Au soir du 6 novembre 2012, jour de l'élection des «grands électeurs» présidentiels par les citoyens américains, on connaîtra le nom du prochain président des Etats-Unis.
Même si l'élection présidentielle proprement dite n'aura lieu que dans plusieurs mois, la campagne électorale bat son plein depuis le début de l'année et se trouve actuellement dans la phase de désignation des candidats à l'investiture.
Vue depuis ce côté-ci de l'Atlantique, l'élection du président des Etats-Unis apparaît souvent comme un processus long, compliqué et, en fin de compte, passablement exotique, avec ses caucus, ses «super délégués» et ses grands électeurs. Elle mérite qu'on s'y attarde quelques instants en mettant en lumière, à l'exemple de l'édition 2012, quelques-unes de ses particularités.
1. La procédure d'élection1
La procédure d'élection présidentielle n'a que peu changé depuis la création des Etats-Unis, à l'exception de quelques ajustements mineurs. C'est dire que la procédure en vigueur actuellement reste, pour l'essentiel, celle choisie par les Pères fondateurs en 1787. Plutôt qu'une élection directe par le peuple ou une désignation par le Parlement, ceux-ci ont opté pour une solution de compromis: le président serait élu par un collège d'électeurs, eux-mêmes élus dans les Etats, selon le droit étatique. Cette procédure permettait à la fois d'éviter de conférer trop de pouvoir au peuple - considéré avec méfiance à l'époque - et de tenir compte de la composante fédéraliste des Etats-Unis. Ce caractère historique explique bon nombre des particularités de la procédure d'élection présidentielle.
Celle-ci est, à l'heure actuelle, divisée en deux grandes phases: la phase de désignation des candidats de chaque parti, et celle de l'élection présidentielle proprement dite.
1.1. Première phase: la désignation des candidats des partis
La première phase se déroule de janvier à août de l'année électorale. Durant cette période, chacun des deux grands partis en lice (démocrate et républicain) organise, dans les 50 Etats et quelques territoires, des élections primaires ou des caucus, dont le but est de désigner les délégués qui siégeront à la convention nationale du parti. C'est cette convention nationale qui, au mois d'août ou au début du mois de septembre, désigne ensuite formellement le «ticket présidentiel» (président et vice-président) du parti.
Cette procédure de sélection interne n'est imposée par aucune règle, mais constitue une pratique, qui s'est formée au fil du temps. Elle est organisée, dans chacun des deux grands partis, indépendamment du fait que le président sortant se représente ou non. Ainsi, en 2012, des élections primaires et des caucus ont lieu non seulement au sein du Parti républicain, mais également, ce qui a été beaucoup moins médiatisé, au sein du Parti démocrate, quand bien même le sortant Barack Obama se représente.
1.1.1. La désignation des délégués aux conventions nationales
La désignation des délégués aux conventions nationales se fait, dans les différents Etats ainsi que dans le district de Columbia, soit par élection primaire, soit par caucus.
Une élection primaire est une élection au sens classique du terme, qui peut être «ouverte» - tout électeur peut alors y participer - ou «fermée» - elle est alors réservée aux membres du parti. Quel que soit le système, un électeur ne peut participer à plus d'une élection primaire. Les caucus sont des assemblées locales composées uniquement de membres du parti, qui votent après un débat.
La répartition des sièges de délégués entre les différents candidats peut se faire selon le système proportionnel ou le système majoritaire, parfois une combinaison des deux. Dire qu'un candidat a «remporté» une élection primaire ne signifie pas forcément que tous les délégués de cet Etat lui sont acquis. Ainsi, dans l'Ohio, la primaire républicaine de mars a été remportée par Mitt Romney (38%) avec une très faible avance sur Rick Santorum (37%). Le système de répartition choisi étant un mélange de majoritaire (winner takes all) et de proportionnelle, la victoire de Romney signifie que celui-ci a remporté une majorité des délégués disponibles, mais Santorum en a lui aussi remporté un nombre non négligeable.
Généralement, le résultat de la course à l'investiture est connu bien avant la convention nationale du parti, même si le match peut parfois être serré, comme en 2008 entre Barack Obama et Hillary Clinton. Avant la convention nationale cependant, il est difficile de connaître, à l'unité près, le nombre de délégués dont dispose chacun des candidats à l'investiture. Plusieurs éléments viennent en effet compliquer le calcul: si la plupart des délégués à la convention nationale sont engagés à l'avance en faveur d'un candidat en particulier (pledged delegates), une minorité de délégués est libre de voter pour le candidat de son choix (unpledged delegates ou super delegates); de plus, certaines élections primaires et caucus sont dits non binding, c'est-à-dire qu'ils ne servent qu'à désigner des délégués à une convention étatique, laquelle désigne ensuite les délégués à la convention nationale. On le constate, le système est pour le moins complexe et les règles changent quasiment tous les quatre ans.
En 2012, l'enjeu essentiel de cette première phase se concentre sur la désignation du candidat républicain. Du côté des démocrates, Barack Obama a d'ores et déjà obtenu un nombre suffisant de délégués pour lui assurer la majorité absolue à la convention nationale. Du côté républicain, quatre candidats étaient encore en course après les premiers scrutins du mois de janvier: Mitt Romney, Rick Santorum, Newt Gingrich et Ron Paul, la surprise venant de Rick Santorum, peu connu au départ, mais dont la candidature a acquis une dimension nationale à la suite de sa victoire dans l'Iowa lors du premier caucus de l'année. A partir du mois de févier, deux candidats, Mitt Romney et Rick Santorum, se sont détachés, Romney faisant la course en tête. Après le retrait de Santorum le 10 avril, l'investiture républicaine semble promise à Mitt Romney, tant il est peu probable que les autres concurrents encore en lice refassent leur retard.
1.1.2. Les conventions nationales
Les conventions nationales des deux grands partis, qui se dérouleront, pour les républicains, du
27 au 30 août à Tampa en Floride et, pour les démocrates, du 3 au 6 septembre à Charlotte en Caroline du Nord, désigneront ensuite le candidat du parti à l'élection présidentielle. Ces conventions nationales réunissent l'ensemble des délégués, pledged et unpledged, désignés lors des primaires et caucus, ou siégeant de droit. Est élu le candidat qui obtient la majorité absolue, plusieurs tours de scrutin pouvant être nécessaires.
Comme souvent, il y aura peu de suspense en ce qui concerne la désignation du candidat à la présidentielle. Dans ces conditions, les conventions nationales jouent plutôt le rôle de grand-messe du parti, permettant de resserrer les rangs autour du candidat désigné, de présenter son programme et de désigner le candidat à la vice-présidence, complétant ainsi le «ticket présidentiel» du parti.
1.2. Deuxième phase: l'élection présidentielle proprement dite
La deuxième phase, qui est celle de l'élection présidentielle proprement dite, est beaucoup plus courte et se déroule du début de novembre à la mi-décembre de l'année électorale. Elle met aux prises les candidats désignés lors des conventions nationales des deux grands partis ainsi que, généralement, quelques autres candidats indépendants ou issus de petits partis.
La première étape, la plus importante, correspond à l'élection des grands électeurs par le peuple, le mardi suivant le premier lundi de novembre. En 2012, ce scrutin, qui détermine dans les faits le nouveau président des Etats-Unis, aura lieu le 6 novembre. Ce jour-là, les citoyens éliront, au suffrage universel direct, les représentants de leur Etat (ainsi que du district de Columbia) au collège des grands électeurs, qui compte 538 membres. Cette élection, régie par le droit étatique, se déroule, dans pratiquement tous les Etats, au scrutin majoritaire plurinominal à un seul tour. La liste qui obtient le plus de suffrages remporte tous les sièges de grands électeurs (winner takes all). Chaque Etat a droit à un nombre déterminé de grands électeurs, qui correspond au nombre total de représentants de cet Etat au Congrès. Par exemple, la Californie, l'Etat le plus peuplé, compte 53 députés à la Chambre des représentants, et deux sénateurs; elle élira donc 55 grands électeurs le 6 novembre. Les plus petits Etats comptent au minimum trois représentants au collège des grands électeurs.
La deuxième étape correspond à l'élection formelle du président par le collège des grands électeurs, le lundi suivant le deuxième mercredi de décembre. En 2012, cette élection aura lieu le 17 décembre. Les grands électeurs ne se réunissent pas physiquement pour ce scrutin, mais votent simultanément dans la capitale de leur Etat. Est élu le candidat qui obtient la majorité absolue, soit au minimum 270 voix. A l'instar des conventions nationales pour la désignation des candidats de chaque parti, cette élection n'est qu'une formalité. En effet, même si les grands électeurs ne sont pas tous soumis à une obligation de voter en faveur du candidat du parti sur la liste duquel ils ont été élus - cela dépend, encore une fois, du droit étatique -, il est très rare qu'un grand électeur retourne sa veste au moment du vote.
La constatation formelle des résultats de l'élection a ensuite lieu au début de janvier de l'année suivante: la Chambre des représentants et le Sénat font le décompte des votes et valident les résultats Etat par Etat, selon un rituel bien établi. Enfin, le président élu entre en fonction et prête serment le 20 janvier - Inauguration Day, soit plus d'un an après le début de la procédure.
1.3. Quasi au suffrage universel
Puisque les grands électeurs, élus par le peuple, sont engagés dès le départ en faveur d'un candidat en particulier, on peut dire que le président est, quasiment, élu au suffrage universel, même si son élection par le peuple n'est qu'indirecte.
L'existence du collège électoral et le fait que l'élection des grands électeurs se déroule dans les Etats selon le système majoritaire ont cependant un effet amplificateur, voire même parfois de distorsion, par rapport au résultat du vote populaire à l'échelon national. Une faible avance en termes de suffrages populaires se traduira généralement par une avance très nette à l'occasion du vote des grands électeurs. Par exemple, lors de l'élection présidentielle de 1980, Ronald Reagan avait récolté environ 51% des votes populaires, et 91% des voix au collège électoral. Il arrive même parfois qu'un candidat qui a remporté moins de suffrages populaires que son rival soit néanmoins élu président par les grands électeurs. Ce cas de figure s'est, jusqu'à présent, produit trois fois, la dernière en 2000, lors de l'élection opposant Al Gore à George W. Bush. Ce dernier l'a emporté par 271 voix contre 266 au collège des grands électeurs, alors qu'il avait obtenu moins de suffrages populaires que son adversaire (47,87% pour Bush contre 48, 38% pour Gore).
1.3. Swing states
Traditionnellement, les Etats du nord de la côte Est et ceux de la côte Ouest votent démocrate, alors que les Etats du sud et du centre votent républicain. Une série d'Etats n'a pas d'appartenance partisane bien établie et vote tantôt démocrate, tantôt républicain. On appelle ces Etats les swing states. Parmi ceux-ci, ce sont évidemment les plus grands qui sont déterminants, puisqu'ils recèlent un potentiel important en termes de grands électeurs. Le système du winner takes all signifie en effet que le candidat qui remporte, ne serait-ce que d'un cheveu, l'élection dans un grand swing state empochera tous les grands électeurs qui reviennent à cet Etat. Parmi les Etats les plus peuplés des Etats-Unis, la Californie et New York sont acquis aux démocrates, le Texas aux républicains. En revanche, la Floride, l'Ohio et la Pennsylvanie sont, depuis quelque temps, des swing states, susceptibles de basculer d'un côté ou de l'autre. Les scrutins dans ces Etats sont souvent très serrés et leur résultat s'est révélé décisif lors des récentes élections. Ainsi, lors de la confrontation entre Bush et Gore en 2000, le résultat de l'élection en Floride, tellement serré qu'il a nécessité de multiples recomptages et l'intervention de la Cour suprême, a été déterminant pour l'élection de G.W. Bush. A partir de septembre, la campagne présidentielle va donc se concentrer principalement sur ces Etats.
2. Quelques considérations sur 2012
L'élection présidentielle 2012 opposera le sortant démocrate Barack Obama, qui se présente pour son second et dernier mandat, à un challenger républicain, probablement Mitt Romney. Cette configuration - sortant contre challenger - est un classique. L'histoire de l'élection présidentielle aux Etats-Unis semble indiquer que le fait d'être sortant confère un certain avantage: sur les 30 scrutins pour lesquels le président sortant se représentait, celui-ci en a remporté les deux tiers, soit 20. L'exemple le plus récent dans lequel le sortant a été défait date de 1992 (défaite de George Bush Senior face à Bill Clinton).
La constellation «démocrate contre républicain» est également un classique. Depuis toujours, deux grands partis dominent la vie politique aux Etats-Unis. Ce bipartisme est le résultat du système électif majoritaire qui existe pour les principaux scrutins aux niveaux national et étatique (élections au Congrès, élection présidentielle, etc.). Depuis que les partis démocrate et républicain ont acquis leur identité politique actuelle, à partir du milieu du XXe siècle, on assiste à une certaine alternance entre eux pour la présidence. Les candidats indépendants ou issus de partis tiers n'ont aucune chance d'être élus et peuvent tout au plus, s'ils obtiennent un «bon» score lors du vote populaire, influencer le résultat final en captant une partie de l'électorat de l'un des deux principaux candidats. Ainsi, selon certains analystes, la non-élection de Al Gore en 2000 s'explique par le score du candidat «vert» Ralph Nader, qui aurait privé Gore de suffrages cruciaux.
La particularité principale de l'élection 2012 vient probablement de ce qu'elle opposera vraisemblablement deux candidats, Obama et Romney, appartenant à des minorités: minorité raciale pour Obama, minorité religieuse pour Romney, qui est mormon. Traditionnellement, pour avoir une chance d'être élu, il faut être WASP (white anglo-saxon protestant). Les exceptions à cette règle sont restées rares: Kennedy reste, à ce jour, le seul président non protestant - il était catholique - à avoir été élu, et Obama le seul non Blanc. Ces exemples isolés ne permettent pas de conclure que, désormais, la race ou la religion ne jouent plus de rôle. La religion, en particulier, reste un facteur significatif, dans la mesure où les électeurs tendent à favoriser les candidats qui affichent une conviction religieuse, surtout s'il s'agit du protestantisme ou de l'un de ses dérivés. L'appartenance de Romney à la communauté mormone pourrait donc jouer en sa défaveur.
Le fait d'être diplômé de l'une des meilleures universités du pays semble également constituer un élément favorable. En l'occurrence, tant Obama - diplômé de Columbia et de Harvard - que Romney - diplômé de Harvard - remplissent ce critère.
Une fortune personnelle conséquente représente aussi un avantage indéniable même si, en 2008, Barack Obama a réussi à être élu, alors que, comparée à celle de ses adversaires, sa fortune personnelle était très modeste. Une campagne présidentielle, notamment en raison de sa durée extrêmement longue, coûte en effet très cher (lors de la campagne 2008, les deux candidats principaux ont dépensé ensemble près d'un milliard de dollars au total). Les règles sur le financement des campagnes électorales permettent aux candidats d'accéder, tant pour les primaires que pour la campagne présidentielle proprement dite, à un financement public qui peut être assez important, mais nombre d'entre eux choisissent d'y renoncer pour échapper aux plafonds de dépenses qui y sont liés. Il leur faut donc recourir aux dons privés, qui peuvent provenir de particuliers ou de diverses organisations ou de groupes d'intérêts. Ces dons sont plafonnés de par la loi, mais il existe de nombreux instruments permettant de contourner ces limites. La capacité d'un candidat à lever des fonds pour sa campagne reste un élément décisif pour son élection. Or, l'équipe d'Obama s'est montrée redoutable dans cet exercice. La fortune personnelle, très conséquente, de Mitt Romney ne lui conférera donc pas forcément un avantage décisif.
3. Conclusion
Comme tout exercice démocratique, l'élection présidentielle aux Etats-Unis présente des imperfections: distorsion de la volonté populaire, rôle important joué par l'argent, problèmes en cas de vote serré, etc. Il n'en demeure pas moins que cette procédure a le mérite de fonctionner de manière raisonnablement efficace et juste depuis plus de deux siècles. En dépit des critiques dont elle fait parfois l'objet, on ne voit guère ce qui pourrait l'empêcher de perdurer encore longtemps.
1La première partie de cet article s'inspire largement de l'ouvrage suivant, paru récemment: P. Mahon/A. Benoit, Droit constitutionnel des Etats-Unis d'Amérique, Institutions et éléments de droits fondamentaux, Bâle/Neuchâtel, Helbing Lichtenhahn, 2011.