En Suisse, nous avons de la chance. Des autorités et des tribunaux veillent au respect des bonnes mœurs dans toutes sortes de domaines.
Y compris pour préserver nos yeux d’indications choquantes susceptibles d’apparaître sur des produits commercialisés. Ainsi, l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI) refuse de protéger des marques ayant une connotation raciste, obscène ou offensant les sentiments religieux, en application de la condition légale de bonnes mœurs (art. 2 let. d de la loi sur la protection des marques). Et, si le commerçant s’y oppose, l’affaire a toutes les chances de se retrouver au Tribunal administratif fédéral (TAF), voire au Tribunal fédéral, qui ne cessent d’affiner la notion complexe de bonnes mœurs.
Ainsi, le TAF a récemment confirmé le refus de la marque «Mindfuck» pour une méthode de coaching (arrêt B-883/2016). Peu importe qu’elle ait été admise en Allemagne, en Autriche et au Liechtenstein. Et tant pis si le mot «fuck» s’utilise (hélas) dans le langage courant et si «Mindfuck» peut signifier «déroutant». Car, en Suisse, ces mots heurtent la sensibilité d’une minorité de gens, qui les associe aux relations sexuelles (en allemand, «Fick» a le même sens).
La lecture de la jurisprudence et des consignes de l’IPI est riche d’enseignements. Ce dernier offre même un moteur de recherche tout à fait didactique: en un seul clic, on découvre des noms de marques acceptées ou refusées sous l’angle des bonnes mœurs, ayant donné lieu à une décision de justice. Rares sont les marques à connotation sexuelle posant problème. En fait, c’est surtout le risque de heurter le sentiment religieux qui se trouve au centre de la discussion. Il faut, à cet égard, tenir compte du «point de vue d’une personne moyenne appartenant à la communauté religieuse concernée». Et c’est l’usage à des fins commerciales en tant que tel qui peut choquer, indépendamment des produits ou des services écoulés.
Ainsi, la marque «Buddha-Bar» n’est pas protégée pour des CD, DVD et services de divertissement, tandis que «Siddharta» ne saurait désigner des véhicules et des services de restauration. Et pas question que «Mohammed» s’affiche sur des boissons alcooliques… Pour des vêtements, «Ganesha» ne heurte en revanche pas la sensibilité hindoue, pas plus que «the Bible you can wear», sur des bijoux, n’affecte le chrétien moyen.
Mais n’allez pas croire que les catholiques sont prêts à tout accepter. Le Tribunal fédéral a en effet confirmé le refus de protéger la marque «Madonna» pour des cosmétiques, vêtements et meubles (ATF 136 III 474). Car «la vénération de Marie revêt une importance particulière pour la communauté catholique romaine», en particulier pour les italophones. Et «le fait qu’une chanteuse porte ce nom ne suffit pas à priver le mot de son sens religieux». Etroits d’esprit, les juges de la Cour suprême? Pas forcément. Car «des exceptions sont possibles» pour des marques associées à des produits sans rapport avec la religion, «quand les destinataires ont l’habitude d’un emploi neutre des sujets religieux. Par exemple, l’utilisation de noms de saints catholiques est traditionnelle dans le cas de boissons alcooliques.» Nous voilà rassurés. Les Saint-Julien, Saint-Estèphe et Saint-Joseph ont encore de beaux jours devant eux.