plaidoyer: Dans un récent rapport, le Conseil fédéral propose un système d’annulation des dettes à l’échéance d’une période de remboursement. Est-ce la voie à suivre pour les personnes n’ayant que peu de moyens pour rembourser leurs dettes?
Michel Ochsner: C’est une des voies à suivre pour aider ces personnes, aux prises avec des poursuites et des saisies qui durent depuis des années, voire des décennies. Mais avant d’organiser la sortie du surendettement, il faudrait commencer par agir en amont et réduire les dettes, en incluant celles qui relèvent des impôts dans le minimum vital, au même titre que les primes d’assurance maladie et les frais de logement. Car dans la situation actuelle, ces débiteurs subissent une double peine: ils sont condamnés à vivre avec le minimum vital, mais aussi à faire face à une dette nouvelle inéluctable.
Sébastien Mercier: Il faut en effet agir en amont, pour permettre une stabilisation des personnes surendettées. Car il est illusoire de prévoir des solutions pour des personnes qui ne peuvent pas vivre sans faire de nouvelles dettes. Il y a d’autres éléments importants, comme la défiscalisation du minimum vital et des primes d’assurance maladie supportables pour les gens. Ce qui est délicat dans le rapport du Conseil fédéral, c’est qu’il se réfère à des pays où l’impôt et les assurances maladie sont prélevés à la source.
plaidoyer: A vous entendre, on a l’impression que le rapport du Conseil fédéral oublie l’essentiel?
Sébastien Mercier: Ce rapport va dans le bon sens, mais il n’est qu’une première étape. Le problème, c’est qu’en prévoyant une procédure de plus, il met en péril ce qui existe déjà. Selon la jurisprudence actuelle, nous proposons, dans les services de désendettement, des règlements à l’amiable ou des concordats sur une durée de trois ans. Si on ajoute une procédure qui peut durer sept ou dix ans, c’est beaucoup trop long. Les créanciers ne verraient alors plus l’intérêt de négocier un plan en trois ans. Cela peut également réduire à néant le système des fonds de désendettement mis en place par les cantons romands. Je suis plus favorable à une amélioration des procédures actuelles.
Michel Ochsner: Le rapport du Conseil fédéral ne présente qu’un des volets de la lutte contre le surendettement. Il faudrait le compléter par des mesures plus techniques, comme l’élargissement, déjà évoqué, du minimum vital ou la diminution de la durée de prescription des actes de défaut de biens. Et le plan de désendettement avec annulation des dettes restantes, tel que présenté par le rapport, suppose que le débiteur continue de payer un dividende pendant plusieurs années. Aucune solution n’est prévue pour les gens qui n’ont vraiment rien et se retrouvent à l’aide sociale.
Sébastien Mercier: En effet, on attend toujours d’eux qu’ils améliorent leur situation financière et paient leurs impôts, même si cela les conduit en dessous de leur minimum vital.
Michel Ochsner: Je trouve que les arguments du Tribunal fédéral pour ne pas inclure les impôts dans le minimum vital ne sont pas convaincants. Il dit que les impôts ne sont pas une dépense indispensable au sens de la LP, mais sans tenir compte du résultat de ce raisonnement. Le TF avance qu’on ne dispose d’aucun moyen de vérifier que le débiteur payera ses impôts, alors qu’il n’en va pas différemment pour les postes actuels du minimum vital. Au fond, j’ai l’impression que le TF attend que la Conférence des préposés aux poursuites et faillites décide d’inclure les impôts dans le minimum vital.
plaidoyer: La Conférence des préposés aurait-elle la compétence d’inclure les impôts dans le minimum vital?
Michel Ochsner: Elle peut émettre des directives allant dans ce sens, et je regrette son inaction en la matière. Mais certains cantons alémaniques ont une vision archaïque de la dette, estimant qu’il faut punir le débiteur. Les cantons romands devraient agir ensemble et faire des propositions rectifiant le tir.
Sébastien Mercier: Des tentatives pour inclure les dettes fiscales dans le minimum vital ont échoué au Parlement fédéral. Des cantons ont aussi essayé, avant de tirer la conclusion qu’il fallait changer la loi.
Michel Ochsner: La loi ne précise pas ce qui figure dans le minimum vital et la Conférence des préposés pourrait tout à faire introduire les impôts. C’est dommage qu’elle ne le fasse pas, car l’endettement prolongé n’est, en général, pas dû au comportement du débiteur, mais aux dettes fiscales qui sont venues s’ajouter à celles qui sont à l’origine de la saisie de revenus.
Sébastien Mercier: Le fisc est clairement le créancier numéro un pour les personnes venant nous consulter. En contraignant à l’endettement auprès du fisc, le système libère de l’argent pour les créanciers privés, y compris les instituts de crédit et les sociétés de recouvrement dont les prétentions ne sont pas forcément justifiées.
plaidoyer: La durée de 20 ans pour la prescription des actes de défaut de biens pose aussi problème?
Sébastien Mercier: On a présenté ce délai de 20 ans, en lieu et place de l’imprescriptibilité, comme une révolution. Mais, étant donné qu’il est interrompu chaque fois qu’on relance un nouveau commandement de payer, il équivaut au final à un délai imprescriptible. Donc il faut corriger ce point, en réduisant la durée de validité des actes de défaut de biens à dix ou sept ans, par exemple, sans prolongation.
Michel Ochsner: Ce délai est effectivement un leurre. Je verrais une durée de validité de dix ans pour les actes de défaut de biens. Un autre problème est celui des renseignements sur les poursuites communiqués aux tiers. Le système n’est déjà pas satisfaisant avec le régime actuel, alors je me demande ce qu’il en sera avec les nouvelles procédures proposées par le Conseil fédéral.
plaidoyer: La question de la durée d’une procédure de libération de dette est évidemment centrale?
Sébastien Mercier: Tout dépend en effet de la durée. Si elle est trop longue, elle compromet la réussite du plan de désendettement. Et elle induit des frais de procédure excessifs. Une durée de trois ans permet de trouver un équilibre entre les intérêts du créancier et ceux du débiteur. C’est ce qu’admet déjà actuellement la jurisprudence. Dans les autres pays, on voit que les systèmes les plus néolibéraux prévoient des durées plus courtes, afin de pousser l’endetté à se réinsérer économiquement.
Michel Ochsner: Un plan de désendettement limité à trois ans reste en effet attractif pour le créancier. Une durée de sept ans, telle qu’elle est évoquée dans certains scénarios, serait beaucoup trop longue. Une autre question est de savoir comment va s’articuler le plan de désendettement avec de nouvelles dettes, qui risquent de l’annihiler. Le rapport du Conseil fédéral ne le dit pas. Il faudrait prévoir de sauvegarder le plan de désendettement.
Sébastien Mercier: On pourrait imaginer des réserves pour faire face à un coup dur, comme des soins dentaires. C’est ce que nous faisons quand nous négocions des plans de désendettement.
plaidoyer: Un autre volet du rapport du Conseil fédéral concerne les débiteurs ayant encore des moyens financiers: il s’agirait de favoriser le système du règlement amiable des dettes. Est-ce une bonne piste?
Michel Ochsner: Cela me semble le volet le plus intéressant du rapport. L’actuel règlement à l’amiable de la LP est peu utilisé, car il suppose l’accord de tous les créanciers, ce qui est difficile à obtenir. Le Conseil fédéral laisse tomber la règle de l’unanimité, et prévoit une force obligatoire pour tous les créanciers. C’est une bonne piste.
Sébastien Mercier: Le règlement amiable est une bonne solution dans certains cas. Dans des situations extrêmes, il peut aboutir à un rachat de 10% à 20% de la dette. Les créanciers préfèrent recevoir 20% dans les prochains mois plutôt que 35% sur plusieurs années. C’est ce qu’on observe dans le cadre des fonds de désendettement des cantons romands, qui assument le risque de l’échec d’un plan dans les trois ans. Mais si le règlement amiable est parfois utile, nous essayons de privilégier le règlement extrajudicaire: il est moins coûteux, ce qui laisse davantage d’argent disponible pour les créanciers.
Michel Ochsner: Le coût, c’est aussi l’un des défauts que le Conseil fédéral reproche à la faillite volontaire. A Genève, par exemple, elle est facturée 3500 francs.
Sébastien Mercier: Dans d’autres cantons, cela peut aller jusqu’à 5000 francs.
plaidoyer: Dans l’optique de l’amélioration des outils existants, trouvez-vous qu’il conviendrait de rendre plus accessible la faillite personnelle?
Sébastien Mercier: J’y suis en effet favorable, pour les cas où aucune solution n’a pu être négociée avec les créanciers. Elle peut devenir une procédure de libération de dettes avec moins de frais administratifs, en renforçant le système actuel et en stimulant la négociation entre créanciers et débiteurs. Il existe des solutions pour réduire ou échelonner les frais. Reste que la faillite personnelle ne peut s’ouvrir aux personnes les plus démunies. Pour elles, c’est aux cantons à lutter contre les effets de seuil qui sont une source de surendettement.
Michel Ochsner: La faillite personnelle permet au débiteur de retrouver l’entier de son salaire et de se mettre à l’abri de ses créanciers, mais elle est un pis-aller: le débiteur doit adopter un comportement irréprochable pour éviter de nouvelles dettes, qui donneraient lieu à de nouvelles poursuites. La faillite n’est pas faite pour le désendettement des particuliers: soit on l’améliore, soit on met sur pied une solution telle que proposée par le Conseil fédéral.
plaidoyer: En exigeant du débiteur qu’il dispose d’un minimum de biens à répartir entre les créanciers, le TF a-t-il durci les conditions d’accès à la faillite personnelle?
Michel Ochsner: En posant une condition supplémentaire, le TF ferme la porte aux débiteurs qui espèrent la fin des saisies de salaire, afin de pouvoir souffler, eux-mêmes ainsi que leurs familles. Cela dit, la faillite personnelle comporte aussi des désavantages: outre son coût, que nous avons évoqué, mentionnons aussi la publication du nom du failli et le séquestre temporaire de son courrier.
Sébastien Mercier: Quand les débiteurs ont juste ce qu’il faut pour vivre, la faillite personnelle permet de faire cesser les saisies et de réinsérer économiquement. Mais ce n’est en effet pas une solution miracle et on n’y recourt qu’en ultima ratio. A la suite de la récente jurisprudence du TF, on assiste à un durcissement de l’accès à la faillite personnelle dans les cantons de Genève, de Fribourg et de Neuchâtel, où les tribunaux cantonaux ont rendu des décisions négatives en la matière.
plaidoyer: Et quand il s’agit d’évaluer le retour à meilleure fortune, les tribunaux connaissent une pratique variable?
Sébastien Mercier: Il faudrait en effet une boule de cristal pour prédire comment cette notion va être appréciée au tribunal. Dans les conseils en désendettement, nous établissons une fourchette, avec une estimation haute et une estimation basse.
Michel Ochsner: Le calcul du minimum vital est aussi laissé à l’appréciation de chaque office des poursuites, qui se base toutefois sur des directives. S’il en existait aussi pour le retour à meilleure fortune, on obtiendrait une jurisprudence plus constante sur cette question.
Michel Ochsner, chef du Service juridique à l’Office des poursuites, Genève.
Sébastien Mercier, juriste, secrétaire général de Dettes Conseils Suisse.