Il est entré au Tribunal fédéral à l’âge de 27 ans, mais il s’y plaît toujours. «Chaque dossier peut réserver une surprise et permet d’apprendre quelque chose», se réjouit ce fils de pasteur, âgé de 63 ans, venant de l’Emmental.
Ulrich Meyer nous reçoit dans son bureau de la division des assurances sociales du TF, à Lucerne. Mais, depuis le début de l’année, il se rend au minimum trois jours par semaine au siège principal de Lausanne. Pour le juge (PS), cette présence à Mon-Repos est indispensable depuis qu’il est président de la Haute Cour.
Dans ses jeunes années déjà, il aspirait à une carrière de juge. Mais, dans le canton de Berne, il a vainement postulé comme greffier auprès de plusieurs juridictions, en dépit de ses notes excellentes. «J’étais trop à gauche à leur goût», se souvient-il. Après ses études à l’Université de Berne, il a finalement été engagé comme juriste à l’Office fédéral de la justice.
En 1981, à l’âge de 27 ans, il progressait dans son plan de carrière en décrochant un poste de greffier au Tribunal fédéral des assurances. Et, cinq ans plus tard, il était promu à la fonction de juge, avant d’être nommé président de l’institution pour les années 1998 et 1999.
Pour les spécialistes en droit des assurances sociales, le nom d’Ulrich Meyer est un symbole et, pour beaucoup même, un synonyme de bête noire. Il faut dire que l’homme se montre souvent combatif. Dans un ouvrage publié à l’occasion du départ à la retraite du professeur de droit fribourgeois Erwin Murer, il a émis l’opinion qu’après un coup du lapin occasionné par un accident, «au vu de l’état actuel des sciences médicales», les problèmes de santé ne devraient durer qu’un an au maximum. Des troubles persistant plus longtemps seraient motivés par d’autres raisons. Résultat: les assurances-accidents pourraient suspendre leurs prestations après un an. Et de tels troubles ne devraient «pas justifier l’octroi de rente».
Aucun juge fédéral avant lui ne s’était exprimé aussi catégoriquement sur ce sujet. La branche des assurances a jubilé, les avocats des lésés se sont rebellés. Peu après, le Tribunal fédéral des assurances rendait un arrêt de principe dans un cas de coup du lapin reflétant la vision d’Ulrich Meyer.
Santé et social
La jurisprudence n’est jamais à l’arrêt, remarque le magistrat. Il évoque le changement de paradigme dans la médecine de la fin des années 1970: l’Organisation mondiale de la santé a défini la notion de santé comme un bien-être complet, tant sur les plans physique et psychique que social. Selon lui, la prise en compte de la dimension sociale est une source de confusion: en fin de compte, on ne fait plus la distinction entre l’incapacité de travail pour raison de santé couverte par une assurance, et l’état de sans-emploi non couvert.
Le président du TF rejette la critique des médecins et des avocats, selon laquelle il définirait lui-même les limites de la responsabilité et croirait être plus à même que les médecins de décider si quelqu’un est capable de travailler ou non. «L’aspect social ne relève pas exclusivement de la médecine», réplique-t-il. Et les juges fédéraux pourraient, devraient même, en débattre.
En tant que patron du TF, Ulrich Meyer tient à faire régner la paix dans l’institution. «Ce que je vise, c’est aller vers les gens et m’efforcer d’être un exemple pour eux.» La paix n’est pas vraiment en danger, assure-t-il, «mais il faut constamment y veiller». En tant que président, il n’a pourtant aucune autorité disciplinaire sur les 37 juges fédéraux.
Sous pression
Il est aussi de son devoir, estime-t-il, de faire régner les conditions-cadres permettant que la justice soit rendue de manière optimale. «Le Tribunal fédéral subit une énorme pression. Nous avons eu, l’an dernier, presque 8000 cas à traiter, et cela, en comparaison avec le passé, avec moins de juges et à peine plus de postes de rédacteurs.» C’est aussi la complexité des cas qui a augmenté. C’est pourquoi le TF se réjouit de la révision de la loi sur le Tribunal fédéral: «La balle est maintenant dans le camp du Département fédéral de la justice.»
La révision prévoit la suppression du recours constitutionnel subsidiaire. Restreindre les voies de droit, est-ce une solution? Ulrich Meyer fait un geste de dénégation. Le taux d’admission pour ces recours est de 2 à 4%, alors qu’il s’élève à 13% pour l’ensemble des recours au TF. Dans le projet de loi, le TF a introduit, sur demande de la ministre de la Justice, deux motifs d’entrée en matière, non exhaustifs: «les questions juridiques de principe» et celles portant sur un cas particulièrement important. «On a ainsi suffisamment tenu compte du taux d’admission des recours constitutionnels subsidiaires.»
Actuellement, le président Meyer est préoccupé par «la forte augmentation des affaires pénales». La Cour de droit pénal n’en enregistrait encore que 750 à 800 par an en 2010, avant l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale. «Aujourd’hui, il y en a deux fois plus. On dit pourtant qu’une Cour peut traiter jusqu’à 1200 cas. En matière pénale, ce seuil est dépassé depuis des années.»
Mémoires trop longs
Comment le juge évalue-t-il la qualité de l’activité des avocats devant le TF? Il exprime un souhait: que les questions juridiques centrales soient formulées aussi brièvement et clairement que possible. «Aujourd’hui, les mémoires sont très différents d’il y a trente ans. Ils sont toujours plus longs.» Certains comprennent même une table des matières, «ce qui ne me paraît par la bonne voie à suivre». L’art de l’avocat consiste, au contraire, «à présenter au juge sur un plateau le point litigieux et décisif».
Quand on l’interroge sur ses loisirs, le Bernois d’origine déclare «aimer la belle littérature». Il a particulièrement apprécié les œuvres de Thomas Mann. Mais il ne prévoit pas, pour autant, de prendre sa retraite dans deux ans, alors qu’il aura l’âge de le faire. «Je me sens toujours en forme. Je fais beaucoup de vélo et je joue volontiers au tennis, même si mon niveau n’est pas terrible: le service est mon point faible…»
A son élection à la plus haute fonction du TF, Ulrich Meyer a cessé son enseignement à l’Université de Zurich. Il ne veut plus, non plus, publier. Les avocats devraient s’en réjouir... car leur principale critique à son encontre est qu’il publie trop et cherche à se citer lui-même dans les jugements.