonnance du 2 octobre 2000 instituant des mesures à l'encontre de personnes et entités liées à Oussama Ben Laden, au groupe «Al-Qaïda» ou aux Taliban; RS 946.203). Il s'ensuivit que Nada ne pouvait plus voyager en Suisse (ce qui, au vu de sa résidence dans la mini-enclave de Campione d'Italia, correspondait dans les faits à des arrêts domiciliaires) et tous ses fonds en Suisse ont été bloqués. Le Tribunal fédéral jugea le 14 novembre 2007 (ATF133 II 450) que la Suisse était tenue par le régime des sanctions décidé par le Conseil de sécurité de l'ONU, et ne pouvait donc pas biffer de sa propre initiative Nada de la liste. Cela ne serait possible que selon la procédure d'exclusion de la liste auprès du Comité des sanctions du Conseil de sécurité, procédure durant laquelle la Suisse devrait soutenir Nada.
La Cour a jugé à l'unanimité que la Suisse disposait d'une certaine marge de manoeuvre qui lui aurait permis d'appliquer les sanctions conformément aux dispositions de la Convention européenne, notamment en organisant de manière moins rigoureuse l'interdiction de voyager qui a duré des années. Les autorités helvétiques n'auraient pas suffisamment tenu compte des particularités de la situation (géographie unique de la mini-enclave de Campione d'Italia, mauvais état de santé et âge avancé de Nada). Ce faisant, elle a violé son droit à la protection de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH) en lien avec son droit à un recours effectif (art. 13 CEDH). A titre de dédommagement pour ses frais de défense à Strasbourg, assurée par un avocat anglais, la Suisse devra lui verser 30 000 euros.
(Arrêt de Grande Chambre N° 10593/08 «Nada contre Suisse» du 12.9.2012. Pour une analyse de ce cas, voir l'adresse http://echrblog.blogspot.ch/2012/09/nada-grand-chamber-judgment.html)
Placer un détenu homosexuel à l'isolement est discriminant
Après qu'un détenu homosexuel s'est plaint des chicanes que lui faisaient ses codétenus hétérosexuels et a souhaité être incarcéré avec d'autres homosexuels, la direction de la prison l'a placé durant huit mois au total à l'isolement strict. Ces conditions indignes de détention dans une cellule petite, sale et sombre ont violé, de l'avis unanime de la Cour, l'interdiction des traitements inhumains et dégradants (art. 3 CEDH). Comme ce placement à l'isolement, de l'avis de la majorité de la Cour (6 voix contre1), sanctionnait plus l'orientation sexuelle du détenu que ne visait sa protection, elle violait de plus l'interdiction de discrimination garantie par l'art. 14 CEDH.
(Arrêt de la 2e Chambre N° 24626/09 «X. contre Turquie» du 9.10.2012)
Un journal n'a pas à publier l'adresse privée d'une comédienne
Publier l'adresse exacte d'une personne peut constituer une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'art. 8 CEDH, lorsque cette personne est une comédienne bien connue du public. La Cour a admis à l'unanimité le recours de la comédienne Yasemin Alkaya, dont un journal avait mentionné l'adresse privée exacte trois jours après qu'elle a été victime d'un cambriolage. La justice turque avait rejeté l'action en protection de la personnalité de la comédienne, qui était depuis lors continuellement dérangée à son domicile privé. Ce pays a ainsi violé son devoir étatique de protéger la mise en œuvre de l'art. 8 CEDH.
La Cour n'exclut cependant pas qu'un média puisse relater l'existence d'un cambriolage chez une célébrité aux fins d'apporter une contribution à un débat d'intérêt public (par exemple sur la manifestation actuelle de la criminalité). On ne comprend cependant pas pourquoi le journal s'est décidé, sans l'aval de l'intéressée, à publier son adresse exacte. Comme la justice turque a omis d'opérer la pesée d'intérêts qui s'imposait entre intérêts privés de la comédienne à garder son adresse secrète et intérêt public moindre à la publication de cette donnée précise, elle a violé la Convention.
(Arrêt de la 2e Chambre N°42811/06 «Alkaya contre Turquie» du 9.10.2012)
Conflit lucernois du travail: présomption d'innocence invoquée trop tard
Une nouvelle décision sur l'(ir)recevabilité montre à quel point il est important pour les avocats d'invoquer une violation de la convention déjà au stade de la procédure suisse. Un travailleur n'a pas franchi à Strasbourg l'obstacle de la recevabilité pour son recours. Il avait été congédié avec effet immédiat en juillet 2001, parce que son employeur affirmait qu'il avait laissé parquer durant plus de six mois un utilisateur du parking en manipulant le software commandant ce garage. Après que l'employeur a déposé plainte pénale, l'employé soupçonné avait été appréhendé par cinq policiers sur son lieu de travail. La procédure pénale avait cependant été suspendue en septembre 2001. Après une certaine valse procédurale, le Tribunal de district de Lucerne considéra en 2006 que le soupçon initial s'était transformé en fait avéré à la suite des dires des témoins et du protocole d'enquête. Le comportement de l'employé était punissable et violait grossièrement le contrat de travail, ce qui expliquait que son congé, sans qu'il ait été entendu, ne donne lieu qu'à une indemnité d'un mois à la place de cinq (selon l'art. 337c III CO). Dans un arrêt du 24 septembre 2007 (4A_208/2007), le Tribunal fédéral rejeta le recours de l'employé pour arbitraire et violation de l'art. 337 c III CO. La justice civile lucernoise, a jugé le TF, avait apprécié les preuves de manière approfondie et l'employeur n'était pas responsable du choix de l'intervention policière.
La majorité de la 2e Chambre de la Cour a jugé que le recours de l'employé licencié était manifestement mal fondé. Il n'a invoqué que devant la Cour son grief relatif à la violation de la présomption d'innocence (art. 6 II CEDH). Il aurait dû le faire valoir déjà devant le TF, dès lors qu'il était défendu par une avocate. Comme tous deux ne l'ont pas fait suffisamment tôt, son recours devant la Cour échoue du fait de l'absence d'épuisement des instances internes avant de saisir Strasbourg.
(Décision sur la recevabilité de la 2e Chambre N° 12498/08 «Zürcher contre Suisse» du 4.9.2012)
F. Z./S. Fr
Publication des arrêts
Les décisions de la CrEDH sont publiées officiellement en anglais et en français dans le «Reports of Judgments/Recueil des arrêts et décisions» (Carl Heymanns Verlag KG, Luxemburger Strasse 449, DE-50939 Köln). On trouve aussi les arrêts et les communiqués de presse à l'adresse internet de la Cour: www.echr.coe.int