Leurs candidatures avaient été déposées. Les accords entre universités validés. Il ne leur restait plus qu’à finaliser leur départ. Mais le 9 février a sonné. Et, avec lui, la dénonciation des accords Erasmus. Une mesure de rétorsion qui aura semé le chaos dans les départements de mobilité universitaire. Prise par l’Union européenne au lendemain de l’acceptation de l’initiative populaire de l’UDC «Contre l’immigration de masse», cette décision sera en partie compensée par l’adoption d’un système provisoire.
Un statut précaire
Tout a commencé le 26 février 2014, lorsqu’il a été confirmé que la Suisse ne pourrait plus participer au programme Erasmus+ que comme pays tiers. Un titre qui, sans mettre fin aux échanges, limite considérablement les possibilités de collaboration. S’est ensuivie une période opaque durant laquelle universités suisses et Confédération ont négocié un plan d’action. Le 16 avril 2014, le Conseil fédéral a tranché. Et le Swiss European Mobility Programm (SEMP) a vu le jour. Avec un budget de 22,7 millions francs à la clé , cette solution transitoire a toutefois comme un goût de déjà-vu.
«Nous revoilà dans un Schweizer Erasmus, comme il y a vingt ans, à la suite du refus de la population d’adhérer à l’Espace économique européen», rappelle Antoinette Charon Wauters, responsable des relations internationales de l’Université de Lausanne. La situation est ainsi semblable à celle valable jusqu’à la fin de 2011. Les étudiants suisses peuvent certes partir. Mais ils se voient déchus de certains droits. «Ceux qui vont à Thessalonique, n’ont, par exemple, plus accès aux cours gratuits de grec, précise Olivier Vincent, responsable de la mobilité au sein de l’Université de Genève. D’autres se verront refuser les logements privilégiés mis à disposition des étudiants Erasmus uniquement.»
Un travail de longue haleine
Pour l’heure, ce mode de participation indirecte a malgré tout permis de sauver de nombreuses collaborations interuniversitaires. Mais à quel prix? «Nous avons dû rappeler un à un chacun de nos partenaires, afin de savoir s’ils étaient prêts à se réassocier avec nous par le biais du SEMP», déplore Olivier Vincent. Un effort considérable que chaque université romande a accompli de manière identique. A l’inverse du résultat obtenu qui, lui, a pris des allures différentes selon les pratiques respectives.
Particulièrement active et dynamique, la Faculté de droit de Fribourg offre un vaste choix à ses étudiants, prévoit des procédures de reconnaissance facilitée et compte de nombreux échanges intraeuropéens Ainsi, sur 110 accords, elle a pu en renouveler 90. «Quelques étudiants ont dû changer de destination. Mais ils ont tous pu partir. A l’exception d’un seul qui attend encore une réponse de l’université partenaire», observe Ingrid Kramer, responsable de son bureau de la mobilité. Si elle compte moins d’alliances, la Faculté de droit de Neuchâtel dispose toutefois d’un topo plus ou moins semblable. «Treize accords sur 20 ont pu être reconduits pour le droit», note en effet Marie-France Farine, coordinatrice au sein de son bureau de la mobilité.
D’autres habitudes et quelques déceptions
Fortes de traditions différentes, les universités de l’Arc lémanique détiennent des bilans quelque peu distincts. «La Faculté de droit de Lausanne fait davantage la part belle à la mobilité suisse, explique Gilberte Isler, responsable des Affaires socioculturelles. Pour l’année 2014-2015, 45 personnes vont partir dans le pays, contre trois seulement en Europe.» Des chiffres qui changent de ceux du bout du lac. Où les étudiants genevois disposent d’autant de destinations européennes que mondiales. «Nous avons de plus en plus d’accords internationaux et les étudiants sont toujours plus nombreux à poser des demandes pour partir hors de l’Europe», relève Olivier Vincent, responsable de la mobilité et du SEMP. Mais, pour l’heure, nos partenaires principaux restent nos voisins directs.»
Baisse des arrivées
De Fribourg à Genève, en passant par Lausanne et Neuchâtel, le constat final se ressemble: l’impact sur le nombre d’étudiants sortants s’avère moindre. A l’inverse de l’effectif d’étudiants entrants qui, lui, a drastiquement diminué. En cause, la trop longue attente qui a précédé l’octroi du budget de la Confédération. Une période de doute qui a entraîné craintes, incompréhension et refus de la part de certaines universités, notamment en Espagne. Il semblerait malgré tout que la plupart des étudiants aient passé entre les gouttes. Cette année, mais quid pour les prochaines volées?
«La situation reste très fragile, instable et incertaine, répond Olivier Vincent. Il est bien plus facile d’être expulsé du programme d’échanges que de l’intégrer de nouveau.» Preuve en est, les années de négociations qui se sont étendues de 1992 à 2011. «Tout dépend aujourd’hui de ce qu’il va advenir, demain, de la libre circulation des personnes, dont la libre circulation des étudiants dépend directement», ajoute Antoinette Charon Wauters. Une chose est sûre, la Suisse aura besoin de fonds. Car, tant qu’elle gardera son statut de pays tiers, elle ne pourra bénéficier du budget octroyé par la Commission européenne au programme Erasmus+. Reste à déterminer la source dans laquelle les universités seront habilitées à puiser. Un élément qui, pour l’heure, reste trouble, mais n’influence en rien les consignes données aux étudiants: faire comme si rien n’avait changé, déposer sa candidature et s’armer de patience.