plaidoyer: Quelle est votre impression générale de la nouvelle procédure pénale?
Thomas Barth: Mon impression est globalement positive. La procédure pénale fédérale constitue une nette amélioration par rapport à l'ancienne procédure genevoise. Les conditions posées à la mise en détention préventive respectent mieux les droits des prévenus, un équilibre entre magistrats et avocats s'est installé et l'avocat a davantage de possibilités de s'opposer aux décisions du Ministère public. De plus, on assiste à une accélération du traitement des dossiers par le juge du fond. Il faudra néanmoins procéder à quelques réglages indispensables, en particulier dans l'application du droit à l'avocat de la première heure, malheureusement réservé aux cas graves dans le canton de Genève.
Antonella Cereghetti: Je constate aussi des améliorations, telles que l'instruction contradictoire - une nouveauté pour le canton de Vaud - qui permet à l'avocat de mieux participer à la procédure, ou encore le contrôle de la détention préventive par le Tribunal des mesures de contraintes. Mais j'émets des réserves importantes. En tant qu'avocats, nous accompagnons désormais nos clients à de nombreuses auditions pendant l'instruction, ce qui fait exploser le coût de la procédure pour nos mandants, ou pour l'Etat lorsque nous sommes commis d'office. On consacre trois à quatre fois plus de temps à ces auditions, avec une efficacité parfois limitée. Et, comme c'est le procureur qui choisit le jour et l'heure, la gestion de notre temps devient difficile. On ne peut plus faire du droit pénal sans avoir de stagiaire.
Thomas Barth: A Genève, nous étions dans une situation similaire sous l'ancienne procédure... Le juge d'instruction procédait aux convocations, comme le fait aujourd'hui le procureur, sans tenir compte de notre agenda. En revanche, je salue une nouveauté: l'administration des preuves est principalement l'affaire du procureur, pendant l'instruction, tandis le juge du fond ne procède à une nouvelle administration qu'en cas de lacune. J'y vois un énorme avantage en termes d'économie de procédure: il n'est pas nécessaire d'auditionner de nouveau les témoins au procès si le travail a été bien fait lors de l'instruction.
Antonella Cereghetti: J'y vois au contraire un désavantage, car le juge du fond est lié par le dossier d'instruction constitué par le procureur. Les audiences de jugement sont alors raccourcies. Mais, vu que le tribunal est une autre instance, indépendante de l'autorité d'instruction, il serait souvent utile de faire réentendre les témoins pour que le juge les voie, en vertu du principe de l'oralité des débats et de l'immédiateté des preuves.
Thomas Barth: Je ne conteste pas cette perte d'immédiateté. Mais elle est compensée par le fait que le juge reçoit un dossier mieux construit qu'auparavant, dont il doit prendre connaissance à l'avance, notamment pour voir si les preuves ont été correctement administrées. Il arrive ainsi à l'audience avec une bonne idée de l'affaire.
Antonella Cereghetti: Dans le canton de Vaud, le juge du fond disposait déjà d'un bon dossier sous l'ancienne procédure et il le maîtrisait plutôt bien. Ce qui change, c'est que nous avons moins de marge de manœuvre pour le faire changer d'avis. On sent chez lui une retenue à faire administrer de nouvelles preuves.
Thomas Barth: Le prévenu et l'avocat ne sont pourtant pas dépourvus de moyens pour demander l'administration de nouvelles preuves s'ils en ressentent le besoin, jusqu'à la clôture des débats.
Antonella Cereghetti: Avec le nouveau code, nous disposons en effet de nombreux moyens et techniques pour renouveler des réquisitions, pour intervenir jusqu'à la clôture des débats. Mais, selon mon expérience, les juges n'accèdent guère à nos requêtes pour l'instant.
plaidoyer: Comment voyez-vous le nouveau rôle du procureur, chargé de l'instruction (à charge et à décharge) dans un premier temps, puis accusateur public devant le tribunal?
Antonella Cereghetti: Je ne fais pas totalement confiance dans l'impartialité des procureurs au stade de l'instruction, bien que j'aie de l'estime pour leur personne. Ils se trouvent dans une position un peu schizophrénique, car ils doivent instruire à charge et à décharge pendant la procédure préliminaire, mais quand même soutenir l'accusation devant le Tribunal des mesures de contrainte, puis ils se retrouvent au tribunal dans le rôle de l'une des parties.
Thomas Barth: Je ne suis pas d'accord, car le procureur n'a pas à être partial ou impartial. Il ne saisira pas le Tribunal des mesures de contrainte s'il pense que les conditions ne sont pas remplies. Puis, devant le tribunal, si le dossier n'est pas bon, il devra bien le reconnaître même s'il est accusateur public.
Antonella Cereghetti: C'est vrai en théorie, mais, dans la pratique, les procureurs sont tout de suite dans une position accusatoire. Dans le canton de Vaud, ce sont souvent d'anciens juges d'instruction, qui continuent à avoir la mentalité de l'instruction à charge, même si certains font des efforts.
Thomas Barth: On ne peut pas généraliser ainsi. Le Ministère public n'a pas pour vocation de désavantager le prévenu. Et il ne faut pas oublier le garde-fou que représente l'avocat de la première heure, qui assiste à l'ensemble de la procédure.
plaidoyer: Justement, comment fonctionne l'institution de l'avocat de la première heure?
Thomas Barth: Dans le canton de Genève, le droit d'appeler l'avocat de la première heure est limité aux cas graves, en totale contradiction avec la procédure pénale fédérale. Le canton a voulu ainsi soulager les finances publiques, en oubliant que la nouvelle institution a pour but de contrebalancer les pouvoirs accrus du Ministère public. Une liste d'infractions a ainsi été dressée, de manière, pour ainsi dire, arbitraire. Résultat, on assiste à des situations où le procureur considère dans une procédure donnée, qu'il y avait un droit à un avocat de la première heure, alors que la police avait auparavant estimé le contraire. C'est dérangeant, même si on peut, théoriquement, faire annuler les auditions qui n'ont pas respecté la procédure.
Par ailleurs, il arrive que le prévenu soit désavantagé, car il renonce à faire appel à un défenseur dès la première heure pour des raisons financières ou parce que, contrairement à certains récidivistes, il ne connaît pas personnellement d'avocat. Cela crée des inégalités de traitement et un déséquilibre de la procédure.
Antonella Cereghetti: Le canton de Vaud ne connaît pas de liste de cas graves. Il n'en reste pas moins que, en vertu du droit fédéral, l'avocat de la première heure est un droit pour tous, mais que la prise en charge de la facture par l'Etat n'est pas toujours obligatoire. Par conséquent, pour rendre ce droit effectif, il faudrait aussi prévoir une prise en charge généralisée par l'Etat, de manière que toutes les personnes qui le souhaitent puissent se faire assister dès la première audition de police.
Thomas Barth: Je suis d'accord, car n'oublions pas que l'avocat de la première heure a été prévu par le législateur pour rééquilibrer la procédure. Cela ne me choquerait pas qu'il puisse être appelé pour une contravention, aux frais de l'Etat.
plaidoyer: Les permanences de l'avocat de la première heure pourraient-elles alors faire face à la demande?
Thomas Barth: A Genève, la permanence n'est composée que de volontaires et elle est loin d'être saturée. Et il faut tenir compte du fait que certains prévenus ne veulent pas d'avocat.
Antonella Cereghetti: Dans le canton de Vaud, la permanence n'est pas non plus débordée pour l'instant.
plaidoyer: Rencontrez-vous des problèmes d'accès au dossier?
Antonella Cereghetti: Nous avons en principe accès au dossier dès l'ouverture de la procédure. Mais le procureur retarde souvent cette ouverture pour faire entendre un certain nombre de personnes au stade de l'enquête préliminaire, demandant ainsi à la police de constituer un dossier auquel l'avocat n'a pas accès. C'est un exemple parmi d'autres qui me conduit à douter de l'impartialité du procureur.
Thomas Barth: Le moment de l'accès au dossier n'est pas clair. Je m'occupe par exemple actuellement d'une affaire où le procureur a mené plusieurs auditions et prévoit même d'entendre un expert, sans pour autant ouvrir, en l'état, l'accès au dossier.
plaidoyer: Souffrez-vous du formalisme de la nouvelle procédure au fond?
Thomas Barth: On est passé d'un extrême à l'autre. Auparavant, le procès-verbal était laissé au bon vouloir du greffier. Maintenant tout est protocolé. Il faudrait assouplir le processus.
Antonella Cereghetti: Certains juges dictent mot à mot au greffier les différentes interventions, d'autres résument correctement, d'autres moins. Le résultat, c'est une perte de temps importante, mais aussi une perte de dramaturgie. On casse la spontanéité en interrompant sans cesse un témoin ou un prévenu. On lui laisse le temps de se rattraper, voire de recomposer une autre version de ses propos.
Thomas Barth: Je ne regrette pas cette perte de dramaturgie, car, je le répète, la procédure prévoit que le dossier est désormais prêt en arrivant au tribunal, ce qui réduit la nécessité de procéder à de nouvelles auditions.
Antonella Cereghetti: Il ne faut pas oublier que le juge doit se forger une intime conviction sur la base des interrogatoires.
plaidoyer: Voyez-vous d'autres effets marquants de la nouvelle procédure?
Thomas Barth: On ne donne pas assez de moyens à la justice de faire son travail. A Genève, si les tribunaux fonctionnent correctement, tel n'est pas le cas du Ministère public. Il est d'un accès difficile, hors de la ville et travaille trop lentement. Il faut dire que ses effectifs ne suffisent pas pour faire face aux nouvelles tâches qui lui sont dévolues. Ces éléments jouent certainement un rôle dans la crise actuelle du Ministère public genevois. Il faut aussi donner les moyens nécessaires pour organiser une permanence de l'avocat de la première heure non limitée aux cas graves.
Antonella Cereghetti: Le législateur n'a en effet pas mesuré les conséquences financières de la nouvelle procédure pénale, la facture étant prise en charge par les cantons. Le manque de moyens augmente le sentiment d'injustice ressenti au sein de la population. Dans le canton de Vaud, pour l'instant, la lenteur est perceptible autant au stade de l'instruction qu'en première instance.
J'aimerais aussi relever un autre problème induit par le nouveau code: le procureur ne peut plus statuer sur les conclusions civiles sans l'accord du prévenu lorsqu'il rend une ordonnance pénale, de sorte que les lésés et les victimes sont contraints d'ouvrir une procédure civile pour obtenir une réparation financière. Cette restriction est contraire à la loi sur l'aide aux victimes d'infractions, qui a pour but de simplifier l'accès des victimes à une réparation.
Thomas Barth: Je partage cette préoccupation, mais il n'y a pas de changement marqué sur ce point à Genève, car, avant 2011, le procureur ou le juge d'instruction ne statuait généralement pas non plus sur les conclusions civiles en rendant une ordonnance de condamnation.
Antonella Cereghetti, 52 ans, avocate à Lausanne, également au bénéfice d'une formation de sociologue.
Thomas Barth, 36 ans, avocat à Genève et juge suppléant au Tribunal pénal de ce canton.
Une procédure pénale très «tatillonne»
La procédure pénale fédérale a atteint son objectif d'harmonisation et renforcé les droits du prévenu avec l'introduction de l'avocat de la première heure et du Tribunal des mesures de contrainte. Les avocats que nous avons questionnés saluent ces innovations. Mais, après un an d'expériences avec le nouveau droit, ils se plaignent aussi du formalisme induit par cette nouvelle procédure.
Guillaume Perrot, avocat à Lausanne, estime qu'il passe parfois près d'une journée en audience pour des affaires auparavant réglées en deux heures. Car le juge dicte le procès-verbal au greffier, pour respecter la forme écrite prévue par le CPP: «C'est appréciable de conserver une trace des dépositions, mais il faudrait trouver un moyen d'accélérer la prise de notes, par exemple avec des enregistrements dont l'usage serait strictement contrôlé. Et le résultat, c'est aussi que les témoins sont constamment interrompus et que les audiences perdent de leur spontanéité. Au final, cela nuit à la recherche de la vérité.»
A Fribourg, Nicolas Charrière, vice-bâtonnier de l'ordre des avocats, ressent surtout le formalisme à l'ouverture de la procédure, marquée par «un nombre impressionnant de formulaires et de procès-verbaux». Il reconnaît l'avantage, pour la sécurité du droit, d'une procédure bien cadrée, mais il trouve tout de même que celle-ci est devenue «très tatillonne. Or, à vouloir trop réglementer, on oublie des détails et, lorsque ceux-ci posent problème, on n'a pas de solution. Sous l'ancien droit, les normes étaient plus générales, laissant à la jurisprudence le soins de régler les problèmes pratiques.»
Catherine Chirazi, avocate à Genève, déplore la lenteur des autorités de poursuite, en raison du surcroît de travail induit par le CPP. Ainsi, «au lieu de statuer oralement sur la prolongation de la détention préventive, après avoir entendu le détenu, le juge procède désormais à de longs échanges par écrit avant de rendre sa décision. La justice devient très écrite et administrative. C'est dommage, car on juge des êtres humains, pas des dossiers.»
Egalement avocat à Genève, Jean-Cédric Michel regrette, de son côté le partage de l'instruction entre la police et le Ministère public dans les cas complexes. «Auparavant, le juge d'instruction menait toutes les auditions, ce qui lui donnait une meilleure vue d'ensemble. Les actuels procureurs pourraient éviter de déléguer autant de tâches à la police, sans qu'une révision du CPP soit nécessaire.»
Quant à l'avocat valaisan Sébastien Fanti, il dénonce la lourdeur de la procédure à tous les stades, «qui permet à ceux qui en ont les moyens de contester davantage les preuves, en invoquant parfois des arguments absurdes. Tout est devenu plus technique. Au final, c'est la justice qui se trouve affaiblie.»
Si le droit à l'avocat de la première heure est perçu par nos interlocuteurs comme un «plus», certains relèvent quelques problèmes d'application. A Genève, on déplore ainsi la limitation de ce droit aux cas graves (lire le débat ci-contre). Dans le canton de Vaud, c'est au contraire l'obligation de se déplacer pour des affaires mineures qui agace plus d'un praticien. «Il faudrait limiter ce droit aux cas de moyenne importance, pour des raisons de coût», relève Guillaume Perrot. A Fribourg, Nicolas Charrière constate que la permanence de l'avocat de la première heure est peu sollicitée: «Statistiquement, les interpellations par la police portent souvent sur des affaires anodines, ne nécessitant pas la présence d'un avocat. Je me demande si un contact préalable par téléphone permettrait de mieux mesurer la nécessité de la présence d'un avocat.» S. Pr