Les offensives populistes ne connaissent pas le même sort selon qu’elles sont lancées dans un canton ou sur le plan fédéral. C’est en tout cas la conclusion qu’on peut tirer en comparant les parcours contrastés de quelques initiatives s’en prenant à l’islam.
A Fribourg, le Grand Conseil a invalidé ce printemps l’initiative populaire de l’UDC contre la création d’un Centre islam et société à l’Université. Il s’est notamment rangé à l’avis de droit du professeur Pascal Mahon, qui estime que le texte est discriminatoire à l’égard de l’islam. Dans leur majorité, les députés fribourgeois n’ont pas voulu «rendre les citoyens complices d’une violation de la Constitution fédérale», ni «tomber dans un populisme de mauvais aloi».
On aimerait bien que les Chambres fédérales fassent preuve d’autant de conscience politique dans l’examen des initiatives populaires… Cela aurait notamment évité à la Suisse, lors du vote sur l’interdiction des minarets, d’être la risée et la honte de toute l’Europe et même au-delà. Mais non. Nos représentants à Berne n’avaient pas trouvé matière à invalider cette initiative. L’attitude responsable manifestée en 1996 pour stopper l’initiative des Démocrates suisses s’en prenant au droit d’asile est restée isolée. Plusieurs textes contraires aux droits fondamentaux ont depuis lors été soumis au peuple, se retrouvant désormais, pour certains d’entre eux, gravés dans la Constitution fédérale.
Mais faire de la politique au niveau national ou dans les cantons, ce n’est pas le même combat. «Ce n’est pas parce qu’on trouve dans la Constitution fédérale des clauses discriminatoires à l’égard de certaines communautés religieuses, l’islam en particulier, comme celle qui interdit la construction de minarets sur le territoire suisse (art.72 al. 3 Cst.), que les Constitutions cantonales peuvent aussi en contenir», assènent Pascal Mahon et Federica Steffanini dans leur avis de droit. Une réalité helvétique qui, vue de l’extérieur, doit paraître pour le moins schizophrénique…
Le Tribunal fédéral avait d’ailleurs considéré comme discriminatoire une disposition tessinoise interdisant aux ecclésiastiques d’accéder à certaines charges publiques… tandis que la Constitution fédérale alors en vigueur (c’était avant 1999) interdisait elle-même aux non-laïcs d’être membres du Conseil national. L’avis de droit susmentionné cite aussi le cas d’une révision de la Constitution genevoise, qui voulait réserver aux laïcs l’accès à la Cour des comptes, avant de se faire refuser la garantie fédérale en 2007. La décision émanait de l’Assemblée fédérale, dont les membres, on l’a vu, ne manifestent pas toujours les mêmes scrupules dans l’analyse des initiatives populaires fédérales…
Il était en revanche bien dans la logique politicienne fédérale d’accorder en 2015 la garantie à un article de la Constitution tessinoise intitulé «Interdiction de se dissimuler le visage», qui vise le port de cagoules lors de manifestations ainsi que de la burqa. Les autorités y ont vu une possibilité d’interprétation conforme au droit, inspirée par une décision de la CrEDH favorable à une loi française au contenu semblable.
A Fribourg, dans l’affaire du Centre islam et société, le législatif a préféré suivre l’exemple de son homologue du canton de Thurgovie. Ce dernier a invalidé une initiative interdisant d’utiliser des manuels scolaires religieux au contenu mysogyne, raciste ou meurtrier. Elle ne mentionnait pas une religion en particulier, mais l’exposé des motifs s’en prenait clairement à l’islam. Et elle n’avait pas trouvé grâce non plus auprès du TF, qui avait donné raison au Parlement thurgovien.