Entré en vigueur le 1er janvier 20171, le nouveau droit de l’entretien de l’enfant fait partie du deuxième volet de la réforme législative consacrée à la responsabilité parentale. Le premier volet généralisait l’autorité parentale conjointe; ce changement de référentiel entraîne l’examen, dans chaque cas de vie séparée, de la possibilité d’une garde partagée ou élargie des enfants et influence ainsi la détermination de leur entretien. L’évolution de la répartition des rôles parentaux et la multiplication des modèles de prise en charge des enfants nécessitaient également une nouvelle approche du droit à l’entretien2. Finalement, l’augmentation des naissances issues d’unions libres justifiait une réforme visant à traiter les enfants de manière égalitaire quel que soit l’état civil de leurs parents3. En effet, les enfants issus d’unions libres se trouvaient souvent défavorisés lors de la séparation de leurs parents en comparaison des autres enfants, soit parce que le parent qui en avait la garde devait pour des raisons financières reprendre ou augmenter son activité professionnelle, soit qu’il se trouvait alors dans une situation économique difficile, ne parvenant pas à assurer sa propre subsistance puisqu’il s’occupait de l’enfant.
Le nouveau droit de l’entretien consacre ainsi la responsabilité commune4 des parents à l’entretien de l’enfant indépendamment de leur état civil et de la garde, l’entretien portant sur les soins et l’éducation, les coûts directs de l’enfant et les frais de sa prise en charge par des tiers ou les parents eux-mêmes.
1. Les principes inchangés
Le nouveau droit n’impose toujours pas de méthode de calcul. Les principes, dégagés par la jurisprudence, d’égalité de traitement entre enfants du même débiteur d’entretien ainsi que celui de l’intangibilité du minimum vital du débiteur d’entretien5 demeurent. Le Tribunal fédéral a par ailleurs rappelé récemment que la contribution d’entretien de l’enfant et celle de l’ex-époux gardaient des destins juridiques distincts, malgré l’apparition de la notion de contribution de prise en charge6.
Le nouveau droit prévoit la priorité de l’obligation d’entretien à l’égard de l’enfant mineur7 par rapport aux autres obligations issues du droit de la famille et impose l’individualisation des contributions d’entretien8, ce qu’annonçait déjà la jurisprudence précédant son avènement.
2. Les nouvelles notions et leur application pratique
L’entretien de l’enfant se compose de sa prise en charge en nature (infra 2.1), de la couverture de ses frais directs (infra 2.2) et indirects (infra 2.3). Sa détermination nécessite l’application de méthodes concrètes, les méthodes forfaitaires (pourcentages) n’étant pas à même de tenir compte de ces différentes composantes9. Deux étapes sont nécessaires: déterminer les coûts directs de l’enfant, puis le minimum vital du parent qui assume la prise en charge personnelle et essentielle de l’enfant pour évaluer une éventuelle contribution de prise en charge. Finalement, l’entretien de l’enfant doit être réparti entre les parents, notamment pour tenir compte de l’entretien en nature (infra 3).
2.1. L’entretien en nature
L’entretien en nature par les soins et l’éducation n’est pas une notion nouvelle. Sous l’ancien droit10, sauf exceptions, le parent gardien assumait les prestations d’entretien de l’enfant en nature et le non gardien sous forme pécuniaire. La prise en charge personnelle de l’enfant n’est, dans de nombreux cas, plus l’apanage d’un seul des parents. L’organisation des familles séparées tend heureusement à favoriser des contacts réguliers des enfants avec chacun de leur parent, au point que le régime du parent gardien/parent non gardien se raréfie et que les situations où chacun des parents assume tant en nature qu’en espèce l’entretien de l’enfant augmentent. Ces changements se traduisent juridiquement par la généralisation de l’autorité parentale conjointe et l’accession de la garde partagée au rang de modèle; du point de vue de l’entretien, la référence à la garde a été supprimée par le législateur aux art. 276 et 285 CC.
La disparition de cette référence ne signifie pas que la prise en charge en nature de l’enfant ne doive plus être prise en considération; le Tribunal fédéral11 a précisé que la contribution d’entretien doit être calculée en fonction de toutes les prestations fournies par chaque parent, y compris celle en nature, qu’il ait ou non la garde. La prise en charge personnelle par les soins et l’éducation et les prestations financières sont de valeur équivalente12.
2.2. Les coûts directs
Les coûts directs représentent les charges générées par l’enfant. La notion n’est pas nouvelle pour de nombreux cantons qui déterminaient l’entretien de l’enfant en fonction de ses besoins, elle l’est plus pour ceux qui pratiquaient la méthode dite «des pourcentages».
Le train de vie de l’enfant doit correspondre à celui de ses parents ou à tout le moins, si la situation financière le permet, à ce qu’il connaissait avant la séparation. Les coûts admissibles comme composante de l’entretien convenable varient ainsi en fonction de la situation financière des parents: plus elle est confortable, plus généreuse est l’appréciation de ceux-ci (prise en compte de la téléphonie, de l’épargne, des assurances privées, d’un poste vacances).
Des différences demeurent entre les méthodes d’évaluation. Sauf en cas de situation aisée, où les coûts effectifs sont comptabilisés selon le niveau de vie de la famille13, le nouveau droit n’exclut pas le recours aux tabelles zurichoises, adaptées selon la situation14, ou à d’autres méthodes de standardisation de certains coûts (minimum vital forfaitaire du droit des poursuites pour la nourriture et l’habillement par exemple).
Certains cantons15 utilisent les tabelles zurichoises adaptées selon la région, à l’exception du poste logement qui, lui, est effectif. D’autres cantons16 tiennent compte de tous les chiffres concrets selon les méthodes du minimum vital du droit des poursuites, respectivement du droit de la famille17, selon la situation financière.
L’évaluation de la part au logement relative à l’enfant en dehors de l’application des tabelles représente un pourcentage du loyer ou de ce qui en tient lieu (charge hypothécaire et charges, y compris l’amortissement obligatoire), dont l’étendue doit être déterminée en fonction du nombre d’enfants et du montant du loyer18. Le Tribunal fédéral et certaines décisions cantonales ont estimé qu’un taux de 15%19, parfois de 20%20, par enfant était justifié pour une fratrie de deux21 ou de trois22.
2.3. Les coûts indirects / la contribution de prise en charge
2.3.1 But de la contribution de prise en charge
Cette notion est inédite. Le but est de compenser la diminution de la possibilité pour le parent qui se consacre à l’enfant d’assurer sa propre subsistance.
L’idée du législateur n’est pas de favoriser un mode de garde plutôt qu’un autre23, ni de «rémunérer» le parent assumant personnellement l’enfant, mais de permettre la continuité de ce que les parents avaient mis en œuvre pour l’enfant avant leur séparation. Ainsi, le parent qui travaillait malgré l’existence d’un ou de plusieurs enfants ne peut-il pas diminuer son activité à moins de circonstances particulières24.
2.3.2 Conditions à la fixation d’une contribution de prise en charge
L’existence d’une contribution de prise en charge est soumise à deux conditions: l’une personnelle, l’autre économique.
– Condition personnelle
Seul le parent qui s’est occupé effectivement et personnellement de l’enfant pendant le ménage commun est concerné, il n’y a pas de présomption que l’existence de jeunes enfants affecte la capacité de chaque parent de pourvoir à son propre entretien25. Pour les parents qui n’ont jamais vécu ensemble, cette référence est impossible, il faut envisager, au vu de la situation, ce que vraisemblablement aurait choisi le couple parental. Certains auteurs préconisent alors de favoriser la prise en charge personnelle de l’enfant jusqu’aux 3 ans de ce dernier, s’inspirant du droit allemand; le Tribunal fédéral, très récemment, a considéré une période d’un an pendant laquelle le nouveau-né a absolument besoin d’une présence personnelle accrue26, mais dans une situation juridique particulière de sorte que cette référence ne devrait pas faire règle.
La prise en charge de l’enfant doit être la seule cause de l’impossibilité pour le parent d’assurer sa propre subsistance, à l’exclusion de toute autre raison. Le temps dont il dispose ou disposerait sans prise en charge effective et nécessaire de l’enfant donne lieu au calcul d’un revenu hypothétique27.
– Conditions économiques
Quel que soit le taux d’activité et l’intensité de la prise en charge de l’enfant, dès que les ressources suffisent, il n’y a plus de place pour une contribution couvrant les coûts indirects28.
2.3.3 La notion des coûts indirects
Le message excluait déjà deux interprétations29 possibles à cette nouvelle notion, (coûts d’opportunité et coûts de remplacement). Conformément à ce que préconisait une partie de la doctrine et ce qu’appliquaient la plupart des cantons, le Tribunal fédéral a récemment confirmé la méthode des frais de subsistance; elle consiste à prendre en compte la différence entre le salaire net (réel ou hypothétique) et le montant total des charges du parent assurant la prise en charge de l’enfant, calculées selon le minimum vital du droit des poursuites, respectivement du droit de la famille dès que la situation financière le permet30.
Cet arrêt exclut la proposition d’autres auteurs de ne considérer qu’une proportion réduite des frais relatifs à la prise en charge lorsque celle-ci n’est pas complète, soit que le parent gardien travaille à temps partiel, soit que l’enfant ne nécessite plus qu’une prise en charge limitée. En effet, cette méthode ne tient compte ni des revenus réels du parent concerné ni du fait que ses frais de subsistance sont ou non couverts.
Les charges du parent gardien comprennent donc au moins un forfait pour son entretien de base, sa part au loyer ou ce qui en tient lieu s’il est propriétaire (déduction faite de celle retenue pour l’enfant), l’assurance obligatoire, les frais médicaux, les frais nécessaires à l’acquisition du revenu; si la situation le permet, les impôts doivent être comptabilisés ainsi que les dépenses qu’entraînent, pour lui, les loisirs de l’enfant (trajet, par exemple). D’autres charges ne devraient être considérées qu’avec retenue; en effet, la jurisprudence relative aux articles 176 et 125 CC ne peut pas être reprise telle quelle, puisque le but est de permettre au parent gardien d’assurer la couverture de ses charges incompressibles, mais non de participer au niveau de vie de l’autre parent.
2.3.4 Evolution dans le temps de la prise en charge
Les critères qui jusqu’à présent étaient utilisés pour fixer après divorce les capacités d’un conjoint à assumer son entretien convenable malgré la présence d’enfants sont toujours appliqués, y compris la question d’un revenu hypothétique, et sont utilisés pour justifier ou non l’existence d’une contribution couvrant les coûts indirects31.
Le message laissait ouvert la question de la durée de la contribution de prise en charge. Tout en se référant à la jurisprudence du Tribunal fédéral dite des «10/16»32, il précisait que le Tribunal fédéral devrait la réexaminer pour tenir compte des situations concrètes. Bien que la jurisprudence33 ait toujours précisé qu’il s’agissait de lignes directrices, ces limitations s’imposaient largement comme règles intangibles dans la pratique. Une partie de la doctrine34 les critiquait, considérant qu’elles ne correspondaient plus à la réalité économique, les femmes étant largement actives professionnellement malgré la maternité. Pour mettre fin à la règle des «10/16», une partie de la doctrine considère que le taux d’activité exigible doit être fondé sur le degré scolaire fréquenté par le cadet des enfants35 (20%-30% dès l’école maternelle, 40%-50% dès l’école primaire, 70%-80% dès le cycle secondaire et à plein temps dès l’âge de 16 ans), d’autres selon le développement de l’enfant (entrée à l’école obligatoire (école maternelle) 50%; cycle supérieur 100%36), d’autres auteurs, au-delà de directives, considèrent que chaque situation doit être évaluée de cas en cas en fonction de l’intérêt de l’enfant.
Les pratiques cantonales varient aussi fortement; la plupart des cantons romands sont attachés à la règle des «10/16» mais l’adaptent aux circonstances en fonction du cas (capacités financières du couple, pratique pendant la vie commune)37; certains ont adopté d’autres lignes directrices (Fribourg38: école primaire du cadet 30%-50%, école secondaire 60%-80%, fin école obligatoire: 100%). Les tribunaux alémaniques39, à l’exception du Tribunal supérieur du canton de Zurich, varient déjà de la jurisprudence fédérale en fonction des degrés scolaires (Zoug: école primaire 50%, école secondaire 100%; Lucerne: école primaire 40%-50%, secondaire 70%-80%, dès 16 ans 90%-100%) ou des catégories d’âge appliquées en droit des poursuites (Saint-Gall: dès 6 ans 35%, dès 12 ans 55%, dès 16 ans 100%).
Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral remet en cause sa jurisprudence et résume les différents mouvements de doctrine sans définir de nouvelles lignes directrices. Il a néanmoins considéré qu’il n’était pas insoutenable de retenir un revenu hypothétique à 30% pour un parent ayant la garde d’un enfant de 3 ans40. Dans un autre arrêt, examinant les obligations d’une mère vis-vis des enfants nés d’un premier lit, il a considéré que celle-ci pouvait assumer une activité à 40% dès que l’enfant né d’une seconde union aurait atteint l’âge de 1 an41.
De notre avis, il ne faudrait pas qu’un modèle se contente d’en remplacer un autre. Quoi qu’ait pu en dire le Tribunal fédéral jusqu’à sa dernière décision, la règle des «10/16» était relativement figée. Les réalités sociales rendent nécessaire un examen concret de chaque situation. S’il est vrai que les femmes travaillent fréquemment tout en ayant des enfants, il ne faut pas oublier que les réalités des unes et des autres peuvent être très différentes en fonction de leur lieu de vie, des horaires scolaires, des possibilités d’accueil parascolaire, des transports, de leur formation, de leur statut (indépendant/salarié). Si la référence au passage scolaire semble pertinente comme étape majeure dans la diminution du besoin de prise en charge de l’enfant, ces repères objectifs doivent être conjugués aux autres aspects concrets pour éviter un schématisme. Certains modèles proposés comportant de nombreuses étapes, nécessitant de travailler à temps très partiel et d’augmenter ce taux régulièrement, semblent bien peu compatibles avec la réalité.
2.3.5 Répartition de la prise en charge entre plusieurs enfants
Une application stricte de la loi voudrait que chaque enfant d’une même fratrie ait droit à une contribution d’entretien qui garantisse sa propre prise en charge. En pratique, une telle solution pose des problèmes, notamment quant à l’évolution dans le temps des contributions d’entretien dues à des enfants d’âges différents. Certains tribunaux attribuent la contribution de prise en charge dans sa totalité au plus jeune des enfants communs42. Certains auteurs préconisent, eux, une distinction entre la contribution visant à la couverture des coûts directs, et celle couvrant la prise en charge qui serait due solidairement aux enfants et pourrait présenter des paliers43. Une telle solution a le mérite de la clarté et de la cohérence avec la volonté du législateur de tenir compte des différentes composantes de l’entretien.
2.4. Garde partagée et situations particulières
Dans le cas d’une garde partagée 50/50, la capacité de gain de chaque parent est entamée dans la même mesure, ainsi un enfant ne justifiant plus qu’une prise en charge à mi-temps laisse à chacun de ses parents une possibilité d’exercer une activité lucrative à 75%44.
Dans une garde partagée, comme dans le cas de parents travaillant à plein temps mais avec une prise en charge de l’enfant par un seul des parents, une contribution pour les coûts indirects doit être fixée si la subsistance de l’un des parents n’est pas garantie du fait qu’il s’occupe de l’enfant45.
2.5. Priorité entre coûts directs et indirects
En cas de situation serrée, les coûts directs doivent prioritairement être couverts. Pour ne pas favoriser un mode de garde plutôt qu’un autre, dans de telles situations, les coûts directs de garde doivent également être exclus46.
2.6. Le caractère convenable de l’entretien
L’entretien convenable apparaît ainsi comme l’addition de toutes les composantes de l’entretien et doit être précisé par chaque décision judicaire fixant une contribution47.
La question qui se pose est celle de déterminer si l’entretien de l’enfant se limite à la couverture des coûts directs et indirects. De nombreuses pratiques, jusqu’ici connues, notamment les méthodes abstraites et celles pratiquées entre parents mariés (minimum vital avec répartition de l’excédent), assuraient aux enfants des contributions d’entretien qui, dans des situations financières moyennes à confortables, dépassaient leurs coûts et les faisaient profiter d’un disponible qui était ensuite dévolu aux loisirs, à de l’épargne ou simplement à une amélioration du niveau de vie. Certaines pratiques cantonales considèrent que l’entretien convenable de l’enfant se limite à la couverture des frais indirects et directs, ces derniers étant établis de manière plus au moins large en fonction de la situation des parents de manière à tenir compte par ce biais du niveau de vie. D’autres fixent l’entretien convenable à l’addition des coûts indirects, directs (établis selon le droit des poursuites ou le droit de la famille) et d’une part du disponible du/des parents48. Peu importe la méthode, il doit être tenu compte du niveau de vie des parents, de sorte qu’il n’est à notre avis pas soutenable qu’un parent qui gagne confortablement sa vie et qui n’assume qu’une faible prise en charge de l’enfant se contente de couvrir ses frais directs, voire indirects, au motif que ceux-ci constituent l’entretien convenable. L’expérience montre déjà que dans les cantons où seuls les coûts effectifs sont pris en considération, un nombre incalculable de pièces sont déposées par les plaideurs pour les établir, au risque de «noyer» l’Autorité. L’attribution systématique d’une part du disponible peut être critiquable, mais elle a l’avantage de la simplicité et d’un certain réalisme, tant il est vrai que, parents séparés ou non, le niveau de vie des enfants est influencé par ce qui dépasse les coûts essentiels. Limiter l’entretien à la couverture mathématique des coûts effectifs, sans autre considération du niveau de vie des parents, peut mener à ce que l’enfant soit moins bien traité que sous l’ancien droit, ce qui n’est pas l’objectif de la réforme. Une telle conception ne nuirait d’ailleurs qu’aux enfants dont les parents ne sont pas mariés, les autres améliorant leur niveau de vie au travers des contributions entre conjoints, et réapparaîtrait alors l’inégalité combattue.
3. Répartition des coûts directs entre parents49
Le Tribunal fédéral50 a récemment répété la nécessité de tenir compte des soins et du temps consacré à l’enfant pour répartir ses coûts d’entretien. Même si les prestations en nature et en argent sont de même valeur idéale, la situation financière des deux parents est seule significative; aussi le parent qui assume la prise en charge en nature la plus importante pourra-t-il quand même devoir contribuer financièrement à l’entretien de l’enfant.
Dans les situations de garde partagée (prise en charge égale), si les revenus sont équivalents, le partage des frais s’opérera moitié-moitié; si les revenus sont déséquilibrés, la répartition doit se faire dans les situations moyennes en proportion des disponibles de chacun, et dans les situations confortables en proportion des revenus51.
Dans les situations où la prise en charge n’est pas partagée, selon le Tribunal fédéral52, tout investissement de la part de l’autre parent qui va au-delà de l’exercice d’un simple droit de visite doit être répercuté non pas sur la contribution de prise en charge mais sur la répartition des coûts directs variables (frais d’alimentation, dépenses de loisirs). Plus la prise en charge s’approche d’une garde partagée, plus cette répercussion gagne en importance et devrait à notre avis porter également sur certains autres coûts fixes comme le loyer. Pour qu’une imputation sur les coûts directs se justifie, il faut néanmoins que la prise en charge soit d’une certaine importance53.
En cas de garde exclusive, les pratiques cantonales varient. Certaines décisions appliquent un régime très mathématique54, opérant une répartition des coûts en fonction des disponibles sans néanmoins de pondération liée à la prise en charge effective par un seul des parents, sans tenir compte non plus du fait que le parent gardien travaille à un taux supérieur à ce qu’on pourrait exiger de lui55. D’autres opèrent des pondérations pour tenir compte de la garde, survalorisant parfois une prise en charge du parent non gardien assez anecdotique56. Certains auteurs considèrent qu’une répartition moitié-moitié des coûts peut se justifier lorsque le disponible du parent gardien est nettement supérieur à celui du parent non gardien et que, à l’inverse, lorsque le disponible de ce dernier est inférieur de 20%-30%, l’entier des coûts directs doit être assumé par l’autre parent, le parent gardien assurant alors sa prestation en nature57. Selon une partie de la doctrine, il peut aussi être fait abstraction d’une part du revenu du parent gardien qui exerce une activité à un taux supérieur à ce qui pourrait être exigé de lui58. A notre avis, il serait préférable d’adapter les coûts fixes et variables (nourriture, loisirs, habillement, voire loyer) plutôt que de les répartir de manière artificielle au risque que deux parents travaillant au même taux et au même salaire, mais où un seul assure la garde, se trouvent avec un résultat identique, du point de vue de l’entretien, à celui d’une garde partagée.
4. Constats
Les décisions récentes du Tribunal fédéral ont permis de clarifier la notion des coûts indirects et ont mis fin à la règle des «10/16» qui, malgré les nombreux modèles proposés par la doctrine et les cantons, n’est pour l’instant pas remplacée. On peut souhaiter que ce soit l’occasion pour le Tribunal fédéral d’approcher des solutions qui tiennent compte non seulement des étapes objectives importantes de la vie de l’enfant, mais surtout de la situation concrète qu’il vit et que connaît le parent dont on attend une reprise d’activité. La jurisprudence devra veiller à rester cohérente en maniant des notions issues du droit du mariage, comme le revenu hypothétique, tant il est vrai qu’elles sont empruntes des articles 163 et 176 CC, qui ne s’appliquent pas aux situations d’unions libres, au risque de voir poindre des solutions aux contours incertains et variables selon l’état civil des parents de l’enfant, ce qui est précisément combattu par la réforme. La détermination des coûts directs de l’enfant laisse une marge d’appréciation importante, tout comme la notion convenable de l’entretien; elles ne doivent pas mener à une définition étriquée et mathématique qui ne tiendrait pas compte du niveau de vie des parents ou qui contraindrait, pour le prouver, les parties et les tribunaux à des analyses longues et contre-productives. Le but du législateur est de mettre sur un pied d’égalité les enfants quel que soit l’état civil de leurs parents, et non de créer une usine à gaz. Enfin, la répartition des coûts directs laisse aussi une grande marge d’appréciation, il faut y voir la possibilité pour le juge d’appréhender toutes les particularités d’une situation et celle des parties de discuter, plutôt que de regretter l’absence d’un algorithme. y
*Spécialiste FSA en droit de la famille.
1Modification du Code civil adoptée le 20 mars 2015 (RO 2015 4299).
2TF 5A_1017/2014.
3FF 2014 511, en particulier p. 522.
4Art. 276 ch. 2 CC: les père et mère contribuent ensemble chacun selon ses facultés, à l’entretien convenable de l’enfant.
5ATF 121 I 97, répété malgré les critiques: 140 III 337, 137 III 59, 135 III 66.
6TF 5A_25/2018 du 31.5.2018, c. 5.2.
7Art. 276a CC.
8Art.176 al. 1 ch. 1 CC.
9Patrick Stoudmann, Le nouveau droit de l’entretien ce qui change et ce qui reste, RMA 6/2016, pp. 427 à 435 qui considère que la méthode des pourcentages pourrait continuer à s’appliquer dans la situation où aucune contribution de prise en charge ne doit être fixée.
10Notamment ATF 120 II 265.
11TF 5A_764/2017 du 7.3.2018.
12TF 5A_20/2017 du 29.11.2017, FamPra.ch2018 p. 592.
13Olivier Guillod, La détermination de l’entretien de l’enfant, in: Bonhet/Dupont (Ed.), Le nouveau droit de l’entretien de l’enfant et du partage de la prévoyance, 2016, n. 40, au moins 12 000 fr. par mois.
14Tabelles établies selon revenus moyens, correctifs de 25% selon revenu effectif; dans les régions périphériques, 20%-30%.
15Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Fribourg 101 2016 406 du 17.2.2017; Arrêt de Cour civile du canton du Jura CC 29/2018 du 12.7.2018.
16Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Vaud CACI 2017 126 du 24.3.2017; Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Neuchâtel CACIV 2017 80 du 21.2.2018.
17TF 5A_970/2017 du 07.6.2018.
18TF 5A_461/2017 du 25.7.2017: seuls les frais de logement effectifs et raisonnables au vu de la situation financière concrète doivent être pris en considération.
19Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Neuchâtel CACIV 2017 80 du 21.2.2018.
20Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Fribourg CACI 101 2017 132 du 12.12.2017; Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Vaud CACI 2017 269 du 29.6.2017.
21TF 5A_874/2015 du 2.3.2016.
22TF 5A_271/2012 du 12.11.2012.
23TF 5A_454/2017 du 17.5.2018.
24Stoudamnn, op. cit, pp. 427 ss.
25Alexandra Jungo/Regina Aebi-Müller/Jonas Schweighauser, Der Betreuungsunterhalt, FamPra.ch 2017, pp. 163 ss.
26TF 5A_98/2016 du 25.6.2018.
27Arrêt de la Cour d’appel du canton de Fribourg du 27.3.2017, RFJ 2017 p. 41 et 101 2016 406 du 7.2.2017: situations où l’état de santé du parent est responsable en tout ou partie de l’impossibilité d’assurer sa subsistance.
28TF 5A_454/2017 du 17.5.2018; Cour d’appel civile du canton de Fribourg 101 2017 113 du 5.2.2018.
29Message FF 2014, pp. 511 ss.
30TF 5A_454/2017 du 17.5.2018.
31Stoudmann , op. cit., pp. 427 ss. ATF 137 III 102.
32Reprise d’une activité lucrative à 30%-50% dès 10 ans du cadet, puis à plein temps dès 16 ans.
33ATF 137 III 102; 134 III 577; TF 5A_454/2017 du 17.5.2018.
34Guillod, op. cit., N 44 p. 21 s et références citées.
35Jungo/Aebi-Müller/Schweighauser, op. cit., p. 163; Thomas Gabathuler, Unterhaltsrecht: Kinderbetreuung und Erwerbstätigkeit, Plädoyer 5/16, pp. 32 ss.
36Christine Arndt/Gian Brändli, Berechnung des Betreuungsunterhalts, FamPra.ch 2017 pp. 236 ss.
37Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Neuchâtel, CACIV 2017 18 du 15.8.2017; Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Vaud CACI 2017 339 du 15.7.2017; Arrêt de la Cour de Justice du canton de Genève 1072 2017 du 1.9.2017.
38Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Fribourg 101 2017 379 du 23.4.2018; 101 2016 317 du 27.3.2017; 101 2017 115 du 4.8.2017; 101 2017 132 du 12.12.2017.
39TF 5A_454/2017 du 17.5.2018.
40TF 5A_454/2017 du 17.5.2018.
41TF 5A_98/2016 du 25.6.2018: pour l’âge, il se réfère au rapport de la Commission de coordination pour les questions familiales et aux normes d’aide sociale CSIAS.
42Arrêt de la Cour civile du canton du Jura CC29/2018 du 12.7.2018; Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Fribourg 101 2016 366 du 5.10.2017.
43P. Stoudmann, La contribution de prise en charge, in: Fountoulakis/Jungo (Ed.) Entretien de l’enfant et prévoyance professionnelle, symposium en droit de la famille, 2018, pp. 110 ss.
44P. Stoudmann, op.cit., p. 88 et références citées.
45TF 5A_454/2017 du 17.5.2018.
46TF 5A_708/2017 du 13.3.2018.
47Art. 282 al. 1 let. b et c CPC, 301a let. b et c CPC, art. 287a let. b et c CC.
48Directives du Tribunal civil de Bâle-Campagne Ouest du 14 décembre 2016.
49P. Stoudmann, La répartition des coûts directs de l’enfant en cas de garde exclusive, RAM 2018, p. 255.
50TF 5A_764/2017 du 7.3.2018.
51Arrêt de la Cour d’appel civile du canton de Fribourg 101 2017 143 du 16.1.2018.
52TF 5A_454/2017 du 17.5.2018.
53P. Stoudmann, op. cit. p. 258 indique un à deux demi-jours en plus du droit de visite usuel, et propose 20% d’imputation des coûts fixes variables uniquement pour un jour et un soir.
54RFJ 2017 p. 231 et critique de Stoudmann, op, cit,. p. 260.
55Arrêt de la Cour d’appel civil du canton de Vaud CACI 2017/126 du 24.3.2017.
56Arrêt de la Cour d’appel civil du canton de Vaud CACI 2017/210 du 2.6.2017 et critique de Stoudmann, op. cit. p. 263.
57Combini, Jdt 2017 pp. 187 ss; Jungo/Aebi-Müller/Schweighauser, Fam.Pra.ch 2017 p. 163 ss.
58Stoudmann, op. cit, p. 269. Arrêt de la Cour d’appel civile du canton du Valais C1 17 176 du 12.10.2017.