1. Introduction
Le droit du bail génère un important contentieux. La jurisprudence est abondante dans ce domaine, et ce, de manière constante depuis des décennies. Si le droit du bail matériel fait essentiellement l'objet de précisions jurisprudentielles désormais, tel n'est pas le cas des règles formelles. L'entrée en vigueur du Code de procédure civile suscite de nouvelles interrogations et la jurisprudence le concernant, en particulier en matière de bail, est déjà abondante. Bref aperçu de décisions récentes ci-après.
2. Comparution personnelle à l'audience de conciliation
2.1. En cas de signature collective à deux: la souplesse
Selon un arrêt vaudois (arrêt de la Cour d'appel civile du 31 mai 2012, JdT 2012 III 130), la présence d'un titulaire d'une signature collective ayant une bonne connaissance du dossier, accompagné d'un mandataire muni d'une procuration signée par l'administrateur titulaire de la signature individuelle, suffit à une comparution dans les formes. La Cour relève qu'il faut «adopter une position souple et admettre qu'à partir du moment où la signature d'un éventuel accord à l'audience de conciliation est possible séance tenante, avec un engagement valable et complet de la société, cela suffit pour considérer que la conciliation peut être tentée et comporte toutes les chances d'aboutir».
2.2. En cas de colocataires: la dureté retrouvée
Toujours selon un arrêt vaudois (arrêt de la Chambre des recours civile du 7 juin 2012, JdT 2012 III 207), les colocataires demandeurs doivent être présents à l'audience de conciliation. Si un seul est présent, la requête formée par l'ensemble des locataires doit être considérée comme retirée et la cause rayée du rôle: «Les consorts nécessaires doivent agir ensemble pour conclure une transaction judiciaire. L'absence de comparution personnelle de deux colocataires empêchait donc toute conciliation valable devant la Commission de conciliation, la procuration autorisant leur conseil à transiger pour eux se heurtant à l'art. 204 CPC, qui prohibe toute représentation en dehors des cas de l'art. 204 al. 3 CPC».
En l'espace d'une semaine, la Cour d'appel civile et la Chambre des recours civile font ainsi la démonstration que, dans le domaine des comparutions personnelles, tout est une question de point de vue.
2.3. En cas d'invocation tardive: il y a de l'abus dans l'air
Encore une décision vaudoise (arrêt de la Chambre des recours civile du 19 décembre 2012): la partie qui entend se plaindre de l'absence de la présence personnelle de son adversaire doit s'en plaindre en audience, ce d'autant plus lorsque la convocation à l'audience pouvait laisser penser à une dispense de comparaître personnellement et qu'un mandataire représentait cette partie à l'audience. On ne peut sans violer le principe de la bonne foi invoquer ultérieurement le vice pour s'opposer à la délivrance d'une autorisation de procéder en se prévalant du défaut.
2.4. Genève et Schwyz: le CPC reprend ses droits
Pour éviter les conséquences drastiques de l'art. 206 al. 1 CPC, le législateur genevois a adopté la disposition suivante: Art.4A Conciliation obligatoire (nouveau).
1. Lorsque le locataire ou le bailleur est représenté au sens de l'article 68 du Code de procédure civile suisse, mais ne comparaît pas en personne, la procédure poursuit son cours en application des articles 208 et suivants du Code de procédure civile suisse. La commission peut néanmoins convoquer une nouvelle audience de comparution personnelle.
2. Les dispositions sur le défaut (article 206 du Code de procédure civile suisse) sont applicables au détriment de la partie non représentée qui ne comparaît pas en personne.
3. L'article 204, alinéa 3, du Code de procédure civile suisse est réservé.
4. La partie qui ne comparaît pas personnellement sans en être dispensée peut être condamnée aux frais selon l'article 108 du Code de procédure civile suisse.
Cette réglementation, aussi louable soit-elle, n'est pas compatible avec le droit fédéral. Celui-ci régit de manière exclusive la question de la comparution personnelle des parties. Le TF vient de le reconnaître (arrêt 4C_1/2013 du 25 juin 2013), annulant purement et simplement la disposition genevoise. Il avait d'ailleurs eu l'occasion récemment de rappeler le principe de la force dérogatoire du droit fédéral dans une affaire du canton de Schwyz (TF du 10.1.2013, 4A_495/2012) détaillée plus bas.
3. Procédure de conciliation
3.1. La conciliation peut durer
Selon l'art. 203 al. 4 CPC, la procédure de conciliation ne doit pas excéder une année. En cas de suspension de la procédure (en l'occurrence en raison d'une procédure de récusation), cette durée n'est pas applicable selon un arrêt du TF 138 II 705 du 22 juin 2012.
3.2. En cas d'échec dela conciliation, les avocats peuvent partir en vacances
En accord avec la jurisprudence genevoise (mentionnée in TF du 7 juin 2012, 4A_279/2012) et contrairement aux juges vaudois (TBx VD 27 mars 2012, H et E c/ SI F. SA; CACI VD 2 mai 2012 201), le TF retient dans un arrêt 138 III 615 du 20 septembre 2012 que le délai pour agir suite à la remise de l'autorisation de procéder est suspendu pendant les féries. L'absence de vacances prévue à l'art. 145 al. 2 lit. a CPC ne concerne que la phase de conciliation à proprement parler. Ainsi, il semble que le délai pour former opposition à une proposition de jugement soit lui aussi suspendu pendant les féries.
4. L'expulsion
4.1. Expulsion par la procédure sommaire: le cas clair sinon rien
Le TF remet le droit cantonal à sa place dans un bel arrêt 139 III 38 du 10 janvier 2013. Le droit cantonal ne peut pas soumettre à la procédure sommaire tous les cas d'expulsion. Seuls les cas clairs peuvent être jugés dans cette procédure. La solution retenue à Schwyz, qui soumet toute expulsion à la procédure sommaire, a dès lors été jugée comme contraire au droit fédéral.
4.2. Cas clair: le défendeur ne doit pas soutenir n'importe quoi
Le TF définit peu à peu les contours du cas clair (arrêts 4A_87/2012 c. 3.1.1; 4A_420/ 2012 c. 4-5; 4A_ 273/2012 c. 3.2, tous résumés in JdT 2013 II 136). Dans l'arrêt 138 III 620 du 30 octobre 2012, traduit in SJ 2013 I 283, le TF s'intéresse à la notion d'état de fait incontesté ou susceptible d'être immédiatement prouvé (art. 257 lit. a CPC).
Un état de fait est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsqu'il peut être établi sans délai et démarches particulières. Les preuves sont en principe apportées par titres (ATF 138 III 123 c. 2.1.1). La rigueur de la preuve n'est pas restreinte en protection dans les cas clairs. Il ne suffit pas, en particulier, de rendre les faits vraisemblables, la preuve pleine doit être apportée (c. 5.1.1). Lorsque la partie adverse conteste les faits de manière vraisemblable, le cas clair n'est pas donné, faute de caractère liquide de l'état de fait.
A l'opposé, les moyens dénués de fondement ne remettent pas en cause le cas clair.
Avec la doctrine majoritaire, le TF retient que le cas clair doit être nié dès l'instant où l'adversaire fait valoir des objections ou des exceptions qui ne sont pas vouées à l'échec et qui nécessitent une instruction complète des preuves. Il ne peut pas être question d'exiger du défendeur, comme le retient la doctrine minoritaire, qu'il rende vraisemblable ses moyens sur le modèle de la mainlevée provisoire de l'opposition. Le cas clair suppose que le requérant apporte une preuve immédiate et entière. Tel est son élément caractéristique. En matière de mainlevée provisoire, le prononcé n'a pas autorité de chose jugée; le débiteur a la faculté d'agir, le cas échant, en libération de dette (c. 5.1.1).
4.3. L'efficacité du congé doit être examinée dans la procédure d'expulsion
Le TF (arrêt du 8 janvier 2013, 4A_485/2012) annule une décision de la Cour de justice, rendue sous l'empire de l'ancien droit de procédure, qui avait confirmé une expulsion prononcée sans que l'argument de l'efficacité du congé soulevé par le locataire soit examiné. Pour les juges genevois, le moyen relevait de l'abus de droit dans la mesure où le locataire avait, au préalable, saisi l'autorité de conciliation, hors délai pour une éventuelle annulation, en constat de l'invalidité du congé, sans ultérieurement saisir le tribunal une fois la cause non conciliée. Le TF rappelle que l'autorité de conciliation peut être saisie pour concilier les parties et tenter de les amener à un accord. Il n'y a aucun abus à la saisir sans pour autant poursuivre la procédure devant les tribunaux; le bailleur peut de son côté agir en expulsion.
5. Les conclusions
A l'impossible, nul n'est tenu
Le locataire peut-il demander une baisse du loyer initial sans prendre une conclusion chiffrée, en vertu de l'art. 85 CPC? La Cour d'appel civile vaudoise le reconnaît dans un arrêt du 13 novembre 2012 (JdT 2012 III 230). En effet, le montant du loyer peut dépendre d'un calcul de rendement selon la méthode absolue et le locataire ne peut déterminer le montant correct lorsqu'il ne dispose pas des pièces nécessaires. Dans un tel cas, le locataire doit avoir la faculté de préciser ses conclusions à l'audience de jugement, après instruction. Certes, l'art. 85 al. 1 CPC précise qu'un montant (ici de baisse) minimum doit être mentionné. A défaut cependant, un délai doit être accordé à l'intéressé pour mentionner ce montant minimum (art. 132 CPC).
6. Appel
En cas de décision négative en procédure sommaire, les avocats ne peuvent pas partir en vacances
Attention: le délai d'appel de 10 jours contre une décision rendue en procédure sommaire (cas clair, mainlevée, mesures provisionnelles) n'est pas suspendu pendant les féries selon un arrêt du TF 5A_378/2012 du 6 décembre 2012. L'art. 145 al. 2 lit. b CC s'applique à la procédure sommaire, y compris aux voies de recours contre un prononcé rendu dans ce type de procédure.
7. Représentation devant le TF
Manque d'indépendance des avocats de l'Asloca
Selon un arrêt destiné à la publication 4A_38/2013 du 12 avril 2013, un employé de l'Asloca ne peut pas représenter devant le TF, comme avocat indépendant, un locataire client de l'association et que celle-ci a représenté devant les instances cantonales. Comme employé, l'avocat n'est pas indépendant de l'association et ne remplit dès lors pas la condition de l'art. 12 lit. b LLCA. Le TF relève à cet égard: «L'avocat S. a ainsi repris le mandat de son employeur, mandat qu'il avait jusqu'alors géré en qualité d'employé de l'Asloca. Dans une telle constellation, l'avocat ne satisfait pas à l'exigence légale d'indépendance, car il ne peut guère conseiller les recourants dans un sens différent de celui voulu par son employeur; l'avocat ne saurait accepter un mandat de la part des clients de son employeur».