Cette question présuppose non seulement la présence suffisante de personnel pénitentiaire, mais surtout de soignants, ce deuxième aspect étant loin d'être banal, même en Suisse. Il y a encore de grandes disparités quant aux ressources médicales à disposition des personnes détenues dans les différents établissements pénitentiaires (plus de 100). La réalité carcérale helvétique est une mosaïque de compétences nationales, cantonales et institutionnelles, mêlant vision et pragmatisme, où la personne privée de sa liberté est perçue alternativement comme au cœur de la mission ou comme un inconvénient nécessaire, dont l'état de santé intéresse peu.
Selon les standards actuels, l'accès aux soins est garanti suivant le principe de l'équivalence: la prise en charge médicale devrait être identique à celle existant au-dehors. Le libre choix du thérapeute, la possibilité d'avoir un second avis, le consentement éclairé (comment exprimer son consentement éclairé lorsqu'on ne comprend pas la langue du soignant?) sont autant d'éléments qui limitent de facto ce principe. Il est intéressant de relever l'existence d'un projet pilote en phase d'implémentation (projet «Lummic» ou «BIG» en allemand1) dont l'impact bénéficiera tant aux soignants (élaboration de standards spécifiques à la médecine pénitentiaire), au personnel pénitentiaire (meilleure (in)formation) et in fine aux personnes détenues (information, dépistage, etc.).
Derrière ces standards, la collaboration exige qu'on reconnaisse à l'autre sa place dans cette relation. Il s'agit de trouver un point d'équilibre entre les approches spécifiques (médical versus surveillance) autour de la mission commune: la prise en charge globale de la personne détenue. Sur la base de mon observation en terres vaudoises, où les ressources médicales sont bien réelles, la stabilité de ce point d'équilibre semble parfois inversement proportionnelle à la proximité du terrain. En présence de la personne à la fois détenue et patiente médicale, il est (heureusement) difficile d'oublier qu'il existe une mission commune à accomplir. En s'éloignant de cette réalité, en revanche, les logiques divergentes propres à chaque service semblent l'emporter. Et je me surprends toujours à devoir rappeler que le secret médical protège le patient-détenu et non le thérapeute!
Pour le personnel pénitentiaire, mieux collaborer va de pair avec une meilleure compréhension des spécificités des personnes qui leur sont confiées. Même si une formation de base est donnée à tous les agents pénitentiaires en Suisse, qui intègre des aspects liés à la santé tant mentale que physique, il n'en reste pas moins que nos collaborateurs ne sont pas forcément outillés pour appréhender les questions de dépendance, de troubles psychiques ou encore de migration (la perception «suisse» de la santé n'est pas celle d'une majorité de nos pensionnaires).
Moralité helvétique: situation globalement acceptable, mais la marge de progression est réelle!
Florian Hübner, juriste MPA, directeur de la prison de la Tuilière à Lonay (VD) depuis 2006, après avoir notamment travaillé dans le domaine du VIH/sida.
1 Plus d'info sous www.bag.admin.ch/hiv_aids/05464/05484/05488/index.html?lang=fr