Perte de crédibilité
Aujourd’hui, le Conseil de l’Europe, et, par truchement, la Cour européenne des droits de l’homme, sont ternis.
Le bilan final accuse des pertes colossales qui ne se limitent pas aux aspects financiers liés au départ de la Russie, ou au retrait «d’un des acteurs principaux de la CourEDH».
«L’incident Poutine» réveille des craintes quant à la perte de crédibilité de la CourEDH, face à des gouvernements dont la demande d’adhésion à l’UE est restée sur le coin de la table.
Percée dans les droits humains
Certes, des soubresauts ont permis de conforter quelques espoirs, à l’instar de modifications du code pénal et du code de procédure pénale russes. Quelques exemples prouvent l’adaptation du droit russe:
- Limitation de l’usage d’armes létales en cas d’évasion d’une unité militaire. Putintsevac. Fédération de Russie.
- Suppression du principe d’immunité absolue d’un État étranger devant les tribunaux russes concernant les litiges de droit privé. Oleynikov c. Fédération de Russie.
Introspection indispensable
Dans ce marasme, nous serions tentés de désigner Vladimir Poutine comme seul responsable de cette débâcle prévisible. Toutefois, la construction et la destruction sont le fruit d’œuvres communes. Entamer une démarche introspective reste utile pour asseoir la crédibilité d’institutions essentielles et aptes à insuffler des principes indispensables au fonctionnement démocratique d’un État.
Nous pourrions ainsi discuter ou plutôt rediscuter des manquements en matière de suivi de l’exécution des décisions de la CourEDH. Et plus précisément de l’article 46 CEDH, qui prévoit un va-et-vient entre le Comité des ministres et la CourEDH en cas d’inexécution des arrêts de la CourEDH.
Une recommandation du Comité des ministres a certes été édictée en 2008 pour accélérer l’exécution des arrêts de la CourEDH. L’identification précoce et l’inclusion d’ONG et de spécialistes du droit restent les maîtres mots dans ce processus.
Mais ces rectificatifs mettent surtout en exergue la faiblesse de l’institution, soit la quasi-absence de sanctions.
Ces vingt dernières années de conflits armés impliquant la Russie ne sauraient être omises: la guerre de Tchétchénie (affaire Khachiev etAkaïevac. Russie) avec une CourEDH servant de palliatif aux absences de l’Union européenne, n’en est qu’une funeste illustration.
Des statistiques
Les statistiques font écho à l’élargissement du Conseil de l’Europe et à l’intégration d’États disposant d’un système démocratique chancelant.
Seules des données brutes1 sont citées mais permettent de l’illustrer. Nous sommes encore loin du rêve de Jean Monnet: «Une Europe fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre.» Le Rapport de surveillance de l’exécution des arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (2020) démontre bien une triste récurrence. Sur un nombre total de 983 nouvelles affaires, la Russie en décompte 218, la Turquie 103 et l’Ukraine 84. Un triste palmarès qui traduit les difficultés des institutions internationales à servir de moteur transitionnel.
Chronique d’une exclusion
Le Comité des ministres n’a pas vraiment fait preuve de courage mais a patiemment attendu la réaction russe avant de se prononcer définitivement sur l’exclusion de la Fédération de Russie. En date du 25 février, le Comité des ministres a suspendu la Russie de ses droits de représentation au Conseil de l’Europe2. Il s’est ensuivi l’annonce russe sur son retrait du Conseil de l’Europe. L’Assemblée parlementaire a acté cette annonce par l’émission d’un avis confirmant que la Russie ne pouvait plus être membre du Conseil de l’Europe.
Ces dernières semaines auront au moins servi à mettre en lumière certains écueils et, espérons-le, à explorer des pistes pour viabiliser le respect des droits humains.
1 forbes.fr/politique/l-ukraine-et-son-projet-de-guerre-juridique/
2 Résolution CM/Res (2022) 1 sur des conséquences juridiques et financières de la suspension de la Fédération de Russie de ses droits de représentation au Conseil de l’Europe.