La présente contribution vise à mettre en lumière et à décrire quelles sont, au niveau procédural, les conséquences du système actuel en matière d’assurances d’indemnités journalières pour cause de maladie (AIJ). A titre liminaire, il est précisé qu’il ne sera question que du régime des AIJ basées sur la loi fédérale sur le contrat d’assurance (LCA), et non de celles prévues par la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal)1. Les réflexions qui suivent font écho à la situation concrète de Henry (prénom d’emprunt), né en 1953. En septembre 2013, alors âgé de 60 ans et ayant travaillé en qualité de soudeur de voies ferrées durant plus de 30 ans, il est tombé malade et s’est retrouvé en arrêt de travail à 100%, percevant, de ce fait, des prestations de l’AIJ. Le contrat prévoyait une couverture perte de gain à hauteur de 90% de son salaire pendant une durée maximale de 720 jours, tenant compte d’un délai de carence de deux jours.
En juin 2014, l’assurance a décidé de mettre fin à ses prestations à compter du 1er octobre 2014, compte tenu d’un rapport médical établi par le médecin-conseil de ladite assurance. Il ressortait de ce rapport que Henry n’était plus apte à exercer à 100% dans son métier de base, mais qu’il lui était toutefois possible d’exercer à 100% dans un métier moins pénible. A cette fin, l’assurance a proposé quatre activités théoriquement exerçables par Henry et donc exigibles à plein temps du point de vue de l’assurance.
Au début de juillet 2014, Henry, a contesté la décision auprès de l’assurance, invoquant la violation de l’art. 61 LCA. A la mi-septembre 2014, Henry, qui était resté sans nouvelles de l’assureur malgré ses nombreuses relances, s’est vu contraint de demander à son employeur de le licencier pour pouvoir au moins s’inscrire au chômage.
A l’instar du travailleur ou du locataire, l’assuré est la «partie faible» du contrat d’assurance. Or, contrairement aux premiers, l’assuré ne bénéficie d’aucune protection. D’une part, l’assuré ne peut pas négocier le contenu du contrat LCA, parce que, d’un côté, le preneur d’assurance est son employeur et, de l’autre, parce que les conditions générales d’assurance (CGA) préétablies auxquelles lesdits contrats sont soumis empêchent un tel processus. D’autre part, en matière d’assurance privée en général, l’assuré ne bénéficie d’aucune des garanties et protections prévues par la loi fédérale sur la partie générale des assurances sociales (LPGA).
Si le Tribunal fédéral semble sensible à ce déséquilibre2, il n’existe actuellement aucun moyen satisfaisant de faire appliquer sa jurisprudence et de protéger efficacement l’assuré.
Après une brève présentation de ce qu’est l’AIJ 1, la présente contribution s’attachera à faire un panorama de la situation juridique actuelle 2 et se terminera sur quelques idées et propositions en vue d’une amélioration du système 3.
1. Présentation de l’AIJ
Le rôle de l’AIJ est d’assurer l’employeur et les employés contre les conséquences financières d’une incapacité de gain pour cause de maladie.
La LCA ne comporte pas de disposition particulière à l’AIJ, de sorte que, en principe, le droit aux prestations se détermine exclusivement d’après la convention des parties, ce conformément au principe de la liberté contractuelle (ATF 133 III 185, c. 2). Dans le cadre des assurances privées, en plus de la police elle-même, ce sont les CGA qui sont déterminantes.
La plupart des assurances prévoient des couvertures de 720 ou de 730 jours dans une période de 900 jours consécutifs. L’importance de la couverture assurée et le délai d’attente sont laissés au choix de l’employeur. La couverture peut s’étendre de 80% à 100% du salaire et le délai d’attente peut être compris entre 0 et 360 jours. Le montant de la prime est déterminé en conséquence et varie selon le nombre de cas pris en charge par l’AIJ.
Lorsque l’assuré est en incapacité de travail, et donc au bénéfice d’indemnités journalières, l’une de ses obligations principales est celle de diminuer son dommage. Cette obligation est prévue par l’art. 61 LCA, qui établit que, «lors du sinistre, l’ayant droit est obligé de faire tout ce qui est possible pour restreindre le dommage. (…)». Selon notre Haute Cour, cette obligation est applicable à l’AIJ journalières et elle peut impliquer, dans ce domaine en particulier, le devoir de l’assuré de changer d’activité professionnelle, si cela peut être raisonnablement exigé de lui et permet de réduire son incapacité de travail. Si l’assurance souhaite réduire ses indemnités conformément à l’art. 61 al. 2 LCA, elle doit préalablement inviter son assuré à changer d’activité et lui impartir, pour ce faire, un délai d’adaptation approprié; en règle générale, un délai de trois à cinq mois est considéré comme adéquat (ATF 133 III 527, c. 3.2.1 et les arrêts cités).
Sans entrer dans les détails, l’obligation de réduire le dommage comporte des limites. Notamment, l’art. 61 LCA ne permet pas à l’assureur de réduire ses prestations dans la perspective d’un changement d’activité purement théorique, qui n’est pratiquement pas réalisable. Selon le Tribunal fédéral, le juge doit, au contraire, procéder à une analyse concrète de la situation. Partant, il doit se demander, en fonction de l’âge de l’assuré et de l’état du marché du travail, quelles sont ses chances réelles de trouver un emploi tenant compte de ses limitations fonctionnelles. Il doit également examiner, en fonction de la formation, de l’expérience et de l’âge de l’assuré, si un tel changement d’activité peut réellement être exigé de lui (arrêt du Tribunal fédéral du 14 novembre 2012, 4A_304/2012, c. 2.4). En outre, il est exclu de réduire l’indemnité s’il n’est en réalité pas possible de limiter le préjudice par un changement d’activité professionnelle. Il faut donc qu’il soit démontré que cette nouvelle activité permettrait effectivement à l’assuré de réaliser un revenu supérieur à celui qu’il peut encore obtenir en conservant son emploi (arrêt du Tribunal fédéral du 31 janvier 2013, 4A_529/2012, c. 2.4; arrêt TF du 7 mai 2002, 5C.74/2002, c. 3c).
Aussi, c’est à l’assurance qu’il incombe de prouver que l’assuré n’a pas pris les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger de lui pour diminuer son dommage, conformément à l’art. 61 al. 2 LCA (arrêt du Tribunal fédéral du 14 novembre 2012, 4A_304/2012, c. 2.2 et réf. cit.). L’assurance peut notamment apporter cette preuve par le biais d’une expertise.
2. Situation actuelle
L’application de l’art. 61 LCA relève du pouvoir d’appréciation de l’assurance. Ainsi, lorsque l’AIJ décide de mettre fin aux prestations, notamment en exigeant de l’assuré qu’il exerce une nouvelle activité sans tenir compte des facteurs exposés ci-dessus, celui-ci doit pouvoir contester efficacement ce choix3.
Pour des raisons financières bien évidentes, l’assuré devrait pouvoir faire valoir ses droits avant l’échéance du versement des prestations, soit dans un délai de trois à cinq mois. Or, actuellement, il est impossible pour l’assuré d’obtenir quoi que ce soit dans ces délais.
En l’état, l’assuré peut soit essayer de négocier son cas directement avec l’AIJ, soit engager une procédure judiciaire.
La première possibilité n’est pas optimale. D’une part, car il est utopique de penser que l’assurance reverra sa «décision» à la hausse, en faveur de l’assuré. D’autre part, parce que, selon les informations recueillies auprès des assurances, un délai oscillant entre trois et six mois est nécessaire pour répondre aux réclamations, ce qui est beaucoup trop long par rapport à l’échéance du versement des prestations.
Face au silence de l’assurance, aux prestations arrivant à leur terme et à la pression des factures s’accumulant, l’assuré n’a d’autre choix que de trouver une source alternative de revenu, sans avoir pu, le cas échant, faire appliquer la jurisprudence du Tribunal fédéral. Concrètement, il doit donc sortir de l’AIJ et entrer dans le système de la sécurité sociale publique (assurance-chômage (AC), assurance-invalidité (AI), aide sociale). Or, ces solutions subsidiaires sont inadaptées.
Concernant l’AC se pose la question de l’aptitude au placement de l’assuré, condition sine qua non pour obtenir des prestations (art. 15 de la Loi fédérale sur l’assurance-chômage, LACI). De plus, l’AC est clairement moins avantageuse que l’AIJ, notamment à cause des délais- cadres, des incombances, du régime de sanctions qui les accompagne et de la couverture assurée.
Concernant l’AI, d’une part, ses prestations ne peuvent être considérées comme une source de revenu telle qu’un salaire. L’assuré ne diminue donc pas son dommage en percevant des prestations versées par l’AI (notamment arrêt du Tribunal fédéral du 16 juillet 2007, 4A_168/2007, c. 3.2.1). D’autre part, le processus AI est long et lourd (délai de carence, expertises, etc.).
Concernant l’aide sociale, celle-ci se limite à couvrir le minimum vital de l’assuré.
Quant à la procédure judiciaire, en vertu de l’art. 85 al. 1 de la Loi fédérale sur la surveillance des entreprises d’assurance (LSA), les litiges en matière d’assurance complémentaire à l’assurance-maladie de base LCA sont soumis à la juridiction civile ordinaire ratione valoris4. Compte tenu de la complexité de la procédure, l’assistance d’un avocat est recommandée.
S’il n’est pas perçu de frais judiciaire (art. 113 al. 2 lit. f et 114 lit. e du Code de procédure civile, CPC)5, lorsque l’assuré succombe, il risque néanmoins d’être exposé au paiement de dépens en faveur de l’assurance, sous réserve de l’art. 107 CPC. En outre, la procédure est longue et il est presque impossible d’obtenir une décision avant que l’assurance ne mette fin au versement des prestations. L’assuré peut toutefois requérir des mesures provisionnelles et superprovisionnelles aux conditions des art. 261 ss CPC. Il prend cependant le risque de devoir rembourser les prestations reçues en cas d’échec de la demande au fond.
Quant au fardeau de la preuve, quand bien même celui-ci incombe à l’assureur, il n’en demeure pas moins que si l’assuré n’est pas d’accord avec la décision de l’assurance, il lui appartiendra de prouver devant le juge que celle-ci a violé ses obligations (art. 8 CC), à tout le moins sous l’angle de la vraisemblance prépondérante (ATF 130 III 321, c. 3.2/3.3)6.
A ce titre, il sied de préciser que cette preuve est difficile à apporter, car la jurisprudence tient le médecin traitant pour généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l’unit à ce dernier (ATF 125 V 351, c. 3b/cc).
En tout état de cause, et même si l’assuré pouvait prétendre à l’octroi de l’assistance judiciaire, la procédure est longue et coûteuse et elle ne lui permet pas d’obtenir une décision rapidement. Ainsi, concrètement, quand bien même l’assuré aurait des chances concrètes d’obtenir gain de cause contre l’AIJ, il renonce à agir.
Concernant l’ombudsman des assurances privées, son intervention ne permet d’offrir aucune solution satisfaisante à la problématique exposée.
Compte tenu de ce qui précède, on observe, d’une part, que le système actuel est défaillant d’un point de vue procédural. Si la jurisprudence du Tribunal fédéral semble aller dans le sens de la partie faible qu’est l’assuré, ce dernier n’a aucun moyen de la faire appliquer concrètement, notamment en raison des contraintes et des pressions financières auxquelles il est quotidiennement soumis.
D’autre part, ce système permet «à l’assureur de ne pas verser les prestations pour lesquelles il a pourtant encaissé des primes»7, en faisant supporter le cas de l’assuré par le régime de sécurité sociale publique.
3. Propositions
Ainsi, il ressort de ces observations que, en l’état, l’assuré est maintenu dans sa situation de partie faible face à l’assurance, sans jouir d’un quelconque soutien.
L’assuré devrait bénéficier de protections procédurales face à des assurances trop puissantes, afin, au moins, d’être en mesure de faire valoir ses droits s’il estime qu’ils n’ont pas été respectés.
Pour pallier cette carence, plusieurs propositions ont été faites. Notamment, de rendre obligatoire l’AIJ et de la soumettre à la LAMal, et donc à la LPGA. L’assuré aurait ainsi accès à des facilités procédurales significatives.
On pourrait également s’inspirer de la Loi vaudoise sur l’aide aux études et à la formation professionnelle (LAEF; RSV 416.11). En vertu de l’art. 39 al. 7 LAEF, l’autorité dispose d’un délai de 30 jours pour répondre aux contestations. Impartir un délai à l’AIJ la forcerait à répondre à l’assuré brièvement et à se déterminer sur ses griefs.
Finalement, on pourrait imaginer que les assureurs sociaux, tels que l’AC ou l’AI, ou même l’aide sociale, puissent se faire céder les créances des assurés et agir directement et en leur nom contre l’AIJ, tel que c’est le cas en matière de recouvrement des pensions alimentaires.
Si certaines de ces propositions ont d’ores et déjà été faites, le Conseil fédéral estime que, bien que la situation actuelle ne soit pas idéale, elle est satisfaisante, dès lors que la majorité des salariés sont couverts8. Certains auteurs partagent cet avis, précisant que «les contestations en matière d’assurances privées (…) restent peu nombreuses», en raison notamment de la concurrence entre les compagnies qui impose un «standard de service minimum»9. Ceci ne répond cependant pas aux problèmes concrets de procédure auxquels les assurés sont confrontés.
Il faudrait dès lors parvenir à des solutions applicables hors de tout cadre législatif, en partenariat avec les assurances (ce qui n’exclut pas qu’elles soient aussi contenues dans des bases légales formelles).
Nous pensons, par exemple, qu’il serait possible d’envisager, notamment dans le cadre des contrats d’assurance collectifs, d’insérer une clause spéciale dans les CGA obligeant l’assurance à trancher les contestations des assurés dans un délai de 30 jours. En cas de violation d’un tel délai, une peine conventionnelle pourrait être imaginée.
Cet engagement de l’assurance pourrait se fonder sur une «équivalence des positions», qui viserait à équilibrer les forces des parties au contrat, justifiée notamment par le fait que l’assuré paie régulièrement des cotisations et que, par ailleurs, l’assurance se réserve, pour sa part, le droit de résilier le contrat en cas de défaut de paiement ou de réticence.
On pourrait encore songer à intégrer dans les CGA une clause proposant aux parties de recourir à la médiation en cas de désaccord sur la fin du versement des prestations.
Compte tenu des intérêts économiques des assurances, il est douteux qu’elles acceptent de telles concessions. Peut-être suffirait-il qu’une première assurance accepte d’accorder davantage de droits à ses assurés pour que, ensuite, par le jeu de la concurrence, une telle pratique s’étende à toutes les assurances. Quoi qu’il en soit, le chemin est encore long.
Resté sans réponse de la part de l’AIJ, et faute de disposer d’économies suffisantes pour subsister durant la procédure, Henry n’a pas été en mesure de faire valoir ses droits, ce qui l’a contraint à se soumettre à la décision de l’assurance, qui avait mis un terme précoce à des prestations pour lesquelles des cotisations avaient pourtant été payées et en faveur desquelles plaidaient les certificats médicaux d’incapacité de travail que son médecin traitant continuait d’établir. L’expertise médicale mise en œuvre par l’AIJ pour fonder l’interruption de ses prestations a sans doute permis à celle-ci de réaliser des économies substantielles. Henry, quant à lui, bénéficie aujourd’hui des indemnités journalières de l’assurance-chômage et il est à la recherche d’un travail pour lequel il n’a ni expérience ni qualifications.
* Titulaire du brevet d’avocat.
1Pour plus d’informations sur cette dichotomie, voir le rapport du Conseil fédéral approuvé le 30 septembre 2009 en réponse au postulat 04.3000 de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 16 janvier 2004.
2Notamment arrêt du Tribunal fédéral du 31 janvier 2013, 4A_529/2012; arrêt TF du 14 novembre 2012, 4A_304/2012; arrêt TF du 16 juillet 2007, 4A_168/2007.
3DUC, Jean-Louis, Le droit applicable aux assurances complémentaires – A l’exemple essentiellement de l’assurance d’une indemnité journalière, in PJA 2010 p. 467, p. 474.
4cf. note de COLOMBINI Jean-Luc in JdT 2011 III 145 s.
5Arrêt du Tribunal fédéral du 1er décembre 2010, 4A_445/2010, c. 2.
6Pour plus d’informations, DUC, Jean-Michel, Questions de procédure en assurance perte de gain maladie LCA in SZS-2010-142.
7Sur cette question, voir DUPONT, Anne-Sylvie, Incapacité de travail et incapacité de gain: la fin du mélange des genres, in REAS – Responsabilité et assurance 2013 p. 124.
8Rapport du Conseil fédéral approuvé le 30 septembre 2009 en réponse au postulat 04.3000 de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 16 janvier 2004, p. 44.
9BRULHART, Vincent, Regard critique sur quelques évolutions récentes en droit des assurances privées, in SJ 2014 II p. 73, p. 89.