Un espace de travail sobre, qui donne sur l'unique restaurant de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), Le Copernic, fermé en ce milieu d'après-midi. Après l'entrée où l'on doit d'abord passer par ses deux assistants, rien n'accroche l'œil dans le bureau d'Isabelle Romy, ni photos de famille en grand format, ni dessin d'enfant, ni affiche de couleur vive. Tout respire le travail et la concentration. C'est aussi par «la discrétion, pas par la timidité» qu'elle motive le fait de n'avoir accordé aucune interview depuis sa nomination au conseil d'administration d'UBS, en mai dernier. «Cette discrétion est liée à ma profession d'avocate. Et puis, j'ai refusé toute interview car je voulais d'abord assumer les responsabilités pour lesquelles j'avais été choisie avant de m'exprimer», explique-t-elle de la même voix douce avec laquelle elle plaidait, voici vingt ans, jeune avocate au Tribunal de district de Lausanne, où elle s'imposait déjà par sa compétence et son charme faussement fragile. Il suffit en effet d'amorcer un dialogue pour se rendre compte de la détermination de cette juriste formée aux Universités de Lausanne, de Fribourg et de Californie à Berkeley, qui contrôle autant son image que ses propos (ses premiers mois au conseil d'administration d'UBS ont été exclus du sujet de l'entretien).
Un esprit curieux
Nommée professeur à 30 ans, à la fois à l'Université de Fribourg (chaire de droit économique, procédure internationale) et à l'EPFL (droit de l'environnement et de la construction destiné aux futurs ingénieurs), Isabelle Romy est d'abord un esprit curieux, qui ne craint pas de défricher des domaines juridiques encore inconnus. Si elle est devenue en peu d'années l'une des spécialistes suisses du droit de l'environnement, c'est d'abord par fidélité à son amour de la nature, né alors qu'elle parcourait, enfant, les bois et la campagne des hauts de Lausanne («C'était beaucoup moins construit, alors») ou la montagne, en compagnie de ses parents. Trouver une carcasse rouillée de vélo dans la nature, «cela m'énervait déjà», dit celle qui se rend au travail avec les transports publics ou à bicyclette. Sa thèse de doctorat, soutenue en 1989 à l'Université de Lausanne, elle la consacre à un sujet d'actualité, peu après l'incendie de Schweizerhalle: «Les pollutions transfrontières des eaux: l'exemple du Rhin: moyens d'action des lésés1».
A l'époque, le droit de l'environnement n'est pas enseigné dans les universités romandes et la doctrine francophone est assez pauvre, mais «cela me motivait plutôt qu'il n'y ait que peu de chose et que le spécialiste en la matière, le professeur Heribert Rausch, soit un Alémanique». Les spécialisations de la jeune avocate sont déjà tout entières dans le choix de son travail de doctorat: le droit de l'environnement, mais aussi les procédures transnationales, le droit de l'entraide et le droit international privé. «Alors, c'était surtout par le droit pénal qu'on appréhendait les problèmes de pollution des sources dans la campagne vaudoise. Il y a eu ensuite une explosion de normes administratives depuis l'entrée en vigueur de la loi sur la protection de l'environnement et l'ordonnance sur l'assainissement des sites pollués (OSites); c'est devenu une question de droit administratif, encore en pleine évolution», poursuit l'avocate.
Succession de belles rencontres
Isabelle Romy est consciente de la chance que lui ont offerte une succession de belles rencontres: à Lausanne, tout d'abord, le professeur Pierre Mercier, qui enseignait le droit européen et fut un directeur de thèse «qui m'a encouragée et soutenue en dépit du domaine atypique qui m'intéressait». Le grand pénaliste vaudois Eric Stoudmann, ensuite, père d'une camarade de classe qui offre un stage dans son étude à cette «chic fille, dont la famille n'était pas issue du sérail juridique, se souvient-il. J'étais frappé par sa maturité; elle était du genre à lire les philosophes à 13 ans. Au boulot, elle était courageuse, coriace, mais avec un tempérament assez joyeux, ce qui est très agréable dans la vie d'une étude consacrée au droit judiciaire. Son mariage l'a amenée à travailler en Suisse alémanique, dans l'étude d'affaires renommée Niederer, Kraft Frey qui occupe tout un immeuble à Zurich, à la Bahnhofstrasse. C'était bien son caractère, ça: aller pratiquer le droit en allemand quand on est née à la périphérie de Lausanne, vous ne rencontrerez pas cela souvent», conclut l'avocat aujourd'hui retraité. Elle y passera dix-sept ans, avant de devenir partenaire du cabinet d'avocats suisse et international Froriep Renggli «pour éviter les débats sur de possibles conflits d'intérêts qui, à la suite de ma nomination à UBS, se posaient au sein de ma précédente étude, très active dans le domaine bancaire. C'était l'occasion un peu unique de voir autre chose», positive-t-elle, assurant avoir anticipé ces possibles difficultés.
Le professeur à l'Université de Fribourg Pierre Tercier, enfin, qui «avait publié un ouvrage sur l'indemnisation des préjudices causés par des catastrophes en droit suisse2 et m'a donné accès à l'université renommée de Berkeley, grâce à une bourse de chercheur avancé du Fonds national de la recherche scientifique (FNRS). J'ai terminé ma thèse d'habilitation3 au moment où était mis au concours un poste de professeur à l'EPFL nommé en commun par l'EPFL et par l'Université de Fribourg qui assumait déjà divers enseignements de droit à l'Ecole polytechnique. Cela dit, j'ai créé cet enseignement de droit de l'environnement à l'EPFL. Au départ, j'ai tout enseigné, qu'il s'agisse de droit foncier ou de droit pénal ou encore de droit des poursuites à Fribourg.» Un bagage qui fait d'elle une juriste particulièrement complète.
Parallèlement à ce parcours, Isabelle Romy a trouvé le temps d'être membre de la commission des sanctions de Six Swiss Exchange (commission de sanction de la Bourse suisse) dont elle est vice-présidente depuis 2008, et d'assumer, de 2003 à 2008, le poste de juge suppléante au Tribunal fédéral (Cour de cassation pénale, puis 1ère Cour civile), élevant en outre trois enfants, sans jamais connaître le moindre échec ou faux pas. Comment l'explique-t-elle? «Par beaucoup de travail. Il faut aussi savoir saisir les occasions qui se présentent: mon poste au TF a été un honneur qui ne s'offre pas tous les jours. Sur le plan privé, j'ai la chance d'avoir le soutien familial de mon mari (lui aussi avocat d'affaires, ndlr) et de l'aide à la maison, ainsi qu'un emploi du temps flexible, car j'ai toujours pratiqué le barreau à temps partiel du fait de mes enseignements.»
Les quotas ne suffisent pas
Sa nomination au conseil d'administration d'UBS, conjointement à celle d'une autre femme, Beatrice Weder di Mauro, doit sans doute beaucoup à ses compétences en matière de régulation économique (n'est-elle pas celle qui, au printemps 2009, est parvenue, au côté du Gouvernement suisse, à faire prévaloir le secret bancaire helvétique auprès du fisc américain, évitant à la dernière minute la livraison des noms de milliers de clients de la banque?). Là encore, Isabelle Romy fait preuve de modestie: «Cette situation a été réglée par un traité international et mon rôle s'est limité, à l'époque, à apporter mon expertise sur des questions de droit. Je pense qu'UBS et son conseil d'administration ont perçu qu'il y avait un véritable mouvement réclamant l'élection de femmes à des postes dirigeants. Certaines études prétendent que les femmes auraient une approche plus prudente face aux risques ou qu'elles amélioreraient la rentabilité des entreprises. En tout cas, à UBS, la moitié des employés sont des femmes, elles représentent aussi nombre d'actionnaires et de clientes. Je pense que cela répond à l'attente de la société en général dans un pays où seulement 8,3% des postes de membres de conseils d'administration sont occupés par des femmes. En ce qui concerne la question des quotas, cela fait 25 ans que je suis active dans le monde professionnel et que j'entends que les choses vont s'arranger d'elles-mêmes; or je constate que, malgré l'augmentation du nombre des étudiantes en droit (de 30% au début de mes études à plus de 50% aujourd'hui), cela ne suffit pas. Il y a un vrai problème à pouvoir concilier la vie professionnelle, la vie familiale et la carrière. Mais les quotas ne suffisent pas; il faut aussi d'autres mesures de soutien comme des structures scolaires adéquates pour les enfants et des bourses qui, à formation égale, privilégient les femmes.»
«Réparer les erreurs»
Pas une semaine ne se passe sans que l'actualité témoigne des erreurs commises par UBS au nom de l'appât du gain, erreurs et politique de risques excessifs qui ont nécessité que la Banque nationale suisse (BNS) et la Confédération viennent au secours de la banque. On a évoqué à l'époque le chiffre de 60 milliards. La nouvelle stratégie mise en place par la banque entraînera la suppression de 10 000 emplois dont 2500 en Suisse. «Ces 60 milliards correspondent au montant maximal des avoirs qui auraient pu être transférés à la BNS aux termes de l'accord signé à l'automne 2008, mais pas à la réalité de la prise en charge. Les avoirs effectivement transférés au Fonds de stabilisation de la BNS ont représenté, à leur maximum, 38,7 milliards de dollars; ces assets s'élevaient à 5,4 milliards de dollars à la fin du troisième trimestre 2012 et ce Fonds a réalisé, au profit de la BNS, un bénéfice de 1,1 milliard en 2011 et de 565 millions de dollars pour les trois premiers trimestres de 2012. Par ailleurs, la Confédération avait souscrit une participation de 6 milliards de francs de titres UBS convertibles qu'elle a vendus en août 2009 avec un bénéfice de 1,2 milliard de francs». Isabelle Romy n'a-t-elle pas hésité à mettre les pieds dans un tel guêpier? «C'est l'une des premières choses auxquelles on pense, en effet», déclare l'avocate, qui dit «avoir été elle-même très choquée par ces événements, à la fois comme contribuable et comme citoyenne. Mais de telles crises sont aussi l'occasion de réparer les erreurs, de jeter les bases d'un marché plus éthique et d'imposer des changements dans la régulation du marché bancaire. Il est vrai que les conséquences sont douloureuses, notamment pour les employés, mais si l'on veut rectifier la situation, cela fait partie d'un travail de redimensionnement inévitable, que d'autres établissements bancaires ont connu ou connaissent également. Je comprends toutefois que toute personne victime d'une restructuration puisse se sentir injustement touchée. Ces emplois ne disparaîtront cependant pas du jour au lendemain, tout un travail d'accompagnement étant mis en place par la banque pour les absorber via les fluctuations naturelles», conclut-elle, avant de reprendre le train vers son domicile de la colline aisée du Zürichberg. Savoir positiver, toujours.
1 Payot, 1990, 362 pages.
2 Rapport et communications à la Société suisse des juristes 1990, vol. 2, Helbing & Lichtenhahn, 1990.
3 Isabelle Romy, Litiges de masse (Des class actions aux solutions suisses dans les cas de pollutions et de toxiques), Fribourg 1997 (AISUF 161) ; Isabelle Romy, Mise en œuvre de la protection de l'environnement (Des citizen suits aux solutions suisses), Fribourg 1997 (AISUF 166).