Les permanences de l'avocat de la première heure des différents cantons romands sont globalement satisfaites des premières expériences auprès des prévenus qui, rappelons-le, ont le droit d'être assistés d'un défenseur dès l'interrogatoire initial de police. Les systèmes de «piquet» ont aisément fait face à la demande, qui s'est révélée conforme aux prévisions, voire inférieure. Certains avocats n'ont pas été appelés pendant leur semaine de permanence, tandis que d'autres se sont, au contraire, retrouvés plusieurs fois sur le pont, parfois au milieu de la nuit. Alexandra Rossi Carré, avocate à Bulle, relate deux expériences plutôt mouvementées: «Je me suis déplacée une première fois pour rien, un dimanche à 6 heures du matin, car c'était une banale histoire d'alcool au volant dans laquelle mon client a admis tous les faits. Il s'est malgré tout retrouvé avec une facture de 700 fr., qu'il me règle par tranche de 100 fr. par mois. Ce n'est pas très satisfaisant, mais, malheureusement, aucun système n'est parfait. Le second cas était en revanche une défense obligatoire, pour laquelle j'ai dû me rendre au Ministère public. C'est une expérience nouvelle que de travailler ainsi dans l'urgence, car, comme avocat, on a plutôt l'habitude de bien préparer les dossiers. On n'est pas formé pour cela, mais, en fin de compte, cela me plaît assez!»
Agenda à revoir
Plus mitigée, Laurence Casays, avocate à Sion, s'est retrouvée inscrite contre son gré à la permanence valaisanne. Elle a été appelée deux fois par la police, et, pour l'une des affaires, encore devant le Ministère public et le Tribunal des mesures de contraintes: «Cela m'a pris beaucoup de temps et m'a obligée à annuler des rendez-vous. En Valais, les longues distances n'arrangent pas les choses. Devant la police, il faut avoir de la présence d'esprit pour conseiller le client au mieux, lui dire de répondre ou, au contraire, de se taire, puis pour faire rectifier le PV si nécessaire. C'est assez stressant, un peu comme dans les films américains...»
Pour les avocats vaudois, qui étaient exclus des auditions d'instruction jusqu'au 1er janvier 2011, le changement est assez abrupt: «C'est une révolution pour nous d'assister aux auditions de police, note Charlotte Iselin, avocate et représente de l'Association des juristes progressistes vaudois (JPV) à la commission de l'avocat de la première heure. Globalement, cela se passe bien, même s'il faut réorganiser son agenda pour faire face aux demandes de la police. Et il faudrait pouvoir entrer en contact par téléphone avec le prévenu avant de se déplacer, pour évaluer l'importance de l'affaire et s'assurer que le client est conscient qu'il risque malheureusement de devoir rétribuer lui-même son mandataire.»
2e et 3e heures
Ce qui n'était pas prévu avant le 1er janvier, constatent les différentes permanences, c'est qu'un appel de la police est souvent suivi d'un autre du Ministère public, voire d'un troisième du Tribunal des mesures de contraintes. «Les auditions consécutives peuvent bloquer les agendas bien après la semaine de permanence, ce qui peut intéresser l'avocat qui fait du pénal et est disponible, mais pas forcément celui qui s'est inscrit par devoir, note Nicolas Charrière, vice-bâtonnier à Fribourg.
Il faudrait instituer l'avocat de la 2e heure pour les auditions devant le procureur et celui de la 3e heures pour le tribunal des mesures de contraintes, comme à Genève.» L'Ordre des avocats genevois a en effet pris les devants et ouvert la permanence aux interventions des 2e et 3e heures: libre à chaque volontaire de s'annoncer comme disponible pour la première heure uniquement ou aussi pour les interventions ultérieures.
Formulaire trompeur
Les avocats se disent généralement satisfaits des contacts avec la police, qui fait, elle aussi, ses premières expériences et se montre prête à affiner les modalités de la collaboration. Mais, dans certains cantons, le formulaire d'information remis au prévenu par la police suscite des critiques. A Fribourg, Nicolas Charrière estime que l'information contenue dans le document est erronée: «Il mentionne que l'avocat de la première heure est réservé aux cas graves, ce qui est totalement faux. De plus, ce droit à être assisté lors de l'interrogatoire de police est perdu dans une longue liste de diverses informations.»
A Neuchâtel, le formulaire distribué par la police a fait l'objet d'un recours du bâtonnier, Ivan Zender auprès de l'autorité compétente en matière pénale: «Le document indique qu'il est possible de faire appel à un défenseur de son choix aux frais du prévenu, tandis que la possibilité de recourir à l'assistance judiciaire en fonction de sa situation financière n'est signalée que tout en bas de la page. Mais l'autorité ne m'a pas donné raison, bien qu'elle ait regretté que les informations sur l'assistance judiciaire ne soient pas livrées dans le même paragraphe mentionnant le droit au défenseur.»
«Genevoiserie»
Quant au canton de Genève, il limite l'avocat de la première heure aux cas graves... en s'appuyant sur une disposition légale cantonale. «Il s'agit bien là d'une «genevoiserie», en contradiction avec le droit fédéral, constate le bâtonnier, Vincent Spira. J'ai toujours dit que, si un prévenu faisait recours, il obtiendrait probablement gain de cause. Concrètement, une liste d'infractions permettant d'appeler l'avocat de la première heure a été dressée. Mais c'est un peu aléatoire. Il arrive que la police considère qu'on n'est pas en présence d'un cas grave et que le procureur dise le contraire... Si cette législation cantonale limite les interventions, elle ne facilite pas le travail!»
La restriction genevoise a comme corollaire une garantie de paiement du défenseur par l'Etat, au tarif de l'assistance judicaire majoré de 50%. Un système de rémunération similaire existe à Fribourg, où l'intervention du mandataire est garantie au tarif de l'assistance judiciaire majoré de 60 fr. Une réglementation que ne connaît pas le canton de Vaud, regrette Charlotte Iselin: «Il faudra trouver une solution pour éviter d'envoyer un avocat qui ne pourra pas être payé par la suite, en garantissant à tout prévenu qui a peu de moyens de pouvoir bénéficier gratuitement d'un avocat dès les premières heures, même s'il ne s'agit pas d'un cas de défense d'office.» A Neuchâtel, qui ne connaît pas non plus la garantie de l'Etat, Ivan Zender estime que si, de temps en temps, un mandataire n'est pas payé, «cela fait partie des risques économiques du métier. Mais il ne faudrait pas que cela arrive trop souvent, car le nombre de volontaires pour la permanence risquerait de chuter.»
Mêmes préoccupations dans le Jura, où «les avocats n'ont pas toujours été rémunérés à titre privé par la personne qui a sollicité leurs services», selon le bâtonnier, Jean-Marie Allimann. L'Ordre des avocats de ce canton a fixé une marche à suivre pour limiter les problèmes: lorsque la police contacte le défenseur pour une intervention, ce dernier demande à s'entretenir avec le client, soit par téléphone, soit en se déplaçant, en le rendant attentif au fait qu'il devra prendre en charge ses honoraires. A moins qu'il ait droit à l'assistance judiciaire ou à un avocat commis d'office en raison de la gravité de l'affaire.