La Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, conclue le 30 octobre 2007 à Lugano, communément désignée «Convention de Lugano révisée» (RS 0.275.12, CLrév), est entrée en vigueur, pour la Suisse, le 1er janvier 2011. Ses parties contractantes sont l'Union européenne (UE), la Suisse, le Danemark, la Norvège et l'Islande.
Ayant succédé à la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (RS 0.275.11; CL 1988)2, elle constitue un accord parallèle au Règlement (CE) 44/2001 du 22 octobre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Règlement Bruxelles I), dont les travaux de révision ont été menés conjointement.
Prolongement par continuité de la CL 1988 qu'elle améliore, clarifie et simplifie, la CLrév est à la fois familière et porteuse de changement.
D'un point de vue formel, la numérotation de ses dispositions diffère de celle de la CL 1988, dès lors qu'elle s'est calquée sur celle du Règlement Bruxelles I. D'un point de vue matériel, les modifications portent notamment sur les normes de compétence et touchent également la définition de la litispendance ou celle du siège des personnes morales, ce sous la forme de dispositions autonomes3. Les adaptations tendent en outre à améliorer l'efficacité des procédures de reconnaissance et d'exécution des jugements, ce en accélérant le processus, tout en garantissant les droits du défendeur dans celui-ci.
La caractéristique centrale de l'espace judiciaire européen ainsi mis en place est l'interprétation uniforme, voire autonome, de la Convention de Bruxelles et, par la suite, du Règlement Bruxelles I, opérée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), aux fins d'assurer et d'accroître l'effet utile et unificateur de ces instruments ainsi que leur prévisibilité4.
Ainsi, et en raison du parallélisme qui existe entre ces instruments, des mécanismes encourageant une interprétation aussi uniforme que possible des dispositions de la CLrév et du Règlement Bruxelles I (Protocole N° 2 CLrév) sont intégrés à la CLrév (et, avant elle, à la CL 1988)5. Les Etats parties s'engagent en outre à ce que leurs tribunaux tiennent dûment compte des principes définis par toute décision pertinente concernant des dispositions de la CLrév, de la CL 1988 ou du Règlement Bruxelles I.
Partant, la jurisprudence développée par les autorités de l'espace Bruxelles/Lugano relative tant à la CL 1988 qu'à la Convention de Bruxelles et au Règlement Bruxelles I, doit être prise en compte par les autorités judiciaires suisses, lors de l'application et de l'interprétation des dispositions de la CLrév6. Le Tribunal fédéral a toutefois précisé qu'une reprise par les juridictions suisses de l'interprétation donnée par la CJUE était exclue dans les cas où elle serait influencée par l'application d'autres règles communautaires7.
La présente contribution a pour ambition de guider les praticiens à travers la CLrév et de leur permettre de (re)trouver leurs marques et, à cet effet, elle décryptera, en partie, les modifications apportées à la CLrév. Après une première partie consacrée
1. aux modifications relatives aux règles de compétence directe, elle traitera 2. de celles relatives à la reconnaissance et à l'exécution des décisions, tout en 3. présentant leur impact sur la législation interne suisse, au niveau de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) et du Code de procédure civile suisse (CPC).
1. Eclairage sur certaines modifications en matière de compétence
1.1 For en matière contractuelle (article 5 ch. 1 CLrév)
L'article 5 ch.1 lit. a CLrév prévoit, en matière contractuelle, qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat lié par la présente convention peut être attraite dans un autre Etat lié par la présente convention, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée.
Cette disposition a été complétée de façon à intégrer une définition autonome du lieu d'exécution pour la vente de marchandises et la fourniture de services. Celui-ci se trouve au lieu d'un Etat lié par la CLrév où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées, respectivement, où les services ont été ou auraient dû être fournis.
Ainsi, pour ces deux types de contrat, il n'est plus nécessaire de déterminer, comme l'exigeait la jurisprudence relative à l'article 5 ch. 1 CL, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande, selon la lex causae, c'est-à-dire selon la législation applicable en vertu du droit international privé de l'Etat saisi8.
Cette solution, abandonnée pour la vente de marchandises et la fourniture de services, avait fait l'objet de nombreuses critiques dès lors qu'elle consacrait un forum actoris chaque fois que l'obligation litigieuse est celle de payer et que cette obligation est une dette portable selon le droit applicable (ce qui est le cas en Suisse et dans de nombreux Etats étrangers). Elle continue toutefois de s'appliquer aux contrats autres que de vente de marchandises et de fourniture de services ou, s'agissant de tels contrats, lorsque le lieu d'exécution se trouve en dehors du territoire d'un Etat membre9.
A ce jour, la CJUE a été amenée à interpréter à plusieurs reprises la disposition correspondante du Règlement Bruxelles I et s'est exprimée en faveur d'une détermination autonome et non factuelle du lieu de livraison10. Elle a aussi (a) distingué un contrat de vente de marchandises par rapport à un contrat de fourniture de services, (b) défini le lieu de livraison en cas de vente à distance, et (c) clarifié si l'article 5 ch. 1 du Règlement Bruxelles I est applicable en cas de fourniture de services dans plusieurs Etats membres et défini quel est le tribunal compétent dans ce cas, s'agissant d'un contrat d'agence commerciale.
a) les contrats dont l'objet est la livraison de marchandises à fabriquer ou à produire, alors même que l'acheteur a formulé certaines exigences concernant l'obtention, la transformation et la livraison des marchandises, sans que les matériaux aient été fournis par celui-ci, et que le fournisseur est responsable de la qualité et de la conformité au contrat de la marchandise, doivent être qualifiés de «vente de marchandises»11 (par opposition à un contrat de fourniture de services);
b) en cas de vente à distance, le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées en vertu du contrat doit être déterminé sur la base des dispositions de ce contrat. S'il est impossible de déterminer le lieu de livraison sur cette base, sans se référer au droit matériel applicable au contrat, ce lieu est celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l'acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l'opération de vente12;
c) en cas de fourniture de services dans plusieurs Etats membres, le tribunal compétent pour connaître de toutes les demandes fondées sur le contrat est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu de la fourniture principale des services. Pour un contrat d'agence commerciale, ce lieu est celui de la fourniture principale des services de l'agent, tel qu'il découle des dispositions du contrat ainsi que, à défaut de telles dispositions, de l'exécution effective de ce contrat et, en cas d'impossibilité de le déterminer sur cette base, celui où l'agent est domicilié13.
1.2 Définition autonome de la litispendance (article 30 CLrév)
Cette disposition a pour objectif d'introduire des éléments permettant d'identifier, de manière autonome, le moment à partir duquel une juridiction est saisie. A cet effet, elle se réfère à deux étapes procédurales facilement identifiables, soit l'introduction de la demande auprès du tribunal et la notification de l'acte introductif d'instance au défendeur.
S'agissant de la Suisse, il n'est pas contesté que la conciliation constitue un acte introductif d'instance au sens de l'article 30 ch. 1 CLrév. Ainsi, lorsque le dépôt de la demande de conciliation est une étape de la procédure, sa réalisation crée une situation de litispendance, soumise à la condition que le demandeur accomplisse les démarches ultérieures requises14. Lorsqu'une procédure de conciliation n'est pas prévue, c'est le dépôt de la demande en justice qui est déterminant15. Le CPC s'inscrit parfaitement dans cette ligne et son article 62 prévoit une solution comparable.
1.3 Définition autonome du siège des personnes morales (article 60 CLrév)
Critère principal pour déterminer le champ d'application dans l'espace de la CLrév, le domicile du défendeur est également le pilier du système relatif à la compétence directe. En effet, selon l'article 2 par. 1 CLrév, les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat partie sont attraites devant les juridictions de cet Etat.
Le nouvel article 60 CLrév consacre une définition autonome du siège des personnes morales, plaçant au même niveau plusieurs critères de rattachement. A teneur de cette disposition, celles-ci sont domiciliées, alternativement, là où est situé (a) leur siège statutaire, (b) leur administration centrale ou (c) leur principal établissement.
2. Eclairage sur la refonte du système de reconnaissance et d'exécution des décisions
2.1 Rappel liminaire
A l'instar des instruments qui l'ont précédée, la CLrév prévoit en son titre III un régime simplifié de reconnaissance et d'exécution des décisions rendues dans un autre Etat contractant, favorisant un système de libre circulation des jugements.
Sans aller jusqu'à suivre la tendance qui se dessine au sein de l'Union européenne en faveur de la suppression pure et simple de toute procédure de reconnaissance et de la création d'un titre exécutoire européen16-17, la CLrév tend à simplifier davantage encore le processus.
Conformément à l'article 32 CLrév, la notion de décision soumise au titre III est très large. Il s'agit de toute décision rendue par une juridiction d'un Etat lié par la CLrév, quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu'arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d'exécution ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès. Par la mention de toute décision, l'article 32 entend écarter toute condition relative à la force de chose jugée ou au caractère définitif de la décision. Ainsi sont comprises dans cette définition les décisions rendues au terme d'une procédure sommaire, de même que le prononcé de la mainlevée provisoire, un accord issu d'une médiation rendu exécutoire18 ou encore des mesures conservatoires, telles qu'un séquestre ou une saisie19.
Afin de privilégier la rapidité du processus et de ménager, le cas échéant, un effet de surprise, tant la procédure de reconnaissance que celle d'exécution s'articulent en deux phases distinctes. La première de ces phases est unilatérale, seule la seconde, qui ne se déroule qu'en cas de recours, devenant contradictoire.
Selon le système mis en place, les décisions rendues dans un Etat partie sont reconnues de plein droit dans tous les autres Etats parties sans qu'aucune procédure soit nécessaire à cet effet (article 33 CLrév).
Si, toutefois, la régularité de la décision est contestée ou si son exécution forcée est demandée, la CLrév prévoit des mécanismes de reconnaissance et d'exécution qui se dérouleront, le cas échéant, selon les deux phases susmentionnées.
Tout d'abord, l'article 33 al. 2 CLrév permet d'introduire une action tendant à faire constater, à titre principal, que la décision doit être reconnue selon les procédures prévues aux articles 38 ss et 53 ss CLrév20. Il est également possible d'invoquer, de façon incidente, la reconnaissance devant une juridiction d'un Etat membre21. Celle-ci est compétente pour connaître de la reconnaissance à titre incident même si l'action principale échappe au domaine d'application de la convention, dès lors que la décision étrangère est susceptible d'influencer le sort de celle-ci, par exemple en raison de l'exception de chose jugée22. Enfin, afin d'obtenir l'exécution d'une décision, il est nécessaire de recourir à la procédure prévue aux articles 38 ss CLrév et 53 ss CLrév.
En raison du renvoi opéré par les articles consacrés à la reconnaissance à ceux relatifs à l'exécution, la procédure suivie est ainsi largement similaire, dans la mesure de sa transposabilité.
2.2 Eclairage sur certaines modifications en matière de reconnaissance et d'exécution
2.2.1 La première phase (unilatérale)
2.2.1.1 La déclaration de force exécutoire quasi automatique
La révision a une incidence importante sur le déroulement de la procédure d'obtention de la déclaration de force exécutoire (exequatur).
De manière similaire à la CL 1988, l'article 38 al. 1 CLrév prévoit que les décisions rendues dans un Etat lié par la convention et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre Etat lié par la convention après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.
Un changement substantiel est apporté par l'article 41 CLrév. A teneur de cette disposition, tout contrôle de la décision étrangère et de l'existence d'éventuels motifs de refus au sens des articles 34 et 35 CLrév est prohibé. Leur examen est ainsi reporté au second stade de la procédure, initié uniquement en cas de recours contre la déclaration constatant la force exécutoire de la décision23. Toujours selon cette disposition, l'autorité saisie ne procède qu'à un contrôle formel de la décision en vérifiant si les formalités prévues à l'article 53 CLrév sont réalisées.
Enfin, et comme par le passé, la partie contre laquelle l'exécution est demandée ne peut présenter des observations. Ainsi, la procédure demeure strictement unilatérale.
L'impact pratique de la révision est que l'octroi de la déclaration de force exécutoire a lieu quasi automatiquement, l'autorité de l'exequatur se muant en quelque sorte en simple office d'enregistrement24.
2.2.1.2 Documents à produire
Comme sous l'égide de la CL 1988, une expédition complète de la décision réunissant les conditions nécessaires à son authenticité doit être produite à l'appui de la demande de reconnaissance et de délivrance d'une déclaration constatant la force exécutoire25. Une copie certifiée conforme par l'autorité compétente de l'Etat d'origine peut être produite à la place de l'original. Si la production d'une photocopie ne suffit pas26, aucune légalisation ni formalité analogue ne sont pour autant exigées27.
L'article 53 al. 2 CLrév innove en prévoyant, en cas de procédure d'exequatur, que la demande doit être accompagnée du certificat dont le modèle figure à l'annexe V et qui comporte, de manière standardisée, toutes les mentions nécessaires à attester le caractère exécutoire de la décision étrangère28. Ce formulaire uniforme constitue une simplification importante de la procédure et des démarches à entreprendre par le créancier, lequel ne doit plus fournir différents documents afin de prouver des éléments indispensables à l'Etat requis. Ces faits essentiels sont dorénavant constatés dans un document unique, officiel, qui lie cette autorité29.
2.2.1.3 Compétence
S'agissant de l'autorité compétente pour le dépôt de la requête tendant à la déclaration constatant la force exécutoire, l'annexe II, à laquelle renvoie l'article 39 CLrév, présente la liste des autorités compétentes dans chaque Etat. Conformément au renvoi opéré par l'article 33 CLrév, cette disposition s'applique également pour la procédure de reconnaissance.
En Suisse, la requête doit être adressée au «tribunal cantonal de l'exécution». Ce tribunal est compétent pour toutes les mesures d'exécution, y compris l'octroi de l'exequatur et les mesures conservatoires afférentes30.
L'autorité compétente à raison du lieu est celle du domicile de la partie contre laquelle l'exécution est demandée ou celle du lieu de l'exécution.
Ce dernier for, qui était subsidiaire dans la CL 1988, devient alternatif dans la CLrév. Il se trouve au lieu où les règles de droit matériel de l'Etat requis permettent la mise à exécution des décisions, à l'instar, en Suisse, des articles 46 à 55 LP consacrant les fors de la poursuite ou l'article 339 CPC. Ainsi, ce nouveau libellé permet au créancier de cibler d'emblée sa démarche sur un lieu où se trouvent des biens saisissables du débiteur31. Cela étant, et dès lors que le droit de l'Etat requis ne peut porter atteinte à l'efficacité du système mis en place par la convention, les fors de la LP et de l'article 339 CPC n'ont pas de caractère exclusif32.
Le renvoi opéré par l'article 33 CLrév implique l'application des dispositions relatives à la procédure d'exequatur à la procédure de reconnaissance. Ainsi, le for du domicile de la partie qui s'oppose à la reconnaissance peut être retenu lorsqu'il s'agit de reconnaissance. En revanche, celui du lieu d'exécution ne peut convenir33.
2.2.2 La seconde phase (contradictoire et sur recours)
Conformément à l'article 43 CLrév, l'une ou l'autre des parties peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire (et de reconnaissance, conformément au renvoi de l'article 33 al. 2 CLrév), ce devant la juridiction indiquée sur la liste figurant à l'annexe III. En Suisse, il s'agit du Tribunal cantonal supérieur.
Comme par le passé, ce n'est qu'à partir de cette phase que la procédure devient contradictoire.
La révision apporte des modifications substantielles à la procédure de recours. Tout d'abord, ce n'est qu'à ce stade que les objections matérielles sont examinées pour la première fois, ce conformément à l'article 41 CLrév34. Ensuite, une même disposition s'applique dorénavant tant au recours du requérant qui n'a pas eu de succès qu'à celui de la partie contre laquelle l'exécution est dirigée (article 43 CLrév).
Enfin, les motifs de refus que la juridiction saisie du recours peut retenir conformément à l'article 45 CLrév, soit ceux énumérés aux articles 34 et 35, sont plus limités.
2.2.2.1 Motifs de refus
La restriction significative apportée aux motifs de refus tient au fait que la reconnaissance d'un jugement étranger peut être refusée lorsque l'acte introductif d'instance n'a pas été notifié ou signifié au défendeur défaillant en temps utile et de façon telle qu'il puisse se défendre et non plus déjà lorsque la notification a été exécutée simplement de manière non conforme35. Des défaillances formelles mineures lors de la transmission de la requête ne peuvent plus faire seules obstacle à la reconnaissance et à l'exécution, la possibilité de se plaindre d'une notification défaillante dépendant de l'existence d'une atteinte effective aux droits du défendeur36.
La CLrév prévoit de surcroît que le défendeur est déchu de son droit de soulever ce motif de refus s'il n'a pas exercé de recours contre la notification défaillante alors qu'il était en mesure de le faire.
Dès lors que la Suisse a émis une réserve sur ce point, cette limitation ne s'applique ni lorsque la Suisse est l'Etat requis ni, en vertu du principe de réciprocité, lorsqu'elle est l'Etat d'origine37. Dans un arrêt rendu le 23 octobre 2012, le Tribunal fédéral a précisé que la réserve de la Suisse est opérante, que la partie contre qui l'exécution est demandée soit domiciliée en Suisse, dans un autre Etat partie à la convention ou dans un Etat tiers et que, pour le surplus, elle doit être prise en considération nonobstant les critiques qu'elle suscite en doctrine38.
Pour le surplus, les autres motifs n'apportent pas de changement particulier.
2.2.2.2 Délais
Conformément à l'article 43 al. 5 CLrév, le délai pour le dépôt du recours formé par le débiteur contre la déclaration de force exécutoire (respectivement de reconnaissance) est d'un mois pour le débiteur domicilié dans l'Etat et de deux mois pour celui domicilié dans un autre Etat partie. Si le débiteur est domicilié dans un Etat tiers, la question de savoir si le délai d'un mois s'applique (avec une possible prorogation en raison de la distance) ou si, dès lors qu'aucun délai n'est mentionné, cette question doit être réglée en fonction du droit de l'Etat requis, est, en l'état, controversée39.
Aucun délai n'est fixé s'agissant du recours du créancier, laissant au requérant le temps nécessaire pour mieux présenter sa demande et le droit national pouvant prévoir un délai. A cet égard, l'avis est soutenu par certains qu'en Suisse, le court, délai de 10 jours de l'article 321 al. 2 CPC devrait s'appliquer40. En l'état, cette question n'est pas tranchée.
3. Mise à exécution des décisions et adaptation du droit suisse
La CLrév instaure une procédure d'exequatur unifiée, unilatérale au premier stade et applicable indépendamment du fait qu'il s'agisse d'exécuter des décisions portant sur des prestations en argent ou sur d'autres prestations. En outre, l'article 47 al. 2 CLrév requiert que des mesures conservatoires puissent être immédiatement obtenues dès la déclaration constatant la force exécutoire, ce sans avis préalable donné au débiteur et sans que des conditions supplémentaires doivent être réalisées.
Quand bien même la CLrév laisse à l'Etat requis le soin d'organiser la mise à exécution des décisions, le droit de cet Etat ne saurait porter atteinte à l'effet utile du système de la convention41. Or, non seulement la procédure suisse d'exécution est caractérisée par une distinction en fonction de la nature pécuniaire ou non des prestations, mais, en plus, elle subordonne l'octroi de mesures conservatoires à la réalisation de conditions telles que l'urgence ou le danger. Par conséquent, le droit suisse de l'exécution forcée doit être adapté, afin d'assurer le respect de la convention par des solutions uniformes de droit fédéral. Un aperçu de ces adaptations sera présenté ci-après.
3.1 Procédure relative aux prétentions non pécuniaires
La procédure d'exécution des prétentions non pécuniaires (faire, tolérer, s'abstenir) est prévue aux articles 335 ss CPC. La primauté des traités internationaux y est affirmée42, de sorte qu'il est possible de tenir compte des exigences de la CLrév dans le cadre d'une requête d'exécution formée selon l'article 338 CPC.
Dans le contexte de la CLrév, le tribunal de l'exécution pourra être saisi d'une demande de déclaration constatant la force exécutoire de la décision, accompagnée ou non d'une requête tendant à sa mise à exécution. La procédure et les conditions de l'exequatur sont régies par la CLrév: aussi, le tribunal de l'exécution statuera sans audition préalable du débiteur, dont les objections ne pourront être examinées qu'au stade d'un éventuel recours. La demande est accompagnée des documents mentionnés à l'article 53 CLrév43.
L'article 327a CPC, intitulé «Constatation de la force exécutoire selon la Convention de Lugano» aménage la voie de recours contre la décision d'exequatur, en tenant dûment compte des spécificités de la CLrév relatives au pouvoir de cognition ou aux moyens pouvant être examinés. Cette disposition renvoie en outre expressément aux délais fixés à l'article 45 al. 3 CLrév44.
Les mesures conservatoires relèvent du CPC, tout en devant être adaptées aux exigences de la CLrév45. Ainsi, la partie contre laquelle l'exequatur est demandée ne sera pas entendue dans le cadre d'une mesure conservatoire prise dans le contexte de la CLrév (articles 45 al. 1 CLrév cum 335 al. 3 et 340 CPC) et son octroi ne pourra être soumis à des conditions supplémentaires telles que l'urgence ou le danger46.
3.2 Procédure relative aux prétentions pécuniaires
3.2.1 Exécution et mesures provisionnelles: la voie du séquestre
L'article 271 LP a été adapté afin que, s'agissant de l'exécution d'une prestation en argent, la déclaration d'exequatur et les mesures conservatoires puissent être prononcées dans une procédure unilatérale sans participation du défendeur. Ainsi, un nouveau cas de séquestre fondé sur la seule existence d'un titre de mainlevée définitive a été introduit à l'article 271 al. 1 ch. 6 LP. Le changement apporté par cette disposition va largement au-delà de la CLrév, dès lors qu'il s'applique également aux titres de mainlevée d'origine suisse.
Conformément à l'article 271 al. 3 LP, le juge qui prononce le séquestre en application du chiffre 6 précité en se fondant sur un jugement exécutoire CLrév prononce également l'exequatur.
Le recours contre la décision autorisant le séquestre est régi par les règles du droit interne tandis que celui contre la déclaration de force exécutoire est soumis aux dispositions de la CLrév. Si l'opposition à séquestre doit être formée dans les 10 jours, on rappellera que conformément à l'article 43 al. 5 CLrév, le délai contre la décision d'exequatur n'est pas le même suivant la qualité et le domicile de celui qui le forme47.
S'agissant de la procédure de validation du séquestre, le droit suisse a également été adapté afin de tenir compte des exigences de la CLrév. Ainsi, l'article 81 al. 3 LP prévoit que les moyens prévus par une convention qui ont déjà fait l'objet d'une décision ne peuvent plus être revus. Ainsi, la déclaration d'exequatur ne peut plus être remise en question devant le juge de la mainlevée48. De plus, les délais de validation ne courent ni pendant la procédure d'exequatur ni pendant celle de recours contre la décision d'exequatur49.
3.2.2 «Exequatur» seule: la voie de la mainlevée indépendante du séquestre
Selon la CLrév, un créancier dispose d'un droit autonome et individuel à obtenir la déclaration de force exécutoire dans chaque Etat partie. Or, le système mis en place par l'article 271 LP associe l'exequatur et les mesures conservatoires, sans qu'il soit possible de solliciter l'un sans l'autre.
La question se pose dès lors de la voie offerte au créancier qui voudrait obtenir l'exequatur sans vouloir ou pouvoir demander le séquestre50.
Comme par le passé, il convient de se tourner vers le régime d'exécution forcée consacré par la LP. Celui-ci est toutefois en conflit avec les exigences de la CLrév. Compte tenu de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral sous l'égide de la CL 1988, le problème de l'adaptation de la procédure préalable et de mainlevée à la CLrév pourrait se poser de manière moins accrue51.
En effet, le Tribunal fédéral a consacré et clarifié le fait que le créancier au bénéfice d'une décision étrangère portant sur une somme d'argent rendue dans un Etat lié à la Suisse par la CL 1988 dispose de deux possibilités pour en obtenir l'exécution. La première consiste en le prononcé de l'exequatur à titre incident par le juge de la mainlevée saisi d'une requête de mainlevée de l'opposition. La seconde en une procédure d'exequatur indépendante et unilatérale devant le juge de la mainlevée qui déclarera exécutoire en Suisse le jugement étranger dans une procédure non contradictoire, sans entendre préalablement le débiteur52.
La transposabilité de cette approche dans le contexte de la CLrév n'a pas été tranchée, même si la doctrine se prononce en sa faveur53. Dans l'affirmative, le créancier disposerait notamment de l'option d'entamer devant le juge de la mainlevée une procédure non contradictoire, sans entendre le débiteur, selon les règles des articles 38 ss CLrév.
Cette visite guidée à travers la CLrév, dont l'ambition limitée était de mettre en lumière une sélection d'éléments importants de l'environnement à la fois modifié et familier dans lequel évoluent les praticiens, touche ici à sa fin.
A l'issue de ce parcours, on voit que, à beaucoup d'égards, la CLrév permet de clarifier des incertitudes ou des imprécisions qui existaient sous l'égide des instruments qui l'ont précédée. Son entrée en vigueur, concomitante à celle de la procédure civile unifiée, a opportunément permis d'améliorer le droit suisse de l'exécution forcée dans le contexte de la CLrév et de mettre un terme aux réponses cantonales disparates qui étaient données.
Certes, des zones d'ombre subsistent qui nécessiteront, comme par le passé, une certaine créativité notamment pour adapter le droit suisse aux exigences de la CLrév. Toutefois, le système de libre circulation des jugements mis en place se trouve véritablement amélioré et renforcé, au niveau tant de la compétence directe que des règles sur la reconnaissance et l'exécution.
1Titulaire d'un DEA en droit international privé et médiatrice.
2 Qui était le pendant de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Convention de Bruxelles).
3FF 2009 1504.
4CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 1 - 79 CL, N 2.
5Soit un système d'échange d'informations et de consultation concernant les décisions rendues en application de ces instruments.
6Bernard Dutoit et alii, Chronique de jurisprudence suisse, Convention de Lugano, in: Journal du droit international, juillet-août-septembre 2011, N° 3/2011, pp. 678-700, p. 678.
7ATF 131 III 227; ATF 135 III 185; Bernard Dutoit et alii, Chronique de jurisprudence suisse, Convention de Lugano, in: Journal du droit international, juillet-août-septembre 2011, No. 3/2011, pp. 678-700, p. 678.
8CJCE, Arrêt du 6 octobre 1976 dans l'affaire C-12/79 (Tessili c/Dunlop).
9FF 2009 1508.
10FF 2009 1510; CJUE, Arrêt du 3 mai 2007 dans l'affaire C-385/05 (Color Drack).
11CJUE, Arrêt du 25 février 2010 dans l'affaire C-381/08 (Car Trim GmbH c/KeySafety Systems Srl).
12Ibidem.
13Ibidem.
14FF 2009 1521.
15Ibidem.
16A l'instar de ce que prévoit le règlement (CE) N° 805/2004 du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, lequel offre la possibilité d'une exécution immédiate dans les autres Etats membres où le débiteur dispose de biens.
17CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 32 CL, N 11.
18CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 32 CL, N 5.
19Idem, N 7.
20Lesquels régissent principalement l'exécution des décisions.
21Article 33 al. 3 CLrév.
22CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 33 CL, N 5; BSK LugÜ - Rolf Schuler, art. 32 N 32.
23CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 42 CL, N 5.
24CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 42 CL, N 5.
25Article 40 al. 3 et 53 al. 1 CLrév.
26Arrêt du Tribunal fédéral du 24 septembre 2009, 5A_241/2009.
27 Article 56 CLrév.
28(1) Mention de l'Etat d'origine de la décision, (2) juridiction ou autorité délivrant le certificat, (3) juridiction ayant prononcé la décision, (4) éléments essentiels pour identifier la décision (date, numéro de référence, numéro des parties, date de la signification ou de la notification de l'acte introductif d'instance si la décision a été rendue par défaut, dispositif de la décision), (5) mention du caractère exécutoire de la décision et partie contre laquelle l'exécution peut être dirigée.
29CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 55 CL, N 1.
30FF 2009 1526.
31CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 39 CL, N 3.
32CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 39 CL, N 5.
33CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 33 CL, N 2.
34Dr Rodrigo Rodriguez, Sandrine Roth, Table de concordance commentée de la Convention de Lugano révisée du 30 octobre 2007 et de la Convention de Lugano du 16 septembre 198, in: Jusletter, 26 novembre 2007.
35Ibid.
36Ibid.
37FF 2009 1524.
38Arrêt du Tribunal fédéral du 23 octobre 2012, 5A_230/2012.
39CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 43 CL, N 8 ss.
40CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 43 CL, N 6.
41CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 38 CL, N 6.
42Article 335 al. 3 CPC.
43Soit une expédition complète de la décision réunissant les conditions nécessaires à son authenticité et le certificat dont le modèle figure à l'annexe V de la convention.
44Cf 2.2.2.2 supra.
45FF 2009 1525.
46FF 2009 1533.
47Cf 2.2.2.2 supra.
48FF 2009 1537.
49Article 279 al. 5 ch 2 LP.
50Par exemple, parce qu'il ne parviendrait pas à rendre vraisemblable l'existence de biens appartenant au débiteur en Suisse.
51CR LDIP CL - Andreas Bucher, art. 39 CL, N 37.
52Ibid.
53Ibid.