Titulaire d’un doctorat en droit et d’un brevet d’avocat, Martin Dumermuth travaille depuis plus de 25 ans à la Confédération. De 2005 à 2013, il a dirigé l’Office fédéral de la communication (Ofcom). Des dossiers, tels que la révision de la LRTV ou l’octroi de la concession aux radios et TV locales, portent sa griffe. Depuis 2013, il occupe l’un des postes les plus en vue à l’administration fédérale, celui de directeur de l’Office fédéral de la justice (OFJ).
Il a écrit sa thèse de doctorat sur la surveillance des programmes de radio et de TV sous la direction du professeur de droit public bernois Jörg Paul Müller: un «ticket d’entrée à l’Ofcom». C’était il y a plus de vingt ans. Et, quand il était assistant à l’université, Martin Dumermuth endossait aussi la tenue de rameur. Il a participé à des compétitions internationales, et entraîné, à 32 ans déjà, l’équipe suisse d’aviron aux Jeux Olympiques, qui a obtenu la médaille d’argent en deux de couple. Aujourd’hui, à 59 ans, il dirige 270 collaborateurs. Tout ce qui se rattache au droit passe par ses services.
Il a grandi «à l’étage supérieur» de la Banque AEK, au centre de Thoune: «Mon père était le directeur de cet établissement, organisé en coopérative.» Plus tard, il rejoindra son père au conseil d’administration de la banque. Un engagement auquel il a mis fin en devenant numéro un de l’OFJ.
Le directeur ne manque pas de franc-parler. Il illustre, par exemple, le problème de l’initiative de l’UDC sur la primauté du droit national sur le droit international, avec une comparaison: «Imaginons une entreprise qui dirait que les décisions de son assemblée générale priment sur tous les contrats qu’elle conclut. Qui voudrait travailler avec une telle firme et passer des contrats avec elle?» Il est illusoire de croire qu’un petit Etat peut se replier sur lui-même: «Comme petit Etat, on est justement plus dépendant du droit des gens que les autres.»
Zones d’ombre
C’est encore avec pragmatisme que Martin Dumermuth évalue l’importance, pour la Suisse, de la CEDH. Il invite à garder le sens des proportions: la Cour européenne des droits de l’homme n’accepte que 1,6% des recours dirigés contre la Suisse. Il y a, bien entendu, des jugements mal perçus. Mais la CEDH est un contrat que la Suisse a approuvé à l’interne: «Ce n’est pas du droit étranger», insiste-t-il. Même si la CEDH et les droits fondamentaux de la Constitution concordent largement, l’histoire montre que la Suisse a toujours connu des zones d’ombre: «Pensons, par exemple, à l’affaire des enfants placés de force, que nous sommes maintenant en train d’assumer. Et peut-être reste-t-il aujourd’hui d’autres zones d’ombre.»
Le chef de l’OFJ est aussi préoccupé par les attentes du peuple exprimées dans le cadre des initiatives sur l’expulsion des criminels étrangers et sa mise en œuvre, sur les pédophiles, l’internement des délinquants dangereux ou encore les minarets: «Elles présentent toutes un rapport problématique avec les droits de l’homme.» L’application des initiatives difficilement conciliables avec la Constitution est un énorme défi. Mais le haut fonctionnaire se montre retenu sur la réforme du droit d’initiative. Ce qui est décisif, c’est la «culture politique». Et d’ajouter d’un air grave: «J’ai l’impression que dans le débat démocratique, invoquer l’Etat de droit a perdu de son importance.»
Projets de lois
Parmi les autres défis qui attendent ses services, il mentionne la révision du droit de la famille. Elle soulève des questions qui concernent tout le monde: «Comment traite-t-on les couples du même sexe? Veut-on élargir le mariage?» Des révisions se préparent aussi dans les domaines de la protection des données, de l’aide aux victimes et de la transparence des documents officiels. «Il faudra aussi réviser la loi sur l’égalité et la Lex Koller. De plus, il y a l’évaluation du Code de procédure pénale, pourtant relativement récent, qui amènera à des révisions.» Comme directeur d’office, Martin Dumermuth entend «au moins connaître tous les dossiers dans les grandes lignes, afin de fixer des priorités». Et il approfondit les plus importants pour pouvoir y apporter ses idées. Les projets sont préparés par ses services: «Souvent, les jalons sont posés au départ et on ne peut pas les modifier fondamentalement plus tard.»
Et comment le juriste expérimenté qu’il est communique-t-il sur les thèmes juridiques avec sa supérieure Simonetta Sommaruga, une pianiste de formation? En discutant avec elle, il n’a pas l’impression qu’elle n’est pas juriste. Elle l’a, pour sa part, présenté, lors de sa nomination à la tête de l’OFJ, comme une personnalité affirmée et indépendante, et un juriste chevronné aux grandes compétences managériales.
Le principal intéressé considère en effet son indépendance comme sacrée: «Je ne me laisse pas manipuler», a-t-il répété plusieurs fois au cours de l’entretien. Il vient d’un milieu bourgeois, «mais les convictions ne se transmettent pas par héritage, que je sache». Sa sœur, Marianne, est conseillère communale à Thoune, aux couleurs du PS. Il n’a lui-même jamais voulu entrer dans un parti.
Il n’a pas été facile de passer de l’Ofcom à l’OFJ, avoue Martin Dumermuth. Il n’avait pas de raison de quitter l’Ofcom, mais il s’est soudain imaginé que ses collaborateurs pouvaient, avec le temps, se lasser de lui. «C’est comme pour un entraîneur de football: on peut être bon et, au bout d’un moment entraîner son équipe à sa perte.»
D’anciennes relations ont pu jouer un rôle: Matthias Ramsauer, l’actuel secrétaire général du Département de justice et police, a été vice-directeur de l’Ofcom. «Comme secrétaire général, il est proche de Simonetta Sommaruga et il a pu lui parler de sa collaboration avec moi. Elle n’était apparemment pas si mauvaise.»