Le 4 novembre 2015, en admettant le recours d’une titulaire de diplôme de maturité italien contre un refus d’immatriculation à la Faculté de droit de l’université de Lausanne, dans son arrêt 2C_169/2015, le TF a tapé une nouvelle fois sur le clou: «Le seul fait que l’intéressée ait suivi des études dans deux systèmes éducatifs différents (maturité artistique de droit cantonal, puis diplôme correspondant au diplôme de maturité italien) ne saurait conduire au refus de reconnaître un diplôme permettant d’accéder en Italie aux études universitaires.» L’art. IV 1 de la Convention de Lisbonne pose le principe d’équivalence: si la recourante a accès aux études universitaires en Italie, elle doit en principe se voir reconnaître le même droit en Suisse.
«Pour refuser l’accès direct aux études, l’Université de Lausanne aurait dû prouver que la maturité italienne présentait des différences substantielles avec son propre niveau d’exigences, par exemple en dressant la liste des matières étudiées de part et d’autre, le nombre d’heures d’enseignement suivies et en comparant la durée des études», explique Frédéric Berthoud, auteur du livre «Etudier dans une université étrangère» qui détaille les secrets de la Convention de Lisbonne1. L’Université de Lausanne a répondu par une fin de non recevoir, alors que, précise le TF, «en raison de la portée et de la finalité du principe d’équivalence, les critères d’évaluation ne doivent pas être excessivement sévères, la mobilité dans l’enseignement supérieur dans la région européenne ne doit pas être rendue excessivement difficile et l’équivalence ne doit pas à nouveau dépendre de la réglementation propre à chaque pays ou canton». (c. 3.1. in fine).
En outre, même si elle aboutissait à la conclusion qu’il existait une différence substantielle entre les deux formations, l’autorité devait, selon l’art. III.5 de la Convention de Lisbonne, informer la recourante des mesures (cours supplémentaires, raccordement) qui lui permettaient d’obtenir la reconnaissance à un stade ultérieur. «Il y a un certain paradoxe entre la très forte volonté d’internationalisation des Hautes Ecoles suisses, qui cherchent à engager librement les meilleurs chercheurs et à bien se placer dans les rankings internationaux, et leur méconnaissance de ces mécanismes internationaux d’admission, qui les oblige à accepter davantage de candidats qu’auparavant, commente Frédéric Berthoud. Dans les deux arrêts, les services compétents n’ont pas indiqué les rattrapages qui auraient permis aux candidats d’être à jour et de se voir acceptés. Les universités ne peuvent plus se borner à répondre simplement par une fin de non-recevoir.»
Rattrapages non indiqués
L’avocat de la recourante dans l’affaire lausannoise, le Tessinois Fulvio Faraci, soutient qu’il n’y a pas de différence substantielle d’enseignement entre les maturités italienne et suisse; l’affaire est cependant toujours pendante devant le Tribunal cantonal vaudois. Le 13 mars 2014, le TF avait déjà rendu un premier arrêt concernant un étudiant immatriculé en droit en Allemagne, qui avait acquis un diplôme donnant accès à l’enseignement supérieur (ATF 140 II 185). La Haute Cour avait rappelé à l’ordre la Faculté de droit de Lucerne, qui avait refusé son immatriculation pour les études de bachelor. Elle avait rappelé à cette occasion que le principe de la reconnaissance des qualifications obtenues à l’étranger qui donnent accès à l’enseignement supérieur est directement applicable («self-executing»). L’équivalence des diplômes donnant accès à l’enseignement supérieur constitue la règle; pour admettre une exception, il doit y avoir des différences importantes dans les systèmes éducatifs respectifs. Les instances cantonales alléguaient que l’intéressé avait certes suivi un enseignement en physique, mais non durant trois ans. Cette argumentation méconnaît le sens et le but du principe d’équivalence, avait retenu le TF, qui avait renvoyé la cause à l’instance inférieure pour nouvelle décision, afin d’examiner, si dans ce cas précis, une différence essentielle empêchait son admission.
De nouveau au TF
Claudia Zumtaugwald, avocate à Lucerne qui représente ce candidat, n’est pas au bout de ses peines. L’Université de Lucerne, après un second examen, parvient à la conclusion que le diplôme du candidat est comparable à la maturité professionnelle suisse. Pour accéder à l’université, les titulaires de maturité professionnelle doivent effectuer un examen-passerelle qui n’est ouvert qu’aux titulaires de diplômes helvétiques! Elle lui refuse donc une nouvelle fois l’accès à la Faculté de droit. A titre d’alternative, elle lui suggère d’étudier quatre semestres le droit dans une Université allemande, et de demander, ensuite, son raccordement. «J’ai donc rédigé un second recours au TF, car des diplômes de valeur équivalente ne veulent pas dire des diplômes identiques. Or, on ne peut parler de différence essentielle lorsque, dans deux branches sur six seulement, il y a une sous-dotation de 47%», estime cette avocate. On peut aussi se demander si l’exigence invoquée est en rapport avec la filière que l’étudiant veut suivre (en l’espèce la nécessité d’une forte charge en branches scientifiques pour étudier le droit).
Pour Frédéric Berthoud, «beaucoup de gens ont des expectatives tout à fait exagérées vis-à-vis du processus de Bologne, qui ne fait que structurer le contenu des études et les rendre plus facilement comparables grâce aux crédits ECTS. Mais seule la Convention de Lisbonne confère des droits justiciables aux diplômés étrangers. Ce n’est peut-être pas un hasard si les deux recourants des arrêts du TF voulaient étudier le droit, car ils sont plus habitués à argumenter et à chercher les textes pouvant appuyer leur raisonnement. Du côté des universités, je ne m’explique pas pourquoi cette convention est à ce point méconnue, constate-t-il. Elle est entrée en vigueur en 1999 et nous avons dû attendre près de quinze ans ces arrêts, ce qui est d’autant plus long que des conventions antérieures existaient depuis les années 1950.»
Des interpellations parlementaires2 ont remis en question l’emprise de la Convention de Lisbonne sur l’autonomie des universités suisses, «à mon sens à tort, commente Frédéric Berthoud. En effet, il ne faut pas perdre de vue qu’elle garantit aussi l’intérêt des étudiants suisses à étudier à l’étranger. Or, d’autres interpellations parlementaires demandent d’améliorer l’accès des citoyens suisses aux Universités allemandes. En outre, en Suisse également, on tend à faire des baccalauréats de plus en plus diversifiés, ce qui complique la comparabilité des différents diplômes donnant accès aux hautes écoles. Le travail des services d’immatriculation s’en trouve compliqué.»