La vieillesse se présente aujourd’hui sous de nouvelles et de multiples facettes. En Suisse, l’espérance de vie ne cesse d’augmenter. Ainsi, les hommes nés en Suisse en 2016 peuvent espérer vivre en moyenne jusqu’à 81,5 ans et les femmes jusqu’à 85,3 ans, ce qui se situe largement au-dessus de la moyenne mondiale.
Alors que, par le passé, la période de vie après 65 ans était perçue comme une période plus ou moins rapide de déclin, actuellement, il s’agit une phase de vie à part entière des citoyens suisses. Ainsi, cette tranche de la population peut demeurer encore très active professionnellement (par exemple avocats, médecins, psychologues, agriculteurs, restaurateurs) ou dans le cadre familial (par exemple garde des petits-enfants). Les seniors sont par ailleurs souvent propriétaires de biens immobiliers en Suisse et à l’étranger et résident souvent entre deux pays.
Les juristes de notre pays ne peuvent pas ignorer ce phénomène et doivent être prêts à répondre à ces besoins grandissants, du point de vue tant du droit suisse que du droit international.
Le réseau seniorlaw.ch est né de cette prise de conscience. Les membres fondateurs, deux avocats, un juriste et un notaire, actifs dans l’Arc lémanique, ont souhaité créer un réseau de praticiens (avocats, notaires, juristes, curateurs professionnels, fiscalistes, médiateurs, assistants sociaux, directeurs d’EMS, médecins, psychologues) auxquels toute personne confrontée à une question et/ou à un problème juridique lié au vieillissement pourra s’adresser.
La formule est simple. Un site internet (www.seniorlaw.ch), avec des informations générales pour le grand public et un lien avec les sites des différents praticiens actifs dans la protection des personnes âgées, offre une première orientation. Ainsi, par exemple, si une personne cherche des conseils juridiques en matière de protection de l’adulte, parce qu’un proche semble être incapable de discernement en raison de la maladie d’Alzheimer, il pourra s’adresser au réseau, afin d’obtenir un premier conseil gratuit et ensuite, si nécessaire, être adressé à un praticien actif dans le domaine concerné.
Pourquoi un réseau?
Le droit des aînés englobe tous les problèmes qui touchent la vie des «personnes âgées», à savoir, selon la définition de l’OMS, les personnes de plus de 65 ans. Il s’agit indéniablement d’une population très variée, qui va du résidant incapable de discernement dans un EMS de 90 ans au businessman de 75 ans. Les questions juridiques touchant ce groupe de population sont ainsi très vastes, comportant notamment des aspects de droit public et privé, suisse et étranger.
Nous pensons en particulier à des problèmes liés aux soins de santé, à la planification des soins de longue durée, au droit administratif, au droit des contrats et de la protection de la personnalité, aux mauvais traitements en institution et à domicile, au droit des successions, à la protection des adultes (mesures personnelles anticipées, représentation d’un incapable de discernement, curatelles), à la planification patrimoniale et aux affaires familiales (mariage, partenariat, divorce, partage de la prévoyance professionnelle des personnes retraitées ou invalides, mariage/partenariat avec écart d’âge très important entre les époux/partenaires, droits des grands-parents à l’égard des petits-enfants).
Dans ce contexte, le rôle de l’avocat devra être reconsidéré. Le traditionnel «avocat de famille», rôle encore très ancré en Suisse, devra, en particulier, prendre conscience du besoin plus fréquent d’une intervention en réseau.
Prenons un cas concret: l’avocat confronté au remariage de son client à un âge avancé. Ici, la protection des intérêts à long terme du client implique également d’anticiper les problématiques prévisibles. L’avocat devra ainsi tenir compte des effets des éventuelles différences d’âge du conjoint, de la santé, des besoins de planification et des intérêts des membres de la famille, en particulier les enfants d’un premier lit. Lorsque les conjoints ont des âges ou des états de santé significativement différents, il sera important de planifier l’avenir financier et l’autonomie du conjoint survivant. L’avocat devrait en outre également garder à l’esprit les aspects successoraux et de protection de l’adulte, et faire en sorte que toute mesure soit prise au moment où le client est encore capable de discernement (par exemple testament, mandat pour cause d’inaptitude, directives anticipées, procurations auprès des banques et des mandataires professionnels). L’intervention d’un médecin, d’un notaire, d’un fiscaliste, voire d’un confrère étranger devra être envisagée et discutée avec le client.
Capacité de discernement
L’avocat devra, au surplus, faire preuve d’une sensibilité particulière en cas de clients présentant des troubles cognitifs. En particulier, il devra s’assurer de la capacité de la personne âgée lors de l’octroi du mandat de conseil ou lors d’établissement d’actes juridiques (mariage, testament, contrat, etc.). La question de la capacité de discernement, notamment dans le cadre d’un mandat, est délicate. On le sait, elle doit s’analyser au cas par cas au moment de l’acte. Ainsi, par rapport à chaque acte spécifique, l’avocat devra s’assurer de la capacité de discernement du client, le cas échéant en recourant à un médecin.
De plus, même en cas de capacité de discernement, les limitations physiques et mentales potentielles des personnes âgées peuvent obliger l’avocat à être particulièrement vigilant. Il devra être attentif à «détecter» chez son client les signes de fragilité physique et psychique ainsi que les indices d’éventuelles pressions de la famille ou des proches. De nouveau, un travail en réseau est nécessaire dans ce contexte.
L’information et la formation
Le but du réseau est également d’offrir au public un point de référence sûr et de qualité en matière de droit de personnes âgées. Afin de promouvoir cette qualité, seniorlaw.ch organise régulièrement des séminaires de formation. Les thèmes suivants ont ainsi été traités au cours des années 2016 et 2017: les problématiques liées à l’entrée dans un EMS, du point de vue des assurances sociales et du droit civil, les mesures envisageables pour protéger un proche incapable de discernement, le rôle du curateur d’une personne âgée, les questions liées au licenciement d’une personne âgée, les droits des grands-parents à l’égard de leurs petits-enfants, le partage de la prévoyance professionnelle en cas divorce de conjoints retraités, les droits successoraux et l’usufruit du conjoint, respectivement partenaire enregistré ou concubin.
Les thèmes sont choisis sur la base des requêtes auxquelles les membres du réseau sont le plus souvent confrontés dans leur activité quotidienne. Par exemple, ils ont été sollicités par des grands-parents souhaitant rétablir des relations avec leurs petits-enfants. Ce thème a été au centre du deuxième séminaire de formation, en juin 2017. Nous vous proposons ci-après un bref résumé de l’analyse présentée à cette occasion.
Les grands-parents
Le Code civil permet d’accorder un droit aux relations personnelles à d’autres personnes que les parents. Ainsi, selon l’art. 274a CC, dans des circonstances exceptionnelles (qui doivent être rapportées par ceux qui le revendiquent, TF 5A_831/2008 du 16 février 2009 c. 3.2), le droit d’entretenir des relations personnelles peut aussi être accordé à des tiers, en particulier à des membres de la parenté, à condition que ce soit dans l’intérêt de l’enfant (cf. TF 5A_357/2010 du 10 juin 2010 et TF 5A_990/2016 du 6 avril 2017).
Mais encore faut-il interpréter les notions de «tiers» et de «circonstances exceptionnelles». Concernant les «tiers», entrent en ligne de compte les grands-parents, les frères et sœurs en cas de fratrie éclatée, d’autres parents proches de l’enfant, des oncles et tantes, les parrains et marraines, le beau-parent après la cessation de la vie commune avec le parent titulaire de la garde, les parents nourriciers ou les parents naturels en cas d’adoption de l’enfant (CommRom-Leuba, CC 274a N 4 et références citées). Néanmoins, selon la doctrine, il est nécessaire que les liens reposent sur des contacts réguliers et qu’ils existent depuis quelque temps déjà (BK-Hegnauer, CC 274a N8).
Quant à la notion de «circonstances exceptionnelles», tel est le cas selon la doctrine lorsqu’il s’agit de maintenir un lien social dont la nature est très proche de la relation parent-enfant (CommRom-Leuba, CC 274a N 8 et références citées). Selon la jurisprudence la plus récente (TF 5A_990/2016 du 6 avril 2017 c. 3.1), la mort d’un parent constitue une circonstance exceptionnelle et justifie un droit de visite de membres de la famille du parent décédé, afin de maintenir les relations entre l’enfant et la parenté du défunt, dont les grands-parents font partie. Parmi les autres exemples cités au titre de «circonstances exceptionnelles» figurent la relation étroite que des tiers ont nouée avec l’enfant, comme ses parents nourriciers, et le vide à combler durant l’absence prolongée de l’un des parents, empêché par la maladie, retenu à l’étranger ou incarcéré (TF 5A_831/2008 du 16 février 2009 c. 3.2).
Le réseau seniorlaw.ch a souhaité sensibiliser les participants au séminaire à la problématique des grands-parents qui, à la suite de la séparation des parents, sont totalement empêchés de voir un petit-enfant en très bas-âge à cause de l’attitude du parent gardien, le plus souvent la mère. Ce phénomène semble effectivement être en croissance.
Si l’on devait appliquer strictement l’interprétation de la loi donnée par la doctrine et la jurisprudence, on arriverait à la conclusion que les grands-parents n’ont eu ni le temps ni la possibilité concrète d’avoir des contacts réguliers avec leurs petits-enfants, et ne peuvent donc pas invoquer un droit dérivant de l’art. 274a CC. Cette interprétation est, à notre avis, trop stricte. Nous sommes d’avis que, même en l’absence de contacts entre les grands-parents et l’enfant, le juge devrait entrer en matière quant à leur demande et statuer dans l’intérêt de l’enfant. Ainsi, il serait – et devrait être – envisageable de mettre en place un droit de visite, par exemple graduel, entre des grands-parents et un petit-enfant, même en l’absence de tout contact préalable, si la création de ce lien est dans l’intérêt de l’enfant.
L’avenir
Le réseau seniorlaw.ch est particulièrement sensible aux questions liées aux violations des droits de la personnalité des personnes résidant dans un EMS. Pour l’avenir, les membres fondateurs souhaitent offrir aux résidants des EMS et au personnel soignant un espace de discussion et de médiation, afin que les parties puissent trouver une solution permettant de garantir à la personne âgée un séjour dans le respect de ses droits. y
*Spécialiste FSA droit de la famille, docteure en droit, LL.M, chargée d’enseignement à l’Université de Genève, membre du Conseil d’éthique de l’Avdems et membre fondateur du réseau seniorlaw.ch