Transparence
Accès autorisé à une directive du Ministère public
Une directive genevoise précisant la politique pénale à l’égard des étrangers multirécidivistes en situation irrégulière est un document officiel.
Etat de fait
Le 18 février 2014, l’Association des juristes progressistes a demandé au Ministère public du canton de Genève (ci-après: MP) l’accès à la directive du procureur général «précisant la politique pénale à l’égard des étrangers multirécidivistes en situation irrégulière» (ci-après: la directive). Le 7 mars 2014, l’avocat genevois A. a formé une demande semblable. Les deux requêtes étaient fondées sur la loi genevoise sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles (LIPAD). Le 3 juin 2014, le MP rejeta les demandes. Les deux requérants ont saisi le préposé cantonal à la protection des données et à la transparence. Le 29 juillet 2014, puis le 16 octobre 2014, le préposé recommanda au MP de communiquer sa directive et lui impartit un délai de dix jours pour statuer. Le MP a derechef refusé l’accès à la directive. Par arrêts du 6 octobre 2015, la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté les deux recours. Les requérants ont saisi le Tribunal fédéral.
Extrait des considérants
4.3. Contrairement à ce que soutient l’arrêt cantonal, la directive contient des renseignements relatifs à l’accomplissement d’une tâche publique. Il s’agit d’un document destiné à l’ensemble des procureurs et des collaborateurs du Ministère public; il a aussi été distribué à la police. Il a pour but de favoriser une certaine cohérence dans la mise en œuvre de la répression pénale des infractions à forte occurrence, soit celles qui sont commises par les étrangers multirécidivistes en situation irrégulière. De ce qui ressort du dossier et des explications du Ministère public, elle contiendrait certains barèmes applicables à divers types d’infractions.
L’unification de la pratique des autorités de poursuite constitue à l’évidence une tâche publique au sens de l’art. 25 al. 1 LIPAD. Même si elle n’a pas force obligatoire pour les procureurs, qui demeurent indépendants dans le traitement des procédures qui leur sont confiées (art. 117 al. 2 Cst./GE et art. 2 de la loi cantonale d’organisation judiciaire - OJ/GE), ce document s’apparente à une directive, fondée sur le pouvoir hiérarchique du procureur général. (…)
4.4. Selon le Ministère public, les documents relatifs à son activité juridictionnelle, soit au processus conduisant au prononcé d’un jugement, seraient soustraits au droit d’accès consacré par la LIPAD, comme cela est rappelé à l’art. 3 al. 3 let. b ainsi qu’à l’art. 20 al. 4 et 5 de la loi: seules les règles sur la procédure pénale seraient applicables. Bien que cet argument n’ait pas été traité par la Cour cantonale, il y a lieu de l’examiner ici, car s’il était admis, l’arrêt attaqué pourrait échapper, dans son résultat, au reproche d’arbitraire.
Il est vrai que la LIPAD ne s’applique pas aux procédures, civiles, pénales et administratives en cours. Le législateur genevois a certes considéré qu’il n’y avait pas de raison de principe de soustraire le pouvoir judiciaire au principe de la transparence sur ses activités. Toutefois, pour les procédures pendantes, les règles relatives à la consultation du dossier sont fixées par les différentes lois de procédure. En matière pénale, l’autorité compétente selon les art. 74 et 102 CPP est la direction de la procédure; celle-ci doit notamment respecter la présomption d’innocence et les autres intérêts légitimes au maintien du secret.
En l’occurrence toutefois, la directive ne fait pas partie d’un dossier pénal en cours. Il s’agit d’un document d’ordre général relatif à la politique criminelle. S’il peut avoir une influence sur la poursuite et la répression des infractions dans les cas particuliers, il ne fait pas partie du processus décisionnel proprement dit. Il se rapproche davantage des dispositions de la loi pénale ou de la jurisprudence, sur lesquelles les procureurs doivent se fonder pour rendre leurs décisions et qui, par nature (cf. consid. 5.4 ci dessous), doivent être accessibles au public.
4.5. Au vu du texte de la loi et de la volonté affichée du législateur en matière de transparence des services de l’Etat, c’est manifestement à tort, et donc de manière arbitraire, que l’arrêt attaqué soustrait la directive litigieuse au champ d’application de la LIPAD.
5.2. La Cour cantonale considère que la directive constitue une aide à la décision destinée aux membres du Ministère public, lesquels demeurent indépendants. Or, sa divulgation risquerait de lui conférer aux yeux du public une portée contraignante qu’elle n’a pas et les justiciables pourraient s’en prévaloir devant les tribunaux. Cela ne constitue manifestement pas un risque suffisant pour refuser une communication: le principe de transparence s’applique en effet clairement aux directives (art. 25 al. 2 LIPAD), quelle que soit leur force contraignante. Par nature, certains documents relatifs à une tâche étatique n’ont pas la force obligatoire d’un acte normatif (par exemple les rapports, préavis ou prises de position également mentionnés à l’art. 25 al. 2 LIPAD), mais demeurent néanmoins soumis au droit d’accès: le fait qu’un justiciable puisse se méprendre sur la nature exacte de tels documents ne saurait constituer un motif de refus. En l’occurrence, la directive ne lie pas les procureurs, et moins encore les tribunaux, et cela pourra être rappelé au besoin lors d’une procédure particulière si un justiciable devait s’en prévaloir.
5.4. Il apparaît en définitive que l’ensemble des objections au droit d’accès, telles que retenues dans l’arrêt attaqué ou invoquées par le Ministère public, sont étrangères au but et au texte de la LIPAD. Il existe au contraire – bien que cela ne soit pas déterminant, dès lors que la demande d’accès n’a pas à faire état d’un intérêt particulier – un intérêt public à ce qu’un accès soit donné à la directive litigieuse. En effet, concrétisé par le principe de la légalité des peines (art. 1 CP), les principes de publicité, de l’accessibilité et de la prévisibilité de la norme pénale sont inhérents au système du droit répressif. La sécurité du droit commande en effet que le justiciable puisse connaître les conséquences prévisibles de son comportement (ATF 125 IV 35 consid. 1 ss.; 112 Ia 107 consid. 3b p. 112; TRECHSEL/PIETH, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, Zurich 2013, n° 3, 13, 20 ad art. 1).
Dans la mesure où la directive tend à unifier la pratique dans le domaine de la poursuite pénale et des peines applicables à certaines infractions, il existe un intérêt à ce que celle-ci soit rendue accessible. Telle est d’ailleurs la pratique dans d’autres cantons (notamment Zurich, Oberstaatsanwaltschaft, Strafmassempfehlungen du 14 janvier 2015, publiées sur internet; Berne, Association des juges et procureurs bernois, Recommandations quant à la mesure de la peine, du 8 décembre 2012, publiées sur internet; Schwyz, Oberstaatsanwaltschaft, Weisung 7.1 Strafzumessung, publiée sur internet).
(…)
6.
(…) Les arrêts attaqués sont annulés et les deux causes sont renvoyées à la Cour cantonale afin qu’elle ordonne au Ministère public de communiquer aux recourants la directive (…). Préalablement, il lui appartiendra encore d’examiner si certaines parties de la directive doivent éventuellement demeurer secrètes en application de l’art. 26 al. 2 let. g LIPAD; il n’est en effet pas exclu que ce document contienne des données personnelles dont la révélation pourrait porter atteinte à la sphère privée (…).
(Arrêt du Tribunal fédéral du 13 juin 2016, 1C_604/2015, 1C_606/2015)
Droit des assurances sociales
Doutes quant à la fiabilité des constatations de médecin de l’AI
Conditions auxquelles le juge cantonal peut, sous couvert de l’appréciation anticipée des preuves, se déclarer convaincu de ce que le rapport du médecin traitant de l’assuré n’instille pas, par rapport à ce que dit le médecin de l’AI, de doutes, même faibles.
Etat de fait
A., née en 1967, a travaillé comme femme de ménage à temps partiel, avant de cesser cette activité en raison de problèmes de santé. Alléguant souffrir de problèmes de jambes, respiratoires, moraux et de dos, elle a déposé une demande de prestations auprès de l’Office de l’assurance-invalidité pour le canton de Vaud (ci-après: l’office AI) le 3 mars 2008.
L’Office AI a pris des renseignements auprès des médecins traitants de la Policlinique médicale universitaire de Lausanne (PMU), les docteurs B., spécialiste en médecine interne générale, et C., médecin assistante (rapport du 18 avril 2008). Il a également mandaté les docteurs D., spécialiste en médecine physique et réadaptation, et E., spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, afin qu’ils réalisent un examen clinique rhumatologique et psychiatrique (rapport du 1er juillet 2009). L’administration a également mis en œuvre une enquête ménagère (rapport du 2 mars 2010). Se fondant sur les informations recueillies, l’office AI a refusé l’octroi d’une rente d’invalidité à l’assurée (décision du 10 mai 2010).
A. a présenté une nouvelle demande de prestations le 23 février 2012. L’administration s’est adressée aux médecins traitants de la PMU, les docteurs F., chef de clinique, et G., médecin assistant. Ces derniers ont fait état de différents diagnostics d’ordre somatique et psychique. Ils ont conclu à une incapacité totale de travail (rapports des 26 mars et 18 septembre 2012). L’Office AI a mandaté la doctoresse E. afin qu’elle réalise un examen clinique psychiatrique (rapport du 15 juillet 2013). Le médecin a constaté que l’assurée ne souffrait d’aucune pathologie psychiatrique à caractère incapacitant.
Par projet de décision du 12 août 2013, l’administration a informé A. qu’elle envisageait de rejeter sa demande. Après que les médecins traitants de la PMU, les docteurs H., chef de clinique spécialiste en médecine interne générale, et I., médecin assistant, ont communiqué un avis à l’Office AI par lequel ils exprimaient leur désaccord avec les conclusions de la doctoresse E. (rapport du 14 octobre 2013), l’assurée a requis la mise en œuvre d’une expertise (courrier du 24 octobre 2013). Par décision du 8 novembre 2013, l’Office AI a nié le droit de A. à des prestations.
Par jugement du 16 juin 2015, le Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales, a rejeté le recours formé par l’assurée contre cette décision.
Extrait des considérants
3.2. La recourante reproche à la juridiction cantonale d’avoir mal appliqué la notion de doutes quant à la fiabilité et la pertinence des constatations des médecins internes à l’assurance, posée par la jurisprudence fédérale (ATF 135 V 465 consid. 4.6 p. 471) et d’avoir ainsi retenu à tort que le rapport des docteurs H. et I. ne suscitait pas de doutes, mêmes faibles, quant à la validité des conclusions de la doctoresse E. Elle soutient que face à ces deux appréciations médicales contradictoires, les premiers juges auraient été tenus, pour départager ces avis, d’ordonner la mise en œuvre d’une expertise par un médecin externe à l’Office AI, en vertu de l’art. 61 let. c LPGA.
4.1. (…) Pour que l’assuré ait une chance raisonnable de soumettre sa cause au juge, sans être clairement désavantagé par rapport à l’assureur, le tribunal ne peut pas, lorsqu’il existe des doutes quant à la fiabilité et la pertinence des constatations des médecins internes à l’assurance, procéder à une appréciation des preuves définitive en se fondant, d’une part, sur les rapports produits par l’assuré et, d’autre part, sur ceux des médecins internes à l’assurance. Pour lever de tels doutes, il doit soit ordonner une expertise judiciaire, soit renvoyer la cause à l’organe de l’assurance pour qu’il mette en œuvre une expertise dans le cadre de la procédure prévue par l’art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.5 et 4.6 p. 470 s.).
4.2. Même en application de ces règles, il est en principe admissible pour un tribunal de se fonder sur les preuves administrées correctement par l’assureur social et de renoncer à sa propre procédure probatoire (ATF 135 V 465 consid. 4.3.2 p. 469). On rappellera que le tribunal peut en effet renoncer à accomplir certains actes d’instruction sans que cela entraîne une violation du droit d’être entendu ou une violation du devoir d’administrer les preuves nécessaires (art. 61 let. c LPGA) s’il est convaincu, en se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352), que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation (…).
4.3. Saisi d’un recours en matière de droit public, le Tribunal fédéral ne peut, en principe, revoir le résultat de l’appréciation anticipée des preuves à laquelle a procédé l’autorité de recours de première instance que sous l’angle restreint de l’arbitraire, soit qu’en cas d’inexactitude manifeste (…).
5. Contrairement à ce que semble soutenir la recourante, la jurisprudence fédérale sur la notion des doutes quant à la fiabilité et la pertinence des constatations des médecins internes à l’assurance est cohérente. En effet, en fonction des faits de la cause, tels que constatés par la juridiction cantonale, des considérations de celle-ci, ainsi que des motifs et conclusions du recours, la question de savoir si les conclusions du médecin interne à l’assurance sont mises en doute par les constatations du médecin traitant peut être traitée par le Tribunal fédéral sous deux angles différents: d’abord, du point de vue du droit, lorsqu’une violation des règles d’appréciation des preuves (cf. supra consid. 4.1) entre en ligne de compte. Mais aussi sous l’angle des faits, lorsqu’il s’agit d’examiner le résultat de l’appréciation concrète des documents médicaux par la juridiction cantonale, soit dans le cas d’espèce, l’absence de doutes des premiers juges quant à l’avis du médecin interne à l’assurance (en l’occurrence la doctoresse E.) malgré les objections des médecins traitants (en l’occurrence les docteurs H. et I.).
6.1. En l’espèce, la recourante n’expose pas en quoi l’appréciation des preuves à laquelle ont concrètement procédé les premiers juges en application de l’ATF 135 V 465, – et qui les a conduits à nier l’existence de doutes quant aux conclusions de la doctoresse E. –, serait manifestement inexacte. En particulier, elle ne démontre pas, par une argumentation précise et qui se réfère concrètement au contenu des rapports médicaux qu’elle invoque, en quoi l’avis des docteurs H. et I. aurait dû mener la juridiction cantonale, sous peine d’appréciation arbitraire, à douter de la fiabilité et de la pertinence de l’avis de la doctoresse E. (et, partant, à ordonner une instruction complémentaire auprès d’un médecin externe à l’assurance). Or, les premiers juges ont expliqué les raisons – dont la recourante ne soutient d’ailleurs pas qu’elles seraient arbitraires – pour lesquelles ils ont retenu que l’appréciation des docteurs H. et I. n’emportait pas leur conviction. Ils ont en effet constaté que ces derniers n’avaient apporté aucun élément clinique ou diagnostique à l’appui de leur position. La recourante se limite à affirmer que les premiers juges ne pouvaient ignorer les doutes suscités par les docteurs H. et I., dans la mesure où même si ces derniers n’ont pas procédé à des développements, ils ont très clairement dit qu’ils ne pouvaient être d’accord avec le médecin de l’AI. L’assurée se borne ainsi à substituer sa propre appréciation à celle de la juridiction précédente.
6.2. La recourante ne parvient pas non plus à démontrer que la juridiction cantonale aurait violé les règles d’appréciation des preuves en appliquant des exigences trop élevées à la possibilité pour l’assurée de soulever des doutes sur une appréciation médicale. En effet, même si, pour faire douter de la fiabilité d’une appréciation médicale interne à l’assurance, il suffit que le doute suscité par l’avis du médecin traitant soit minime, il faut néanmoins que le rapport médical soit concluant, conformément à ce qu’a mentionné la juridiction cantonale en se référant à l’ATF 135 V 465 consid. 4.6 p. 471. Si, comme le soutient la recourante, le rapport des médecins traitants était compréhensible s’agissant de leur désaccord sur le point de vue de la doctoresse E., il n’apportait en revanche aucun indice concret que la psychiatre aurait ignoré un élément déterminant pour son appréciation, singulièrement sur une éventuelle aggravation de l’état de santé de l’assurée depuis mai 2010. Dans leur avis du 14 octobre 2013, les médecins traitants se limitent à mentionner leur désaccord et à affirmer l’existence d’un trouble de la santé psychique nié par la doctoresse E. sans aucune discussion des conclusions de celle-ci. A l’inverse de ce que soutient la recourante, les premiers juges n’ont pas violé les règles d’appréciation des preuves en retenant qu’il ne suffit pas pour mettre en doute le rapport d’un médecin interne à l’assurance de lui opposer le seul désaccord de ses médecins traitants, dépourvu de toute explication convaincante.
6.3. Il découle de ce qui précède que les arguments de la recourante selon lesquels l’avis des docteurs H. et I. aurait dû inciter les premiers juges, en application de l’art. 61 let. c LPGA, à ordonner une expertise ne sont pas propres à remettre en cause le résultat de l’appréciation anticipée des preuves à laquelle le Tribunal cantonal a procédé. En effet, faute de doutes sur la pertinence des constatations du médecin interne à l’assurance, les premiers juges n’avaient pas à ordonner d’expertise judiciaire (ou à enjoindre à l’office intimé de mettre en œuvre une expertise auprès d’un médecin externe à l’assurance).
Le recours est partant mal fondé.
(Arrêt du Tribunal fédéral du 10 mars 2016, 9C_548/2015)
Commentaire
Nous remarquions dans ces colonnes (plaidoyer 1/2014 pp. 51-52) que le TF répondait d’une manière qui semblait être variable à la question de savoir si l’existence – respectivement l’absence – de doutes mêmes faibles quant à la fiabilité et la pertinence des rapports de médecins de l’AI, était une question de fait ou plutôt une question de droit. Après avoir, par arrêt 9C_142/2011 du 9 novembre 2011, suggéré qu’il s’agissait d’une question de fait, le TF avait en effet, dans un arrêt 9C_301/2013 du 4 septembre 2013, suggéré qu’il s’agissait plutôt d’une question de droit. Or, dans l’arrêt 9C_548/2015 du 10 mars 2016 reproduit ci-avant, le TF répond à notre critique d’alors en disant, sous considérant no 5: «Contrairement à ce que semble soutenir la recourante, la jurisprudence fédérale sur la notion des doutes quant à la fiabilité et la pertinence des constatations des médecins internes à l’assurance est cohérente. En effet, en fonction des faits de la cause, tels que constatés par la juridiction cantonale, des considérations de celle-ci, ainsi que des motifs et conclusions du recours, la question de savoir si les conclusions du médecin interne à l’assurance sont mises en doute par les constatations du médecin traitant peut être traitée par le Tribunal fédéral sous deux angles différents: d’abord, du point de vue du droit (…). Mais aussi sous l’angle des faits (…)». Pour nous, la question de savoir si les faits retenus remplissent ou non les conditions d’application des règles que le TF rappelle au considérant 4.1 de l’arrêt ci-dessus (à savoir «lorsque la pertinence des constatations des médecins internes à l’assurance est mise en doute par le biais d’un rapport concluant du médecin traitant, il ne suffit pas de se référer en bloc au mandat thérapeutique qui lie celui-ci à son patient pour écarter les doutes en question. De même, le tribunal ne peut se contenter de retenir de manière globale que le rapport du médecin traitant ne remplit pas, ou seulement partiellement, les exigences d’une expertise au sens de l’ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352, sans examiner concrètement sa valeur probante») est, typiquement, une question de droit. Pour le TF, les choses semblent cependant être plus compliquées que cela, et tellement compliquées qu’aucun praticien ne réussira jamais, même après avoir lu l’article de Monsieur le juge fédéral Ulrich Meyer intitulé «Question de fait – question de droit» (Meyer U./Cretton F., in: Revue de l’avocat, n° 4/2016, pp. 170 ss), à comprendre ce que sont, pour le TF de Lucerne, d’une part, les faits et, d’autre part, le droit; puisque, dans son recours en matière de droit public ayant donné lieu à l’arrêt reproduit ci-avant, l’assurée faisait valoir, aussi, que le juge cantonal aurait, au vu du désaccord absolu manifesté par le médecin traitant d’avec ce qu’avait dit le médecin de l’AI, dû interroger le médecin traitant sur les raisons très précises de son désaccord total, sauf à violer la règle de l’art. 61 let. c LPGA, Monsieur le juge fédéral Ulrich Meyer disant lui-même, dans l’article précité: «Si le Tribunal cantonal des assurances ou le Tribunal administratif fédéral ne se conforment pas à leurs obligations concernant l’appréciation des preuves, il faut y voir, comme lors de la constatation des faits, un non-épuisement du pouvoir d’examen, ce qui peut être allégué devant le Tribunal fédéral comme une erreur de droit également» (p. 178). Au final, la leçon donnée au praticien par l’arrêt reproduit ci-avant est donc la suivante: si le médecin traitant n’est pas, après avoir lu le rapport du médecin interne à l’AI, d’accord avec les conclusions de ce dernier, il s’agira alors d’obtenir absolument de lui, même s’il n’y a aucune possibilité de rémunération de son travail pour cela, un contre-rapport qui, en long et en large, dise pourquoi il n’est pas d’accord avec ce que le médecin de l’AI a dit des troubles et de la capacité de travail de l’assuré. Car on voit mal, dans un tel cas de figure, qu’un juge cantonal puisse encore, sous couvert d’appréciation anticipée des preuves, venir dire que, non, le rapport du médecin traitant n’instille pas un doute, même minime, par rapport à ce que le médecin de l’AI dit de l’état de santé de l’assuré.