Que sont devenues les personnes condamnées à l'internement en vertu des anciens art. 42 CP (concernant les délinquants d'habitude) et 43 CP (concernant les délinquants souffrant de troubles psychiques)? En vertu des dispositions transitoires particulières (art. 2, II CP), le juge devait examiner jusqu'au 31 décembre 2007 tous les cas d'internement en cours prononcés en vertu de ces anciennes dispositions pour savoir si les conditions d'une mesure thérapeutique sont remplies, auquel cas le juge devait l'ordonner. Dans le cas contraire, l'internement est exécuté selon les règles du nouveau droit et la peine privative de liberté le précède (art. 64 II CP). «Nous avons été rassurés de constater que presque tous les internés sous l'ancien droit avaient bel et bien fait l'objet d'un réexamen judicaire», relève Walter Troxler, chef de l'Unité exécution des peines et mesures à l'Office fédéral de la justice. Seul le canton de Zurich, où dix personnes ne sont pas encore au bénéfice d'un jugement exécutoire, accuse un certain retard.
«Nous avons été surpris par le nombre véritablement important de jugements d'internement de l'ancien droit commués en mesures thérapeutiques institutionnelles», poursuit Walter Troxler. En effet, au 30 juin 2011, 107 personnes condamnées sous l'art. a43 CP sont désormais soumises à des mesures thérapeutiques de l'art. 59 CP ainsi que quatre personnes condamnées sous l'ancien art. 42 CP. C'est presque autant que le nombre de détenus toujours internés au sens du nouveau droit, soit de l'art. 64 CP (126 en tout). Cela représente aussi plus du tiers des quelque 282 personnes internées au 31 décembre 2006. «Cela signifie qu'un grand nombre de détenus incarcérés souffrent de troubles mentaux. Les cas lourds sont en assez grand nombre, et le besoin en soutien thérapeutique doit être développé», ajoute Walter Troxler.
«Mesure de protection sociale»
S'agissant de l'exécution des mesures, le Conseil fédéral et le Parlement jugeaient que la nouvelle loi constituait une amélioration pour les condamnés, du fait de l'introduction de la limitation temporelle, de l'imputation obligatoire de la durée de la mesure sur la peine privative de liberté et du passage facilité d'une sanction à l'autre. «Dans les faits, le but des mesures thérapeutiques institutionnelles (le «petit internement» de l'art. 59 CP) n'est pas vraiment de soigner l'individu, contrairement à ce qu'indique la note marginale («Traitement des troubles mentaux»)», indique le professeur de droit pénal à l'Université de Lausanne, André Kuhn. «Son but est d'assurer une mesure de protection sociale qui ressemble à celle de l'internement. En prévoyant que ce traitement peut aussi être effectué dans un établissement pénitentiaire (art. 59 III CP), ce qui constitue une contradiction aussi bien avec l'art. 59 II CP qu'avec l'art. 58 II CP exigeant des lieux d'exécution séparés, on a obtenu, dans les faits, que les personnes souffrant de troubles mentaux ne seront que très rarement soignées adéquatement, et ne pourront donc être libérées», explique-t-il. En effet, la mesure de l'art. 59 CP est en principe limitée à cinq ans, mais peut être reconduite aussi longtemps que son maintien est jugé nécessaire.
Certes, toutes les personnes condamnées à des mesures thérapeutiques de l'art. 59 CP en Suisse - on estime que, en 2009, il y avait en Suisse quelque 730 personnes condamnées à des mesures thérapeutiques institutionnelles des art. 59 à 61 CP, dont 125 pour la Suisse romande - ne les exécutent pas dans les établissements pénitentiaires. En Suisse romande, 41 établissements, tels que des hôpitaux, EMS, foyers, résidences ou cliniques, comptent parmi leurs patients des internés, soit 21 pour l'art. 59 CP, 19 pour l'art. 60 CP et un pour l'art. 64 CP.
Données manquantes
«Nous n'avons pas une parfaite supervision des lieux où se déroulent ces mesures, tout comme nous ignorons depuis combien de temps elles s'effectuent. Longtemps, chaque concordat pénitentiaire a œuvré de son côté et il n'existait pas de planification au niveau suisse: aujourd'hui, ils ont la volonté de travailler plus étroitement», analyse Walter Troxler.
En effet, si les personnes condamnées à une mesure thérapeutique institutionnelle restent en moyenne deux ans et demi soumises à ce régime, dans les établissements pénitentiaires les plus sécurisés, il n'est pas rare que certains détenus y soient internés depuis plus de dix ans. A Pöschwies (ZH), par exemple, qui compte actuellement 31 détenus condamnés à un internement de l'art. 64 CP et 38 détenus condamnés à une mesure de l'art. 59 III CP, 15 d'entre eux y sont depuis plus de dix ans, sept entre cinq et dix ans et neuf seulement depuis moins de cinq ans. Aux Etablissements de la Plaine de l'Orbe, où 19 détenus exécutent une mesure au sens de l'art. 64 CP et 50 au sens de l'art. 59 III CP, 12 d'entre eux le font depuis cinq à dix ans, un depuis plus de dix ans et six depuis moins de cinq ans. La situation est inverse à Lenzburg (AG): parmi 17 détenus internés sous l'art. 64 CP et 13 sous l'art. 59 III CP, 22 détenus y étant depuis moins de cinq ans, six de cinq à dix ans et seuls deux depuis plus de dix ans. Les femmes internées à Hindelbank (BE) (deux internées sous l'art. 64 CP et 13 sous 59 CP) ne sont que 2 à être là depuis cinq à dix ans, une depuis plus de dix ans et deux depuis moins de cinq ans. Enfin l'établissement pénitentiaire de Thorberg (BE) accueille 31 internés à une mesure de l'art. 59 CP et 16 à un internement de l'art. 64 CP, mais ne peut fournir de chiffres sur la durée de leur incarcération.
Nouveau projet à Fribourg
Le problème est que les places adéquates pour faire exécuter ces mesures manquent notoirement en Suisse romande. Henri Nuoffer, secrétaire général de la Conférence latine des Départements de justice et police, évalue les besoins à 70 places pour des mesures thérapeutiques institutionnelles (art. 59 CP) et à 45 internements (art. 64 I et Ibis CP) à faire exécuter chaque année en Suisse romande: «C'est inférieur aux quelque 250 places évoquées dans la presse l'an dernier. En fait, l'évaluation de ces besoins par notre conférence n'a pas sensiblement changé depuis 2007. Actuellement, 150 personnes exécutent ces mesures aussi dans des établissements ouverts, tels Bellechasse, Le Vallon, Crêtelongue ou la colonie des EPO, et non seulement au pénitencier de Bochuz. En effet, à l'exception de l'internement à vie de l'art. 64 Ibis CP, le principe d'un régime de type progressif reste applicable, conformément au droit fédéral (CP) mais, cela va de soi, à certaines conditions.» L'ouverture par étapes de Curabilis à Genève dès la fin de 2013 (92 places) et un projet d'environ 55 places en régime plus ouvert, sur le site de Bellechasse (FR), devraient y remédier. Ce dernier établissement serait uniquement destiné aux mesures thérapeutiques des art. 59, 60 (traitement des addictions) et 63 CP (traitement ambulatoire). Présenté le 22 mars par les autorités fribourgeoises, il pourrait être prêt dans cinq ans.
Nouvelles sections pour les thérapies
Dans une étude parue dans son bulletin d'information 2/2010, l'Office fédéral de la justice avait passé en revue la situation dans les établissements pénitentiaires fermés prenant en charge des détenus au sens de l'art. 59 III CP. En Suisse romande, les Etablissements de la plaine de l'Orbe avaient alors signalé accueillir trop de personnes internées, les espaces et l'infrastructure n'étant notamment pas adaptés pour les cas difficiles. En Suisse alémanique, les établissements de Hindelbank (BE), Lenzburg (AG) et Thorberg (BE) prévoyaient tous la création prochaine de nouvelles sections destinées aux thérapies.
De son côté, le conseiller aux Etats Luc Recordon a déposé un postulat demandant au Conseil fédéral de fournir un rapport sur l'application de l'art. 64 CP (internement ordinaire de durée indéterminée ou à vie). Ce rapport, qui devrait donner des renseignements attendus sur le nombre des personnes condamnées à l'internement ordinaire et leur répartition dans les différents pénitenciers, la durée moyenne de ces internements, les thérapies et les libérations conditionnelles auxquelles ces détenus ont accès notamment, est attendu pour la fin de l'année.