Sur son propre site internet, un article de presse la décrit comme une politicienne combative, franche et parfois agaçante. On s'était préparé à la bataille, avec des questions bien affûtées, notamment sur sa double casquette de politicienne et d'enseignante. Mais on a pu déposer les armes dès le début. Certes, avec son extinction de voix due au froid polaire de février, elle n'allait pas pouvoir hausser le ton. Mais, surtout, elle a désamorcé tout de suite le conflit, car elle ne cesse elle-même de réfléchir à la manière de concilier ses deux carrières. Pour la politicienne, c'est clairement un atout de maîtriser des dossiers tels que les migrations ou le droit européen, ses deux domaines d'enseignement. Cela lui permet de gagner du temps à la Commission des institutions politiques, où elle est arrivée en experte, alors qu'elle vient d'être élue comme conseillère nationale socialiste. En revanche, lorsqu'elle enseigne à l'Université de Neuchâtel, Cesla Amarelle veille à tenir la politique à distance, car elle a horreur «qu'on utilise son titre de professeure pour faire passer des messages politiques». Elle admet néanmoins que le droit des migrations «est une branche exposée aux rapports de force politiques. Mais je m'attache à présenter les différentes hypothèses de travail aux étudiants. Et puis, j'enseigne aussi des aspects plus institutionnels, c'est agréable, car c'est moins polarisé.»
Pour Cesla Amarelle, la politique est un héritage familial. Ses parents étaient militants socialistes en Uruguay dans les années 1970, avant de venir travailler à Genève, pour échapper à la dictature. La jeune Cesla est d'abord active dans les associations d'étudiants, puis elle s'engage en faveur des requérants d'asile. En 2004, elle prend la tête de la coordination vaudoise de l'asile contre le renvoi de 523 Kosovars et devient vice-présidente du Parti socialiste vaudois. Deux ans plus tard, elle entre au Conseil communal (législatif) de Lausanne. «La bataille pour les 523 mêlait une question de droits à faire valoir individuellement et un rapport de force collectif. Pour obtenir des résultats, il était nécessaire d'agir sur plusieurs leviers: d'une part, avec la coordination pour l'asile, qui vise à améliorer le quotidien des requérants et à gérer les procédures de recours en vue de l'obtention de permis et, d'autre part, avec la politique et les possibilités d'intervenir sur les plans législatif et exécutif pour faire en sorte de bloquer les renvois.»
Parallèlement, à la Faculté de droit de l'Université de Lausanne, la juriste s'oriente vers le droit européen, travaillant à différents travaux de recherche avec le professeur Roland Bieber. «Avec la perspective d'adhérer à l'Europe, il y avait là aussi un arrière-fond politique qui m'attirait. Et puis, nous avions le souci de rendre le droit européen accessible aux citoyens suisses, tant il était difficile d'avoir une vision d'ensemble dans ce domaine.» Et, pour sa thèse de doctorat et son LLM, la jeune femme adjoint la composante «migration» au droit européen, avec des recherches sur l'harmonisation du droit d'asile et d'immigration en Europe et les perspectives en droit suisse.
Tensions outre-Sarine
Dans le cadre politique - et à la tête du Parti socialiste vaudois depuis 2008 - Cesla Amarelle a évidemment diversifié ses centres d'activité. Au Grand Conseil vaudois, au fil des ans, elle s'est par exemple engagée pour une limitation des avantages fiscaux aux entreprises, des rabais d'impôts en faveur des familles et pour l'amélioration du système pénitentiaire vaudois. Elle a continué par ailleurs à agir sur le plan associatif, en rejoignant la Fédération romande des consommateurs, dont elle a été la vice-présidente de 2005 à 2008. Mais, dès son arrivée sur la scène fédérale, ses premiers objectifs concernent de nouveau les droits des migrants. En tant que spécialiste, membre de la Commission des institutions politiques, elle veut contribuer à légaliser l'apprentissage des jeunes sans-papiers, avec la concrétisation de la motion de Luc Barthassat: cela devrait prendre la forme d'une modification de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative (OASA). Elle entend aussi proposer d'améliorer le sort des permis F (permis provisoires), qui représentent une véritable «bombe sociale, car on ne travaille pas suffisamment à leur intégration. On doit tout mettre en œuvre pour faire passer ces personnes de l'aide sociale au travail, leur permettre une mobilité professionnelle et faciliter leur regroupement. Mais je me rends compte que les rapports de force sur les questions migratoires sont nettement plus tendus en Suisse alémanique qu'en Suisse romande.»
Ces tensions se retrouvent dans la réforme de la loi sur les étrangers, qui propose de rendre obligatoires les conventions d'intégration. «En tant que politicienne, mais aussi comme professeure, je ne pense pas que cette solution soit la bonne, car la nature juridique de ces conventions est mal définie, de même que leurs effets et les sanctions envisagées. Tout ceci risque d'augmenter l'arbitraire et l'insécurité juridique. En matière d'intégration, la Confédération ferait mieux de se concentrer davantage sur la protection contre les discriminations et inciter les cantons à combler leurs déficits. C'est par une harmonisation des pratiques administratives que les disparités entre cantons doivent se réduire et pas forcément par un transfert de compétence vers la Confédération.» Aux contrats d'intégration, Cesla Amarelle préfère des chartes et des parrainages assurés par des Suisses sur une base volontaire. «Il est temps de développer une vision concrète et fine de la politique migratoire, de rationaliser le débat, de dépasser l'idéologie centralisatrice, pour décrisper la situation.»
Un doute subsiste
A 38 ans, Cesla Amarelle semble mener de front ses deux carrières et sa vie familiale (elle a deux jeunes enfants) avec beaucoup d'aisance.
A peine ose-t-on lui demander si elle concilie facilement tout cela, tant on craint que la question soit aujourd'hui dépassée. Mais c'est là que le regard de notre interlocutrice, par ailleurs si sûre d'elle, se met à vaciller quelque peu. Oui, la question est toujours d'actualité, car nous sommes dans une société historiquement créée par et pour les hommes, affirme-t-elle. Elle a certes réduit son temps d'enseignement de 100% à 60% et organisé la garde de ses enfants, «mais les doutes subsistent. C'est un questionnement quotidien de savoir si je vais fixer un rendez-vous politique ou professionnel en fin de journée, ou plutôt faire une activité avec mes filles, qui sont si contentes de me voir arriver...» Et même si les mentalités évoluent, «c'est lentement, car le modèle de la femme au foyer rejaillit à tout moment, comme une chape de plomb», à côté de celui de la femme active et indépendante. De plus, les attentes de la société vis-à-vis des mères sont plus importantes qu'à l'égard des pères. «Ce qui a vraiment changé, heureusement, c'est que les femmes savent de mieux en mieux faire cohabiter leur vie professionnelle et familiale et qu'elles font mûrir cet équilibre pour les générations à venir.» Ce jour-là, on a laissé une Cesla Amarelle décidée, après sa journée de travail, à aller «croiser le fer» avec Pascal Broulis sur la question des exonérations fiscales en faveur des entreprises. Car, là, il y a urgence et la présidente du PS vaudois ne peut pas se dérober.