Trouver un stage dans une étude d’avocats n’est pas chose facile pour les étudiants fraîchement diplômés. Ils doivent s’y prendre au minimum un an à l’avance et présenter un dossier intéressant, afin de se démarquer des dizaines de candidats. A la lecture des offres d’emploi, on observe que la plupart des études, comme, par exemple, Lenz & Staehelin et Schellenberg Wittmer, cherchent des étudiants talentueux et motivés. Selon Christoph Müller, professeur et doyen de la Faculté de droit de Neuchâtel, un échange international atteste d’une motivation supérieure et démontre la flexibilité, la curiosité et la mobilité des étudiants. Pour Pascal Pichonnaz, professeur et doyen de la Faculté de Fribourg, cela va même au-delà: «Ils deviennent de meilleurs juristes, car cela leur permet de mieux comprendre le droit suisse en le comparant aux autres systèmes.» Selon lui, le fait de partir à l’étranger rend les étudiants plus intéressants, plus innovants et plus originaux dans leurs argumentations. Soop-Tzi Tang, diplômée de l’Université de Neuchâtel, après avoir fait deux échanges à la Columbia Law School (New York, USA) et à la National Taïwan University, reconnaît que ses voyages lui ont permis d’élargir sa vision du monde légal, tout en prenant du recul par rapport au droit suisse.
Du côté des employeurs, une telle parenthèse académique est également appréciée. Selon la dernière «Etude d’impact Erasmus» de la Commission européenne, ces échanges amélioreraient de près de 51% les compétences d’employabilité des étudiants. Daniel Schafer, Hiring Partner à Lenz Staehelin, reconnaît qu’un échange universitaire à l’étranger renforce les connaissances linguistiques, l’ouverture d’esprit, la curiosité et la maturité tout en permettant à l’étudiant en droit de se familiariser avec les principes et le vocabulaire juridiques du pays d’échange. Daniel Sommer, responsable des ressources humaines à KPMG Suisse, tient un discours similaire: «C’est clairement un point fort sur un CV et une information intéressante pour nous, car cela montre que la personne est prête à prendre des risques, qu’elle a réussi à s’intégrer dans un pays et un environnement étrangers et à se constituer un nouveau réseau.» Simon Demaurex, étudiant en master à l’Université de Fribourg, a pu remarquer l’intérêt porté par les avocats à sa formation au Center for Transnational Legal Studies (CTLS) à Londres, puisque, à chaque entretien, son séjour a été abordé. Ce programme plaît aux recruteurs, car il est axé sur le droit et la mondialisation, tout en évoquant les problèmes transfrontaliers relatifs à tous les domaines.
Une destination de choix
Les lieux de prédilection des Romands restent la Suisse alémanique et l’Allemagne. Par exemple, cette année, 21 élèves lausannois ont choisi une destination de l’autre côté de la Sarine. En revanche, ils ne sont que six Lausannois à s’être orientés vers l’international, contre 16 à Neuchâtel, 26 à Genève et 90 à Fribourg. Ces échanges bénéficient en général des mêmes conditions que le programme Erasmus, c’est-à-dire une exemption des taxes de l’université d’accueil et une reconnaissance des crédits ECTS. De plus, pour faciliter les procédures administratives, chaque établissement et chaque faculté signent des conventions, en plus des accords Swiss-European Mobility Programme (ex-Erasmus, lire plaidoyer 4/2012). Les offres diffèrent d’une école à l’autre, mais le seul point commun est le nombre de places limitées par année et par destination. Ainsi, les critères de sélection varient en fonction du lieu et de la réputation de l’université étrangère. Par exemple, Harvard (USA), numéro un du classement QS 2015, est très prisé par les Genevois et la compétition est rude pour les Neuchâtelois désirant aller à Columbia (USA), également dans le top dix.
Les étudiants choisissent généralement leur destination non pas en fonction des programmes académiques, mais par rapport à leur attrait pour le pays, la renommée de l’école ou les retours de leurs collègues. «J’ai toujours voulu étudier aux Etats-Unis et, lorsque j’ai entendu que j’avais la possibilité d’aller à Columbia, c’est devenu mon rêve. Je me suis donné les moyens pour le réaliser», confie Quentin Hérold, étudiant en master à l’Université de Neuchâtel. Bien que certains lieux soient réputés pour leur spécialisation comme l’Argentine pour le droit économique ou les USA pour le droit des affaires, les étudiants, tout comme les facultés, n’en ont pas toujours connaissance. Pourtant, le choix du lieu peut également devenir un moyen de se démarquer. En effet, si un élève envisage de travailler pour une entreprise suisse active à l’étranger, la Chine ou la Russie sont des choix judicieux, selon Pascal Pichonnaz. En effet, la personne va être sensibilisée à la culture et à la langue du pays, ce qui fera d’elle, le/la juriste de référence pour gérer et négocier ce genre de dossier. «Au final, peu importe la destination, il y aura toujours quelque chose de positif à en retirer», affirme Soop-Tzi Tang.
Expérience intellectuelle et culturelle
Une fois le choix du séjour validé par le comité de l’établissement, les étudiants doivent sélectionner leurs cours. Bien que la décision se fonde sur leurs intérêts, ils optent généralement pour des enseignements inaccessibles en Suisse. Simon Demaurex a notamment abordé le droit de l’OMC et le droit international privé dans une optique de «common law». Le programme CTLS étant exclusivement pour les étudiants en mobilité, les cours dérogent aux enseignements d’un cursus classique, comme lors des autres échanges. Soop-Tzi Tang a privilégié le droit américain à la Faculté de Columbia et des cours originaux à Taïwan comme Media Law and New Technologies ou WTO.
Outre l’apport intellectuel, les étudiants vivent «une expérience enrichissante», affirme Caterina Gidari Wassmer, conseillère aux études à l’Université de Genève. Pourtant, partir en cours de formation est également un défi qui demande un effort supérieur. «J’ai énormément travaillé pour rattraper mon retard en droit américain, mais, en contrepartie, j’ai fait des rencontres incroyables et vécu des expériences inoubliables», continue Soop-Tzi Tang. En effet, elle a rejoint l’équipe de basketball de la Faculté de droit de Columbia avant de gagner la Deans’ Cup. De plus, elle a pu assister sur le campus à une avant-première de la série «Suits», en présence des acteurs du show et profiter de suivre des conférences tous les midis. «A Taïwan, j’ai pu découvrir de nouvelles façons d’étudier et de penser, tout en apprenant le mandarin», confie-t-elle.
Tous s’accordent à dire qu’il n’y a aucun désavantage à partir durant son cursus académique. «Sauf le retour!» conclut Soop-Tzi Tang, qui a eu un peu de peine à retrouver ses habitudes helvétiques.