Le nouveau droit de protection de l'adulte et de l'enfant, entré en vigueur le 1er janvier, rend plus complexe le travail des autorités, en prévoyant des curatelles sur mesure, adaptées à la situation de la personne à protéger (plaidoyer 5/2010). D'où la nécessité d'adjoindre au président de l'autorité, généralement un juriste, des spécialistes émanant d'autres disciplines, selon les particularités du cas: travail social, comptabilité, santé (y compris psychologie et psychiatrie). Mais si les travailleurs sociaux et les personnes à même de tenir des comptes œuvrent depuis de longue années pour faire fonctionner le système des tutelles (un terme désormais banni, car jugé stigmatisant), les médecins n'ont jusqu'à présent pas joué un rôle aussi important que celui que réclame la nouvelle législation. Et, à l'heure de mettre en place les autorités, ils ne sont pas assez nombreux à répondre présent.
La recherche de psychiatres est particulièrement difficile à Genève, car ce canton a placé la barre très haut dans sa législation d'application du nouveau droit. Celle-ci prévoit, pour la plupart des cas, qu'un assesseur psychiatre fait partie de l'autorité, aux côtés d'un président juriste et d'un assesseur spécialisé en travail social. «Genève a joué au bon élève en précisant dans la loi la composition de l'autorité, tandis que d'autres cantons se sont contentés de prévoir la pluridisciplinarité, sans préciser les spécialités requises, constate Laure Luchetta Myit, cheffe de projet au Pouvoir judiciaire genevois. L'autorité ne peut donc pas fonctionner sans les psychiatres. De plus, le changement est grand pour Genève, car, contrairement à la majorité des cantons romands, il ne disposait pas d'un système collégial, les décisions étant prises par un juge.»
Les cantons de Vaud, de Fribourg et de Neuchâtel bénéficient en effet d'une certaine continuité, avec le maintien d'un fonctionnement collégial. Et leurs lois d'application sont plus générales, permettant une composition des autorités plus souple qu'à Genève. Mais la nécessité de trouver des assesseurs psychiatres se fait néanmoins sentir dans ces cantons, pour mettre au point les «mesures sur mesure» prévues par le nouveau droit. Et, comme à Genève, ces spécialistes n'ont pas répondu présent en nombre suffisant dans les cantons de Vaud et de Fribourg (la question étant encore prématurée à Neuchâtel, qui vient seulement de commencer ses recherches). «Ce n'est pas facile pour eux de concilier leur activité d'indépendant avec des déplacements occasionnels à la justice de paix», commente Johanna Mayer-Ladner, juriste au Service de la justice du canton de Fribourg. «Etant mieux rétribués en travaillant dans leur cabinet, les psychiatres ne se manifestent que s'ils ont un intérêt personnel à faire partie de l'autorité de protection», ajoute Laure Luchetta Myit à Genève. Neuchâtel et Valais ont pour leur part ouvert la fonction aux psychiatres non domiciliés dans le canton, pour élargir le bassin de recrutement.
Mais la première préoccupation du Valais a surtout été de professionnaliser ses chambres pupillaires, qui étaient de type administratif et du ressort de chaque commune sous l'ancien droit. Des regroupements intercommunaux ont permis de passer de 97 à 27 autorités administratives, mais leur président n'est pas forcément juriste. «Nous allons vers une semi-professionnalisation, avec des membres bien formés à temps partiel, et des assesseurs spécialistes à disposition en cas de besoin, se félicite Michel Perrin, chef du Service administratif et juridique valaisan. Le greffier, lui, sera obligatoirement juriste, ce qui répond à la condition posée par le Tribunal fédéral pour le droit d'accès au juge dans un système de milice (arrêt du TF 5A_368/2007).» Egalement de nature administrative, les autorités tutélaires jurassiennes ont passé de 64 à... une seule. Celle-ci comprend trois membres permanents professionnels: un président juriste, un travailleur social et un psychologue.
Les autorités ne peuvent plus se limiter à choisir un type de curatelle, mais elles doivent déterminer le besoin de protection pour toute une série d'actes. «Cela complexifie leur tâche et nécessite de mener une instruction pour voir ce qu'il est possible de confier aux proches avant de décider de la curatelle la moins contraignante possible», commente Jean-Luc Schwaar, chef du Service juridique et législatif du canton de Vaud. «Le défi est de répondre aux besoins de chacun sans tomber dans des mesures types, ce qui ne répondrait pas aux exigences du nouveau droit, indique aussi Christian Fellrath, chef du Service de protection de l'adulte et de la jeunesse à Neuchâtel. Cela sera possible à condition qu'on dispose des moyens nécessaires.» Mais le défi sera aussi de transposer, dans un délai de trois ans, les anciennes mesures dans le nouveau droit. Si les tutelles deviendront d'office des curatelles de portée générale, les anciennes curatelles devront être examinées de plus près pour être adaptées. Sans cela, elles seront caduques dans trois ans!
Publication supprimée
Autre nouveauté: la suppression de la publication des mesures dans la feuille officielle. Les personnes faisant preuve d'un intérêt (par exemple, un bailleur ou un autre partenaire contractuel potentiel) pourront s'adresser à l'autorité pour s'informer de la capacité d'une personne à s'engager. Mais, là aussi, «le «sur mesure» compliquera la tâche de l'autorité, qui ne pourra pas se contenter de nommer la curatelle dont une personne fait l'objet, mais devra préciser quels actes elle recouvre», remarque Jean-Luc Schwaar. A Genève, Laure Luchetta Myit précise que, si le nombre de ces demandes de renseignements, notamment de la part des banques et des instituts de crédit, devait être important, «il faudrait alors trouver un système pour faciliter l'information. Certains réclament d'ores et déjà un registre à consulter.»
Mandat pour cause d'inaptitude
Le but de la réforme du droit de la tutelle était aussi de favoriser la solidarité familiale et de réduire l'intervention étatique, en donnant davantage de compétences aux proches et en instaurant le mandat pour cause d'inaptitude, par lequel on peut désigner une personne pour s'occuper de tout ou partie de ses affaires au cas où on deviendrait incapable de discernement. Mais l'autorité de protection devra systématiquement vérifier l'existence d'un tel mandat avant d'envisager une curatelle. Pour ce faire, elle devra s'adresser à l'Office de l'état civil, habilité à enregistrer l'existence et le dépôt de ces documents, constitués en la forme olographe ou authentique. «Nous ne pousserons pas les recherches plus loin, car cela prendrait trop de temps, commente Laure Luchetta Myit. Mais, si le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant nomme un curateur et que celui-ci découvre un tel mandat, il devra le prendre en compte. Si ses conditions matérielles et formelles sont remplies, le tribunal pourra être amené à modifier la curatelle, voire à la lever cas échéant.» Non sans avoir vérifié que la personne désignée accepte le mandat et qu'elle ait les compétences de l'exercer.