Toutes les femmes qui portent un double nom de famille (leur nom de célibataire suivi de celui de leur mari, sans tiret entre les deux) collectionnent les histoires témoignant du manque de compréhension d'une option pourtant ancrée depuis 1988 dans le Code civil: l'une n'a pas pu retirer son recommandé à la poste, car il était au nom de son mari, l'autre a dû faire modifier son billet d'avion à grands frais, parce que son nom avait été mal transcris, une troisième a semé la panique à la clinique, car son échantillon de sang ne portait pas le même nom que celui de son bébé... Malgré tout, ces femmes qui bravaient les conventions et les regards méfiants de leur belle-famille ne perdaient pas espoir. Petit à petit, les administrations et les instances officielles s'adaptaient au nouveau droit.
Mais voilà que tous les efforts de ces «pionnières» vont être réduits à néant. Pour la simple raison que le double nom ne fera plus partie des options du Code civil, en tant que violation de l'égalité des sexes. Un comble, pour ces femmes souvent taxées de féministes qui avaient courageusement relégué le nom de leur conjoint en deuxième position! Mais qu'elles se consolent: elles pourront faire un pas de plus en laissant complètement tomber le nom de leur chère moitié. Vive l'égalité! En profiteront-elles? Pas sûr. Car, du coup, elles ne s'appelleront pas forcément comme leurs enfants, si le couple a choisit d'attribuer le patronyme du père à sa progéniture...
Réflexion faite, la peuplade en voie de disparition des titulaires d'un double nom, qui se sont mariées entre 1988 et 2012, jouit d'une chance inespérée. Elles ont tous les choix! Reprendre leur nom de célibataire, adopter celui de leur chéri... ou ne rien faire et garder leur double nom, comme le témoin d'une époque bientôt révolue - qui sera étudiée avec passion par les ethnologues et les généalogistes du futur. Plus sérieusement, le statu quo leur permet de maintenir ce lien symbo-lique avec leur identité de célibataire, en marquant aussi leur appartenance à leur famille. Mais le statu quo risque aussi de les cantonner dans une catégorie de plus en plus marginale, à côté de celle des femmes qui préfèrent s'appeler comme leur conjoint et de celle des épouses post-2012 qui garderont leur nom de jeune fille. Trois systèmes qui coexisteront à l'avenir et ajouteront fatalement une couche à la confusion existante!
Alors que conseiller à Mesdames Bruderer Wyss, Brunschwig Graf ou Maury Pasquier? Rien, dans l'immédiat. Car si, lors de la précédente révision, les épouses n'avaient disposé que d'une année pour choisir entre l'ancien et le nouveau régime, elles ont, cette fois-ci, toute la vie pour se décider... Le Code civil permettra en effet de se soumettre en tout temps au nouveau droit. Curieusement, lors de cette révision, la sécurité du droit ne semble pas avoir été la première préoccupation du législateur.