Droit des sociétés
Adaptations au Registre du commerce
Le Tribunal cantonal neuchâtelois a pu récemment constater quelques couacs résultant de la modification de l’ordonnance sur le registre du commerce, entrée en vigueur au 1er janvier 2021. Tel est le cas de l’articulation des articles 934a CO et 152a ORC. En application de l’article 934a CO, les entreprises individuelles sans domicile connu sont radiées après une triple sommation publiée dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC). La Cour de droit public a ainsi précisé le renvoi à la procédure prévue aux articles 152 ss ORC. En effet, l’office du registre du commerce est dans l’obligation de procéder aux recherches raisonnablement exigibles avant la sommation dans la FOSC, notamment en consultant la base de données de la police des habitants.
Etat de fait
X était inscrite en qualité de titulaire d’une raison individuelle au Registre du commerce. Après avoir reçu un courrier en retour spécifiant que l’intéressée n’était plus domiciliée à cette adresse, l’office du registre du commerce procéda à la publication d’une triple sommation dans la FOSC. L’objectif était ici d’inviter la titulaire de la raison individuelle de régulariser la domiciliation de son affaire. Les sommations étant restées lettre morte, l’office du registre du commerce radia l’entreprise et transmit la facture des émoluments à la bonne adresse. La requérante introduit un recours devant la Cour de droit public du Tribunal cantonal et conclut à l’annulation de la décision pour les émoluments inhérents à la triple sommation publiée dans la FOSC. Le recours est admis. Les émoluments liés à la triple sommation ne seront pas facturés. Il en ira différemment des frais découlant de l’inscription de la radiation au Registre du commerce.
Extrait des considérants
2.
a) Selon l’article 934a al. 1 CO en vigueur depuis le 1er janvier 2021 et s’appliquant à toutes les entités juridiques existantes dès son entrée en vigueur (art. 1 al. 2 des dispositions transitoires relatives à la modification du code des obligations [droit du registre du commerce] du 17.03.2017), après avoir publié, sans résultat, une triple sommation dans la Feuille officielle suisse du commerce, l’office du registre du commerce radie les entreprises individuelles qui n’ont plus de domicile. Selon le Conseil fédéral (Message concernant la modification du code des obligations du 15.04.2015 in FF 2015, p. 3281), cette procédure se justifie «étant donné qu’une entreprise individuelle sans domicile ne peut pas être jointe par voie postale». Outre que ce motif est pour le moins discutable, une entreprise individuelle étant une personne physique qui, en principe, dispose d’un (nouveau) domicile auquel elle peut, selon toute vraisemblance, être jointe par voie postale, l’Office fédéral du registre du commerce a, en vue de l’entrée en vigueur du nouveau droit du registre du commerce, précisé ce qui suit le 10 décembre 2020 (Communication OFRC 4/20 ch. 3.10.1):
«La procédure prévue aux art. 152 ss ORC est appliquée dans toutes les situations où la loi parle de sommation de l’office du registre du commerce. Il y a toutefois une erreur rédactionnelle dans les renvois au CO de l’art. 152, al. 1, ORC: la sommation de l’entreprise individuelle (art. 934a, al. 1, CO) doit également être faite conformément aux art. 152 ss ORC. Cette erreur sera corrigée lors de la prochaine révision partielle de l’ordonnance sur le registre du commerce.»
Selon l’article 152a (notification de la sommation de l’office du registre du commerce) de l’ordonnance sur le registre du commerce (ORC), en vigueur depuis le 1er janvier 2021, la notification est effectuée par la publication dans la Feuille officielle suisse du commerce: lorsque le domicile de l’entité juridique inscrit au registre du commerce ne correspond plus à la réalité et que le nouveau domicile n’a pas pu être déterminé en dépit des recherches qui peuvent raisonnablement être exigées (al. 3 let. a), ou lorsqu’une notification n’est pas possible ou nécessiterait des démarches disproportionnées (let. b).
b) En l’espèce, si la première des deux conditions cumulatives de la lettre a de l’article 152a al. 3 ORC est remplie, le courrier de l’intimé du 11 novembre 2020 adressé à l’entreprise individuelle [aaxx] à son domicile à Z., ayant été retourné avec la mention: «Cette personne n’est plus ici», il n’apparaît en revanche pas que l’Office du registre du commerce du canton de Neuchâtel aurait, avant de procéder par sommation publique, entrepris, sans succès, des démarches exigibles de sa part pour déterminer le nouveau domicile de l’intéressée. Or, la simple consultation de la base de données de la police des habitants (BDP), dont un extrait concernant la recourante figure pourtant au dossier de la cause, lui a permis, dans le mois suivant les trois sommations publiques, de notifier à celle-ci, à son domicile en France, la décision attaquée. Tout en se référant, dans ses observations sur le recours, à l’article 152a al. 3 let. a ORC, le préposé du registre du commerce n’explique pas ce qui l’aurait empêché, avant de procéder par sommations publiques, de consulter la BDP ou, faute d’avoir accès à cette base de données, de requérir l’information souhaitée auprès du Contrôle des habitants de Z., ce qui constituait une démarche raisonnablement exigible. La notification de la décision d’émolument à l’adresse actuelle de la recourante démontre par ailleurs que la notification de la sommation à cette même adresse aurait été possible et n’aurait pas nécessité des démarches disproportionnées.
c) Il suit de ce qui précède qu’aucuns des frais liés aux trois sommations publiées dans la Feuille officielle suisse du commerce au mois d’avril 2021 ne peuvent être mis à la charge de la recourante, au contraire de l’émolument de 30 francs et des débours relatifs à l’inscription de la radiation du registre du commerce de l’entreprise individuelle [aaxx]. Car, à supposer que l’intéressée aurait donné suite à la sommation de régulariser sa situation légale, notifiée à son domicile en France, il n’en demeure pas moins que cela aurait quoi qu’il en soit conduit l’intimé à procéder, d’office ou à la demande de X., à la radiation du registre du commerce de son entreprise individuelle qu’elle avait cessée ou cédée en 2014. Or, celui qui provoque ou qui sollicite d’une autorité du registre du commerce une prestation doit s’acquitter d’un émolument (art. 940 CO), fixé par le Conseil fédéral dans une ordonnance du 6 mars 2020 sur les émoluments en matière de registre du commerce (OEmol-RC).
Arrêt 2021.438 du 2 septembre 2021 de la Cour de droit public du Tribunal cantonal neuchâtelois.
Droit des étrangers
Admission en vue d’une formation
Le Tribunal cantonal fribourgeois rappelle ici que l’intérêt public à une politique migratoire restrictive l’emporte sur l’intérêt privé à réaliser des recherches dans le cadre d’un séjour d’études. Les dispositions légales applicables au cas d’espèce (articles 27, 96 LEI et 23 al. OASA) prévoient qu’il appartient à la demanderesse de démontrer que les critères applicables à une demande d’entrée et de séjour dans l’optique de la réalisation d’une formation continue sont remplis.Outre l’exigence d’un logement approprié et de moyens financiers suffisants, la Cour conclut que la réquérante n’était ni parvenue à démontrer que son séjour n’avait pas pour but d’éluder les règles générales sur l’admission et le séjour des étrangers, ni l’existence d’une véritable formation au sens de l’art. 27 LEI. Le Tribunal précise que l’art. 27 LEI est rédigé en la forme potestative (kann-Vorschrift). De ce fait, aucun droit au séjour ne saurait en découler.
Etat de fait
Titulaire d’un Master of Arts obtenu en 2017 en Iran et bénéficiaire d’une bourse de l’Université de Fribourg, A. dépose une demande d’entrée et de séjour auprès du Service de la population et des migrants (SPoMi) dans l’optique de la réalisation de recherches pour son doctorat. La demande est rejetée par la SPoMi au motif que l’intéressée n’aurait pas apporté les garanties suffisantes permettant d’assurer son départ à la fin de sa mission de recherche scientifique. La requérante a certes apporté différents éléments, notamment la mention de la continuation probable d’une carrière professionnelle dans son pays d’origine ou une recommandation d’une spécialiste. Ces éléments ont été considérés comme insuffisamment étayés par la première Cour de droit administratif du Tribunal cantonal, qui rejette le recours.
Extrait des considérants
En application de l’art. 27 al. 1 LEI, un étranger peut être admis en vue d’une formation ou d’une formation continue à condition que la direction de l’établissement confirme qu’il peut suivre la formation ou la formation continue envisagées (let. a), qu’il dispose d’un logement approprié (let. b) et des moyens financiers nécessaires (let. c) et, enfin, qu’il ait le niveau de formation et les qualifications personnelles requis pour suivre la formation ou la formation continue prévues (let. d).
Selon l’art. 23 al. 2 de l’ordonnance du 24 octobre 2007 relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA; RS 142.201), les qualifications personnelles au sens de l’art. 27 al. 1 let. d LEI sont suffisantes, notamment lorsqu’aucun séjour antérieur, aucune procédure de demande antérieure ni aucun autre élément n’indiquent que la formation ou la formation continue invoquée vise uniquement («lediglich» selon le texte allemand et «esclusivamente» selon le texte italien) à éluder les prescriptions générales sur l’admission et le séjour des étrangers (cf. rapport de la Commission des institutions politiques du Conseil national du 5 novembre 2009 concernant l’initiative parlementaire pour faciliter l’admission et l’intégration des étrangers diplômés d’une haute école suisse, FF 2010 373 385).
Même lorsque toutes les conditions prévues à l’art. 27 LEI (disposition rédigée en la forme potestative ou Kann-Vorschrift) sont réunies, l’étranger n’a pas un droit à la délivrance d’une autorisation de séjour, à moins qu’il ne puisse se prévaloir d’une disposition particulière du droit fédéral ou d’un traité lui conférant un tel droit. Lorsque tel n’est pas le cas, l’autorité de police des étrangers dispose d’un large pouvoir d’appréciation. En d’autres termes, les conditions énoncées à l’art. 27 LEI ont pour seul effet d’exclure tout séjour d’études à celui qui n’y satisfait pas; une réalisation de ces conditions laisse en revanche au canton la faculté d’accorder ou de refuser l’autorisation de séjour demandée en application de l’art. 96 LEI, disposition qui prévoit à son al. 1 que les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d’appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l’étranger, ainsi que de son degré d’intégration (arrêt TAF F-7409/2018 du 10 novembre 2020 consid. 6).
Si la nécessité pour l’étudiant de poursuivre des études en Suisse ne constitue pas une des conditions posées à l’art. 27 LEI pour l’obtention d’une autorisation de séjour en vue d’une formation ou d’un perfectionnement, il n’en demeure pas moins que cette question doit être examinée sous l’angle du large pouvoir d’appréciation conféré à l’autorité dans le cadre de l’art. 96 LEI (arrêt TAF F-6400/2016 du 27 avril 2018 consid. 5.3.3).
[…]
En particulier, dans le cadre de la pondération globale de tous les éléments en présence en l’application de l’art. 96 LEI, force est d’admettre que c’est à juste titre que l’autorité intimée a relevé que la recourante n’a pas démontré la nécessité d’entreprendre ses recherches en Suisse plutôt qu’ailleurs à l’étranger, alors qu’un tel but peut parfaitement être atteint dans d’autres pays également.
[…]
Ainsi, l’intérêt public à une politique migratoire restrictive l’emporte sur l’intérêt privé de la recourante à réaliser un séjour de recherches à l’Université de Fribourg au sens de l’art. 96 LEI. Il n’apparaît pas non plus in casu que des raisons spécifiques et suffisantes justifient l’octroi de l’autorisation de séjour sollicitée.
Le fait que la recourante soit titulaire d’une bourse de l’Université de Fribourg et qu’on ne saurait, à première vue, contester que sa venue en Suisse a pour objectif premier d’effectuer des recherches en lien avec sa formation ne change rien à ce qui précède.
Dans ces circonstances, l’autorité n’a pas violé la loi, ni commis d’excès ou d’abus de son vaste pouvoir d’appréciation en refusant d’accorder à la recourante l’autorisation de séjour sollicitée.
Arrêt 601 2021 53 du 30 août 2021 de la 1re Cour de droit administratifdu Tribunal cantonal fribourgeois.
Droit du travail
Licenciement injustifié et tort moral
La Chambre des prud’hommes du Tribunal cantonal genevois s’est récemment prononcée, en appel, sur un cas de licenciement injustifié. Il est rappelé, à cette occasion, que la résiliation immédiate pour justes motifs du contrat doit être admise de manière restrictive. Il n’est ainsi pas acceptable de fonder une résiliation avec effet immédiat en se basant uniquement sur des rumeurs. Les juges déboutent toutefois l’ex-employé sur ses prétentions en tort moral considérant qu’aucun élément ne permet de les justifier. Et de préciser que le jugement se concentrait uniquement sur le caractère justifié ou injustifié du licenciement.
Etat de fait
Un boulanger, employé depuis cinq ans auprès de la même société, est licencié avec effet immédiat. Le licenciement en cause se déroule directement après un arrêt pour cause d’accident professionnel. Après le licenciement, l’employeur avance que les motivations de la rupture des liens contractuels avec effet immédiat proviennent d’une relation inappropriée entretenue avec une apprentie. Après l’échec de la conciliation, l’ancien employé est habilité à procéder et introduit une requête au Tribunal des prud’hommes. Les juges de première instance concluent à l’absence de preuves de ces allégations a priori basées sur des rumeurs, au versement d’indémnités pour licenciement injustifié tout en excluant tout tort moral. La société en cause fait appel contre cette décision.
Extrait des considérants
[…]
4.1 L’art. 311 al. 1 CPC impose au recourant de motiver son appel, c’est-à-dire de démontrer le caractère erroné de la décision attaquée. Hormis les cas de vices manifestes, l’autorité d’appel doit en principe se limiter à statuer sur les critiques formulées dans la motivation écrite contre la décision de première instance (ATF 144 III 394 consid. 4.1.4 et 4.3.2.1, 142 III 413 consid. 2.2.4 et 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2016 du 6 septembre 2016 consid. 5.3; CAPH/70/2018 du 9 mai 2018 consid. 4.1). Cette motivation doit être suffisamment explicite pour que l’instance d’appel puisse la comprendre aisément, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision que le recourant attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 141 III 569 consid. 2.3.3, 138 III 374 consid. 4.3.1). Cette obligation s’applique tant aux griefs de violation du droit que de constatation inexacte des faits (arrêt du Tribunal fédéral 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5; CAPH/70/2018 du 9 mai 2018 consid. 4.1; ACJC/1105/2017 du 5 septembre 2017 consid. 2.1).
4.2 En l’espèce, l’appel comprend un très long préambule (4 pages), puis un exposé de faits (19 pages), dont il ne résulte cependant pas – et en tout cas pas clairement – que le Tribunal aurait procédé à une constatation inexacte de l’un ou l’autre fait. Un acte d’appel ne saurait se confondre avec des plaidoiries finales écrites faisant la synthèse de l’administration des preuves de première instance; il doit au contraire démontrer quelles sont les éventuelles failles du jugement querellé; s’agissant de l’état de fait, une telle démonstration n’existe pas. A fortiori, et sous réserve de ce qui sera mentionné au considérant 4.3, il n’y a donc pas de grief de constatation inexacte des faits. En tout état, les faits pertinents et nécessaires à l’appréciation juridique qui suivra ont été exposés ci-dessus.
L’appel comprend enfin une partie juridique (7 pages), dont il résulte que l’appelante considère que la résiliation immédiate était justifiée, que l’indemnité était disproportionnée et que l’indemnité pour tort moral n’était pas fondée. Ces trois griefs de la mauvaise application du droit, qui sont clairement invoqués par l’appelante, seront donc examinés ci-dessous.
[…]
5.1.1 L’employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat de travail en tout temps pour de justes motifs (art. 337 al. 1 CO). Sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (art. 337 al. 2 CO).
Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive. Les faits invoqués par la partie qui résilie doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave justifie le licenciement immédiat du travailleur sans avertissement préalable. En cas de manquement moins grave, celui-ci ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement (ATF 142 III 579 consid. 4.2; 137 III 303 consid. 2.1.1; 130 III 28 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_481/2020 du 10 juin 2021 consid. 4.3).
Lorsque la résiliation immédiate du contrat de travail est injustifiée, la résiliation déploie néanmoins son effet en mettant fin au contrat immédiatement, mais le travailleur a droit à ce qu’il aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à l’expiration du délai de congé (art. 337c al. 1 CO).
5.1.2 Savoir si le comportement incriminé atteint la gravité nécessaire dépend des circonstances du cas concret (ATF 142 III 579 consid. 4.2 et les arrêts cités). Dans son appréciation, le juge doit notamment tenir compte de la position et de la responsabilité du travailleur, du type et de la durée des rapports contractuels, de la nature et de l’importance des manquements (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1; 130 III 28 consid. 4.1; 127 III 351 consid. 4a), ou encore du temps restant jusqu’à l’échéance ordinaire du contrat (ATF 142 III 579 consid. 4.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_5/2021 du 9 mars 2021 consid. 3.2; 4A_393/2020 du 27 janvier 2021 consid. 4.1.1).
En matière de harcèlement au travail, le rapport de confiance est en principe considéré comme détruit (ou atteint profondément) lorsque le harceleur est un cadre avec une position dominante ou avec une certaine influence dans l’entreprise. Lorsqu’il est moins grave, le manquement ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_105/2018 du 10 octobre 2018 consid. 3.1).
5.1.3 Il appartient à la partie qui se prévaut de justes motifs de résiliation immédiate d’en établir l’existence (art. 8 CC).
Le juge apprécie librement s’il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 in initio CO) et il applique les règles du droit et de l’équité (art. 4 CC). A cet effet, il prendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l’importance des incidents invoqués (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_5/2021 du 9 mars 2021 consid. 3.2; 4A_393/2020 du 27 janvier 2021 consid. 4.1.1).
De manière générale, les éventuelles comparaisons avec des décisions judiciaires rendues dans des causes que les parties tiennent pour similaires à la leur doivent être appréciées avec circonspection. En effet, pour déterminer le caractère justifié (ou injustifié) d’une résiliation immédiate, il convient d’examiner l’ensemble des circonstances et une large place est laissée à l’appréciation du juge, de sorte qu’établir une casuistique en se focalisant sur un seul élément du dossier, sorti de son contexte, n’est pas significatif (arrêts du Tribunal fédéral 4A_246/2020 du 23 juin 2020 consid. 3.3; 4A_105/2018 du 10 octobre 2018 consid. 3.3; 4A_404/2014 du 17 décembre 2014 consid. 4.1).
5.1.4 Aux termes de l’art. 58 al. 1 CPC, qui consacre la maxime de disposition, le tribunal ne peut accorder à une partie ni plus, ni autre chose que ce qui est demandé, ni moins que ce qui est reconnu par la partie adverse (ne eat iudex ultra petita partium). Les conclusions des parties doivent ainsi être suffisamment déterminées. Lorsque le tribunal n’alloue pas strictement les conclusions du demandeur, il convient de déterminer s’il reste néanmoins dans le cadre des conclusions prises, sans allouer plus que ce qui est demandé ni étendre l’objet de la contestation à des points qui ne lui ont pas été soumis (ATF 143 III 520 consid. 8.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_689/2019 du 5 mars 2020 consid. 4.1; 5A_368/2018 du 25 avril 2019 consid. 4.3.3).
[…]
Si on ne saurait blâmer sur le principe l’appelante d’être attentive à la protection de la personnalité de ses collaboratrices et collaborateurs en général, et de ses apprenties et apprentis en particulier, la Cour est d’avis que le Tribunal a correctement appliqué l’art. 337c al. 1 CO en considérant que le licenciement immédiat de l’intimé était injustifié. Il n’y avait aucune urgence à mettre fin immédiatement au contrat de l’intimé, à son retour du congé accident, sans même lui donner la possibilité de s’exprimer sur la compilation des rumeurs à son sujet. Il était ainsi contraire au droit de résilier avec effet immédiat un contrat de travail sans aucun élément factuel à reprocher au travailleur.
Le caractère injustifié de la résiliation immédiate du contrat de travail sera donc confirmé, de sorte que le grief de l’appelante à ce sujet concernant le jugement du Tribunal sera écarté.
5.3 Dès lors que la résiliation immédiate a été considérée comme injustifiée, le travailleur a droit à ce qu’il aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à l’échéant du délai de congé. Comme le travailleur était dans sa cinquième année de service, le délai de résiliation (ordinaire) était de deux mois pour la fin d’un mois. La résiliation étant intervenue le 1er mai 2019, le travailleur aurait eu droit à son salaire jusqu’au 31 juillet 2019. Dès lors cependant qu’il a limité ses prétentions à deux mois de salaire et que la Cour – comme le Tribunal – est limitée aux conclusions des parties par la maxime de disposition (art. 58 al. 1 CPC), seuls deux mois de salaire peuvent être alloués au travailleur.
Le raisonnement et la conclusion du Tribunal à ce sujet (chiffre 3 du dispositif du jugement) étaient donc parfaitement conformes au droit.
6. L’appelante estime que le montant octroyé à l’intimée à titre d’indemnité pour licenciement immédiat injustifié est disproportionné.
6.1 En cas de licenciement immédiat injustifié, l’employé a droit, en sus du salaire pendant le délai de congé (art. 337c al. 1 CO), à une indemnité selon l’art. 337c al. 3 CO.
Cette disposition prévoit que le juge peut condamner l’employeur à verser au travailleur une indemnité dont il fixera librement le montant, compte tenu de toutes les circonstances; elle ne peut toutefois dépasser le montant correspondant à six mois de salaire du travailleur. Cette indemnité doit être soigneusement distinguée des droits découlant de l’art. 337c al. 1 CO et s’ajoute à eux (ATF 120 II 209 consid. 9b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_255/2020 du 25 août 2020 consid. 3.3.1). Cette indemnité a une double finalité, à la fois réparatrice et punitive. Comme elle est due même si le travailleur ne subit aucun dommage, il ne s’agit pas de dommages-intérêts au sens classique, mais d’une indemnité sui generis, s’apparentant à une peine conventionnelle. Ainsi, parmi les circonstances déterminantes, il faut non seulement ranger la faute de l’employeur, mais également d’autres éléments tels que la durée des rapports de travail, l’âge du lésé, sa situation sociale et les effets économiques du licenciement. (ATF 135 III 405 consid. 3.1; voir aussi arrêts du Tribunal fédéral 4A_481/2020 du 10 juin 2021, consid. 6.3; 4A_255/2020 du 25 août 2020 consid. 3.3.1). Qu’il s’agisse de son principe ou de sa quotité, le juge possède un large pouvoir d’appréciation (135 III 405 consid. 3.1; ATF 121 III 64 consid. 3c; arrêt du Tribunal fédéral 4A_255/2020 du 25 août 2020 consid. 3.3.1). Tout congé immédiat qui ne repose pas sur un juste motif comporte une atteinte aux droits de la personnalité du travailleur (ATF 135 III 405 consid. 3.2).
6.2 Il convient de reprendre les arguments de l’appelante.
6.2.1 L’appelante reproche au Tribunal un abus du pouvoir d’appréciation en raison de sa condamnation à verser près de 45’000 fr. L’intimé avait travaillé 4 ans et 10 mois pour elle, ce qui était une période courte; son âge ne jouait strictement aucun rôle. L’appelante n’avait jamais accusé l’intimé d’un «comportement grave de harcèlement d’une jeune apprentie». Le Tribunal s’était basé sur des éléments erronés pour la condamner à l’indemnité maximale; en effet, il avait ignoré que l’intimé et G. s’isolaient à deux dans les vestiaires. Il avait aussi ignoré que le témoin M. avait déclaré que G. lui avait confié que l’intimé lui avait offert un piercing. Cela prouvait qu’il y avait bien d’autres cadeaux offerts que ceux que l’intimé avait admis. Le jugement aboutissait à une iniquité choquante.
6.2.2 Comme il a été retenu ci-dessus, la fin des rapports de travail sans préavis ne se justifiait pas et aucune faute de l’intimé n’a été démontrée. Il faut donc vérifier si les critères retenus par le Tribunal pour octroyer une indemnité équivalente à six mois de salaire (29’900 fr. 10) sont pertinents.
Le Tribunal a mentionné que l’appelante avait accusé l’intimé d’un «comportement grave de harcèlement d’une jeuneapprentie», ce qui constitue un grief de l’appelante. Or, l’appelante elle-même a annoncé, dans le journal de l’entreprise, le licenciement avec effet immédiat pour faute grave de l’intimé en se référant aux articles 6 et suivants de son règlement interne. Ces articles concernent notamment le harcèlement. L’appelante ne peut donc pas simultanément se référer à une «relation ambigüe et inappropriée» qui ne serait pas du harcèlement et annoncer le licenciement en rapport avec un article du règlement interne se référant au harcèlement. Le Tribunal a par conséquent correctement qualifié les faits relatifs au motif du licenciement.
L’appelante revient, une fois de plus, sur l’élément des vestiaires qui aurait été oublié par le Tribunal. La Cour l’a traité précédemment (§4.3.1 et §5.2.2) et confirme que le témoignage de P. a une portée plus limitée que celle que lui confère l’appelante: il ne permet en tout cas pas de réduire l’indemnité due par l’employeur à l’intimée.
Le deuxième argument de l’appelante, à savoir la déclaration du témoin M. au sujet du piercing, a également déjà été traité (§4.3.4 et §5.2.2). La Cour confirme, à ce sujet également, que l’appréciation des preuves effectuée par le Tribunal n’est pas sujette à critique.
L’appelante constate à juste titre que le Tribunal l’a condamnée à l’indemnité maximale prévue par le Code des obligations, à savoir six mois de salaire. Elle critique aussi la courte durée (moins de cinq ans) de l’emploi de l’intimé auprès de l’appelante. Pour le reste, elle ne critique pas les autres éléments d’appréciation retenus par le Tribunal, à savoir l’âge (62 ans lors du licenciement), l’absence de nouvel emploi trouvé par l’intimé jusqu’à la retraite, les circonstances concrètes de l’annonce du licenciement (matin à 6h00, à son retour du congé accident, sans possibilité de faire valoir son point de vue avant communication de la décision) ou encore l’absence de vérification des reproches auprès des personnes concernées (intimé et apprentie G.).
Le seul élément qui penche en défaveur de l’indemnité de six mois est la durée des rapports de travail. La Cour considère néanmoins que cette relative brève durée des rapports de travail est compensée par la stigmatisation de l’intimé dans le journal diffusé aux collaborateurs de l’entreprise. Le Tribunal n’avait pas repris, lors de la fixation de l’indemnité, son argument superfétatoire traité lors de l’examen de la validité du licenciement immédiat, mais il est possible de le prendre en compte lors de l’application du droit, qui se fait d’office (art. 57 CO).
Vu l’importante latitude fixée au juge (et en l’espèce au Tribunal) pour fixer l’indemnité de l’art. 337c al. 3 CO, la Cour considère que ce montant est conforme au droit.
Le grief de violation de l’art. 337c al. 3 CO sera donc écarté. L’appel sera rejeté en tant qu’il vise le chiffre 5 du jugement.
7.1 Le dernier point à examiner concerne l’indemnité pour tort moral de 5’000 fr.
7.1.1 L’art. 328 al. 1 CO impose à l’employeur de protéger et respecter, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur, et de manifester les égards voulus pour sa santé.
La violation de l’art. 328 CO est une inexécution contractuelle, qui permet à la victime de réclamer la réparation du dommage, lequel peut consister en une réparation pour tort moral aux conditions posées par l’art. 49 CO (Wyler/heinzer, Droit du travail, 4ème éd., 2019, pp. 397-398).
7.1.2 Selon l’art. 49 al. 1 CO celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d’argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l’atteinte le justifie et que l’auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement. N’importe quelle atteinte ne justifie pas une indemnité (ATF 130 III 699 consid. 5.1; ATF 125 III 70 consid. 3a). L’atteinte doit revêtir une certaine gravité objective et être ressentie par la victime, subjectivement, comme une souffrance morale suffisamment forte pour qu’il apparaisse légitime de s’adresser au juge afin d’obtenir réparation (cf. ATF 129 III 715 consid. 4.4 et 120 II 97 consid. 2a et b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_310/2019 du 10 juin 2020 consid. 4.1.1; CAPH/117/2021 du 16 juin 2021 consid. 5.1). Le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer si les circonstances d’espèce justifient une indemnité pour tort moral dans le cas particulier (ATF 137 III 303, consid. 2.2.2; 129 III 715 consid. 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 4A_310/2019 du 10 juin 2020 consid. 4.1.1; CAPH/117/2021 du 16 juin 2021 consid. 5.1).
L’atteinte objectivement grave doit être ressentie par la victime comme une souffrance morale, à défaut de quoi aucune indemnisation ne peut lui être accordée. Comme chaque être humain ne réagit pas de la même manière à une atteinte portée à son intégrité psychique, le juge doit se déterminer à l’aune de l’attitude d’une personne ni trop sensible, ni particulièrement résistante. Pour que le juge puisse se faire une image précise de l’origine et de l’effet de l’atteinte illicite, le lésé doit alléguer et prouver les circonstances objectives desquelles on peut inférer la grave souffrance subjective qu’il ressent, malgré la difficulté de la preuve dans le domaine des sentiments (ATF 125 III 70 consid. 3a; 120 II 97 consid. 2b; CAPH/117/2021 du 16 juin 2021 consid. 5.1).
Les indemnités des art. 336a et 337c al. 3 CO couvrent en principe tout le tort moral subi par le travailleur licencié. Le Tribunal fédéral admet toutefois l’application cumulative de l’art. 49 CO dans des situations exceptionnelles (ou particulièrement graves), lorsque l’atteinte portée aux droits de la personnalité du travailleur est grave au point qu’une indemnité correspondant à six mois de salaire ne suffit pas à la réparer (ATF 135 III 405 consid. 4.1; voir aussi arrêt du Tribunal fédéral 4A_372/2016 du 2 février 2017 consid. 6.2; Wyler/Heinzer, p. 398).
7.2.3 […]
L’intimé n’a pas démontré avoir subi un tort moral supplémentaire ou particulièrement grave lié à son licenciement. Il ressort certes de l’audition de son épouse que l’intimé avait mal vécu cette période, mais cela ne dénote pas encore une intensité particulière qui impliquerait une indemnisation supplémentaire.
Il n’y a pas eu d’autres allégations à ce sujet, et a fortiori pas non plus d’administration de preuve à ce sujet. C’est le contexte général du licenciement qui a été instruit par le Tribunal, en se concentrant sur les justes motifs ou non du licenciement immédiat. C’est cet élément qui a été sanctionné par le Tribunal et par les indemnités accordées à ce titre. Il n’y a pas d’élément supplémentaire qui se détache et qui impliquerait une indemnisation supplémentaire sous l’angle du tort moral.
La Cour considère donc que c’est à juste titre que l’appelante critique l’octroi d’une indemnité supplémentaire de 5’000 fr. à titre de tort moral.
Le grief de violation de l’art. 49 CO sera donc admis, le chiffre 6 du jugement annulé et l’intimé débouté de ses prétentions en tort moral.
Arrêt CAPH/171/2021 du 20.08.2021 de la Cour des Prud’hommes du Tribunal cantonal genevois