plaidoyer: On attendait du nouveau droit de protection de l’adulte une meilleure protection de la personnalité des patients. Or, plusieurs affaires récentes (nonagénaire placée de force en EMS à Morges de manière abusive, puis démunie à la suite de la liquidation de ses affaires personnelles; autre vieille dame internée de force car sa fille critiquait trop l’EMS; patient âgé abruti de médicaments) en ont fait douter. Quelle est la cause d’un tel écart?
Micaela Vaerini: Il faut nuancer; on ne peut nier que le nouveau droit donne un espace plus large à l’autodétermination de la personne, par exemple avec les directives anticipées sur le traitement souhaité, le mandat pour cause d’inaptitude ou les règles protégeant les incapables de discernement en EMS, qui seraient bienvenues aussi pour les capables de discernement. La jurisprudence a aussi évolué en permettant à des personnes désignées pour être curateurs de ne pas assumer cette charge si elles font valoir des motifs familiaux ou une surcharge professionnelle5. Les faiblesses du nouveau droit se voient surtout au niveau des placements à des fins d’assistance. Il arrive que les avocats nommés curateurs voient peu la personne concernée et des décisions de placement forcé en EMS soient prises trop rapidement. On constate en outre une méconnaissance de la loi par les acteurs chargés de l’appliquer, ce qui entraîne des abus, sans parler de l’absence, dans certains cantons, d’autorités de protection de l’adulte vraiment interdisciplinaires.
Shirin Hatam: Les associations de défense des patients psychiques avaient peu d’illusions sur ce nouveau droit; il est un peu plus répressif s’agissant des traitements forcés et, pour le reste, ne présente pas de grandes nouveautés. Les cas d’abus que vous citez me rappellent les gens que nous voyons lors de nos permanences, des personnes qui enquiquinent le voisinage ou les autorités et contre lesquelles on utilise dans un but répressif un droit qui devrait être protecteur. Cet écart ne m’étonne donc pas tant que cela.
plaidoyer: Lors des assises consacrées au placement à des fins d’assistance (PLAFA) dans le canton de Vaud, en juin 2015, on a constaté que l’immense majorité des placements étaient prononcés par des médecins (2050 en 2014, soit 93%). C’est d’ailleurs le cas également dans d’autres cantons, à cause de la simplicité de la procédure. Les autorités interdisciplinaires de protection de l’adulte voulues par le législateur ne sont-elles pas ainsi mises de côté?
Micaela Vaerini: Le législateur a aussi prévu dans la loi (art. 429 CC) la possibilité pour les cantons de désigner des médecins habilités à ordonner un placement pour une durée maximale de six semaines. Le problème est qu’ils prennent, de facto, l’essentiel des décisions et je ne suis pas sûre que la personne concernée sache toujours qu’elle a le droit d’en appeler au juge. Dans le canton de Vaud, désormais, la possibilité de disposer des conseils d’un avocat sera proposée à toute personne mise sous PLAFA. Mais, dans d’autres cantons, ce n’est pas le cas, et durant six semaines, la personne est très peu protégée face au pouvoir important du médecin. En outre, ces six semaines, qui devaient être un maximum, sont parfois devenues la règle.
Shirin Hatam: Le système se préoccupe plus de mettre à l’écart une personne en difficulté que de lui porter une assistance socio-psychologique. Le premier souci du législateur était d’avoir une base légale pour porter atteinte, en les enfermant, aux droits des personnes. La famille, la police peuvent exiger un tel placement qui se passe souvent dans la violence et la contrainte. Durant six semaines, l’intéressé est soumis totalement au pouvoir médical et l’appel au juge ne suffit pas à assurer que l’hôpital psychiatrique soit vraiment l’endroit adéquat pour chaque patient. Ce qui nous inquiète c’est que, lorsque certains diagnostics sont établis, comme celui de schizophrène paranoïde anosognosique, on ne se demande pas si le placement est adéquat ou nécessaire, mais on enferme la personne parce qu’elle a un handicap. Dans de nombreuses décisions sur recours très brèves, le TF se contente du diagnostic pour débouter le patient, en dépit des belles exigences affirmées dans d’autres arrêts6. Cela n’est pas satisfaisant.
plaidoyer: Le seul diagnostic est pourtant insuffisant pour ordonner un placement?
Micaela Vaerini: Je constate la même dérive s’agissant de personnes adultes anorexiques. Si le médecin ordonne le placement sur la base de ce diagnostic, il n’y a vraiment rien à faire pour s’y opposer dans l’immédiat. Or, ce placement ne devrait être fait que si les conditions légales sont remplies, et notamment si l’établissement est approprié pour ce patient. Le TF le dit, mais ne procède pas à une analyse de ce que serait un établissement approprié par rapport à chaque pathologie. Si l’endroit n’est pas approprié, la personne doit être libérée.
Shirin Hatam: Plusieurs cantons ont introduit les soins psychiatriques ambulatoires pour éviter les placements. Mais cette solution peut être pire que le mal, car ces soins ambulatoires ne prévoient, parfois, ni plan de traitement ni limites temporelles. En outre, ils peuvent être l’objet d’un chantage, dans le sens que si le patient ne les suit pas, il sera placé de force.
plaidoyer: On peut s’interroger, comme le professeur Olivier Guillod, sur le fait que des règles différentes s’appliquent aux malades physiques et psychiques. Ainsi, les directives anticipées ne donnent pas au représentant la possibilité d’intervenir dans le choix d’un traitement sous PLAFA.
Shirin Hatam: Je ne cautionne pas du tout cette distinction légale. Elle a été rédigée dans le but d’empêcher que les directives anticipées ne s’opposent aux traitements forcés, sur demande des associations de proches, notamment alémaniques. A mon avis, on ne peut violer les directives anticipées sans constitutionnellement attenter à la liberté personnelle du patient. Ainsi, s’il refuse un médicament parce qu’il ne le tolère pas, il faut trouver autre chose et non l’administrer contre sa volonté, même incapable de discernement.
Micaela Vaerini: La limite peut être ténue pour considérer une personne comme capable, ou incapable de discernement; dire qu’une anorexique est incapable de discernement si elle pèse 34 kilos mais capable si elle en fait 38 guide peut-être le médecin, mais a peu à voir avec l’examen de cette capacité, qui doit se faire concrètement, par rapport à l’acte à accomplir. Cela pose un problème, car l’incapable de discernement peut être soumis à des traitements sous contrainte.
plaidoyer: La personne hospitalisée et sous médicaments est-elle d’ailleurs toujours en état de rédiger des directives anticipées?
Micaela Vaerini: J’ai vu des cas où la personne pouvait certes en rédiger, mais ne disposait d’aucune aide pour ce faire. Or toute personne placée dans une institution a le droit de faire appel à une personne de confiance, qui l’assistera pendant la durée de son séjour et jusqu’au terme des procédures en rapport avec celui-ci (art. 432 CC). Cette personne a le droit d’être renseignée sur la situation du patient et son traitement; mais cette disposition reste souvent lettre morte, car de nombreux médecins ignorent son existence. L’idée de lui donner beaucoup de pouvoir est en tout cas écartée.
Shirin Hatam: Il faudrait s’inspirer de l’expérience genevoise des conseillers accompagnants, qui peuvent intervenir même lorsque la personne est en chambre fermée. A Fribourg, il est possible de faire appel au réseau fribourgeois de santé mentale qui déléguera quelqu’un, mais cette possibilité n’a pas beaucoup d’écho. En Valais, il y avait un projet de défenseur des droits des patients, mais il a été abandonné, faute de budget.
plaidoyer: L’appel au juge est-il un moyen suffisant, pour le patient, de faire valoir ses droits?
Shirin Hatam: L’appel au juge est clairement insuffisant pour agir sur la surveillance d’un espace où il y a une haute probabilité que des droits soient violés; on ne peut se reposer uniquement sur les malades pour constater, et le cas échéant dénoncer, la manière dont les choses se passent. C’est pourquoi Pro Mente Sana a demandé au Conseil d’Etat genevois que les hôpitaux psychiatriques soient surveillés par une commission extérieure, qui pourrait ressembler à la Commission nationale de prévention de la torture, et assurer, par des visites régulières et un dialogue avec les autorités, que les droits des personnes privées de liberté sont respectés. La convention relative aux droits des personnes handicapées exige d’ailleurs que les lieux de placement soient surveillés, et ils le sont actuellement insuffisamment.
Micaela Vaerini: Je suis d’accord, tout moyen permettant d’augmenter la surveillance des placements est le bienvenu. Je suis en particulier préoccupée par le respect du principe de célérité, qui exige que le juge prenne ses décisions dans des délais très brefs, délais qui sont souvent, en fait, non respectés, parce que, par exemple, des expertises exigent trop de temps7.
plaidoyer: Certains points, importants en pratique, ne sont pas réglés par le droit fédéral. Ainsi, seules les directives de l’Académie suisse des sciences médicales règlent la question des mesures de contrainte, en lignes très générales. La durée maximale de l’isolement, par exemple, n’est pas définie.
Micaela Vaerini: La loi règle les mesures limitant la liberté de mouvement pour les incapables de discernement résidant en institution à l’art. 383 CC. En cas de placement, cette disposition s’applique par analogie (art. 438 CC). La protection des résidants capables de discernement n’est pas définie dans la loi et ces recommandations sont du soft law non contraignant. On peut regretter que ce travail d’harmonisation et d’éclaircissement n’ait pas été fait dans la foulée du nouveau droit. De plus, la personne concernée peut certes en appeler au juge en tout temps, mais, sous médicament, il se peut qu’elle n’ait pas les moyens de le faire. On constate des dérives qui ne devraient pas exister, comme des personnes totalement isolées pendant des semaines, voire des mois sans voir le jour...
Shirin Hatam: Ce n’est pas tolérable. J’ai assisté à plusieurs journées consacrées à la contrainte en hôpital psychiatrique, et le TF a dû préciser que cela ne devait pas être une mesure disciplinaire à caractère punitif8. L’isolement peut faire baisser la pression à court terme, mais il représente un tel traumatisme pour les intéressés qu’il faut constater qu’il s’agit d’une mesure de police, qui n’est pas thérapeutique et ne doit pas suppléer à l’absence de personnel. Certains hôpitaux comme Malévoz (VS) refusent cela et ont d’autres moyens. De même, le Message précise que les médicaments ne doivent pas être utilisés comme mesure de contrainte et être prévus par le plan de traitement. Or, nous avons des témoignages qui affirment que la réalité viole ce principe.
plaidoyer: A quel point l’expertise psychiatrique doit-elle être indépendante?
Micaela Vaerini: Le regard du médecin devrait être totalement extérieur au cadre où la personne est placée. Ce doit être un véritable tiers, ce d’autant que le caractère interdisciplinaire de l’autorité de recours ne comprend pas toujours un représentant du corps médical. En outre, les juges ne doivent pas s’y fier totalement, mais se souvenir qu’ils ont une marge de manœuvre et le droit d’exercer leur propre pouvoir d’appréciation.
plaidoyer: Ne faudrait-il pas prévoir des établissements spécialisés pour les placements à des fins d’assistance, aujourd’hui exécutés en majorité dans les hôpitaux psychiatriques?
Micaela Vaerini: L’offre est trop limitée en Suisse romande s’agissant des anorexiques adultes; on ne peut les traiter comme les adolescents anorexiques.
Shirin Hatam: Une réflexion devrait se faire dans les cantons, avec les personnes concernées, pour savoir si l’hôpital est toujours le lieu adéquat. Il manque actuellement de véritables asiles, des lieux de retraite où elles peuvent réellement jouir d’une certaine tranquillité sans être soumises aux hurlements de patients psychiatriques. Parler de placement au lieu de privation de liberté est dans l’air du temps, mais est véritablement un peu hypocrite, vu les restrictions auxquelles ces personnes sont contraintes.
Micaela Vaerini: Il s’agit bien d’une privation de liberté. Or, les garanties procédurales sont très importantes lorsque ce sont des délinquants qui y sont soumis, mais non pour les malades. Ces derniers méritent que des avocats défendent leurs droits.