Après l’affaire Weinstein et le débat qui s’est ensuivi sur le harcèlement sexuel, peu de voix se sont élevées en Suisse pour réclamer des modifications législatives en matière de discrimination fondée sur le sexe. Dans notre pays, la loi sur l’égalité (LEg) réprime déjà ce comportement sur le lieu de travail, et il conviendrait surtout d’y recourir plus souvent.
Le Bureau fédéral de l’égalité a pourtant pointé les lacunes de cette loi, bien avant «l’affaire», dans une étude portant sur 190 procédures cantonales menées en Suisse entre 2004 et 2015 (plaidoyer 4/17). Parmi elles, 35 concernaient le harcèlement sexuel, avec un taux d’échec devant les tribunaux plus élevé (83%) que dans les autres cas de discrimination. Car, dans les comportements «à la Weinstein», il appartient à la plaignante d’apporter la preuve du harcèlement. Tandis que la LEg prévoit un renversement du fardeau de la preuve pour la plupart des autres situations de discrimination.
Pour les auteures de l’étude, la professeure Karine Lempen et la juriste Aner Voloder, la conclusion s’impose: il faut étendre la preuve facilitée au harcèlement sexuel. Mais leurs critiques portent aussi sur l’application du droit existant. «Les tribunaux paraissent souvent ne pas avoir compris que l’intention d’obtenir des faveurs sexuelles n’est pas nécessaire pour retenir l’existence d’un environnement de travail hostile, et donc d’un harcèlement au sens de l’article 4 LEg.»
Ainsi, un climat de travail hostile aux employées à cause de plaisanteries déplacées d’un supérieur, cela suffit à constituer du harcèlement, explique le Tribunal fédéral. Il en va de même quand le malaise vient de l’affichage de photos indécentes dans un bureau (arrêt 4C.289/2006 du 5 février 2007).
Et que dire de l’envoi, par courriel, de dessins d’un sexe masculin à une employée, accompagnés de commentaires salaces? On se trouve dans le même registre que les exemples cités par le TF, mais des juges de première instance n’y ont pas vu de harcèlement sexuel, car l’expéditeur n’avait pas cherché à obtenir des faveurs sexuelles. Tout au plus, rapporte l’étude, l’envoi a-t-il été qualifié d’«inapproprié» dans le cadre d’une relation de travail.
Autant dire que, dans un pareil climat, des indemnités pour harcèlement sexuel sont rarement accordées. Dans les jugements recensées par l’étude, elles ont été refusées à hauteur de 77%. De plus, elles ont été calculées sur la base du salaire médian suisse (6427 fr. par mois), alors que la LEg parle du salaire moyen (7308 fr.). Mais il y a plus gênant encore: «La plupart du temps, le montant requis paraît avoir été déterminé en fonction du salaire effectif de la demanderesse», relève l’étude. La méconnaissance de la loi n’est donc pas seulement le fait de certains juges, mais aussi, parfois, de la partie demanderesse.
Cependant, ce qu’aucune étude juridique n’est en mesure de recenser, ce sont les cas où les victimes renoncent à faire valoir leurs droits. Et c’est bien le mérite de l’affaire Weinstein: avoir révélé l’ampleur du phénomène en Suisse aussi, via les réseaux sociaux.