La dissolution de la famille1 peut placer le conjoint étranger titulaire d'une autorisation de séjour dans une situation précaire. En sus de perdre le droit de demeurer en Suisse, le parent étranger se trouve parfois éloigné de ses enfants et peut éprouver des difficultés à les voir régulièrement, alors qu'il jouit d'un large droit de visite. Dans ce contexte, la définition de la famille moderne revêt une importance cruciale pour le conjoint étranger.
Nous rappellerons ci-après les principes de l'art. 50 LEtr en nous référant à des arrêts relatifs au concept de vie conjugale et d'intégration réussie ainsi qu'aux raisons personnelles majeures pouvant conduire à l'octroi de l'autorisation de séjour pour éviter les cas de rigueur. Nous verrons ensuite si un couple séparé peut se prévaloir des exceptions de l'art. 49 LEtr2 pour conserver une autorisation de séjour. Enfin, nous aborderons la protection de la vie familiale découlant de l'art. 8 CEDH et les circonstances dans lesquelles cette disposition peut être invoquée par un étranger ne faisant plus partie du noyau familial pour obtenir le renouvellement de son titre de séjour en Suisse.
1. Durée de la vie conjugale et intégration réussie
Dans un arrêt datant du début de l'année3, le TF rappelle que les notions de mariage et d'union conjugale ne se recoupent pas. Cette dernière, sous réserve des exceptions de l'art. 49 LEtr, implique la vie commune des époux4. Le moment déterminant pour le calcul effectif de la vie en commun des époux est celui où les époux ont cessé de cohabiter sous le même toit. De surcroît, les époux doivent avoir habité ensemble en Suisse et non à l'étranger pendant au moins trois ans, durée absolue valable même si la vie conjugale est interrompue quelques semaines ou jours avant l'expiration de ce délai5.
En l'occurrence, les époux ont signé une convention de séparation indiquant que le recourant, titulaire d'une autorisation de séjour au titre du regroupement familial, avait quitté le domicile conjugal deux ans et huit mois après son arrivée en Suisse, date à partir de laquelle il avait loué son propre appartement. Cette date, qui coïncide ici avec la prise de bail de l'intéressé, fait foi pour calculer la durée de la vie en commun et non la date à laquelle le recourant a annoncé son changement de domicile au Contrôle des habitants. L'union conjugale ayant duré moins de trois ans, l'art. 50 al. 1 lit. a LEtr n'est pas applicable. Le recours est rejeté.
Par ailleurs, le TF considère que l'intégration n'est pas réussie malgré une bonne intégration professionnelle, quand le recourant fait l'objet de dettes fiscales et de condamnations pénales de peu de gravité6.
2. Raisons personnelles majeures justifiant la prolongation de l'autorisation de séjour
Le TF a précisé que la violence conjugale et la réintégration fortement compromise dans le pays d'origine peuvent, en fonction des circonstances et de leur gravité, constituer chacune pour elle-même une raison personnelle majeure lorsqu'elles se conjuguent et justifier ainsi le maintien du droit de séjour7, lorsque la vie commune est inférieure à trois ans.
Dans un arrêt important du 22 juin 20128, le TF admet que tombe sous le coup de l'art. 50 al. 2 LEtr la violence, tant physique que psychique, et définit les violences conjugales comme des sévices systématiques ayant pour but d'exercer une autorité et un contrôle sur une personne9. La pression psychique ou socioéconomique d'une certaine intensité et constance, comme le confinement, les insultes continues, les humiliations ou les menaces, peut atteindre un degré tel qu'il sied d'admettre qu'elle constitue un cas de rigueur au sens de l'art. 50 LEtr. Un tel cas de rigueur est admis lorsqu'il est établi que l'intégrités psychiques de la victime risque d'être gravement altérée par le maintien de la communauté conjugale10. Par ailleurs, la dépendance de la victime de violence physique ou d'oppression psychique ne doit pas être aggravée du fait de l'autorisation. Le conjoint étranger ne doit pas se retrouver face au dilemme de rester dans la situation de contrainte ou de perdre l'autorisation de séjour.
Dans l'ATF 138 II 393, le TF examine un cas de dissolution de la famille à la suite du décès du conjoint suisse. Une citoyenne camerounaise est mise au bénéfice d'une autorisation de séjour suite à son mariage avec un ressortissant suisse au Cameroun en 2008. L'union conjugale dure moins de trois ans, car l'époux décède en 2010. Aucun enfant n'est né de l'union. En décembre 2010, le service cantonal compétent, considérant que la réintégration de l'intéressée dans son pays d'origine n'est pas compromise, révoque l'autorisation de séjour. Le TF précise sa jurisprudence relative à l'art. 50 al. 1 lit. b et al. 2 LEtr et admet le recours.
Jusqu'à cette décision, le décès du conjoint n'était pas considéré comme une raison personnelle grave conduisant obligatoirement au renouvellement de l'autorisation de séjour. Le TF menait plutôt un examen au cas par cas pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur11. Celui-ci admet désormais que la mort du conjoint représente un événement majeur de la vie de l'époux survivant, renforcé par le contexte migratoire de la relation. Il est présumé que le décès du conjoint suisse constitue une raison personnelle majeure imposant la poursuite du séjour en Suisse, à moins que des circonstances particulières ne mettent en doute le bien-fondé du mariage ou l'intensité des liens entre conjoints. La réintégration fortement compromise de l'étranger n'est donc plus une condition à analyser dans un tel cas12. Cette présomption réfragable peut cependant être renversée par les autorités, qui peuvent démontrer que les liens entre les époux n'existaient pas ou que la situation relève de toute autre forme d'abus.
Par arrêt du 6 mars 201313, le Tribunal administratif fédéral admet l'existence de raisons personnelles majeures pour le cas d'un ressortissant tchadien qui a subi les violences14 de son épouse et qui ferait face à des difficultés d'intégration ailleurs qu'en Suisse. Le tribunal retient les faits suivants pour motiver sa décision.
L'intéressé, dont l'union conjugale avec une Rwandaise titulaire d'une autorisation d'établissement a duré moins de trois ans, a quitté le Tchad pour le Niger à 6 ans et n'y est retourné que brièvement en 2001 avant son arrivée illégale en Suisse en 2001. Il a passé la majeure partie de son enfance et de son adolescence au Niger, dont il ne possède pas la nationalité et où il a effectué sa scolarisation et sa formation.
En cas de retour au Tchad, le recourant serait isolé, sans nouvelles de ses parents depuis plusieurs années, et contraint de reconstruire sa vie et de s'intégrer dans un pays dont il est ressortissant, mais qu'il ne connaît que très peu. En outre, le recourant connaîtrait également des difficultés au Niger, où il ne possède pas un tissu social ou familial susceptible de favoriser son intégration, bien qu'il y ait vécu près de 17 ans. Le Tribunal note qu'il ne possède pas la citoyenneté de ce pays et n'a jamais bénéficié d'un titre de séjour valable.
Les agressions subies par le recourant n'ont fait l'objet ni de procédure ni de poursuite pénale. Le climat délétère au sein du couple a toutefois eu un impact non négligeable sur l'état de santé psychique du recourant.
Sans trancher la question de savoir si, séparément, les circonstances décrites ci-avant sont susceptibles de constituer des raisons personnelles majeures, le Tribunal administratif fédéral relève le mérite du recourant dans l'établissement «d'étroites attaches avec la Suisse»15, par la création de sa propre entreprise. Le séjour en Suisse du recourant s'impose en vertu de l'art. 50 al. 1 lit. b LEtr.
Enfin, le Tribunal administratif fédéral est d'avis que les quelques éléments négatifs du dossier, soit les deux condamnations pénales en 2005 et 200816, doivent être relativisés et que celles-ci ne peuvent pas mettre au second plan les violences conjugales subies par le recourant ni les difficultés d'intégration qu'il rencontrerait en cas de renvoi.
3. Exception à l'exigence de ménage commun
Se prévalant de l'exception prévue à l'art. 49 LEtr, les couples qui ne répondent pas à l'exigence du ménage commun tentent parfois d'invoquer un mode de vie alternatif, la «vie commune séparée», pour justifier le maintien d'une autorisation de séjour. Néanmoins, la Haute Cour n'admet, pour l'heure, pas ce choix des époux, qui s'éloigne trop de la notion traditionnelle de la famille.
Le TF a eu plusieurs occasions de rappeler que les motifs pouvant être considérés comme des raisons graves justifiant l'existence de domiciles séparés visent des situations exceptionnelles, fondées en premier lieu sur des raisons d'ordre professionnel ou familiales, pour autant que la communauté familiale soit maintenue. Le choix mutuellement accepté de «vivre ensemble séparément» («living apart together»), qui n'est pas dicté par d'autres motifs, n'est pas une raison majeure au sens de l'art. 49 LEtr. Il est d'ailleurs présumé que la communauté conjugale a cessé d'exister après une séparation de plus d'un an17.
Dans l'arrêt TF 2C_40/2012, le TF s'est prononcé sur le cas d'un citoyen togolais ayant épousé une ressortissante suisse en février 2004. Quelque 18 mois après les noces, celui-ci quitte le domicile conjugal. En 2011, son titre de séjour n'est pas prolongé et son renvoi prononcé. En l'espèce, les époux ont des domiciles séparés depuis près de sept ans après moins de deux ans de vie commune. Cette situation laisse présumer que la communauté conjugale est inexistante depuis la date de prise de domiciles distincts. L'argument avancé par le recourant, soit la peur de son épouse de perdre son droit à des prestations sociales, ne saurait être admis par le TF sans que cela revienne à protéger l'abus de droit à l'aide sociale. Ce motif n'est pas une raison majeure au sens de l'art. 49 LEtr.
4. Respect de la vie familiale et privée
La protection de la vie familiale découlant de l'art. 8 CEDH peut être invoquée si le ressortissant étranger entretient une relation étroite et effective avec un membre de sa famille qui a le droit de résider durablement en Suisse18.
Dans l'arrêt du 15 octobre 2012 évoqué ci-avant, est également abordée la question de la protection de la vie familiale. De jurisprudence constante, cette disposition concerne avant tout les relations de la famille nucléaire (Kernfamilie), à savoir celles qui existent entre époux ainsi qu'entre parents et enfants mineurs vivant en ménage commun19. Nonobstant, d'autres relations familiales de fait peuvent être comprises dans la notion de famille de l'art. 8 CEDH, par exemple dans le cas où les parties vivent ensemble en dehors de l'institution du mariage. D'après la CourEDH, il convient de prendre en considération différents éléments pour déterminer si une relation est constitutive de «vie familiale», parmi lesquels l'existence et la durée du ménage commun ainsi que la présence d'enfants communs. Les contacts strictement amicaux entre les époux, même entretenus régulièrement durant la semaine, ne sont pas suffisants pour fonder une communauté conjugale effectivement vécue quand les conjoints ne font plus ménage commun et que la communauté familiale n'existe plus depuis près de sept an20. Partant, la protection de l'art. 8 CEDH doit être niée pour les cas où les époux ne cohabitent pas sans une raison majeure justifiant la création de domiciles séparés au sens de l'art. 49 LEtr.
Reprenant la jurisprudence adoptée par la CourEDH en la matière, le TF rappelle dans un arrêt du 21 décembre 201221 que des concubins qui n'envisagent pas de se marier ne peuvent pas déduire un droit à une autorisation de séjour de l'art. 8 CEDH. Il rejette ainsi le recours d'une ressortissante thaïlandaise, séparée de son époux suisse depuis 200822, vivant depuis 2009 avec un citoyen britannique titulaire d'une autorisation d'établissement. L'intéressée n'a pas entamé de procédure de divorce, première étape d'un projet sérieux et imminent de mariage, pour lequel il n'existe aucun indice concret23. En l'absence de mariage sérieusement envisagé avec le nouveau compagnon, d'enfants communs ou de nombreuses années de vie commune, le recours est rejeté.
Enfin, dans un arrêt récent, la CourEDH24 a admis le recours d'un ressortissant du Nigeria assujetti à une décision de renvoi et d'une mesure d'éloignement jusqu'en 2020 rendues sous l'empire de la LSEE25. Bien que, sur demande motivée, l'interdiction de séjour puisse être levée temporairement pour permettre au père de rendre visite à sa famille, ces mesures conduisent à la séparation des enfants, titulaires de la nationalité suisse, et de leur père, qui est de surcroît au bénéfice d'un droit de visite régulier.
En 2001, le requérant, entré en Autriche sous une fausse identité et prétendant être juste majeur, est condamné par un tribunal autrichien à une peine d'emprisonnement avec sursis pour possession d'une faible quantité de cocaïne, puis, cinq ans plus tard, à une peine d'emprisonnement pour infraction grave à législation en matière de stupéfiants en Allemagne.
De l'avis de la Cour, la Suisse a dépassé sa marge d'appréciation; les mesures prises à l'encontre du requérant n'étaient pas nécessaires dans une société démocratique. Les activités criminelles de celui-ci se sont limitées à deux actes punissables et son comportement après sa remise en liberté peut être qualifié d'irréprochable. Il a ainsi connu une évolution positive26. La relation qu'il entretenait avec son ex-épouse et leurs deux filles était réelle et étroite. Malgré le divorce, le père tâche de garder des relations régulières avec ses enfants, alors que la décision suisse rendrait le maintien de contacts réguliers entre ses filles et lui très difficile. Une éventuelle levée de l'interdiction ne pourrait pas remplacer le droit du requérant de vivre avec sa famille. Autoriser le séjour en Suisse du père est dès lors la seule alternative conforme au droit, car on ne saurait attendre de la mère qu'elle déménage au Nigeria avec leurs enfants.
Cet arrêt mérite notre attention. Hormis deux juges dissidents27, la Cour a choisi de faire prévaloir l'intérêt des filles de grandir auprès de leur père en relativisant la portée des infractions, d'une gravité certaine, commises par le requérant dans le passé. De même, le TF, peut-être inspiré par la CourEDH, a récemment précisé sa jurisprudence en matière de droit au séjour des pères divorcés28 et abandonné l'exigence d'un lien affectif «particulièrement étroit» entre le parent sujet au renvoi et son enfant29. Désormais, un lien affectif étroit sera déduit de l'exercice d'un droit de visite usuel, lequel permettra de fonder une prolongation de l'autorisation de séjour après le divorce. y
1Pour rappel, l'art. 50 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers (RS 142.20 - LEtr) dispose que le droit du conjoint et des enfants à l'octroi d'une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité en vertu des art. 42 et 43 subsiste après la dissolution de la famille si l'union conjugale a duré au moins trois ans et l'intégration est réussie (lit. a) ou si la poursuite du séjour en Suisse s'impose pour des raisons personnelles majeures (lit. b). Celles-ci sont notamment données lorsque le conjoint est victime de violence conjugale et que la réintégration dans le pays de provenance semble fortement compromise (art. 50 al. 2 LEtr).
2L'exigence du ménage commun des art. 42 à 44 n'est pas applicable lorsque la communauté familiale est maintenue et que des raisons majeures justifiant l'existence de domiciles séparés peuvent être invoquées.
3Arrêt du Tribunal fédéral du 11 février 2013, 2C_976/2012.
4ATF 136 II 113, 115 ss c. 3.1 et 3.2.
5Cf. arrêt cité, c. 3.1 et les références citées.
6TF 2C_300/2013 et 2C_286/2013.
7ATF 138 II 393, c. 3.2. A cet égard, il y a lieu de noter que la loi fédérale concernant les mesures de lutte contre les mariages forcés du 15 juin 2012, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2013, modifie l'art. 50 al. 2 LEtr. Dans sa nouvelle teneur, celui-ci inclut la conclusion du mariage en violation de la libre volonté d'un des époux. La réintégration fortement compromise constitue alternativement une condition personnelle majeure (RO 2013 1035), conformément à la pratique établie par les tribunaux.
8ATF 138 II 229.
9Arrêt cité, c. 3. 2. 1.
10Arrêt cité, c. 3. 2. 2.
11ATF 137 II 1.
12Arrêt cité, c. 3.3.
13Arrêt du Tribunal administratif fédéral du 6 mars 2013 C-4895/2010.
14Son épouse, rendue agressive par une consommation excessive d'alcool et un état dépressif, l'a agressé à au moins deux reprises à l'aide d'une bouteille en verre et d'un hachoir. Elle a tenté de l'étouffer pendant son sommeil.
15Arrêt cité, c. 8.4.1.
16Incendie par négligence et tentative d'obtention frauduleuse d'une constatation fausse pour laquelle l'intéressé n'a été condamné qu'à «une peine pécuniaire de relativement peu d'importance (60 jours-amende avec sursis et 500 fr. d'amende)» (arrêt cité, c.8.4.1).
17TF du 15 octobre 2012, 2C_40/2012 et les références citées.
18TF du 21 décembre 2012, 2C_1035/2012, c. 5.1 et les références citées.
19Arrêt cité, c. 8 et les références citées.
20Ibid.
21 TF 2C_1035/2012.
22Les époux ont fait ménage commun moins de trois ans.
23Arrêt cité, c. 5.2.
24CourEDH, arrêt de la deuxième section No 12020/09 «UDEH contre Suisse» du 16 avril 2013. Cet arrêt deviendra définitif aux conditions de l'art. 44 § 2 CEDH.
25Les motifs d'exclusion de la LSEE étant les mêmes que ceux prévus à l'art. 62 LEtr, la jurisprudence demeure applicable au nouveau droit.
26Arrêt cité, § 49.
27Les juges Jociene (Lituanie) et Lorenzen (Danemark) estiment que les difficultés du requérant pour maintenir des contacts réguliers avec ses filles ne sauraient l'emporter sur les éléments en sa défaveur, à savoir la violation de la législation en matière de stupéfiants, le court séjour en Suisse avant sa condamnation et son divorce.
28Délibérations publiques du 14 juin 2013 dans la cause 2C_1112/2012; cf. Jurius, Droit au séjour des pères divorcés, in: Jusletter 17 juin 2013.
29Comparer avec TF 2C_53/2013 du 24 janvier 2013, c. 6.2., où le TF s'épargne l'examen de l'intensité des liens affectifs et économiques entre un recourant et ses enfants mineurs, reprochant à ce dernier son comportement non exemplaire.