Introduction
La Suisse s’est engagée devant la communauté internationale à respecter les droits humains en ratifiant plusieurs conventions internationales, à l’exception notable de la Charte sociale européenne, de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles (CMW) ainsi que de plusieurs conventions majeures de l’Organisation internationale du travail.
Malgré ces engagements formels, les violations des droits fondamentaux imputables aux autorités suisses peinent à être constatées et réparées. Cela est dû à de nombreuses raisons. La plus importante est certainement l’absence de ressources des victimes leur permettant de saisir les juridictions internes, alors qu’elles cumulent souvent les facteurs de vulnérabilité et doivent faire face aux multiples entraves à l’accès à la justice. Parmi ces obstacles, on signalera une pratique particulièrement stricte en matière d’assistance juridique et la menace de condamnation et de renvoi des personnes sans statut légal décidant d’entreprendre des démarches auprès des autorités. À cela s’ajoute la formation insuffisante des avocat·e·s et des magistrat·e·s sur ces sujets pourtant essentiels. À titre d’exemple, la saisine d’une juridiction internationale ne fait pas partie des sujets enseignés à l’École d’avocature de Genève. À notre connaissance, jamais une telle question n’a été posée lors de l’examen cantonal pour obtenir le brevet d’avocat, alors qu’il n’est pas rare de devoir répondre à des questions relatives au droit international privé. La plupart des avocat·e·s semblent ainsi ne pas disposer de compétences suffisantes pour identifier une violation du droit supérieur, puis saisir une juridiction internationale en respectant les conditions de recevabilité. Enfin, il n’est pas rare que le Tribunal fédéral rechigne à examiner des violations de droits fondamentaux qui lui sont soumises, du fait d’une application particulièrement stricte des critères de recevabilité conduisant à un refus d’entrer en matière, ou en laissant ouverte la question relative à la violation du droit international, en se prononçant sur d’autres griefs permettant d’atteindre le même résultat.
Le présent article a pour but de rappeler qu’en matière de violations des droits humains, notre Haute Cour n’a pas le dernier mot. Face à un refus des autorités judiciaires suisses de constater et/ou réparer la violation d’un droit fondamental, les victimes et leurs conseils disposent de plusieurs options. Nous allons ainsi présenter les différentes instances internationales pouvant être saisies d’une requête ou d’une plainte individuelle, ainsi que rappeler les principales conditions de recevabilité.
Seront examinées successivement la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH, 2), en présentant la compétence matérielle de la Cour (2.1), les conditions de recevabilité (2.2) ainsi que la possibilité d’obtenir des mesures provisoires (2.3). Ensuite, nous aborderons les différents comités se fondant sur des conventions des Nations unies disposant de la compétence d’examiner des plaintes individuelles concernant la Suisse (3), soit le Comité contre la torture des Nations unies (Comité CAT, 3.1), le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Comité CEDEF, 3.2), le Comité pour les droits de l’enfant (Comité CDE, 3.3), le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (Comité CEDR, 3.4) ainsi que le Comité sur les disparitions forcées (Comité CED, 3.5). Les conditions de recevabilité des différents comités seront présentées conjointement, de même que la possibilité d’obtenir des mesures provisoires (3.6). À noter que la Suisse a refusé de se soumettre à la compétence du Comité des droits de l’homme des Nations unies, du Comité des droits économiques, sociaux et culturels ou du Comité pour les droits des personnes handicapées pour l’examen de plaintes individuelles.
2. Cour européenne des droits de l’homme
La Cour européenne des droits de l’homme (ci-après: Cour ou CourEDH) est l’organe le plus fréquemment saisi par les juristes exerçant en Suisse, avec entre 250 et 275 requêtes déposées par année. Cela s’explique en partie par son champ d’application matériel particulièrement large et général (2.1). Cette compétence large s’accompagne de conditions de recevabilité particulièrement strictes (2.2). Les données récentes relatives à l’ensemble des États membres indiquent que seule une requête sur quinze aboutit au prononcé d’un arrêt, soit un taux de recevabilité d’environ 7%.
2.1 Compétence de la Cour
La Suisse a ratifié la CEDH en 1974. La Cour est compétente pour examiner des violations intervenues dès cette date de tous les droits reconnus par la convention, couvrant l’essentiel des droits civils et politiques. Il s’agit du droit à la vie, de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants, de l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé, du droit à la liberté et à la sûreté, du droit à un procès équitable, de la garantie de la légalité, du droit au respect de la vie privée et familiale, de la liberté de pensée, de conscience et de religion, d’expression, de réunion et d’association, du droit au mariage, du droit à un recours effectif ainsi qu’à l’interdiction de la discrimination en lien avec un des droits précités.
La Suisse n’a ratifié qu’un nombre limité de protocoles additionnels, en refusant notamment de soumettre à l’examen de la Cour une violation de la garantie de la propriété ou de l’interdiction générale de la discrimination. Elle a également refusé la possibilité que la Cour puisse donner un avis consultatif sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application de la convention ou de ses protocoles.
L’instance peut être saisie par toute personne, physique ou morale, considérant avoir été victime de la violation de l’un des droits protégés. La violation doit pouvoir être imputée aux autorités suisses, soit relever de sa juridiction. Cela implique principalement une violation intervenue sur le territoire de l’État, mais il est également possible d’invoquer une violation pour des actes des autorités déployant leurs efforts en dehors du territoire national. Parmi les hypothèses concernant la Suisse, on mentionnera une potentielle responsabilité de l’État pour le refus d’exercer sa compétence diplomatique ou consulaire pour rapatrier des ressortissant·e·s, dont des enfants, détenu·e·s à l’étranger, ainsi que l’impact des émissions de polluantes produites par l’économie suisse sur les droits de personnes résident dans des pays tiers.
La Suisse est régulièrement condamnée par la CourEDH pour des raisons diverses, telles que la prescription des prétentions civiles pour les victimes de l’amiante, le renvoi vers l’Afghanistan d’un requérant d’asile converti au christianisme, l’absence de mesures de protection pour une personne détenue, particulièrement vulnérable, ayant abouti à son suicide en cellule d’isolement, l’injonction faite à une journaliste par l’autorité pénale de révéler ses sources en lien avec la publication d’un article sur un trafiquant de stupéfiants ou l’interdiction générale de manifester imposée aux syndicats genevois durant la pandémie du COVID-19.
2.2 Conditions de recevabilité
La saisine de la Cour exige d’avoir préalablement épuisé les voies de recours internes, à condition qu’elles existent, qu’elles soient accessibles et qu’elles permettent effectivement de réparer la violation. Les exigences procédurales internes doivent être respectées. Une décision d’irrecevabilité par une juridiction interne n’exclut toutefois pas la recevabilité d’une saisine successive de la Cour.
L’épuisement des voies de recours internes implique aussi d’avoir invoqué «au moins en substance» le grief de violation de droits fondamentaux dans la procédure interne. Un grief invoqué pour la première fois devant la CourEDH a de fortes chances d’être déclaré irrecevable, à l’exception des cas où le droit interne ne prévoit pas de voies de recours ou que la violation découle de la décision même du Tribunal fédéral. Tel semble être le cas des décisions de refus d’assistance juridique par le Tribunal fédéral dans un recours concernant une condamnation à une peine de prison, cette décision affectant le droit à une défense effective (art. 6 § 3 lit. c CEDH) et ne pouvant faire l’objet d’aucun recours (art. 13 CEDH).
La Cour doit être saisie dans un délai de quatre mois dès la notification d’une décision interne définitive. Il existe un doute s’agissant de la pratique du Tribunal fédéral de notifier dans un premier temps le dispositif d’un arrêt, en faisant suivre la motivation plusieurs semaines ou mois plus tard. Cette question ne paraît jamais avoir été soumise à la CourEDH, mais il est plus prudent de calculer le délai dès la date de notification du dispositif.
Les requêtes anonymes ou abusives vont être déclarées irrecevables. Il en va de même lorsque la violation ne cause pas un «préjudice important», ce qui reflète une volonté de la Cour d’éviter d’examiner les affaires jugées «mineures». Dans ce cadre, la Cour tient notamment compte de l’éventuel impact financier de la question en litige.
De plus, la demande ne doit pas avoir déjà été examinée par la CourEDH ou par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, en l’absence de faits nouveaux. Cela concerne principalement les instances et comités qui seront examinés ci-après.
Même en cas de satisfaction apparente des conditions de recevabilité, un nombre très important de requêtes sont déclarées irrecevables pour «défaut manifeste de fondement», ce qui veut dire que la CourEDH a procédé à un premier examen sommaire du fond, par un·e juge unique, excluant d’emblée toute chance de prononcer un arrêt favorable à la personne lésée et mettant ainsi un terme au processus.
Pour qu’une requête soit déclarée recevable, il est indispensable d’utiliser le formulaire officiel, disponible sur le site de la Cour. Le formulaire doit indiquer les faits et les griefs. Le document communiqué à la CourEDH doit inclure les signatures manuscrites de la personne victime – ou de la personne ayant le pouvoir de représenter la personne morale – ainsi que du ou de la représentant·e juridique sur le même document. Une signature photocopiée, reçue par télécopie, ou l’utilisation d’une procuration autre sont un motif fréquent d’irrecevabilité, à moins de pouvoir expliquer que la signature n’a pas pu être obtenue en raison de «difficultés pratiques insurmontables».
2.3 Mesures provisoires
La CourEDH a le pouvoir d’ordonner aux États de prendre des mesures provisoires en cas de risque imminent de dommage irréparable. Ces mesures ne s’appliquent qu’à des domaines limités, soit principalement aux risques de violations de l’interdiction de la torture ou du droit à la vie. À titre d’exemple, la CourEDH a récemment ordonné à la Suisse de suspendre le renvoi d’une personne homosexuelle vers l’Iran, suite au refus de sa demande d’asile, en l’attente d’un examen de sa requête.
Dans une affaire récente, concernant la Belgique, la Cour a ordonné provisoirement à l’État de fournir au requérant un hébergement et une assistance matérielle pour faire face à ses besoins élémentaires, étant précisé que cette mesure avait été ordonnée par un tribunal interne mais n’avait pas été exécutée par les autorités nationales. Dans les affaires sensibles, il n’est pas rare qu’un refus de la CourEDH d’ordonner des mesures provisoires soit suivi d’un communiqué de presse.
3. Comités se fondant sur des conventions des Nations unies
3.1 Comité contre la torture des Nations unies
Le Comité contre la torture des Nations unies (ci-après CAT, de l’anglais Committee Against Torture) est l’organe de surveillance du respect de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après: Convention contre la torture), entrée en vigueur pour la Suisse en 1987.
Ce dernier implique principalement une obligation matérielle de l’État de ne pas soumettre une personne à des actes de torture ou à des traitements inhumains et dégradants, à prendre les mesures pour prévenir de tels actes, à procéder à une enquête effective en cas d’allégations crédibles de tels actes, à octroyer une réparation à la victime, à ne pas extrader ou renvoyer une personne vers un État où elle risque de subir de tels actes, ainsi qu’à ne pas utiliser des moyens de preuves obtenus par la torture.
La Suisse a accepté la compétence du CAT pour recevoir et examiner des communications individuelles, aussi appelées «plaintes émanant de particuliers», par des personnes estimant être victimes d’une violation de la convention du fait des autorités suisses.
À quelques nuances près, la portée matérielle de la Convention contre la torture correspond à celle prévue par l’art. 3 CEDH, seul ou en conjonction avec d’autres dispositions de ce traité. Pour des actes relevant de la juridiction suisse, la victime pourra choisir de saisir la CourEDH ou le CAT. La Cour est généralement privilégiée, dans la mesure où ses arrêts sont contraignants pour les autorités nationales et permettent d’obtenir une indemnisation pour tort moral, bien que les conditions de recevabilité soient beaucoup plus strictes. De plus, présenté au même moment, le même grief peut avoir des chances de succès différentes en fonction de l’instance saisie, ce qui pourra être apprécié en analysant les tendances récentes de la jurisprudence sur le sujet proposé. La saisine du CAT s’impose lorsque le délai pour saisir la CourEDH est échu ou lorsqu’une requête a été déclarée irrecevable par la Cour, sans examen du fond de l’affaire.
3.2 Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
Le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ci-après: Comité CEDEF) est
l’organe de surveillance de l’application de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF).
La Suisse a ratifié cette convention en 1997, de même que le protocole prévoyant la possibilité de saisir cette instance d’une communication individuelle en 2008. Ce traité instaure principalement des obligations positives pour les autorités afin d’éliminer toute discrimination à l’égard des femmes.
Dans ses dernières observations concernant la Suisse, le Comité CEDEF a exprimé des préoccupations notamment s’agissant des problèmes d’accès des femmes à la justice, en particulier en raison des préjugés et stéréotypes discriminatoires sexistes présents dans le système judiciaire, ainsi que des défaillances dans l’appréciations de la crédibilité et du poids accordés aux témoignages des femmes. Il a également dénoncé l’absence de mesures contre la publicité et les préjugés sexistes dans la représentation des femmes dans les médias, ainsi que l’absence d’une disposition pénale interdisant expressément les discours de haine fondés sur le sexisme. Le Comité a également relevé les capacités insuffisantes des différent·es intervenant·es en contact avec les victimes de violences pour éviter une victimisation secondaire et leur offrir un soutien adéquat, ainsi que déploré l’absence d’une législation incriminant expréssement le harcèlement obsessionnel, en appelant également à une modification de la définition du viol dans le Code pénal, en la fondant sur l’absence de consentement. Des critiques ont également été formulées à l’égard des dispositions sur le séjour, impliquant le risque de perte du statut de résidente en cas de séparation avec un conjoint violent, ainsi que des limites à l’octroi d’un permis de séjour temporaire pour les victimes de traite d’êtres humains, notamment dans le domaine de la prostitution.
Le Comité CEDEF n’a pas encore rendu de décision concernant des violations par la Suisse. Cependant, au moins deux communications individuelles concernant cet État ont été présentées, concernant des femmes migrantes victimes de violences sexuelles menacées de renvoi vers la Grèce en application du Règlement Dublin, sans garantie de protection ni de suivi psychologique adéquat. Dans la mesure où la CEDEF est régulièrement citée par le Tribunal fédéral, il y a probablement de nombreux cas qui pourraient être amenés devant son comité, ce qui aurait certainement un impact favorable à la mise en œuvre des droits protégés en Suisse.
3.3 Comité pour les droits de l’enfant
Le Comité des droits de l’enfant (ci-après dénommé «Comité CDE») est l’organe responsable de la surveillance de l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant (ci-après CDE). La Suisse a ratifié la convention en 1997, ainsi que plusieurs protocoles, dont celui prévoyant la possibilité de saisir le Comité CDE de communications individuelles, en 2017.
La CDE assure plusieurs droits fondamentaux à toute personne âgée de moins de 18 ans. La portée de la CDE est limitée par quelques réserves formulées par la Suisse. Des restrictions ont notamment été apportées au droit au regroupement familial, à la séparation entre enfants et adultes en cas de privation de liberté, ainsi qu’à l’obligation de garantir une séparation entre l’autorité d’instruction et celle de jugement en procédure pénale.
Parmi les principales préoccupations relatives à son application en Suisse figurent l’absence de prise en compte de l’ «intérêt supérieur de l’enfant», de la prise en compte insuffisante de l’opinion de l’enfant, du droit à l’inscription à l’état civil et à l’acquisition d’une nationalité, du droit de connaître ses origines, de l’application des mesures contre le «terrorisme» aux enfants dès l’âge de 12 ans, de l’absence de mesures de protection de la vie privée des mineur·e·s dans l’environnement numérique, des violences subies par des mineur·e·s dans des centres d’accueil de demandeur·euse·s d’asile, de l’absence d’interdiction expresse des châtiments corporels, de l’absence d’interdiction des actes médicaux non nécessaires pour les enfants intersexes, des manquements dans les lois concernant l’adoption internationale, de l’absence de mesures suffisantes pour garantir une éducation inclusive dans les écoles ordinaires pour les enfants handicapé·e·s et des violations des droits des enfants sans titre de séjour.
Dans ce contexte également, le Comité CDE s’est prononcé à au moins quatre reprises à l’égard de la Suisse, toutes concernant des renvois d’enfants migrant·e·s. Dans tous les cas connus, la procédure a abouti soit à un réexamen de la décision par le Secrétariat d’État aux migrations, soit à une condamnation de la Suisse, avec un taux de succès radicalement différent de celui de la CourEDH.
3.4 Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
Le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Comité CEDR) est l’organe qui assure la surveillance de la convention homonyme, qui vise principalement à abroger ou annuler toute législation discriminatoire et à interdire la discrimination raciale dans leurs législations.
La Suisse a ratifié la CEDR en 1994, ainsi que ses trois Protocoles facultatifs, en émettant des réserves à l’interdiction de toute organisation fondée sur la discrimination raciale ainsi qu’à l’interdiction faite aux autorités de se livrer à des pratiques ou à des actes discriminatoires. Depuis 2017, elle reconnaît le mécanisme de plainte individuelle.
Dans son dernier rapport concernant la Suisse, le Comité CEDR a soulevé des préoccupations quant au caractère incomplet et imprécis de la définition de discrimination raciale, en particulier de l’absence d’interdiction dans le droit civil et administratif, de même que de l’absence de recours effectifs. Il a également relevé l’insuffisance des mesures pour prévenir et condamner les discours de haine raciale, notamment sur internet et les réseaux sociaux, ainsi que de la part de responsables politiques. Il a appelé à la mise en œuvre du droit à une enquête effective dans les cas de violences policières à caractère raciste, incluant notamment une réparation adéquate pour les victimes et les familles. Il a appelé à inclure dans la législation une interdiction explicite du profilage racial, incluant la mise en place de mesures permettant de connaître les raisons de tout contrôle ou de toute autre opération policière.
Malgré les multiples problèmes relevés, ainsi que les constats de la réalité d’un racisme structurel en Suisse, le Comité CEDR ne semble avoir été saisi qu’une fois et n’avoir jamais rendu de décisions concernant notre pays.
3.5 Comité des disparitions forcées
Le Comité des disparitions forcées (Comité CED) surveille le respect de la Convention internationale pour la protection des personnes contre les disparitions forcées (CED). Ce texte a été ratifié par la Suisse en 2016, avec acceptation de la procédure de communication individuelle.
Cela implique d’assurer que la disparition forcée constitue une infraction pénale, ainsi que de garantir l’obligation de prendre des mesures de prévention, telles que l’interdiction de la détention au secret, la limitation des compétences pour ordonner une privation de liberté ainsi que des lieux où une telle détention peut être ordonnée, l’obligation de tenir un registre des personnes détenues, le droit à un recours effectif contre une détention et le droit des proches à recevoir des informations.
Sous réserve des dispositions relatives aux conditions de détention, la portée de ce texte paraît limitée concernant la Suisse et en aucun cas celui-ci ne semble encore avoir été soumis jusqu’à présent au Comité CED.
3.6 Conditions de recevabilité et mesures provisoires
Toute communication adressée à l’un des comités précités (CAT, CEDEF, CDE, CEDR ou CED) doit être présentée par écrit, indiquer le nom de la personne requérante et être suffisamment motivée. Elle implique un épuisement préalable des voies de recours internes.
Pour ce qui concerne les délais, la saisine des Comités CAT, CEDEF, CEDR ou CED peut théoriquement intervenir en tout temps. Dans la pratique, une communication individuelle envoyée après plusieurs années, sans motif valable, pourrait être considérée comme abusive. Concernant le Comité CDE, le délai est de douze mois depuis l’épuisement des voies de recours internes, sauf si la personne démontre qu’il ne lui était pas possible de saisir l’instance plus tôt.
Ces comités prévoient la possibilité de demander des mesures provisoires avant la prise de décision sur le fond, afin d’éviter qu’une victime d’une violation des droits des conventions susmentionnées souffre d’un préjudice irréparable. La pratique semble démontrer que ces mesures sont prononcées plus largement par les comités que par la Cour, étant précisé qu’il s’agit alors de recommandations, n’ayant pas d’effet contraignant.
Conclusion
L’analyse des différentes instances internationales et de leur pratique concernant la Suisse met en lumière plusieurs éléments dont l’importance est souvent sous-estimée par les praticien·ne·s. D’abord, le nombre de questions juridiques relevant d’une violation d’un droit garanti par une convention internationale est extrêmement large, mais exige de pouvoir rapidement identifier le grief et suffisamment le développer dans une procédure interne. L’opportunité de saisir une instance internationale devra ainsi être identifiée dès le début d’une procédure et le grief soulevé devant les juridictions nationales, afin de garder toutes les portes ouvertes.
Ensuite, si la CourEDH paraît être régulièrement saisie à l’encontre de la Suisse, il existe de multiples autres organes dont l’existence semble être connue exclusivement par des juristes spécialisé·e·s dans le domaine de l’asile. Les conditions de recevabilité y sont pourtant moins strictes, ou à tout le moins appliquées de manière plus favorable aux victimes, et il semble bien plus aisé d’y obtenir la recommandation d’adopter des mesures provisoires. Sur le fond, le taux de succès y paraît significativement plus élevé que devant la
CourEDH. Certes, contrairement aux arrêts de la Cour, les décisions rendues par ces instances ne sont pas contraignantes, mais dans la pratique, elles ont presque toujours un impact concret et favorable sur la situation des victimes.
Le nombre de condamnations prononcées contre la Suisse témoigne également de l’importance de tenter de telles démarches, parfois chronophages et présentant des difficultés de financement, mais portant toujours sur des enjeux importants, avec des chances de succès qui ne sont pas négligeables. L’impact de ces affaires dépasse souvent le cas individuel et a un impact structurel. La reconnaissance des droits d’une victime a ainsi, indirectement, un effet sur le droit de nombreuses autres.
Enfin, il existe une marge très importante pour augmenter le nombre de saisines et de condamnations internationales, en particulier par les différents comités, aujourd’hui malheureusement sous-valorisés. Cela pourrait conduire à une amélioration de la situation des droits fondamentaux dans notre pays, dont les personnes les plus vulnérables seraient les principales bénéficiaires. ❙