Christine Kaufmann est professeure de droit public, de droit international public et de droit européen à l’Université de Zurich. Depuis janvier 2019, elle préside également le groupe de travail de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sur la conduite responsable des entreprises. L’occasion rêvée de lier deux domaines qui lui tiennent à cœur, le droit commercial international et les droits de l’homme. La Zurichoise de 56 ans y voit surtout l’opportunité de, enfin, «contribuer de manière concrète à l’amélioration des conditions de vie des gens».
Dialoguer avec les entreprises
Pour y parvenir, Christine Kaufmann compte sur les lignes directrices de l’OCDE ainsi que sur les points de contact nationaux (PCN). Organes de dialogue et de médiation, ces derniers sont ouverts pour toute plainte envers une entreprise. Ils contribuent à la mise en œuvre des principes directeurs et veillent à leur respect. En Suisse, le PCN est rattaché au secteur Investissements internationaux et entreprises multinationales du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). Il est notamment connu pour une affaire: la plainte déposée en 2015 contre la FIFA (Fédération internationale de football association).
Le syndicat IBB (Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois) reprochait à la FIFA d’avoir attribué la Coupe du monde 2022 au Qatar – pays connu pour ses mauvaises pratiques en matière des droits humains. Au terme de la médiation, la FIFA a développé un programme lui permettant de surveiller les conditions de travail. «Les chantiers de construction ont fait l’objet d’inspections régulières et des efforts ont été fournis pour améliorer les mécanismes de plainte des travailleurs», se rappelle Christine Kaufmann. Avant d’ajouter que, à l’instar de la FIFA, «toutes les entreprises qui ont fait l’objet de plaintes, ont jusqu’à présent toujours participé au dialogue».
Lignes directrices de l’OCDE
Quant aux lignes directrices, ce sont des recommandations que les gouvernements des 36 Etats membres et d’une douzaine d’Etats non-membres adressent aux multinationales, afin que celles-ci agissent dans le respect des droits de l’homme et de l’environnement. Selon la professeure, ces principes ne peuvent être mis en œuvre qu’avec le concours des Etats membres ainsi que le soutien de la société civile, des entreprises et des syndicats.
Voilà d’ailleurs pourquoi les représentants des 48 pays participants, des fédérations professionnelles, des syndicats et de la société civile se réunissent trois fois par an. Menée à Paris, cette rencontre vise principalement à élaborer des directives concrètes sur la base des principes directeurs. «L’idée est de vulgariser ces derniers, afin que les cadres des entreprises les comprennent et puissent les mettre quotidiennement en pratique», précise Christine Kaufmann. Exemple: une entreprise qui souhaiterait produire des T-shirts au Bangladesh «devrait notamment s’assurer que l’accès aux sorties de secours ne soit pas bloqué et que des extincteurs soient disponibles à chaque étage». L’image n’est pas choisie au hasard. Quoi de plus parlant en effet que le secteur de l’industrie textile. Un domaine qui regorge de défis sur le plan des droits humains. A commencer par le travail des enfants qui reste encore trop répandu.
Scolariser tous les enfants
Christine Kaufmann a un avis clair sur la question: elle ne trouve pas réaliste de vouloir tout simplement interdire le travail des enfants. Elle préconise une approche plus pragmatique et cite pour exemple le fait que «l’Organisation internationale du travail collabore avec divers entreprises et gouvernements, afin que les enfants qui doivent travailler parce que leur famille dépend de leur salaire, puissent quand même aller à l’école deux ou trois heures par jour». Ainsi, un jeune garçon de 8 ans, engagé dans un tel projet, se serait dit ravi d’avoir pu apprendre à calculer, pour ne plus se faire arnaquer. «C’est déjà énorme», se réjouit Christine Kaufmann. Si humble soit-il, c’est ce genre de succès qui lui donne l’espoir de changements durables et pérennes.
Au niveau suisse, l’enjeu actuel réside dans l’initiative pour des multinationales responsables. Cette dernière vise à rendre contraignantes les lignes directrices de l’OCDE, notamment en inscrivant dans la loi le devoir de diligence des entreprises, mais aussi en élaborant de nouvelles dispositions en matière de responsabilité. Christine Kaufmann salue la démarche. Elle reste cependant critique vis-à-vis du texte de l’initiative qui, selon elle, va trop loin: «Il serait déraisonnable et contre-productif pour la Suisse de permettre ainsi toutes sortes d’actions en justice.»
Pour l’heure, le Parlement s’est contenté de formuler un contre-projet indirect. Une proposition que la professeure pourrait soutenir si elle prévoit un meilleur équilibre entre les entreprises et les victimes. «Toute personne concernée devrait savoir quelle procédure engager, tandis que chaque société devrait savoir comment se défendre.»
Biographie
Christine Kaufmann a mené de nombreuses recherches, notamment sur le thème de la mondialisation. Mais loin d’elle l’idée de se cantonner à la théorie: «J’ai vite su que je préférerais m’immerger dans la pratique.» En 1991, une fois sa thèse terminée, elle a rejoint la Banque nationale. Elle en est rapidement repartie pour un séjour de recherche à l’Université du Michigan (USA). A son retour, elle a travaillé au centre interdisciplinaire «World Trade Institute» de l’Université de Berne. Puis elle s’est lancée dans une carrière académique, avant de retourner à l’Université de Zurich.