Au stade de l’instruction, c’est le Ministère public qui désigne l’avocat d’office, si le prévenu n’a pas choisi lui-même son mandataire ou s’il n’a pas les moyens d’en rétribuer un. Un système consacré par le Code de procédure pénale qui a suscité de nombreuses critiques, selon lesquelles le procureur choisit de ce fait lui-même son adversaire (lire notamment plaidoyer 5/16). Et, parmi les avocats, les rumeurs vont bon train dans certains cantons: en pratique, ce serait en effet, toujours les mêmes qui assurent les défenses d’office.
Ce qui est sûr: l’apparition, en 2011, de l’avocat de la première heure, qu’un prévenu peut appeler dès le premier interrogatoire de police, influence considérablement la désignation d’un défenseur d’office pour la suite de la procédure. En effet, dans la grande majorité des cas, celui qui est intervenu à la première heure conserve le mandat, à moins qu’il n’y renonce ou que le client ne veuille changer de mandataire.
Désaccord à Neuchâtel
A Neuchâtel, le bâtonnier Georges Schaller regrette un manque de transparence, tant dans la désignation du défenseur d’office que dans celle des avocats de la première heure. Pour ces derniers, «nous transmettons au Ministère public une liste de quatre noms pour une semaine, mais nous n’avons pas l’impression qu’elle soit toujours respectée». Et, pour les mandats d’office, «nous étudions la création d’un système informatique garantissant un tournus, tel qu’il existe dans le canton de Vaud».
Le procureur général neuchâtelois, Pierre Aubert, assure, de son côté, que la liste de permanence établie par l’Ordre est privilégiée et que «les avocats inscrits au barreau sont normalement désignés d’office à tour de rôle», sauf s’il faut tenir compte de la langue du prévenu ou si un avocat ne pratique pas volontiers la défense pénale: «Je suis bien conscient que cette pratique ouvre la porte à quelques procès d’intention, mais je préfère un système relativement souple qui tienne un peu mieux compte des intérêts des prévenus que d’obéir à un logiciel aveugle, la justice l’est déjà suffisamment comme cela.»
Logiciel vaudois
L’Ordre des avocats vaudois (OAV) se dit pourtant très satisfait de l’accord passé avec le Ministère public pour désigner l’avocat d’office par le biais d’un logiciel. Utilisé par les greffes des procureurs, le système tire au sort un nom sur une liste d’avocats intéressés, transmise par l’OAV. Si la personne choisie n’est pas disponible ou s’il existe un conflit d’intérêts, un nouveau tirage a lieu. Mais les procureurs choisissent nommément une personne dans des cas très particuliers, par exemple quand il faut disposer de connaissances en droit pénal économique, explique la secrétaire générale de l’OAV et avocate, Ema Bolomey.
L’OAV gère en revanche seul le système de l’avocat de la première heure (lequel reste, rappelons-le, la plupart du temps avocat d’office si une procédure s’ensuit). Un planning est créé pour une période de quatre mois et les candidats ne manquent pas. Deux numéros de téléphones sont à la disposition de la police et du Ministère public, renvoyant aux avocats coordinateurs chargés d’appliquer le planning et de vérifier que les conditions de l’avocat de la première heure sont bien remplies.
Ordre alphabétique
A Genève, l’Ordre des avocats transmet au Ministère public une liste de membres intéressés par les mandats d’office, explique la secrétaire générale de l’Ordre, Caroline Bydzovsky. «Selon les indications qui nous sont données, l’ordre alphabétique est respecté, sauf dans des cas particuliers. Certains avocats sont plus souvent désignés, parce qu’ils pratiquent une certaine langue. Au contraire, d’autres sont moins souvent retenus, parce qu’ils ont eux-mêmes exclu d’intervenir dans certains domaines du droit, par exemple les infractions contre l’intégrité sexuelle ou les procédures financières dites complexes. Lors de nos échanges avec le Ministère public, nous nous assurons que la liste est bien tenue.»
A Genève également, les avocats ne souhaitant pas intervenir dans le cadre de la permanence de l’avocat de la première heure restreignent les possibilités d’obtenir un mandat d’office. Pour s’inscrire à des gardes, ils doivent s’inscrire en ligne, puis sont choisis par tirage au sort. Les candidats ne manquent pas.
Conventions
Dans les cantons du Jura et de Berne, des problèmes sont survenus pour la désignation de l’avocat d’office et de la première heure, car les listes de permanence livrées par les Ordres n’étaient pas toujours respectées. Dans le Jura, «le Conseil de l’Ordre est intervenu, nous informe l’un de ses membres, l’avocat Charles Poupon. Une rencontre avec le Ministère public a été organisée et la situation a pu être régularisée.»
Dans le canton de Berne, une convention a été passée avec le Ministère public: une liste de permanence de l’avocat de la première heure est établie par région, dont les inscrits pratiquent régulièrement le droit pénal. Et si la procédure se poursuit, seuls les membres de cette liste peuvent être désignés d’office. «Les personnes de piquet voient leur liberté d’action diminuer, commente Fritz Rothenbühler, bâtonnier bernois. En raison de cette concession, il est normal qu’elles puissent ensuite devenir mandataires d’office.» Les partenaires de la convention bernoise ont aussi accepté un contrôle réciproque des engagements: «Si la liste n’est pas respectée et qu’une une personne non inscrite est appelée, nous avons le droit de demander des explications», poursuit le bâtonnier.
Permanence obligatoire
Dans les cantons de Fribourg et du Valais, les membres des Ordres des avocats ont l’obligation de participer à la permanence de la première heure, sauf exceptions. Libre à eux, en revanche, de se mettre sur les rangs pour les mandats d’office. Les Ordres des avocats de ces deux cantons ne signalent pas de problèmes particuliers de désignation.
Sur le plan national, la Fédération suisse des avocats, par la voix de son secrétaire général René Rall, estime que dans la plupart des cantons, une procédure réglée d’un commun accord entre le Ministère public et l’Ordre des avocats permet de garantir l’indépendance du choix de l’avocat d’office et de la première heure. Mais les cantons ne connaissant pas ce système devraient «au moins prévoir un mode de désignation et de surveillance par une autorité indépendante», commente René Rall.
Peu d’appels à Fribourg
A Fribourg, le bâtonnier de l’Ordre des avocats, Denis Schroeter, trouve que avec 100 à 150 cas par année, le nombre d’appels à la permanence de l’avocat de la première heure est insuffisant. En comparaison, à peu près le même nombre d’appels est effectué à Neuchâtel, selon les informations de l’Ordre des avocats de ce canton, alors que la population y est moins nombreuse. Dans le canton de Vaud, on a compté 843 appels en 2015 (derniers chiffres connus), tandis que, pour la même année, Genève dénombrait plus de 400 interventions devant la police pour des infractions graves (au sens de l’art. 8A LPAv). Même en tenant compte de la taille des deux cantons de l’Arc lémanique, l’activité de leurs permanences est bien plus importante qu’à Fribourg.